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CHAPITRE 1 INTRODUCTION GÉNÉRALE

1. Climatologie et océanographie actuelles

1.3. Circulation thermohaline et transferts de chaleur

Le régime climatique actuel est fortement dépendant de la circulation océanique profonde, mécanisme fondamental pour la redistribution de la chaleur à la surface du globe (Figure 1.8, 1.9). Les eaux de surface de l’Atlantique acquièrent aux basses latitudes une salinité élevée par évaporation (principalement dans le golfe du Mexique où la vapeur d’eau peut être exportée vers le Pacifique via les alizés, cf. §1.4.1). Puis elles circulent jusqu’aux moyennes latitudes via le Gulf Stream, transportant une énorme quantité d’énergie (de l’ordre

de 1 PW, soit 1015W ; Broecker, 1991, Figure 1.8, 1.9a). Une partie de ces eaux d’origine tropicale atteint la mer de Norvège, d’où elles plongent en profondeur après avoir cédé leur énergie calorifique à l’atmosphère pendant l’hiver (Figure 1.9b). Cette plongée d’eaux profondes permet un transfert de chaleur des basses vers les hautes latitudes, et de cette manière l’Europe du Nord bénéficie d’un climat tempéré grâce à l’influence de la circulation océanique de surface (Figure 1.9). Parce qu’elle est régie par la densité des eaux de surface (c.à.d. température et salinité), la formation d’eaux profondes et leur circulation en profondeur est appelée « circulation thermohaline ».

Figure 1.8 : Estimation du bilan radiatif annuel au sommet de l'atmosphère, en moyenne zonale (énergie solaire absorbée, énergie terrestre émise, échelle en haut à gauche), ainsi que du transport méridien de chaleur par les circulations atmosphériques et océaniques, également en moyenne zonale annuelle (échelle en bas à droite). Le bilan radiatif est positif pour les régions situées en deçà de 40 degrés de latitude, et négatif aux plus hautes latitudes. Le transport de chaleur par l’océan dans l’hémisphère Nord est dû principalement au Gulf Stream (cf. Figure 1.9). D’après le site http://www.ens-lyon.fr/Planet-Terre

Figure 1.8: Global estimation of the annual, zonal mean heat balance at the top of the atmosphere (absorbed solar energy, emitted terrestrial energy, the scale is indicated on the left-hand axis). The heat balance is positive for latitudes lower than 40°, and negative at higher latitudes. The oceanic heat transport in the northern hemisphere is mainly due to the Gulf Stream (cf. Figure 1.9). From the web site http://www.ens-lyon.fr/Planet-Terre

Figure 1.9 : (a) Circulation océanique dans la zone de l’Atlantique Nord (Curry et Mauritzen, 2005) et températures des courants de surface (flèches pleines) et des eaux de fond (flèches pointillées). (b) Plongée en mer du Labrador des eaux de surface vers la profondeur, illustrée par des profils de teneurs en oxygène dissous entre début octobre 2003 et début avril 2004 (Körtzinger et al., 2004).

Figure 1.9: (a) Oceanic circulation in the North Atlantic area (Curry and Mauritzen, 2005) and temperature of surface currents (arrows) and of deep waters (dotted

arrows). (b) Surface waters dip in Labrador Basin, illustrated by dissolved oxygen profiles between October 2003 and April 2004 (Körtzinger et al., 2004).

La plongée vers les abysses des eaux profondes Nord Atlantique (NADW en anglais) est

compensée dans l’océan global par une remontée des eaux profondes vers la surface. La

circulation thermohaline peut être schématisée par un tapis roulant, les eaux de surface

circulant vers l’Atlantique Nord et les eaux profondes vers le Pacifique Nord (Figure 1.10).

Figure 1.10 : Schéma simple d’une circulation thermohaline à deux couches (surface et profondeur), illustrant le « tapis roulant ». La circulation océanique profonde se fait de l’Atlantique vers l’Indien et le Pacifique où elles remontent à la surface, tandis que les eaux de surface ont tendance à revenir à leur point de départ, c.à.d. en Atlantique Nord. D’après Broecker, 1991.

Figure 1.10: Simple view of the thermohaline circulation (with one surface layer and one deep layer), illustrating the « conveyor belt ». The deep waters circulate from the Atlantic Ocean toward the Indian and the Pacific Oceans where they upwell, while the surface waters tend to come back toward the North Atlantic. From Broecker, 1991.

Dans le détail, la circulation thermohaline se subdivise en différentes masses d’eaux plongeant vers les profondeurs principalement aux hautes latitudes. Ces masses d’eaux

peuvent être suivies par des traceurs conservatifs ou semi-conservatifs (qui n’évoluent pas ou peu lors de leur transport, sinon par mélange). Par exemple, salinité est un traceur conservatif car elle n’évolue que par le mélange des masses d’eaux profondes entre elles, elle est donc un outil puissant pour illustrer l’extension des masses d’eaux dans l’espace (Emery, 2001), alors que la teneur en phosphates est liée à l’âge des masses d’eaux : lorsque les NADW (initialement pauvres en phosphates) se répandent dans l’océan global, la reminéralisation dans la colonne d’eau de la matière organique synthétisée en surface enrichit les masses d’eaux plus âgées en phosphates (Broecker et Peng, 1982 ; Kroopnick, 1985).

La Figure 1.11 illustre comment s’organise la circulation océanique à l’échelle globale, en étudiant des transects de salinités et de phosphates à travers l’Atlantique et dans le Pacifique. Lorsque les NADW (caractérisées par des salinités élevées et des teneurs en phosphates faibles, c.à.d. ~34,9 et 1µmol/L, respectivement) sont exportées de l’Atlantique Nord vers l’Atlantique Sud, elles se mélangent dans le courant Antarctique circumpolaire (CCP) où elles perdent leur spécificité (Figure 1.11a, c). Vers 60°S, une partie des NADW remonte à la surface au droit de la zone de divergence Antarctique (Figure 1.11a, c, d, f). Une partie des NADW est emportée par le CCP (Figure 1.11a, c).

Le CCP brasse les eaux de tous les océans et les redistribue par l’intermédiaire de la formation des eaux de fond antarctique (AABW en anglais salinités de 34,7 et concentrations en phosphates de 2µmol/L) et des eaux intermédiaires Antarctiques (AAIW en anglais, salinités de 34,2 et concentrations en phosphates de 2µmol/L) (Figure 1.11 a, c, d, f). La partie des eaux de surface de l’océan Austral advectée vers le Nord plonge en profondeur entre le front polaire et la convergence subantarctique pour former les AAIW, atteignant des profondeurs d’environ 1000m. Ainsi, on retrouve les AAIW (repérables par leur minimum de salinité de 34,2 à 34,3) dans tous les océans (Figure 1.11c, f).

Les eaux de surface du Pacifique Nord n’étant pas assez salées pour engendrer la formation d’eaux profondes, la circulation du Pacifique profond est très différente de celle de l’Atlantique. Seule la formation d’eaux intermédiaires Nord Pacifique (NPIW en anglais, salinités inférieures à 34 et concentrations en phosphates supérieures à 2µmol/L) ventile efficacement le Pacifique Nord jusqu’à des profondeurs ne dépassant pas les 500m (Talley, 1993, Figure 1.11d, f). Il en résulte que la ventilation du Pacifique se fait principalement par le Sud, à savoir par les AAIW et les AABW (Mantyla, 1975 ; Talley, 1999) (Figure 1.11d, f).

Au-delà de 1000m de profondeur, seules les AABW pénètrent efficacement dans l’océan Pacifique. Après avoir traversé l’océan du Sud vers le Nord, le flux géothermique est suffisant pour abaisser leur densité et permettre aux AABW de rebrousser chemin (Mantyla,

1975). Les eaux profondes Pacifique (PDW, salinités de 34,5 et concentrations en phosphates de 2,3µmol/L) apparaissent comme étant des AABW légèrement modifiées, retournant très lentement vers le Sud entre environ 2000 et 3500m de profondeur (Figure 1.11d, f). Les NPIW très peu salées empêchent la remontée en surface des PDW : il est résulte que vers 3000m de profondeur environ, les eaux du Pacifique Nord-Est sont dans un cul-de-sac et atteignent un âge relatif de 1500 ans (Broecker et al., 2004). Les PDW finissent par rejoindre les eaux du CCP où elles pourront être ramenées à la surface à la divergence antarctique (Figure 1.11d, f).

Entre les NPIW et les PDW, les eaux du Pacifique Nord situées à environ 1000m de profondeur sont faiblement ventilées. Les teneurs en oxygène du Pacifique Nord, inférieures à 10µmol/L, définissent une OMZ liée principalement à la lenteur de la circulation des masses d’eaux (Figure 1.11d). D’autres OMZ se développent également dans la zone du Pacifique Est aux basses latitudes entre environ 300 et 1200m de profondeur, zone où le faible taux de ventilation océanique est couplé à la productivité primaire intense (caractéristique du Pacifique Est), engendrant une dégradation de matière organique et donc une consommation d’oxygène importantes (Figure 1.11d).

Figure 1.11 : Distributions latitudinales des concentrations en phosphates et des salinités de l’Atlantique et du Pacifique Est. Les principales masses d’eau sont indiquées (NADW pour eaux profondes Nord Atlantique, AAIW pour eaux intermédiaires Antarctiques, AABW pour eaux de fond Antarctiques, NPIW pour eaux intermédiaires Nord Pacifique, PDW pour eaux profondes Pacifique, CCP pour courant circumpolaire). La zone grisée du Pacifique indique la position de l’OMZ,

caractérisée par de concentrations en oxygène inférieures à 10µmol/L. Les tracés noirs sur les cartes localisent les sections représentées. Données WOCE.

Figure 1.11: Latitudinal distribution of phosphate concentrations and of salinities in the Atlantic and the eastern Pacific. The main water masses are indicated (NADW for North Atlantic Deep Water, AAIW for Antarctic Intermediate Water, NPIW for North Pacific Intermediate Water, PDW for Pacific Deep Water, CCP for Antarctic Circumpolar Current). The shadowed area in the Pacific indicates the OMZ area where dissolved oxygen concentrations are lower than 10µmol/L. The black lines on the map localize the sections used to generate the latitudinal distributions of phosphates and salinities. Data from WOCE.