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Chapitre 1 Les argiles sensibles

1.7 Les limites de la tomographie de résistivité électrique

La tomographie de résistivité électrique offre des avantages évidents. Toutefois, elle a aussi plusieurs limitations qu’il faut considérer pour éviter d’interpréter un modèle de résistivité électrique qui peut ne pas représenter un dépôt tel qu’il l’est en réalité.

Les premiers points à prendre en compte concernent les limitations au niveau de l’inversion. En effet, le modèle de résistivité électrique obtenu de l’inversion est non-unique et une infinité de modèles peut être obtenue. C’est- à-dire qu’à partir des mêmes données, le modèle obtenu peut différer d’un autre selon les paramètres utilisés lors de l’inversion. Un autre point est celui de l’équivalence. Dans ce cas, il est possible d’obtenir un modèle semblable même si l’épaisseur ou la résistivité électrique des couches est modifiées entre deux inversions (Long et coll., 2012; Dahlin et coll., 2014).

Le modèle de résistivité électrique peut aussi être affecté par des erreurs expérimentales. C’est-à-dire, un mauvais contact entre le sol et les électrodes, l’utilisation du système dans un sol non saturé résistif où le courant électrique circule mal ou une défaillance dans le système de tomographie de résistivité électrique.

Au niveau de la stratigraphie d’un dépôt, il est important de porter une attention particulière aux secteurs avec une géologie complexe. En effet, les structures géologiques peuvent influencer les résultats de la tomographie de résistivité électrique (Long et coll., 2012; Solberg et coll., 2008). Par exemple, si le roc se trouve près de la surface dans un secteur donné et qu’il est recouvert d’une couche de sable, les valeurs de résistivité électrique ont tendance à être plus élevées. Les objets ou structures présents dans le sol peuvent aussi avoir un effet sur le modèle final (Sandven et coll., 2016). À cet effet, la méthode de tomographie de résistivité électrique est moins adaptée au milieu urbain car les structures enfouies peuvent affecter les résultats.

Il est également important de souligner que la méthode de tomographie de résistivité électrique, étant donné sa résolution, ne peut détecter des couches minces (Shan et coll., 2014) ou des lits de sable qui pourraient être trouvés par une méthode avec une meilleure résolution verticale tel qu’un essai de pénétration au piézocône muni d’un module de résistivité électrique. Ceci est dû à l’effet d’échelle (Long et coll., 2012; Solberg et coll., 2008; 2012) qui explique les différences entre les données obtenues d’un essai de pénétration au piézocône et celles obtenues par tomographie de résistivité électrique (Pfaffhuber et coll., 2014; Solberg et coll,. 2016). En effet, le volume de sol pris en compte est de l’ordre du centimètre cube pour l’essai de pénétration au piézocône alors qu’il est de plusieurs mètres cube pour la tomographie de résistivité électrique. De plus, la tomographie de

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résistivité électrique peut aussi être influencée par un effet tridimensionnel (Solberg et coll., 2012). La résolution du modèle de résistivité électrique varie en fonction de la profondeur d’investigation: plus la profondeur d’investigation est grande, plus la distance entre les électrodes est grande et plus les points de mesure sont distancés. Ceci a donc pour effet de diminuer la résolution du modèle verticalement. Toutefois, Solberg et coll. (2012) mentionnent qu’il n’est pas nécessaire d’aller très profond lors de l’investigation géophysique puisque l’argile en profondeur est moins susceptible d’être affectée par l’érosion du ruisseau ou l’activité humaine et d’être impliquée dans un glissement de terrain. Il est donc possible de maximiser la résolution d’un modèle de résistivité électrique en limitant la profondeur d’investigation d’une tomographie de résistivité électrique. Pour l’identification des différentes couches de sol à l’aide de la tomographie de résistivité électrique, étant donné que plusieurs types de sol présentent des plages de variation de résistivité électrique semblables qui se superposent (Figure 1.1), l’interprétation d’un modèle de résistivité électrique est difficile. Cependant, l’argile saline a une résistivité électrique plus faible que tous les autres types de sol mais, lors d’une investigation géophysique couplée à une investigation géotechnique, la cible n’est pas les zones d’argile saline mais plutôt celles d’argile sensible au remaniement. Les zones d’argile saline sont plus faciles à délimiter sur un modèle de résistivité électrique. Toutefois, d’autres types de dépôts peuvent avoir des plages de variation de résistivité électrique semblables aux argiles sensibles au remaniement et cela devient un exercice périlleux de les différencier si la stratigraphie locale d’un dépôt d’argile n’est pas connue avec précision. Par exemple, la plage de valeur généralement associée aux matériaux granulaires recoupe celle généralement associée aux argiles silteuses ou qui contiennent moins de particules d’argile. Les sols silteux ont une résistivité électrique qui se retrouve dans la plage de valeur plus souvent associée aux argiles extra-sensible (Solberg et coll., 2014; Long et coll., 2018) ou à la croûte argileuse (Aylsworth et Hunter, 2004). La salinité de l’eau interstitielle dans l’argile lessivée et celle de la croûte argileuse sont semblables mais la croûte argileuse n’est pas sensible au remaniement (Rømoen et coll., 2010). La résistivité électrique des argiles sur-lessivées se trouve dans la plage de variation de résistivité électrique des argiles susceptibles aux grands glissements de terrain (Solberg et coll., 2016). Il est donc important de prévoir des forages avec échantillonnage afin d’identifier et de valider la nature des sols d’un site d’étude donné.

Alors que les résistivités électriques faibles indiquent la présence d’argile saline non lessivée et non sensible (Rømoen et coll., 2010), les valeurs plus élevée de résistivité électrique ne sont pas nécessairement indicatrices de la présence d’argiles extra-sensibles (Dahlin et coll., 2005; Solberg et coll., 2008; Lundstrom et coll., 2009; Rømoen et coll., 2010; Pfaffhuber et coll., 2014). Les valeurs plus élevées de résistivité électrique dans un modèle indiquent seulement que la présence d’argile sensible au remaniement est possible (Dahlin et coll., 2005; Lundstrom et coll., 2009). Il faut aussi faire attention à la profondeur estimée de la présence d’argile extra- sensible à cause de la variation graduelle de la résistivité électrique (Solberg et coll., 2012) dans le modèle de

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résistivité électrique. La tomographie de résistivité électrique doit donc être complémentaire à une investigation géotechnique avec échantillonnage afin de documenter le degré de sensibilité du dépôt d’argile à l’étude. Par ailleurs, la valeur limite de résistivité électrique utilisée pour différencier l’argile lessivée extra-sensible de l’argile non lessivée semble être spécifique à chaque site (Rømoen et coll., 2010; Pfaffhuber et coll., 2014). En effet, trop de facteurs peuvent influencer la résistivité électrique dans un sol ce qui rend difficile l’utilisation d’une classification générale pour tous les types de sédiments marins.

Figure 1.1 : Résistivité électrique caractéristiques de différents types de roche, sol et minerai (Telford et coll., 1990).

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En conclusion, la méthode de tomographie de résistivité électrique est généralement bonne pour investiguer les dépôts d’argile et mettre en évidence les zones potentiellement susceptibles aux glissements fortement rétrogressifs (Donohue et coll., 2009, 2012 et 2014; Sandven et coll., 2016). Toutefois, cette méthode géophysique nécessite toujours d’être associée à des investigations géotechniques complémentaires (Sauvin et coll., 2014) d’autant plus que, selon les différentes études réalisées dans les pays scandinaves, que la plage de variation de résistivité électrique associée aux argiles extra-sensibles varie d’une région à l’autre. Au Canada, une seule étude récente a été réalisée pour trouver des corrélations entre la résistivité électrique mesurée par tomographie de résistivité électrique et les propriétés géotechniques des argiles sensibles au remaniement (Bélanger, 2017). La valeur de résistivité électrique, en dessous de laquelle de l’argile sensible au remaniement peut être présente, trouvée lors de cette étude est plus faible que celle des études scandinaves. Il est donc nécessaire de réaliser des études supplémentaires au Canada, dans des contextes géologiques différents, pour avoir une meilleure idée des valeurs de résistivité électrique associées aux argiles salines et aux argiles sensibles au remaniement selon les critères des coulées argileuses canadiens, c’est-à-dire, une résistance au cisaillement non drainé à l’état remanié inférieure à 1 kPa ou un indice de liquidité supérieur à 1.2.

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