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Les ermitages du terroir nancéien

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 123-128)

Première partie : l’éclosion d’une vie religieuse municipale (fin XVI e siècle - début des années 1630)

C. Les fondations aux marges de la ville

3. Les ermitages du terroir nancéien

Présupposer que le phénomène de l’érémitisme serait absent d’une étude urbaine, pour le motif que les ermites, en se retirant du monde, ne souhaitent laisser aucune trace dans le monde, serait une erreur. Même si le Conseil de Ville de Nancy gère avant tout l’espace urbanisé et urbanisable, son autorité s’étend également sur le territoire environnant, qui comporte plusieurs ermitages. Le premier d’entre eux à être cité est celui de Sainte-Valdrée10, le 31 mai 1598, soit dès les premières années d’exercice du Conseil de Ville. On constate d’ailleurs que le site ne remplit plus sa vocation première, car le lieu est occupé par une famille soupçonnée d’être pestiférée ; le Conseil de Ville la fait installer dans des « loges » construites exprès afin de libérer l’ermitage et le rendre à sa vocation première11.

Nancy compte trois ermitages sur son ban et huit dans les villages alentours. Les plus marquants de l’histoire nancéienne, par les hommes qui y ont vécu sont celui de Bonsecours, qui disparait à partir de 1609 au profit du couvent des Minimes, celui de

Sainte-Marie-des-7 MAISSE Odile, Le miracle en Lorraine au XVIIe siècle. Les exemples de Saint-Nicolas-de-Port et de Notre-Dame de Bonsecours. Mémoire de maîtrise sous la direction de Louis CHÂTELLIER. Université de Nancy II, dactylographié, 1985, p. 44.

8 A.D.54, H 1030. Lettres du 20 juin 1629.

9 JÉROME, Mgr Léon, L’église et le pèlerinage de Notre Dame de Bonsecours à Nancy, op. cit., pp. 41-44.

10 Actuellement dans la commune de Laneuveville-devant-Nancy, au sud-est de Nancy et de Jarville.

11 A.M.N., BB 1, f.° 15 v.

Anges dit « le Reclus » construit à la même époque12, l’ermitage de Montaigu13 créé en 1608.

L’ermitage de Sainte-Geneviève14 est un héritage médiéval qui dépend depuis 1602 du chapitre primatial car il fait partie de sa dotation15. L’ermitage dit « Bricepanné »16, est créé en 1605 par André Brice-Colson, maître des salles de l’Hôtel de Charles III17. Il existe encore l’ermitage de Nabécor18, et celui de Sainte-Marguerite19. Tous ces ermitages contribuent à christianiser l’espace dans lequel ils se trouvent, c'est-à-dire les faubourgs et la campagne proches de la ville20.

Un tel phénomène n’est évident pas propre à Nancy ni même au diocèse de Toul, qui compte 211 ermitages à l’époque moderne, ceux-ci n’étant pas tous occupés de façon régulière.

L’ermitage est majoritairement rural, toutefois les ermitages à proximité des villes existent21. Les jardins des couvents comptent également des « ermitages » qui servent à accueillir des religieux pendant leur retraite spirituelle22, mais le mot est davantage un abus de langage de l’époque dans la mesure où les « ermites » continuent à suivre la règle de l’ordre, contrairement aux ermites authentiques.

La vie spirituelle des ermites ne relève pas des compétences du Conseil de Ville, qui s’intéresse avant tout à la gestion de l’ordre public. C’est en vertu de ce rôle qu’il règlemente le droit de quêter, afin de limiter la « concurrence » entre ses propres quêteurs, qui collectent pour les confréries des âmes, les ermites, et les quêteurs des ordres mendiants que les souverains et les municipalités lorraines protègent23. Ainsi, le 5 novembre 1615, il interdit à tous les ermites de mendier en ville sans sa permission, reconnaissable à une « marque » non précisée mais donnée par le valet des pauvres. Les ermites qui ont femme et enfants se voient signifier l’interdiction sans exception possible24, ce qui confirme ce qui a pu être observé en 1598 : tous ceux qui occupent les ermitages ne mènent pas forcément une vie de célibat. Le 17 décembre

12 Actuellement dans la commune de Vandœuvre-lès-Nancy, au sud-ouest de Nancy.

13 Actuellement dans la commune de Jarville, au sud-est de Nancy.

14 Actuellement dans la commune de Dommartemont, au nord-est de Nancy.

15 PFISTER Christian, Histoire de Nancy, op. cit., vol. 2, pp. 1001-1002.

16 Actuellement dans la commune de Vandœuvre-lès-Nancy.

17 PFISTER Christian, Histoire de Nancy, op. cit., vol. 2, p. 993. Selon le même auteur, il porte le nom de « Notre-Dame de Lorette » en 1645.

18 Actuellement à la limite de Nancy et de Jarville.

19 Actuellement à l’est de Nancy, sur les bords de la Meurthe.

20 MASSON Philippe, L’érémitisme dans les diocèses champenois et lorrains. Fin XVIe- courant XIXe siècle. 2013, pp. 296-297. Thèse de l’Université Lyon II, sous la direction de Philippe Martin. 2013 : http://www.theses.fr/2013LYO20115/document (consulté le 27 juillet 2018).

21 MASSON Philippe, « L’érémitisme », dans HENRYOT Fabienne, JALABERT Laurent, MARTIN Philippe (dir), Atlas de la vie religieuse en Lorraine…, op. cit., pp. 102-103.

22 HOURS Bernard, Des moines dans la cité. XVIe-XVIIIe siècles. Paris, Belin, 2016, p. 63.

23 MASSON Philippe, L’érémitisme dans les diocèses champenois et lorrains…, op. cit., p. 82.

24 A.M.N., BB 2, f.° 46 r°.

suivant25, l’ermite de Bonsecours obtient une exception, en vertu de deux critères : d’une part le fait qu’il reçoit des dons charitables de la part du duc de Lorraine (une bouteille de vin et six petits pains par semaine, précise la délibération), d’autre part parce qu’en contrepartie de cette autorisation exceptionnelle, le Conseil de Ville le charge d’enterrer les morts selon un tarif réglé par la Ville26. L’ermite remplit d’ailleurs cette tâche en 1622 en enterrant huit soldats de la compagnie du comte de Mansfeld qui était de passage27. Ce rôle de fossoyeur est rare dans les diocèses champenois et lorrains car les évêques considèrent que les cimetières sont un espace particulier, plus lié à la paroisse et loin de l’idéal de solitude que requiert l’érémitisme28. Il est plus fréquent de demander aux ermites de sonner une cloche en cas de danger, comme par exemple à Rosières-aux-Salines29.

Malgré tout, les mentions relatives aux ermites restent rares tout au long du premier tiers du XVIIe siècle. En 1608 et en 1620, le Conseil de Ville offre à chaque fois une aumône de 6 francs aux ermites de Vaudrevange pour aider à la reconstruction de leur monastère incendié30. Alors même qu’un ermitage si lointain apparait à deux reprises dans les comptes municipaux, on peut s’étonner qu’un des ermites les plus marquants du début du XVIIe siècle en Lorraine, Pierre Seguin (1558-1636), soit absent. Issu d’une famille de marchands de Senlis, dont le père et les deux frères sont procureurs du roi31, il entre au service de la famille de Mondreville, proche des Guise, et en suit la fortune et les idées politiques. Il entre au service des Guise eux-mêmes en 1588 et rallie donc la Ligue. Aux côtés du duc d’Aumale, il contribue aux deux tentatives de prendre le contrôle de sa ville natale de Senlis pour le compte de la Ligue en 1589, même si le succès de la seconde tentative est bref. Il aurait servi ensuite le gouvernement des Seize à Paris tout en menant une vie de plus en plus austère, s’acheminant sur le chemin d’une conversion personnelle progressive. La victoire d’Henri IV l’oblige à quitter la France. Après un séjour de cinq ans à Bruxelles, où plusieurs ligueurs exilés ont trouvé refuge, il décide de s’installer en Lorraine, terre natale de la maison de Guise et État très catholique. Pierre Seguin choisit de se consacrer à la vie érémitique à Nancy ; la vocation érémitique précoce que lui

25 A.M.N., BB 2, f.° 48 v°-49 r°.

26 A.M.N., BB 2, f.° 49 r°. Une tombe d’enfant (3 pieds de profondeur) avec pierre tombale à lever coûte 5 gros, et 4 gros sans pierre tombale. Une tombe d’adulte (5 pieds de profondeur) sans pierre tombale coûte 8 gros. Le linceul du défunt peut être récupéré par ses proches moyennant une indemnité de 8 gros à l’ermite.

27 A.M.N., CC 67, f.° 136 r°. L’ermite touche 4 francs pour le tout.

28 MASSON Philippe, L’érémitisme dans les diocèses champenois et lorrains…, op. cit., pp. 284 et 381.

29 Ibid., pp. 164 et 356-357.

30 A.M.N., CC 35 ; et CC 61, f.° 147 v°. Wallerfangen (« Vaudrevange » en français), Land de la Sarre, Allemagne.

Anciennement dans le duché de Lorraine et appelée « Valderfange » dans la Géographie universelle de Anton Friedrich BÜSCHING (1770). Il s’agissait d’un chef-lieu de comté et du bailliage d’Allemagne d’après FRAY Jean-Luc, Villes et bourgs de Lorraine…, op. cit., p. 349..

31 AMALOU Thierry, Le Lys et la Mitre…, op. cit., notamment les pp. 136, 138, 173, et 225-227.

attribue Dom Calmet au XVIIIe siècle est donc à relativiser32. Il s’installe d’abord dans l’ermitage de Sainte-Marguerite, possession des Cordeliers33, et y reçoit l’habit d’ermite des mains de l’évêque de Toul, le 1er février 1599. Le 11 juin 1605, il se fixe sur la côte de Vandœuvre, dans l’ermitage qu’Antoinette de Lorraine, duchesse de Clèves, Berg et Juliers et fille de Charles III, a fait construire à son intention34 :

La chapelle du Reclus

Musée Lorrain. Le Reclus003.jpg.

Le 14 juillet 1614, Pierre Seguin décide de faire de son ermitage, Sainte-Marie-des-Anges, plus souvent appelé le Reclus, une fondation perpétuelle

« pour y admettre et loger à perpétuité un ermite reclus pour y être à toujours invoquer et honorer glorifier le nom de Dieu tant par la célébration de la sainte messe le plus souvent que faire se pourra principalement aux jours d’obligation que par les prières ordinaires de lui et de ses successeurs reclus audit lieu et de tout le peuple qui le visiteront comme aussi

32 Dom CALMET Augustin, Bibliothèque lorraine, ou histoire des hommes illustres qui ont fleuri en Lorraine, dans les Trois Évêchés, dans l’Archevêché de Trèves, dans le duché de Luxembourg, etc. Nancy, 1751, pp. 874-881.

33 FRIANT Emmanuelle, Les Cordeliers de Nancy…, op. cit., p. 86.

34 MASSON Philippe, « Pierre Seguin (1558-1636) », dans HENRYOT Fabienne, JALABERT Laurent, MARTIN Philippe (dir), Atlas de la vie religieuse en Lorraine…, op. cit., p. 104.

d’y implorer continuellement la grâce de Dieu pour tout l’église, l’avancement de la foi catholique, l’extirpation des hérésies et de l’infidélité pour les princes chrétiens et pour toute la sérénissime maison de Lorraine et nommément pour ma dite dame duchesse de Clèves sa bienfaitrice. »35

Il y fixe sa propre règle pour la vie érémitique, avec pour ambition d’en faire une règle fondatrice pour les futurs ermites et l’origine d’une congrégation. Contestée à la fois par les Jésuites, qui promeuvent des dévotions plus actives, et par l’évêque de Toul, cette règle finit par être validée le 1er novembre 1617, grâce au soutien de la famille ducale et de l’évêque de Verdun36. Malheureusement, l’ermitage ne résista pas à la mort de Pierre Seguin et surtout aux guerres du XVIIe siècle, encore plus fatales aux établissements religieux isolés qu’aux autres.

Pierre Seguin ne fut pas non plus canonisé après son décès survenu le 22 mars 163637.

L’autre ermitage marquant dans les environs de Nancy est celui de Notre-Dame de Montaigu. Il n’apparait qu’en 1629 dans les sources municipales38, alors qu’il est né le 17 septembre 1608 et qu’il perdurera jusqu’à la Révolution39. Jean Henriet, laboureur à Laneuveville, donne au frère ermite Raphaël une pièce de terre, pour que ce dernier s’y installe et y fasse bâtir un ermitage. Le don est agrandi à plusieurs reprises40. L’ermitage ainsi construit est consacré à Notre-Dame de Montaigu, dont la réputation miraculeuse s’est répandue.

L’ermite Raphaël cède la chapelle Notre-Dame de Montaigu aux Augustins de Bar-le-Duc le 24 novembre 1629, avec le jardin, un bâtiment comptant quatre chambres basses et trois hautes, les ornements de culte, le tout à condition que les Augustins fassent bâtir un ermitage au fond du jardin et qu’il y ait quatre religieux à perpétuité à Montaigu. Le 29 novembre, Charles IV autorise l’installation des Augustins à Montaigu et le Conseil de Ville en prend acte41. Les conditions de cette autorisation sont de ne pas y faire vivre plus de six religieux, ni augmenter les bâtiments, et de ne pas quêter ni à Nancy ni ailleurs. La volonté de ne pas surcharger outre mesure les charges du contribuable nancéien s’impose donc. Ils peuvent prêcher et confesser en la chapelle de cet ermitage depuis 1630. En 1631, Charles IV les charge de desservir la

35 A.D.54, H 2332.

36 MASSON Philippe, « Pierre Seguin » …, op. cit., p. 104.

37 COLIN Marie-Hélène, Les saints lorrains, … op. cit., p. 33.

38 A.M.N., GG 72.

39 A.D.54, 1 Q 655 1 et 1 Q 658. La chapelle de Montaigu en particulier existe encore en 1790, comme le prouvent les deux inventaires des biens des Augustins qui y sont saisis les 19 février et 28 avril 1790.

40 A.D.54, H 884.

41 A.M.N., GG 72.

chapelle de la prison de Nancy, et l’hôpital Saint-Charles en 1632, les faisant ainsi entrer dans la vie religieuse nancéienne42.

Le dernier ermitage qui soit mentionné dans les sources municipales l’est à la veille de la guerre de Trente Ans, quand en 1633, Joseph Girardin, ermite de Sainte-Geneviève, est chargé de porter à Notre-Dame de Lorette la demande de protection que Nancy sollicite alors qu’elle est assiégée par les troupes françaises43. Toutefois aucune raison n’est donnée pour expliquer pourquoi c’est lui qui a été choisi plutôt qu’un autre. Une réputation de sainteté élevée n’est pas exclue. Christian Pfister, pour sa part44, explique ce choix par le fait que Joseph Girardin a été chassé de son ermitage en raison du siège de Nancy : il était donc, en somme, le plus facilement disponible.

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