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CHAPITRE 1 INTRODUCTION GÉNÉRALE

2. Méthodologie

2.1. Les isotopes stables des carbonates

Inspiré des travaux pionniers d’Urey (1947), de McCrea (1950) et d’Epstein (1953) sur l’effet des températures sur le fractionnement des isotopes de l’oxygène des carbonates, Emiliani a été le premier, en 1955, à interpréter les enregistrements isotopiques de l’oxygène des foraminifères dans les sédiments marins en termes de variations de températures au cours du Pléistocène (Emiliani, 1955). Par la suite, Shackleton et Opdyke (1973) ont établi la première stratigraphie isotopique en corrélant les variations des isotopes des foraminifères à la stratigraphie magnétique des sédiments marins, permettant ainsi l’identification de stades isotopiques marins (Shackleton et Opdyke, 1973). De plus, la comparaison des enregistrements des foraminifères planctoniques et benthiques a permis de démontrer que la variabilité glaciaire/interglaciaire enregistrée par les foraminifères était principalement liée aux variations de volume des glaces continentales (Shackleton et Odyke, 1973). Ces résultats ont permis la construction d’une échelle stratigraphique globale, et la corrélation d’enregistrements isotopiques entre eux par stratigraphie isotopique (Imbrie et al., 1984).

D’autre part, il a été montré qu’aux variations glaciaires/interglaciaires des isotopes de l’oxygène étaient également associés des variations dans les isotopes du carbone enregistrés par les foraminifères (Shackleton, 1977). Ce résultat a mis en évidence la signification potentielle des variations temporelles des isotopes du carbone en termes de variabilité de la biosphère terrestre, de paléoproductivités et de la circulation des masses d’eaux (Shackleton, 1977). Le fait que la signature des isotopes du carbone enregistrés par différentes espèces de foraminifères benthiques soit globalement reliée au δ13

CDIC des masses d’eaux (Duplessy et al., 1984) et que le δ13

CDIC soit lui-même dépendant de la circulation océanique globale (Kroopnick, 1985) font des isotopes stables du carbone un outil puissant pour la reconstitution des variations de la circulation des masses d’eaux associées aux variations climatiques passées.

2.1.1. Les foraminifères analysés au cours de la thèse

Les foraminifères sont des organismes protozoaires unicellulaires apparus au Cambrien. Ils ont un mode de vie benthique (épi- et endobenthique) ou planctonique (généralement dans la zone euphotique). Au cours de mon travail de thèse, 4 espèces de foraminifères ont été utilisées : deux espèces planctoniques (Globigerinoides ruber et

deux espèces benthiques (Cibicidoides wuellerstorfi et Uvigerina peregrina pour l’interface eau-sédiment et pour les premiers centimètres de sédiment, respectivement) (Figure 1.22).

La gamme de taille sélectionnée pour les analyses isotopiques est la fraction 250-355μm pour G. ruber, et la fraction > 250μm pour les autres espèces. De cette manière je m’affranchis des individus juvéniles susceptibles d’avoir formé leur test dans des masses d’eaux différents de celles dans lesquelles les adultes vivent.

Figure 1.22 : Espèces de foraminifères planctoniques (en haut) et benthiques (en bas) et leur écologie. Réf. photos : Eelco Rohling, Southampton university pour G. ruber, N. dutertrei et U. peregrina ; Martina Blümel, IFM-GEOMAR pour C. wuellerstorfi.

Figure 1.22: Planktic (top) and benthic (bottom) foraminifera species and their ecology. Photo references: Eelco Rohling, Southampton university for G. ruber, N. dutertrei and U. peregrina ; Martina Blümel, IFM-GEOMAR for C. wuellerstorfi.

Les rapports isotopiques de l’oxygène (δ18

O) et du carbone (δ13

C) des foraminifères ont été mesurés pour caractériser les conditions hydrologiques dans lesquelles ils se sont calcifiés. De manière générale, la formule du « delta » exprime la différence entre les rapports isotopiques d’un échantillon par rapport à un standard international (le VPDB pour Vienna Pee Dee Belemnite, remplaçant le PDB de δ18

O et δ13

C = 0‰ par définition, mais n’étant plus disponible actuellement). L’expression du δ est sous la forme :

δ (‰ vs. VPDB) = 103. (Rforaminifère-Rstandard)/Rstandard avec R = 18O/16O pour le δ18

O et R = 13C/12C pour le δ13

C. Pour les isotopes stables des carbonates, le standard utilisé est le NBS-19, ayant un δ13

C de 1,95‰ et un δ18 O de –2,20‰ par rapport au VPDB. Globigerinoides ruber eaux de surface (0-30m) Neogloboquadrina dutertrei eaux de subsurface (50-120m) Uvigerina peregrina premiers cm de sédiment Cibicidoides wuellerstorfi surface de sédiment

2.1.2. Utilisation du δ18

O des foraminifères

Le δ18

O enregistré dans les foraminifères (δ18

Oc) est dépendant des températures et du

δ18

O de l’eau (δ18

Ow) dans lesquels le foraminifère a formé son test. La relation qui relie ces paramètres est appelée « équation des paléotempératures », sous la forme simplifiée suivante :

T (°C) = A + B (δ18

Oc18

Ow) avec A et B constants (cf. Figure 1. 23).

Le δ18

Ow est relié à la salinité par une relation linéaire (cf. Figure 1.24 pour le Pacifique Est-équatorial). En calculant le δ18

Ow à partir du δ18

Oc et d’un paléothermomètre indépendant il est donc possible d’estimer les salinités des eaux. A l’échelle des cycles glaciaires/interglaciaires, les variations du volume de glace stocké sur les continents ont également modifié le δ18

Ow marin, et une composante globale du δ18

Ow se superpose à la composante locale liée aux variations de salinités régionales.

Figure 1.23 : Exemples d’équations des paléotempératures et comparaisons avec des données « core-top » pour des foraminifères planctoniques (a) et des foraminifères benthiques (b). L’équation (1) est basée sur une calibration effectuée sur des cultures de l’espèce de foraminifère planctonique Orbulina universa, d’après Bemis et al., 1998.

Figure 1.23: Examples of paleotemperature equations and comparison with core-top data for planktic foraminifera (a) and benthic foraminifera (b). The equation (1) is based on a calibration carried out on cultured foraminifera of the planktic species Orbulina universa, from Bemis et al., 1998.

Enfin, les foraminifères ne calcifient pas toujours leurs test par rapport à une calcite qui aurait précipité à l’équilibre. A l’origine de ce processus, des effets liés à la biologie des

organismes propres à chaque espèce, appelés « effets vitaux », doivent être pris en compte pour les reconstitutions paléocéanographiques. Ils sont supposés constants au cours du temps.

Pour le δ18

O, l’espèce G. ruber se calcifie proche de l’équilibre (voir par exemple Fairbanks et al., 1982 ; Spero et al., 2003, Figure 1.23a). L’espèce N. dutertrei enregistre des valeurs systématiquement enrichies en 18O, et l’effet vital de cette espèce est d’environ +0,6‰ (Fairbanks et al., 1982 ; Spero et al., 2003). L’espèce endobenthique U. peregrina est en général considérée comme calcifiant son test à l’équilibre (Shackleton, 1974). La différence de δ18

O de 0,64‰ enregistrée entre les espèces U. peregrina et C. wuellerstorfi est considérée comme reflétant un effet vital de -0,64‰ pour C. wuellerstorfi. Cependant des études récentes basées sur des cultures de foraminifères semblent indiquer le contraire : l’espèce C. wuellerstorfi calcifie à l’équilibre selon l’équation de Bemis et al., 1998, suggérant que U. peregrina est caractérisée par un effet vital de +0,64‰ (Bemis et al., 1998 ; Lynch-Stieglitz et al., 1999 ; Figure 1.23b).

Figure 1.24: Exemples de relations entre δ18

Ow et salinité. La droite en rouge est la relation déterminée pour les eaux de surface du Pacifique Est équatorial (Benway et Mix, 2004). Les cercles noirs indiquent certaines masses d’eau du Pacifique.

Figure 1.24: δ18

Ow/salinity relationship for the surface waters of the Eastern Equatorial Pacific (red line, Benway and Mix, 2004). The black circles indicate some of the main Pacific water masses.

2.1.3. Utilisation du δ13

C des foraminifères

Parce que les organismes marins utilisent préférentiellement du 12C lors de la photosynthèse, la productivité primaire est à l’origine d’une augmentation du δ13

CDIC des eaux de surface tandis que la reminéralisation de la matière organique tend à faire baisser le

δ13

CDIC. Le δ13

CDIC des masses d’eaux peut être interprété en termes de concentrations en nutriments et/ou en teneur en oxygène (Kroopnick 1985, cf. Figure 1.25), deux paramètres fortement dépendants des processus de production et de reminéralisation de la matière organique, permettant en première approximation de tracer l’évolution et le mélange des masses d’eaux.

Figure 1.25 : Relation entre δ13

CDIC, oxygène et phosphates de l’eau de mer. Les masses d’eau principales de l’océan profond sont repérées par les ellipses.

Figure 1.25: Relationship between δ13

CDIC, dissolved oxygen and phosphate concentration in seawater. The main deep ocean water masses are shown with the black circles.

Le δ13

C des carbonates reflète le δ13

C du carbone inorganique dissous (δ13

CDIC) de l’eau dans laquelle le foraminifère a calcifié son test. En paléocéanographie, les variations temporelles du δ13

C des foraminifères sont liées à des variations du δ13

CDIC des eaux environnantes. Le δ13

CDIC des eaux de surface est fonction de la productivité primaire qui a tendance à augmenter le δ13

CDIC et du δ13

C du CO2 atmosphérique, en équilibre isotopique

Pac. N-E

Oc. austral

Atl. N

avec le système des carbonates dans l’océan. Le δ13

CDIC des eaux profondes est lié au δ13

CDIC régional (en relation avec l’intensité de la ventilation des masses d’eau et/ou de la reminéralisation de matière organique) et à des variations du δ13

CDIC océanique global à l’échelle des cycles glaciaires/interglaciaires (lié aux fluctuations de biomasse continentale, Shackleton 1977). De plus, le δ13

C des foraminifères endobenthiques (U. peregrina en particulier) est fortement marqué par la reminéralisation de la matière organique s’effectuant à l’intérieur du sédiment, car cette reminéralisation baisse le δ13

CDIC des eaux porales (McCorkle et al., 1989). L’influence de l’eau porale sur le δ13

C des tests est appelé effet de « microhabitat » car il est lié à l’écologie même du foraminifère (McCorkle et al., 1990).

L’effet vital du δ13

C des foraminifères planctoniques vis-à-vis du δ13

CDIC est de +0,94‰ et -0,5‰ pour G. ruber et N. dutertrei, respectivement (cf. Spero et al., 2003 pour le Pacifique Est-équatorial). Les espèces benthiques étudiées ne présentent pas d’effet vital : C. wuellerstorfi et U. peregrina enregistrent, en théorie, directement le δ13

CDIC des masses d’eaux profondes et des eaux porales au site de carottage, respectivement (cf. Duplessy et al., 1984 pour C. wuellerstorfi et McCorkle et al., 1990, pour U. peregrina). Une différence du

δ13

C enregistré par les deux espèces (d’environ 0,9‰) est considérée constante dans l’océan profond (Duplessy et al., 1984) et est liée à l’effet de microhabitat. Cependant, des variations d’accumulation de matière organique dans le sédiment peuvent influencer ce biais dans certains environnements (Zahn et al., 1986).

2.1.4. Mesures en spectrométrie de masse (IR-MS)

Les isotopes stables ont été mesurés par IR-MS (Isotope Ratio - Mass Spectrometry) avec un appareil DELTA Advantage de la marque Finnigan. L’échantillon, composé de 1 à 5 foraminifères, est placé sous vide à 70°C et réagit avec de l’acide orthophosporique de la manière suivante :

CaCO3 + H3PO4 => CO2 + H2O + CaHPO4

Les produits gazeux de cette réaction sont piégés dans un microvolume à une température de –190°C et les produits non condensables sont éliminés par pompage. L’échantillon est ensuite réchauffé à –90°C permettant ainsi le transfert du CO2 dans un second microvolume où il sera piégé une seconde fois. A cette étape, le reste de la ligne de préparation des échantillons est chauffé et un pompage élimine toute autre trace de gaz (l’eau en particulier). À la fin de cette opération seul le CO2 provenant des carbonates est présent dans la ligne de préparation. Il est ensuite injecté dans une source d’ionisation et bombardé

par un faisceau d’électrons. Une fois ionisé, le CO2 est accéléré par un champ électrique et passe à travers un champ magnétique où les masses 44, 45 et 46 sont séparées (correspondant respectivement aux molécules 12C16O2, 13C16O2 et 12C18O16O). Ces masses sont récupérées par 3 collecteurs (cages de Faraday) et le signal obtenu est amplifié. Les mesures de l’échantillon se produisent en alternance avec des mesures d’un gaz de référence de composition isotopique connue afin d’obtenir le δ. Enfin, une correction sur le 12C17O16O s’effectue pour le calcul final du δ. La précision basée sur des mesures répétées de standard (NBS 19) sur l’ensemble des mesures effectuées pendant ma thèse est de ± 0,04 ‰ pour le δ18

O et de ± 0,02 ‰ pour le

δ13

C.

Au total, environ 1250 mesures ont été effectuées sur la carotte MD02-2529 parmi 4 espèces de foraminifères différentes, et environ 450 mesures ont été effectuées sur la carotte MD02-2508 sur l’espèce U. peregrina.