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Les modèles expérimentaux en sédimentologie marine et côtière

Les modèles expérimentaux permettent d'étudier diérents régimes de ux sédimen-taires : les systèmes en érosion (e.g. érosion d'une chaîne de montagne en surrection et création de relief - Crave et al. (2000)), en by-pass (e.g. états d'équilibre des chenaux u-viaux (Ashmore, 1982) ou sous-marins (Métivier et al., 2005)), ou en dépôt (e.g. réponse d'un delta à des uctuations eustatiques - Muto et Steel (2004)).

Les systèmes côtiers sont diciles à classer dans une catégorie particulière. A l'interface entre terre et mer, ils peuvent passer d'un régime d'érosion à un régime de dépôt en fonc-tion des condifonc-tions de forçage.

Les études expérimentales en sédimentologie marine et côtière peuvent se regrouper en trois types : (i) Les modèles à échelle 1 s'intéressant aux processus de transport, et aux gures sédimentaires associées ; (ii) les modèles de plage se focalisant sur la problématique de l'érosion littorale et de la dynamique des prols de plage ; (iii) les modèles stratigra-phiques qui intègrent les eets des variations eustatiques, des apports sédimentaires et de la surrection sur le remplissage de bassins sédimentaires. Ces trois familles de modèle font appel à des techniques expérimentales diérentes, des échelles de temps et d'espace très variables, et donc diérentes façons d'aborder la problématique de la mise à l'échelle.

V.2.1 Transport et gures sédimentaires

La grande majorité des travaux expérimentaux en sédimentologie se rapportent à l'étude de la mobilité des fonds sédimentaires, et aux gures sédimentaires qui y sont associées, depuis les travaux pionniers de Shields (1936) et de Bagnold (1956). Ces études visent à contraindre les seuils de mise en mouvement des sédiments, en prenant en compte au maximum la variabilité du matériel sédimentaire (forme, densité, etc. - Collins et Rigler (1982); Prager et al. (1996); Neumeier et al. (2006); Smith et Sleath (2005); Paphitis et al.

V.2. Les modèles expérimentaux en sédimentologie marine et côtière (2001); Weill et al. (2010)), et la complexité des conditions hydrodynamiques (courant, houle, houle et courant - Miller et al. (1977); Dingler (1979); Voulgaris et al. (1995)). La connaissance des domaines de stabilité des gures sédimentaires est primordiale (Bo-guchwal et Southard, 1990; Baas, 1999; Catano-Lopera et Garcia, 2006). En eet, elle apporte de précieuses informations sur les conditions de dépôt des paléo-environnements. D'autre part, la présence de gures sédimentaires sur un fond mobile implique des rétro-actions sur les écoulements, et donc sur le transport sédimentaire associé (Faraci et Foti, 2002; Ha et Chough, 2003; Schindler et Robert, 2005; van der Werf, 2004).

Un certain nombre d'études expérimentales ont abordé la problématique de la for-mation et de la préservation de litages sédimentaires, dans le but de mieux corréler les observations dans l'enregistrement sédimentaire aux processus hydrodynamiques. Ce type d'étude s'applique aussi bien au domaine uvial (e.g. nappes de gravier (Lunt et Bridge, 2007), barres de ressaut hydraulique (Macdonald et al., 2009),...) qu'au domaine côtier (e.g. origine des stratications obliques (Middleton, 1965; Pasierbiewicz, 1982; McKee, 1957; Storms et al., 1999)).

Fig. V.1  Modélisation de la préservation de litages obliques liés à la migration de rides de courant (Storms et al., 1999). A) Vue plane des rides de courant linguoïdes dans le canal. L'écou-lement est orienté vers le bas. B) Vue de prol des rides de courant dans le canal. L'écouL'écou-lement est orienté vers la gauche. C,D,E) Coupes réalisées dans le sédiment et montrant la préserva-tion d'une straticapréserva-tion entrecroisée liée à la migrapréserva-tion des rides. La règle (A,B) et la séquence (C,D,E) mesurent 15 cm.

V.2.2 Morphodynamique littorale

Concernant les études expérimentales à l'échelle des corps sédimentaires côtiers, le champ d'investigation est beaucoup plus réduit. L'essentiel d'entre-elles touchent à la morphodynamique des plages. Au-delà de l'investigation de l'hydrodynamisme de la zone de déferlement à la zone de swash, les travaux se concentrent sur les états d'équilibre des prols de plage (Grasso et al., 2009a; Lopez de San Roman-Blanco et al., 2006; Michallet et al., 2007; Wang et Kraus, 2005), sur la dynamique de migration des barres d'avant-plage (Grasso et al., 2009b), sur l'érosion du haut de d'avant-plage (van Thiel et al., 2008), et sur les problématiques de rechargement en sable (Dette et al., 2002). Ce type d'expériences est mené dans des canaux à houle d'une dizaine à plusieurs dizaines de mètres de long.

Les modèles expérimentaux de transport sédimentaire ou de dynamique de plage servent généralement à établir des lois physiques ou empiriques qui seront appliquées aux systèmes naturels. Pour que ces modèles quantitatifs soient exacts, il est nécessaire que les rapports de forces entre le uide et le sédiment dans le modèle soient identiques à ceux dans la nature. Les deux systèmes doivent suivre une similitude dynamique, qui implique une similitude géométrique et cinématique. Ce principe de mise à l'échelle des modèles est très largement utilisée dans l'ingénierie (Yalin, 1971). A partir des équations régissant le système physique étudié et leur analyse dimensionnelle, une série de nombres adimensionnels sont dénis. Ces derniers doivent être identiques entre le modèle et l'échelle naturelle.

Pour les systèmes impliquant un écoulement uide sur un fond xe, les deux nombres adimensionnels les plus représentatifs sont les nombres de Froude et de Reynolds. Le nombre de Froude dénit le rapport entre les forces inertielles et gravitaires :

F r = √U

gL (V.1)

où U et L sont des vitesses et des longueurs caractéristiques, et g l'accélération de la gravité.

Fig. V.2  Modélisation d'un rechargement sédimentaire d'avant côte dans le canal à houle du LEGI, Université Joseph Fourier à Grenoble (Grasso, 2009). Le sédiment est constitué d'une poudre plastique de faible masse volumique (ρs = 1,19 g.cm−3) et de diamètre médian de 0,6 mm. La portion de plage représentée sur la photographie est longue de 8 m.

V.2. Les modèles expérimentaux en sédimentologie marine et côtière Le nombre de Reynolds dénit le rapport entre les forces inertielles et visqueuses :

Re = U L

ν (V.2)

avec ν la viscosité cinématique du uide.

Si le modèle fait intervenir un fond mobile, comme un lit sédimentaire, d'autres nombres adimensionnels entrent en jeu. Le transport de sédiment non cohésif est déni par la contrainte de cisaillement critique adimensionnée :

τ = u

∗2

(s − 1)gD (V.3)

où uest la vitesse cisaillante critique, s la densité spécique du sédiment (ρsedimentf luide), et D un diamètre caractéristique du sédiment.

L'état de l'écoulement autour des particules sédimentaires est quant à lui déni par le nombre de Reynolds de grain :

Re = u

D

ν (V.4)

Enn, la dynamique des sédiments en suspension est représentée par le nombre de Rouse : Rou = ws

u0 (V.5)

avec wsla vitesse de sédimentation du sédiment, et u0 l'intensité turbulente caractéristique de l'écoulement.

Si la similitude dynamique ore un cadre rigoureux pour la mise à l'échelle des modèles expérimentaux, celle-ci est en pratique impossible à satisfaire entièrement pour plusieurs raisons. Le premier obstacle réside dans le nombre de Reynolds. La réduction de la lon-gueur caractéristique du modèle impose l'augmentation des vitesses caractéristiques, à moins d'utiliser un uide de viscosité plus faible que l'eau, chose quasiment impossible. Si les vitesses caractéristiques sont augmentées, il n'est alors plus possible de conserver la similitude de Froude.

En pratique, c'est souvent la similitude de Froude qui est conservée, en considérant le principe d'indépendance du nombre de Reynolds, qui n'inuence pas la dynamique globale de l'écoulement (Paola et al., 2009) : La similitude du nombre de Reynolds du modèle n'a pas d'importance, du moment qu'il soit susamment élevé pour que l'écoulement soit pleinement turbulent (si tel est le cas dans le système naturel étudié). L'importance du respect des échelles de turbulence en modélisation du transport sédimentaire est parfois remis en cause : Devauchelle et al. (2010) reproduisent expérimentalement des motifs rhomboïdes de plage sous un écoulement laminaire de très faible épaisseur. Sur les plages, ces gures sédimentaires centimétriques se forment pourtant dans la zone de swash,

forte-ment turbulente. Par contre, si la turbulence à petite échelle n'inuence pas l'écouleforte-ment général, elle est d'une importance cruciale pour la remise en suspension des sédiment.

Le respect d'une similitude de Froude dans un modèle à échelle réduite implique des vitesses caractéristiques d'écoulement plus faibles, et donc des vitesses cisaillantes sur le fond plus faibles. Pour conserver la contrainte critique adimensionnelle, il est nécessaire de diminuer la taille des particules étudiées, ou de diminuer leur densité. Les poudres et granulats plastiques sont par exemple couramment utilisés. Encore une fois, cette méthode atteint ses limites lorsque le matériel sédimentaire naturel à modéliser est n (problèmes de cohésion), possède des formes complexes ou une grande variabilité de tailles.

V.2.3 Modèles stratigraphiques

Au cours des trente dernières années, et poussé par l'industrie pétrolière, un grand nombre de modèles expérimentaux reproduisant l'évolution des systèmes sédimentaires à grande échelle et la création de l'enregistrement stratigraphique ont été mis en oeuvre

Fig. V.3 Modélisation du remplissage d'un bassin sédimentaire en subsidence, avec variations du niveau de base, réalisé dans le bassin Experimental EarthScape (XES) du St. Anthony Falls Laboratory, University of Minnesota (Heller et al., 2001). La portion du bassin utilisée pour l'expérience mesure 1,6 m de long, 1 m de large et 80 cm de profondeur. Le fond du bassin est composé de 103 cellules autonomes capables de modier la topographie du modèle. Le sédiment est composé d'un mélange de sable siliceux (0,12 mm), de charbon (0,19 et 0,49 mm) et d'argile.

V.2. Les modèles expérimentaux en sédimentologie marine et côtière (Paola et al., 2009). Ces expériences ont permis de tester la sensibilité des trois forçages principaux en stratigraphie : apport sédimentaire, subsidence et eustatisme (Martin et al., 2009). L'essentiel de ces travaux se focalisent sur les environnements deltaïques : Évolu-tion du trait de côte au cours du développement de deltas (Muto et Steel, 2001; Muto, 2001), réponse des deltas aux variations du niveau de base (Muto et Steel, 2004) et à la subsidence (Hickson et al., 2005; Martin et al., 2009; Paola, 2000),...

Ces modèles expérimentaux sont réalisés en deux dimensions dans des canaux étroits, ou en trois dimensions dans des bassins d'un mètre à plusieurs dizaines de mètres de long et de large. Les plus grandes installations (Eurotank à Utrecht University, et XES à University of Minnesota) sont équipées de fonds déformables, où des centaines de cellules programmables et indépendantes permettent de simuler une subsidence ou une déforma-tion tectonique (Paola et al., 2009). De manière générale, le sédiment utilisé pour ces modélisations stratigraphiques est composé d'un mélange de sable n à très n (de l'ordre de 0,1 mm de diamètre médian) simulant le sédiment le plus grossier, et de poudre de charbon de granulométrie plus grossière (de 0,1 à 2 mm) mais de densité beaucoup plus faible, simulant la phase la plus mobile. Les expériences durent typiquement de quelques jours à un mois pour les plus volumineuses.

Il est bien sûr impossible de respecter les critères de similitude pour ces modèles stratigraphiques, aussi bien pour la taille des sédiments que pour les caractéristiques dynamiques des écoulements. Pourtant, il est surprenant d'observer à quel point les mor-phologies créées sont semblables à celles décrites sur le terrain. C'est ce que Paola et al. (2009) dénissent comme l'ecacité déraisonnable des modèles stratigraphiques et géo-morphologiques. La base de l'explication de ce phénomène est qu'il existe une similarité (et non similitude) des processus entre le laboratoire et le terrain. Les principaux aspects de la morphodynamique seraient indépendants de l'échelle à laquelle ils agissent :

Paola et al. (2009) dénissent les concepts de similarité interne et de similarité externe. Si une petite partie d'un système est similaire à l'ensemble du système, à un rapport d'échelle près, alors le système présente une similarité interne (ou auto-similarité). Si deux systèmes de tailles diérentes sont similaires, alors on parle de similarité externe. La similarité in-terne implique la similarité exin-terne. Si une petite partie d'un système se comporte comme le système entier, alors une petite copie d'un système devrait se comporter comme le grand. Ces concepts rappellent le principe des échelles fractales. Ainsi, les objets géo-morphologiques présentant naturellement une géométrie fractale sont de bons candidats pour la modélisation expérimentale même si les critères de similitude ne sont pas respectés.