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Les laïcs catholiques: l’émergence de nouvelles élites

Chapitre 3 : Les mouvements d’Action catholique et le personnalisme

3.3 Les laïcs catholiques: l’émergence de nouvelles élites

La formation de jeunes catholiques qui se déroulait autant dans les collèges classiques que dans les mouvements d’Action catholique est indissociable de la formation de nouvelles élites au cours des années 1930 jusqu’à la fin des années 1950. Parmi les jeunes qui étaient formés dans ces institutions catholiques, nous retrouvions ce que nous nommons les élites catholiques laïques. Pour le jeune Pierre Elliott Trudeau (1919-2000) qui faisait partie de ces élites en émergence, l’espoir du Québec des années 1930 résidait « dans la création de nouvelles élites issues de la classe moyenne et plus tournées vers le social » (Gauvreau, 2008: 77). Ce jeune intellectuel envisageait l’émergence de nouvelles élites catholiques qui provenaient de divers milieux sociaux. Les mouvements d’Action catholique viendront d’ailleurs confirmer, ou du moins appuyer, cette tendance par la création des différentes divisions spécialisées favorisant la formation d’élites au sein des différentes spécialisations de l’Action catholique. Ces mouvements n’ont cependant pas le monopole dans la formation des nouvelles élites montantes. Par exemple, les syndicats catholiques comme la C.T.C.C. sont des lieux propices à la formation de membres des élites catholiques laïques dont le syndicaliste et ex-ministre fédéral Jean Marchand (1918- 1988) représente un cas marquant23.

Le jeune Guy Rocher abondait dans le même sens que Trudeau lorsqu’il affirmait, en 1947: « nous ne pouvons plus nous retrancher dans l’ancienne notion d’élite. L’élite ce ne seront plus les hommes sortis des collèges ou de l’Université mais les hommes qui porteront les problèmes des différents milieux sociaux » (1947: 15). Si l’affirmation s’avérait être un but réel visé par ce jeune citoyen et intellectuel, force est cependant de

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Nous employons le concept d’« élites », et non pas élite, parce qu’il renvoie à des élites provenant de divers milieux sociaux. Les nouvelles élites qui émergent à cette époque sont composées d’intellectuels provenant des universités et des grands séminaires, mais aussi de « leaders » et de dirigeants sociaux issus de divers milieux. En somme, il n’y a pas seulement une élite en émergence, mais plusieurs.

23 Il importe de noter que des élites non catholiques sont également en formation à la même époque. Une

élite syndicale/ouvrière se développe également au sein des syndicats internationaux comme la Fédération provinciale des travailleurs du Québec (qui fusionnera en 1957 pour devenir la F.T.Q.). C’est aussi le cas dans certains mouvements nationalistes et dans certains milieux artistiques et culturels qui contribuent à la formation d’élites québécoises non catholiques.

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constater que les intellectuels issus des collèges classiques et des universités ont continué à fournir une majorité de ceux qui deviendront les élites catholiques laïques de l’époque. Des intellectuels comme Guy Cormier, Claude Ryan, Fernand Dumont, Pierre Juneau, Pierre Bourgault, Gérard Pelletier, Pierre Elliott Trudeau et Guy Rocher lui-même sont passés par ces institutions catholiques d’enseignement. Les jeunes catholiques avaient peu d’alternatives à l’époque, outre ces institutions d’enseignement, pour obtenir une éducation ou une formation plus poussée que la moyenne. Ils pouvaient passer par le monde du travail qui s’avérait une voie populaire et qui aidait à une formation spécifique des individus. Les autres jeunes qui accédaient aux élites de l’époque pouvaient également être des gens qui avaient « appris sur le tas ».

Les jeunes intellectuels que nous venons de nommer ont bien sûr pris des tangentes parfois bien différentes. Par exemple, Pierre Bourgault, devenu un militant indépendantiste ouvertement athée à la fin des années 1950 et au début des années 1960, faisait plutôt parti des jeunes intellectuels s’opposant avant la Révolution tranquille au pouvoir de l’Église catholique et s’impliquant dans un mouvement nationaliste et laïciste. La plupart des intellectuels précédemment cités sont toutefois entrés en contact avec les mouvements d’Action catholique. Ils ne rejetaient pas systématiquement le catholicisme québécois et ses valeurs chrétiennes. Ils voyaient toutefois différemment, par rapport au clergé, la place de la religion catholique dans la société québécoise. C’est avec la démocratisation du système d’éducation québécois et la montée fulgurante de la classe moyenne à partir des années 1960 que nous assisterons à d’importants changements dans la formation des élites québécoises. Les mouvements d’Action catholique ont toutefois contribué à démocratiser ces élites et à former de jeunes militants laïcs canadiens français.

Au cours de chapitre, il a été possible d’évaluer l’influence du personnalisme comme éthique ou philosophie pour des jeunes catholiques du Canada français. Les penseurs du personnalisme étaient essentiellement des essayistes et des philosophes catholiques français qui ont connu une résonance au sein des cercles intellectuels du

Canada français. Les porteurs canadiens français d’une telle éthique personnaliste étaient surtout issus des collèges classiques et furent actifs, pour plusieurs d’entre eux, au sein des mouvements d’Action catholique. Cette éthique personnaliste a amené les acteurs sociaux de l’époque à penser différemment leur spiritualité et la place des laïcs dans la société.

Les mouvements d’Action catholique connaissaient, de leur côté, une popularité croissante à partir des années 1930. Ces mouvements représentaient une organisation semi- autonome de l’Église catholique québécoise qui, en permettant l’incorporation de laïcs, ont joué un rôle important dans la formation de dirigeants sociaux provenant de multiples milieux. Les mouvements d’Action catholique incarnaient une nouvelle manière de vivre sa chrétienté en étant actif au plan social et en s’impliquant à la transformation de la société. Avec une participation active du laïcat de tous les milieux, l’Action catholique spécialisée favorisait une certaine démocratisation qui permettait la formation de nouveaux dirigeants sociaux.

En fait, nous avons constaté qu’autant la diffusion du personnalisme que les mouvements d’action catholique pouvaient être liés à un esprit de contestation, de critique de renouveau et de changement dans la société canadienne français et surtout dans les cercles intellectuels catholiques de l’époque. Le personnalisme et l’Action catholique spécialisée représentaient deux voies distinctes possibles à emprunter par les jeunes catholiques laïcs du Canada français. Elles amenaient différentes manières de penser la société et d’agir dans celle-ci. Avec leur formation et leur trajectoire spécifiques, les jeunes catholiques étaient progressivement amenés à former de nouvelles élites.

Le philosophe français personnaliste Jacques Maritain affirmait lui aussi que l’émergence de nouvelles élites morales et spirituelles devenait nécessaire dans un monde moderne démocratique. Ces élites seraient constituées des hommes « engagés dans les structures morales et sociales » et proviendraient de tous les milieux sociaux en répondant aux besoins réels du peuple (Maritain, 1943: 87-89). Cette affirmation de ce philosophe personnaliste permet de réfléchir davantage sur la formation reçue par les jeunes catholiques laïcs de l’Action catholique spécialisée. Cette formation amenait ces jeunes à

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penser et à vivre autrement leur foi et leur spiritualité chrétiennes, tout en s’impliquant au plan social et en transformant leur milieu selon les besoins présents. Elle visait, entre autres, la formation de nouvelles élites québécoises. Il est toutefois possible de se demander dans quelle mesure cet objectif s’est réalisé comme ses initiateurs l’entendaient.

Pour le cas du Québec, nous parlerons d’élites catholiques laïques dans le reste de ce mémoire. Ces dernières avaient pour principal motif un projet de société soutenu à la fois par des valeurs laïques et modernes et des valeurs chrétiennes. Au-delà des discours officiels des mouvements, quels étaient les motifs des individus qui s’y rattachaient? Pour répondre à cette question, nous nous pencherons dans les prochains chapitres sur trois intellectuels catholiques aux parcours de vie différents: Guy Rocher, Jacques Grand’Maison et Claude Ryan. Comment ont-ils vécu les transformations de la société québécoise au cours des années 1950 et 1960? Concordaient-elles avec leur vision initiale d’un besoin de changement? Avec du recul, la Révolution tranquille a-t-elle comblé les objectifs et les motifs initiaux des élites catholiques laïques de l’époque?

Chapitre 4 : Guy Rocher: du jeune intellectuel et militant laïc au

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