• Aucun résultat trouvé

Le destin ou les effets de l’action comparés aux intentions initiales (1950-1970) Les différentes « voies » par lesquelles les élites catholiques laïques se sont

Chapitre 7: Les « voies », les motifs de l’action et le destin des élites catholiques laïques

7.3 Le destin ou les effets de l’action comparés aux intentions initiales (1950-1970) Les différentes « voies » par lesquelles les élites catholiques laïques se sont

transformations progressives au cours des années 1950 et 1960. Ces acteurs sociaux en sont venus à forger des projets de société et des opinions politiques plus précis et soutenus par une position idéologique.

C’est au moment de construire l’État québécois moderne et les institutions qui devaient y être reliées que les élites catholiques laïques se sont fractionnées. Le jeune sociologue Guy Rocher avance une hypothèse intéressante sur la relation entre le changement social et les élites, ainsi que sur leur érosion dans la société:

[…] les phases de changement rapide sont marquées par l’apparition de

nouvelles élites, dont l’existence peut parfois être bien éphémère. La multiplication de ces élites est le reflet des tâtonnements, des tiraillements et en quelque sorte du climat de recherche propre à une telle période. On pourrait dire que c’est une façon qu’emprunte une société d’inventorier diverses voies, lorsqu’elle se trouve à une croisée de chemins. Chacune de ces élites apporte un point de vue, une interprétation, une solution plus ou moins globale, entre lesquels la société devra choisir et peut-être plus souvent avec lesquels elle devra se composer finalement une solution acceptable. Aussi verra-t-on, après un temps plus ou moins long, certaines élites s’éliminer; d’autres survivront en se fusionnant ou en se modifiant (la routinisation du « charisme » en est un bon exemple); d’autres constitueront le noyau central du cours prochain des évènements. (Rocher, 1968: 9)

Cette citation de Rocher permet de comprendre non seulement le fractionnement des élites catholiques laïques lors de la vague de changements sociétaux des années 1960 et 1970, mais également l’émergence de ces mêmes élites au cours des années 1930 à 1950. Nous avons observé, dans ce mémoire, que les nouvelles élites qui avaient émergé au cours de la Deuxième Guerre mondiale ont apporté une vague de changements aux plans des idées et de la culture. Ces élites émergentes ont véhiculé des interprétations ou suggéré des solutions aux problèmes sociaux de l’époque différentes de celles promues par les élites catholiques traditionnelles. Avant les années 1950, les élites catholiques laïques avaient davantage tenté de contribuer au niveau des idées, plutôt que de participer directement au changement social et de militer pour une modernisation de la société.

149

Les nouvelles recherches sur la contribution des intellectuels aux changements sociaux ont montré que les élites catholiques laïques ont constitué à la fin des années 1950 le « noyau central » dans la mise en place de la Révolution tranquille (Seljak, 1995a; Meunier et Warren, 1999; Gauvreau, 2008). Devant une élite séculière et une classe moyenne en émergence, ces élites n’échappèrent toutefois pas à une érosion qui renvoie, pour reprendre l’analyse de Rocher, à la fusion ou la modification des élites face à leur volonté de changement. Confrontées à diverses idéologies et à des projets de société émergents, les élites catholiques laïques furent amenées, de manière progressive, à revoir tout projet qui serait exclusivement d’inspiration chrétienne. Ils ont alors emprunté des trajectoires différentes en jouant de multiples rôles dans les transformations sociétales des années 1960 et 1970 au Québec.

Au moment où les idées et les valeurs véhiculées par ces élites avaient l’occasion de se concrétiser, le contexte social, politique et culturel a fait en sorte que leurs idées ne se sont pas entièrement réalisées. Ce contexte particulier a rendu impossible l’élaborationd’un projet commun capable de définir et de déterminer la place à accorder au catholicisme québécois dans un État et une société modernes. En effet, la possibilité de voir un projet de société moderne et laïc d’inspiration chrétienne n’a pu se concrétiser selon les idées, les valeurs et les préceptes originellement véhiculés par les élites catholiques laïques.

La société québécoise dont les élites catholiques laïques avaient rêvé leur a, en quelque sorte, échappée. C’est plutôt des valeurs modernes et séculières qui semblent être devenues plus importantes que les valeurs aux fondements chrétiens. En tentant d’insuffler des valeurs modernes et laïques aux classes moyennes en émergence, ces élites n’ont pas pu contrebalancer la prégnance de valeurs plus individualistes et matérialistes qui étaient en vogue en Amérique du Nord. Le contexte social en Occident a certainement eu une incidence sur cette perte progressive des valeurs catholiques modernes. Ces élites n’avaient pas prévu qu’une différenciation des différentes sphères d’activité affecterait autant la sphère religieuse et le catholicisme québécois: les changements ont dépassé le stade strictement institutionnel.

Au cours de ce chapitre, nous avons observé que les motifs initiaux de ces élites n’étaient pas de renvoyer la religion catholique à la sphère privée. Elles visaient davantage à revivifier un christianisme et une foi qui étaient considérés comme ayant été trop longtemps liés aux structures traditionnelles et à la hiérarchie cléricale. Ce désir de revigorer le christianisme concernait surtout les fonctions régulatrices et organisationnelles exercées traditionnellement par la religion. Plutôt qu’à partir de l’Église catholique, les membres de ces élites voulaient établir une nouvelle solidarité sociale à partir d’un État moderne et laïc. Ce dernier représentait, pour eux, une occasion idéale de démocratisation de la société ainsi que d’autonomisation et de responsabilisation des laïcs.

Face aux changements sociaux touchant le Québec à partir des années 1950, les acteurs des élites catholiques laïques ont dû faire « face à leur destin » pour reprendre une expression de Max Weber. Lorsqu’ils optèrent pour différentes trajectoires au cours de la Révolution tranquille, les membres des élites catholiques laïques furent confrontés au « rapport paradoxal entre la volonté et les effets qu’elle produit, [ce qui] correspond, pour l’observateur sociologique, aux conséquences non voulues de l’action. Pour l’homme en chair et en os (y compris pour Weber, l’homme), elle correspond au destin » (Thériault, 2010: 214).

Les actions qu’ils avaient menées à partir de leurs convictions chrétiennes pendant près de trente ans ont eu des conséquences non voulues par rapport aux intentions initiales. C’est notamment le cas pour la religion catholique qui a perdu de son influence au cours des années 1960. Si les années 1930 à 1950 laissaient entrevoir des motifs similaires chez les élites catholiques laïques qui se reflétaient dans les idées et les valeurs véhiculées, les années qui suivirent ont laissé plutôt entrevoir des réactions divergentes face au changement et aux conséquences de l’action.

Nous avons plus tôt évoqué que les acteurs des élites catholiques laïques ont affronté les changements des années 1960 et 1970 en adoptant des attitudes différentes:

151

réjouissance (Rocher), colère (Grand’Maison) ainsi que résignation mêlée d’optimisme (Ryan).

En exposant les différentes « voies » par lesquelles les élites catholiques laïques pouvaient emprunter pour s’engager et s’impliquer dans la société québécoise entre 1930 et 1970, nous avons tenté de souligner les principales caractéristiques de couches porteuses de changement. Tandis que plusieurs études à portée historique et sociologique ont tenté de démontrer et d’attirer notre regard sur les impacts empiriques du changement (retenons entre autres ces ouvrages reconnus: Bélanger, 1971; Hamelin, 1984; Behiels, 1985; Roy, 1988; Rouillard, 1989; Seljak, 1995a; Meunier et Warren, 1998; Piché, 2003; Gauvreau, 2008), nous avons tenté d’attirer l’attention sur le regard des acteurs sociaux faisant partie des élites catholiques laïques qui mettent autant de l’avant des stratégies de « loyauté » que de « voix ». Pour ce faire, nous avons observé les motifs de l’action ainsi que le destin de ces acteurs sociaux. Ce regard sur les élites catholiques laïques nous a renseignées sur les nuances à apporter sur ces porteurs de changement qui ne formaient pas un groupe homogène, mais qui avaient une cohésion liée motifs de l’action (1930-1950).

Ces transformations dont ils avaient été les principaux penseurs ont affecté non seulement le pouvoir du clergé, mais également l’ensemble de la sphère religieuse. Les élites catholiques laïques ont alors contribué, par leur implication, leur engagement et leur action à l’intérieur même de l’Église catholique et dans la société québécoise, à une sortie de la religion au Québec. Devant les principales conséquences non voulues de l’action des élites catholiques laïques entre les années 1950 et 1970, peut-on pour autant parler de sécularisation? À première vue, l’évolution des transformations du Québec semble aboutir à une sécularisation du Québec touchant tous les niveaux. Pouvons-nous mieux décrire la situation propre au Québec depuis les années 1960 et 1970? Cette question est l’objet de la conclusion du présent mémoire.

Conclusion : comment parler de la transformation du paysage

Outline

Documents relatifs