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2.8 Conclusions

3.1.3 Les modèles tenant compte du moment magnétique

Le modèle d’Ackland

Dans l’hamiltonien d’Ising classique, l’énergie totale du système est la somme des énergies de paires sur réseau rigide [192]. Les énergies de paires dépendent d’une variable associée à chaque nœud i du réseau et d’une constante de couplage unique.

Différents auteurs proposent dans les années 70 d’étendre l’hamil- tonien d’Ising à l’étude des alliages magnétiques en ajoutant un degré de liberté [223]. Ackland propose d’appliquer ce modèle aux alliages fer– chrome [70]. Il y a deux variables pour chaque nœud du réseau :

– une variable d’espèce chimique Si = ±1 (Cr ou Fe),

– et un moment magnétique atomique σi = ±1 (ou). L’amplitude des moments magnétiques est constante (|σi| =1).

Ackland ne peut pas ajuster parfaitement les constantes de couplage sur les calculs ab initio car l’amplitude du moment magnétique σi ne dépend pas de l’environnement chimique local. Ne voulant que mettre en évidence les grandes tendances de ce modèle, il choisit d’imposer égales toutes les constantes de couplage aux premiers et aux deuxièmes voisins. Il n’a donc pas d’échelle de température réelle à comparer avec l’expérience, bien qu’il suffirait pour cela de donner une valeur aux constantes de couplages. Le degré de liberté supplémentaire permet de prendre en compte une pre- mière approximation de l’entropie magnétique. Le système a la possibilité de faire varier les moments magnétiques, même si l’amplitude est unique. Il peut donc explorer un plus grand nombre de configurations.

Ackland construit un hamiltonien qui favorise le couplage entre mo- ments magnétiques de même signe (σiσj = +1) entre atomes de fer, et

les couplages entre moments magnétiques de signes opposés (σiσj = −1)

entre Fe et Cr ainsi qu’entre atomes de Cr. Dans le cas où toutes les interac- tions chimiques et magnétiques sont limitées aux 1erset 2e voisins et sont

de même force (ce qui est équivalent à une constante de couplage égale à

1

T dans le modèle d’Ising classique), l’hamiltonien du système s’écrit :

H=

i,j>i 1 2 Si+Sj σiσj+ 1 2 1−SiSj σiσj (3.9) où le premier terme décrit les interactions entre atomes de même es- pèces (1

2 Si+Sj



= ±1 et 12 1−SiSj



= 0) et le deuxième terme décrit

les interactions entre atomes d’espèces différentes (12 Si+Sj = 0 et 1

2 1−SiSj



Le diagramme de phases correspondant à cet hamiltonien déduit de simulations Monte Carlo est en accord qualitatif avec les principales pro- priétés du diagramme de phases expérimental :

– la lacune de miscibilité α–α’ asymétrique,

– une large solubilité de Cr dans Fe (jusque 23 % Cr) mais pas l’inverse, – la diminution de la température de Curie lors de l’ajout de Cr, – la température de Curie du fer est très supérieure à la température

de Néel du chrome.

Dans un deuxième article dédié à la phase σ et à la ségrégation de surface libre (100), Ackland [71] propose de ne tenir compte des interactions de paires magnétiques jusqu’aux cinquièmes voisins. Cela permet de repro- duire la longue portée des interactions Cr–Cr mise en évidence par les calculs ab initio [66, 67] et les développements en amas de Lavrentiev et al. [74, 73]. L’énergie totale de N voisins en interaction est la somme des énergies de paires magnétiques dont la constante de couplage dépend des atomes formant la paire :

Hi(N) = N

j=1

Hij, (3.10)

où Hij dépend de l’espèce sur les sites i et j :

Hij = ANσiσj lorsque Si+Sj =2, (interaction Cr-Cr),

Hij =σiσj lorsque Si+Sj =0 (interaction Cr-Fe),

Hij = −σiσj lorsque Si+Sj = −2 (interaction Fe-Fe),

où le paramètre AN est ajusté pour obtenir un rapport supérieur à 1 entre

les températures de Curie TC et de Néel TN du fer et du chrome. Les

interactions Cr–Fe et Fe–Fe sont choisies égales à 1. Il n’y a donc pas d’échelle de température réelle à comparer avec l’expérience.

Ackland calcule en Monte Carlo le diagramme de phases représenté sur la figure 3.5.

Figure 3.5 – Diagramme de phases déduit par Ackland avec un modèle de paires mag- nétiques aux cinquièmes voisins décrit par l’hamiltonien 3.10. Les trois phases ferromag- nétiques (FM), paramagnétiques (PM) et antiferromagnétiques (AF) sont dans un réseau cubique centré. Figure de Ackland [71].

La limite principale de ce modèle est qu’il ne reproduit ni l’inversion du signe de l’énergie de mélange, ni la dépendance en composition chim- ique locale de l’amplitude du moment magnétique des atomes de Cr.

Cependant, la relative simplicité et les résultats de ce modèle mon- trent qu’il capture une part importante de la physique de l’alliage en in- troduisant un degré de liberté supplémentaire : le moment magnétique atomique.

La CVM de tétraèdres chimiques et magnétiques d’Inden et Schön

Inden et Schön proposent un premier modèle classique dans lequel l’énergie du système est décomposée en énergies de tétraèdres [72] :

U=6N

i,j,k,l

ǫαi,j,k,l,β,γ,δραi,j,k,l,β,γ,δ (3.11)

où N est le nombre d’atomes du système cubique centré considéré, et

ραi,j,k,l,β,γ,δ est la probabilité de trouver un amas (α, β, γ, δ) occupé par les

espèces (i, j, k, l). ǫαi,j,k,l,β,γ,δ est l’énergie associée à cet amas que Inden et Schön ajustent sur des mesures calorimétriques à haute température [52]. Ils traitent ensuite leur hamiltonien avec la méthode de champ moyen CVM (méthode des variations d’amas). Ce modèle, comme le modèle d’Is- ing classique, ne tient pas compte du moment magnétique atomique. Le diagramme de phases calculé est très éloigné du diagramme de phases expérimental.

Dans un deuxième temps, Inden et Schön ajoutent aux énergies de té- traèdres classiques ǫα,β,γ,δ

i,j,k,l une énergie ǫαM,β,γ,δi,Mj,Mk,Ml tenant compte des mo-

tétraèdre(α, β, γ, δ). L’énergie du système s’écrit alors :

U=6N

i,j,k,l



ǫαi,j,k,l,β,γ,δ+ǫαM,β,γ,δi,Mj,Mk,Mlραi,j,k,l,β,γ,δ (3.12) Contrairement au modèle d’Ackland dans lequel les atomes ne peuvent avoir que des moments magnétiques +1 ou 1, trois valeurs sont au-

torisées pour Fe et deux pour Cr. La part magnétique de l’énergie de té- traèdre est réduite à la somme des interactions de paires magnétiques aux premiers et deuxièmes voisins. Ces énergies de paires sont ajustées sur les températures de Curie et Néel expérimentales de l’alliage.

Ce nouvel hamiltonien leur permet de construire un diagramme de phases fer–chrome avec une lacune de miscibilité reproduisant les obser- vations expérimentales à haute température et la variation des tempéra- tures de Curie et Néel de l’alliage. La solubilité du fer dans le chrome est cependant trop forte, et Inden n’indique pas les limites à 0 K que l’on imagine nulles par extrapolation. Les interactions magnétiques de l’alliage sont elles aussi ajustées sur les mesures à haute température.

Il serait intéressant de reprendre l’ajustement des énergies d’amas sur les calculs ab initio à 0 K plutôt que sur les propriétés à haute tempéra- ture. Les calculs ab initio montrent qu’à basse température, c’est le mo- ment magnétique du chrome qui est le plus sensible à l’environnement chimique local : une grande amplitude et une discrétisation suffisante sont nécessaire.

L’espace des configurations magnétiques possibles est plus grand que celui du modèle d’Ackland puisque le nombre des amplitudes autorisées est supérieur. L’entropie magnétique est donc mieux prise en compte. La température critique déduite de cet hamiltonien est d’environ 800 K. Cette température beaucoup plus basse que les températures critiques déduites en champ moyen des potentiels EAM ( 2700 K) confirme le rôle impor- tant de l’entropie magnétique.

Les développements en amas chimiques et magnétiques de Lavrentiev et al.

Les développements en amas permettent de représenter l’énergie totale d’un alliage sur réseau rigide comme une somme d’énergies de configura- tions à plusieurs sites (singulets, paires, triplets, tétraèdres [72] . . . )[64, 65]. C’est une façon classique d’étudier les propriétés énergétiques d’une so- lution solide dans un large domaine de concentration et de température. À chaque site est associée une variable d’occupation de site Si prenant les valeurs±1 (Fe ou Cr). L’énergie totale s’exprime :

E~S i  = J(0)+

γ DγJγ

i∈γ Si (3.13) où ~S

i = {Si}i=1,...,N est la configuration du système d’énergie totale

E~S

tive Jγ ajustée sur les énergies de mélange des structures ordonnées cal-

culées ab initio. Dγ est le nombre total d’amas de type γ dans le système.

Inden et Schön n’utilisent par exemple que des amas de type tétraèdres [72].

Dans une première étude, Lavrentiev et al. [64, 65] montrent qu’il est possible de reproduire les résultats ab initio avec l’hamiltonien clas- sique 3.13 sans interactions magnétiques au prix d’un développement en de nombreux amas. 12 amas de 2 à 5 atomes et une portée des inter- actions jusqu’aux 6e voisins sont nécessaires pour reproduire le change- ment de signe des énergies de mélange calculées ab initio, alors que seuls quelques amas de deux et trois atomes suffisent à reproduire des énergies de mélange dans des systèmes plus simples sans interactions magnétiques [224]. Le calcul de propriétés d’équilibre avec un tel développement serait alors très lourd numériquement. Le calcul du diagramme de phases, des isothermes de ségrégation ou des propriétés de diffusion serait difficile. En accord avec les résultats du modèle d’Ising ou de la CVM de tétraèdres classiques, cela démontre que la physique de l’alliage n’est pas captée par une unique variable d’espèce.

Dans une deuxième série d’études, Lavrentiev et al. ajoutent donc un nouveau degré de liberté au système, comme l’ont fait Ackland ou Inden et Schön, mais en allant un pas plus loin. Les moments magnétiques M~

i

de chaque atome i sont pris en compte, mais contrairement à Ackland ou Inden, ce sont à la fois leur direction et leur amplitude qui sont variables. Ce moment magnétique dépend de la configuration chimique locale.

Avec ce nouveau degré de liberté, seules les interactions non- magnétiques classiques de sites et paires aux premiers et deuxièmes voisins associées à des interactions magnétiques de paires jusqu’aux cin- quièmes voisins sont nécessaires pour reproduire les énergies de mélanges calculées ab initio.

L’énergie totale s’exprime : E~S i  = J(0)+J(1)

i Si+J(2)

i,j6=i SiSj (3.14) −

i,j6=i  J(0) ij +J (1) ij Si+Sj  +Jij(2)SiSj  ~ MiM~j +

i A(0)+A(1)+

j6=i A(ij2)SiSj ! ~ M2i +

i B(0)+B(1)+

j6=i B(2) ij SiSj ! ~ M4 i

où J(n) sont les constantes de couplages non-magnétiques à courte dis- tance entre ne voisins. A(n) et B(n) sont les termes de site qui déterminent l’amplitude du moment magnétique. Les J(n)

ij sont les paramètres d’inter-

actions magnétiques.

En plus du terme d’interaction de paires magnétique M~

développements de type Ginzburg-Landau en M~2

i et M~4i sont ajoutés à

l’hamiltonien de l’équation 3.13. Ces termes déterminent l’amplitude des moments magnétiques et empêchent leur divergence.

Ces auteurs montrent que les moments magnétiques des configura- tions les plus stables sont le plus souvent colinéaires. C’est en particulier le cas des structures à forte concentration en l’un ou l’autre des éléments. La direction et l’amplitude des moments magnétiques étant libres, ce modèle permet d’explorer l’ensemble des configurations magnétiques possibles et donc de prendre complètement en compte l’entropie mag- nétique. Les entropies magnétiques dans les modèles d’Ackland ou d’In- den sont sous-estimées car seule une partie de l’espace des configurations magnétiques peut être échantillonnée. Cette approximation est justifiée si l’échantillonnage correspond à l’ensemble des configurations les plus fa- vorables énergétiquement.

La contre-partie de ce modèle est qu’il nécessite un traitement statis- tique numériquement coûteux. Pour chaque configuration chimique, un grand nombre de pas Monte Carlo doivent être réalisés pour échantil- lonner l’immense espace des configurations magnétiques. Jusqu’à aujour- d’hui, le diagramme de phases complet n’a pas été calculé. Seul un dia- gramme de phases partiel ne concernant que l’équilibre αγdu domaine riche en fer a été publié [16].

3.2 Développement d’un modèle d’interactions de