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De nombreux calculs DFT ont déjà été réalisés pour l’alliage Fe–Cr. L’objet de cette deuxième section est d’en faire une revue afin d’éclairer les résultats présentés dans la section suivante.

2.2.1 L’impureté Cr substitutionnelle dans Fe

Le lien entre structure électronique et stabilité des impuretés substitu- tionnelles 3d et 4d dans les métaux de transition est étudié par Drittler et al. [110]. Ces auteurs calculent en KKR-LDA par la méthode des fonctions de Green la structure électronique des impuretés de métaux de transition dans le fer.

– la bande de spin (qu’on appellera parfois minoritaire) de l’im- pureté V, Cr, Mn, Co dépend peu de la nature de l’élément chim- ique : elle est divisée en deux pics séparés par un minimum (décrit Drittler et al. [110] comme un pseudo-gap) dans lequel se situe le niveau de Fermi EF qui sépare les états liants (E < EF) des états

antiliants (E> EF).

– selon la nature de l’impureté, la bande de spin ↑ (qu’on appellera parfois majoritaire) se déplace autour du niveau de Fermi. Cette bande est le principal contributeur à la (dé)stabilisation de l’élément substitutionnel : l’énergie du système est directement liée à la posi- tion des extrema de densité électronique par rapport au niveau de Fermi.

Dans le fer pur, l’énergie de Fermi se situe dans le pic antiliant de la densité d’états du canal majoritaire, il contient 0.2 à 0.3 états vides. Cela fait du fer un ferromagnétique faible.

L’énergie de Fermi de l’impureté Cr dans Fe est dans le pseudo-gap du canal majoritaire. La bande est décalée vers les plus hautes énergies, le pic antiliant est essentiellement vide. Cela induit un moment magnétique faible.

2.2.2 L’alliage Fe–Cr

L’alliage non-magnétique

Les premiers calculs de structure électronique sont non-polarisés, puis polarisés uniquement pour Fe [111, 112], dans l’approximation du poten- tiel cohérent (CPA) [113, 114, 115]. L’idée développée par Soven [113] puis

par Velicky, Kirkpatrick et Ehrenreich [114, 115] est de remplacer l’envi- ronnement ordonné d’un site par un potentiel effectif moyen. Cela permet de simuler les propriétés électroniques de l’alliage. La solution solide Fe– Cr cubique centrée se comporte comme une solution solide régulière. Les interactions de paires effectives déduites de ces premiers résultats perme- ttent de calculer en Monte Carlo des limites de solubilité αα′ et des limites spinodales quasi-symétriques. Elles ressemblent à celles proposées plusieurs années plus tôt par minimisation de l’enthalpie libre déduite des mesures à haute température [116].

L’alliage magnétique

Vers une prise en compte du magnétisme La méthode DLM (Disor- dered Local Moment) permet de reproduire le désordre magnétique de la phase paramagnétique. Le système binaire FexFeCrxCr est décrit comme un

quaternaire FeFe

xFe Cr↓Cr↑



xCr. Cette approximation a l’avantage de

mieux simuler l’état paramagnétique de l’alliage au-dessus de TCurie que

la suppression artificielle des moments magnétiques atomiques par des calculs non-polarisés en spin, car elle tient compte des couplages mag- nétiques. Cette prise en compte du magnétisme stabilise la phase para- magnétique de plusieurs dixièmes d’eV [117], ce qui remet en cause les conclusions basées sur les calculs non-magnétiques présentés ci-dessus : en phase diluée, les moments magnétiques des atomes de chrome sont anti-alignés aux moments des atomes de fer [118].

La densité d’états électroniques projetée (PDOS) moyenne de l’alliage Fe–Cr Lorsque la proportion de Fe augmente, le canal majoritaire se rem- plit alors que la bande minoritaire ne bouge pas [119]. Le moment magné- tique moyenhMi =MMaugmente ainsi, et de manière quasi linéaire, en accord avec Slater et Pauling [38, 39]. Ce remplissage d’états hauts en énergie, passant par un maximum de densité d’état pour xCr ≈ 0.5, est

corrélé à un mélange énergétiquement défavorable des éléments Fe et Cr [69].

L’énergie de mélange négative du côté riche en Fe En calculant ab initio l’énergie de mélange de l’alliage désordonné dans tout le domaine de concentration, Olsson et al. [67, 120, 69, 121, 66] observent une énergie de mélange négative pour xCr / 6 %. Les auteurs émettent l’hypothèse

d’une transition topologique de la surface de Fermi, dont on peut trouver une description par Smirnova et al. dans Al–Zn [122], qui relie la dérivée seconde de la contribution enthalpique de la structure de bande HBS à

l’inverse du nombre d’états au niveau de Fermi de l’alliage n(EF)et aux

numéros atomiques de Fe (Cr) ZFe(Cr) :

2HBS

∂x2 ∝

(ZCr−ZFe)2

n(EF) varie rapidement avec la concentration, ce qui influe directe-

ment sur la stabilité de l’alliage. On peut concevoir cette relation comme un écart à la théorie de la solution solide régulière dans laquelle la dérivée seconde de l’énergie de mélange par rapport à x est constante.

Les mêmes calculs réalisés dans un système sans magnétisme macro- scopique (DLM ou NM) [120] reproduisent les résultats expérimentaux à haute température [52] dans la phase paramagnétique. L’alliage s’y com- porte comme une solution régulière. C’est bien le magnétisme qui est re- sponsable du changement de signe de l’énergie de mélange du côté riche en Fe.

Olsson et al. [69] lient ce changement de signe à la position du niveau de Fermi. Ce qui se passe cependant entre 0 et 10 % Cr est très particulier. Contrairement à la tendance globale de dépeuplement du pic antiliant du canal majoritaire quand xCr augmente (décrite ci-dessus), on observe le

phénomène inverse de 0 à 10 % Cr, causé par des variations très locales de la densité d’état projetée. Dans ce même domaine de concentration, EF se rapproche encore du minimum du pseudo-gap du canal minori-

taire. Ces deux effets stabilisent l’alliage jusqu’à 10 % Cr : ∆Hmix < 0. Par

des arguments de population de la densité d’états au niveau de Fermi, Olsson et al. parviennent également à estimer la limite entre les régimes de germination–nucléation–croissance et de décomposition spinodale à 17 % Cr à 0 K. Les PDOS de l’alliage « paramagnétique » ne montrent pas ces variations locales à basse concentration en Cr.

Du point de vue atomistique : énergie, structure et magnétisme Des arguments atomistiques sont mis en avant par Klaver et al. [66] pour ex- pliquer le changement de signe de l’énergie de mélange. Les énergies de liaison Cr–Cr calculées avec des méthodes de référence (PAW) sont répul- sives.

À faible concentration, les atomes de Cr sont trop éloignés pour in- teragir : la mise en solution favorable de l’impureté stabilise le système. Quand xCr augmente, des interactions Cr–Cr répulsives apparaissent et

augmentent l’énergie totale du système.

De la microscopie électronique de photo-émission (PEEM), de l’XMCD et de l’EXAFS couplés à des calculs DFT « tous-électrons » sont utilisés pour décrire la structure locale d’un atome de Cr dans le fer à 6.2 et 12.5 % Cr [123]. À 6.2 % Cr, l’atome de Cr a un effet structural négligeable. À 12.5 % Cr, l’atome de chrome induit une légère contraction des deux premières sphères de voisinage.

Magnétisme et ordre local Le lien entre changement de signe de l’én- ergie de mélange, magnétisme et tendance à l’ordre local est proposé par Paxton et Finnis en 2008 [124]. Ces auteurs introduisent un paramètre de Stoner dans un potentiel liaisons-fortes qui leur permet de contrôler le mo- ment magnétique des atomes et d’en déduire son rôle dans la physique de l’alliage. Le moment magnétique des atomes de Fe est très stable, même en

présence de Cr. Au contraire, le moment magnétique d’une impureté Cr dans le fer est très dépendante de l’environnement chimique local. Dans la phase diluée, le moment de l’impureté Cr s’anti-aligne avec les moments des atomes de la matrice Fe. Leur structure électronique est alors très dif- férente de celle de l’élément pur. Quand deux Cr sont premiers voisins, la répulsion entre impuretés Cr modifie leur structure électronique.

Pour que les Cr ne se repoussent plus, il faut qu’ils soient assez nom- breux et proches voisins pour retrouver la structure électronique de la phase cubique centrée antiferromagnétique. La coopération entre Cr de plusieurs mailles est nécessaire. Si le nombre de Cr voisins n’est pas suff- isant, la structure électronique la plus stable correspond à l’atome isolé dans Fe. Quand la concentration augmente, les Cr précipitent donc pour retrouver la structure électronique de l’élément pur. À faible concentra- tion, ils préfèrent s’isoler les uns des autres : c’est la naissance d’une forme d’ordre local discutée au paragraphe 1.3.4.