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Chapitre 2 : Présentation du modèle juridique permettant un partage si peu équitable de la

C. La responsabilité allégée de la directive commerce électronique 2000/31

1. Les intermédiaires techniques de l’internet

a) Présentation des trois intermédiaires techniques

Nous verrons dans cette partie que le partage actuel de la valeur générée par la consommation d’œuvres musicales sur internet, aboutissant à une situation en faveur des plateformes et au détriment des auteurs, est le fruit d’une législation européenne complexe, élaborée au début des années 2000 pour faire face au téléchargement illicite et permettre le développement du commerce électronique.

En effet en 2000 est adoptée la Directive 2000/31 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur, dite Directive commerce électronique. Celle-ci a été transposée, plutôt fidèlement en France par la Loi pour la confiance dans l’économie numérique dite LCEN de 200492.

Cette Directive a pour but93, comme nous le verrons ultérieurement, de conférer un régime de responsabilité particulier en faveur des prestataires d’activités techniques nécessaire à la bonne circulation de contenus sur internet.

À cette fin, la Directive distingue trois catégories d’acteurs de la société de l’information. Il s’agit des intermédiaires techniques. Ces derniers sont des prestataires techniques qui garantissent la mise en œuvre matérielle du réseau. Ils fournissent un service permettant d’accéder au réseau ou d’y publier un contenu et leurs rôles peuvent se superposer.

Le fournisseur d’accès internet offre la possibilité d’accéder au réseau pour des particuliers ou des professionnels. Selon la LCEN de 2004, il a pour rôle « d’offrir un accès à des services de

communication au public en ligne »94, il n’intervient donc pas sur l’information transmise par

92 Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, 2004.

93 Considérant 40, Directive 2000/31 du 8 juin 2008, relative à certains aspects juridiques des services de la

société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur, 2000.

son biais sur le réseau. En France le fournisseur d'accès internet le plus répandu est l’entreprise

Orange95.

Le second type d’intermédiaire technique selon la Directive est le fournisseur de cache, il a un rôle de stockage automatique intermédiaire et temporaire dans le but de rendre plus efficace la transmission ultérieure de ces données. Cela suppose donc également qu’il ne modifie pas les informations en cause, et contrairement aux fournisseurs d'accès internet et hébergeurs, la fourniture de cache n’est pas un service mais une activité exercée à l’occasion d’une transmission sur un réseau de communication.

Enfin, la troisième catégorie d’intermédiaire technique de l’internet, le fournisseur d’hébergement, est celle qui nous intéresse le plus car c’est cette dernière qui est revendiquée par les plateformes UGC. Le fournisseur d’hébergement se définit par sa fonction qui est « la

fourniture d’un service de la société d’information consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service »96. Le critère est donc celui du stockage, les hébergeurs mettent ainsi à disposition un espace sur leur système afin que leurs clients puissent y installer un site, auquel des tiers peuvent accéder. Par principe le fournisseur d’hébergement n’interfère donc pas sur le contenu stocké qui est mis en ligne par l’internaute. En effet s’il avait une quelconque maitrise du contenu l’hébergeur acquerrait la qualité d’éditeur. L’éditeur, à la différence de l’hébergeur, est responsable d’office du contenu illicite dans la mesure où son rôle est de prendre en charge la diffusion de contenus. Il a donc un rôle de choix sur le contenu, et c’est pour cela qu’il n’est pas exempté de responsabilité.

Ces trois intermédiaires techniques de l’internet bénéficient donc d’un système de responsabilité spécifique prévu par la Directive.

b) Histoire et enjeux de l’adoption de la directive commerce électronique

95 Journal du net, Parts de marché du haut et très haut débit en France, en ligne :

<https://www.journaldunet.com/ebusiness/telecoms-fai/1124340-parts-de-marche-du-haut-et-tres-haut- debit-en-france/> (consulté le 16 juillet 2018).

96 Article 14, Directive 2000/31 du 8 juin 2008, relative à certains aspects juridiques des services de la société de

Afin de comprendre comment le régime mis en place par la Directive commerce électronique de 200097 a influencé l’actuelle rémunération des auteurs d’œuvres musicales sur les plateformes de type UGC, il est nécessaire de s’intéresser à la raison d’être de cette Directive. Au début des années 2000, quand la Directive commerce électronique a été adoptée, les plateformes UGC, de type YouTube, n’existaient pas encore. La pratique la plus répandue en matière de contrefaçon musicale était encore le téléchargement Peer to Peer que nous avons mentionné en introduction. Il est donc logique que les mesures législatives prises à l’époque n’anticipaient pas l’arrivée des plateformes et le besoin de les qualifier. Ainsi en 2001 la Directive 2001/29 dite Infosoc98, a répondu à la nécessité d’adapter et de compléter les règles du droit d'auteur pour tenir dûment compte des réalités économiques telles que l'apparition de nouvelles formes d'exploitation.

Le but de la Directive 2000/31 n’était donc pas de légiférer les plateformes mais de poser un cadre au commerce électronique, il s’agissait donc de supprimer tous les obstacles juridiques entravant le développement des services de la société d’information99. En effet, le législateur européen avait déjà anticipé les opportunités qu’offrait le e-commerce et prévoyait dans son deuxième considérant que celui-ci allait favoriser la croissance économique des entreprises européennes et renforcerait leur compétitivité dans le monde. L’un des objectifs premiers était donc la réalisation du marché unique européen100.

Ainsi, pour faciliter le développement des acteurs du commerce électronique, le choix a été fait de protéger ces derniers aux moyens d’un régime de responsabilité spécifique. En effet, à l’adoption de la Directive, les acteurs d’internet n’étaient pas les géants qu’ils sont aujourd’hui, et leur imposer de trop lourdes contraintes aurait pu entraver leur bon développement.

Cependant, les intermédiaires ont bien grandi depuis l’avènement d’internet, et certains auteurs pensent qu’ils ont pris une telle ampleur qu’il est difficile de remettre en cause leur statut101.

97 Directive 2000/31 du 8 juin 2008, relative à certains aspects juridiques des services de la société de

l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur, 2000.

98 Directive 2001/29 du 22 mai 2001, sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits

voisins dans la société de l'information, 2001.

99 A. LUCAS, H.-J. LUCAS, C. BERNAULT et A. LUCAS-SCHLOETTER, préc., note 2, p. 1005 à 1006.

100 Considérants 3 et 4, Directive 2000/31 du 8 juin 2008, relative à certains aspects juridiques des services de la

société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur, 2000.

101 Séverine DUSOLLIER, « Intermédiaires et plateformes de l’Internet, cet éléphant dans le salon du droit

d’auteur », dans Alexandra BENSAMOUN, La réforme du droit d’auteur dans la société de l’information, Mare &

Presque vingt ans après l’adoption de la Directive commerce électronique102, ne serait-il pas temps de se demander s’il existe une réelle adéquation entre des textes qui ont été conçus à la fin du XXe siècle et l'évolution technique, économique, pratique et sociale constatée sur les réseaux numériques ?103

c) Rôle des intermédiaires techniques dans la contrefaçon sur internet

Si la question du statut des intermédiaires techniques de l’internet est si importante aux yeux des défenseurs des droits d’auteur, c’est qu’ils jouent un rôle considérable dans la contrefaçon sur internet.

En effet, bien que ce soit les internautes eux-mêmes qui publient le contenu protégé, sans avoir demandé d’autorisations préalables aux ayants droits, les plateformes constituent le lieu de rencontre entre l’œuvre contrefaite et son public. En effet, YouTube constitue un lieu de mise à disposition qui offre aux internautes la possibilité de rechercher partager ou recommander des contenus culturels104. Le rôle des plateformes dans l’accès au contenu protégé sur internet a d’ailleurs été souligné dans la communication de 2016 sur les plateformes en ligne et le marché unique numérique105.

En droit européen, le droit de communication au public de l’article 3 de la Directive 2001/29106 se réfère au « droit exclusif d'autoriser ou d'interdire toute communication au public de leurs

œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l'endroit et au moment qu'il choisit

102 Directive 2000/31 du 8 juin 2008, relative à certains aspects juridiques des services de la société de

l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur, 2000.

103 PIERRE SIRINELLI, Josée-Anne BENAZERAF et Alexandra BENSAMOUN, « Pour une évolution des textes applicables à

certains prestataires de services ? », Dalloz IP/IT 2016.186.

104 Séverine DUSOLLIER, « Intermédiaires et plateformes de l’Internet, cet éléphant dans le salon du droit

d’auteur », dans Alexandra BENSAMOUN, La réforme du droit d’auteur dans la société de l’information, Mare &

Martin, p. 171, 2018.

105 Communication de la commission au parlement européen, au conseil, au comité économique et social

européen et au comité des régions, Les plateformes en ligne et le marché unique numérique - Perspectives et

défis pour l'Europe, II., 2016.

106 Directive 2001/29 du 22 mai 2001, sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits

individuellement »107. Cela suppose la réunion de deux éléments : l’existence d’un public, c’est- à-dire un nombre indéterminé mais important de destinataires potentiels108, et la réalisation d’un acte de communication. Les contours de la communication au public sont assez flous et ont fait l’objet d’une très riche jurisprudence de la Cour de justice de l’Union Européenne109 comme nous le verrons. Et la communication au public inclut l’acte de donner accès, volontairement et avec un rôle incontournable110. Ainsi on peut penser que les plateformes UGC, de type

YouTube, réalisent un acte de communication au sens de la directive 2001/29111.

Lorsqu’un internaute upload c’est-à-dire télé-verse une œuvre musicale protégée sur YouTube, on peut donc penser qu’il y a une communication au public. Mais celle-ci est particulière car elle se fait en deux étapes et est permise par deux personnes différentes. Premièrement l’internaute télé-verse l’œuvre protégée vers la plateforme, puis la plateforme la met à disposition du public en la rendant accessible sur cette dernière. Ainsi, si l’on admet que la mise à disposition non autorisée d’une œuvre est imputable conjointement à l’utilisateur et à l’opérateur, les plateformes UGC peuvent faire l’objet d’une action en cession pour exploitation effectuée sans droit112.

Aussi, c’est naturellement vers la plateforme que les titulaires se tournent lorsqu’ils constatent la contrefaçon de leur œuvre sur la plateforme car il est très difficile d’identifier tous les internautes ayant partagé du contenu protégé.

Le rôle des plateformes UGC en matière de contrefaçon d’œuvres musicales sur internet est donc primordial. Non seulement ces plateformes donnent accès à un très large contenu constitué

107 Article 3.1, Directive 2001/29 du 22 mai 2001, sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des

droits voisins dans la société de l'information, 2001.

108 CJUE, C-306/05, 7 décembre 2006, SGAE. 109 CJUE, C-306/05, 7 décembre 2006, SGAE.

CJUE, C-136/09, 18 mars 2010, Organismos. CJUE, C-151/15, 14 juillet 2015, Premier League. CJUE, C-431/09, 13 octobre 2011, Airfield. CJUE, C-135/10, 15 mars 2012, SCF / Del Corso. CJUE, C-607/11, 7 mars 2013, ITV.

CJUE, C-351/12, 27 février 2014, OSA. CJUE, C-446/12, 13 février 2014, Svensson.

CJUE, C-325/14, 19 novembre 2015, Reha Training. CJUE, C-160/15, 8 septembre 2016, GS Media. CJUE, C-610/15, 14 juin 2017, The Pirate Bay.

110 CJUE, C-610/15, 14 juin 2017, The Pirate Bay. 111 A. BENSAMOUN, préc., note 86, 6.

en grande partie d’œuvres protégées, mais ce sont également vers elles que les titulaires de droits se tournent en cas d’atteintes à leurs droits d’auteur.

Cette reconnaissance du rôle des intermédiaires techniques dans la contrefaçon sur internet se traduit d’ailleurs dans la directive 2001/29 par la possibilité d’enjoindre les intermédiaires techniques à collaborer dans la lutte contre les atteintes au droit d'auteur sur internet : « Les

États membres veillent à ce que les titulaires de droits puissent demander qu'une ordonnance sur requête soit rendue à l'encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d'auteur ou à un droit voisin. »113