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Application de l’article 13 de la proposition de Directive aux plateformes UGC

Chapitre 3 : Les solutions législatives envisageables pour corriger le Value Gap

E. La proposition de Directive sur le droit d'auteur dans le marché unique numérique de

3. Application de l’article 13 de la proposition de Directive aux plateformes UGC

a) L’obligation de conclure des contrats de licences avec les ayants droits, un rôle accru pour les sociétés de gestion collective

L’article 13 de la proposition de Directive185 vise directement les plateformes UGC, en effet ce dernier s’adresse aux « prestataires de services de la société de l'information qui stockent un

grand nombre d'œuvres ou d'autres objets protégés chargés par leurs utilisateurs et qui donnent accès à ces œuvres ». Les plateformes telles que YouTube, Dailymotion et Soundcloud,

répondent exactement à cette définition, de même que certains réseaux sociaux où les utilisateurs postent eux-mêmes du contenu protégé.

De plus, le considérant 38 précise que la mise à disposition de ces œuvres par les prestataires va « au-delà de la simple fourniture d'équipements et de l'acte de communication au public ». Ainsi la mise à disposition par les plateformes est jugée comme allant plus loin que la simple fourniture d’équipement et est donc qualifiée de communication au public186. Ainsi on reconnaitrai que les plateformes UGC réalisent un acte de communication au public des œuvres qu’elles hébergent, même si celles-ci ont été télé-versées par des internautes.

Nous avons vu en première partie que les ayants droits sont souvent représentés par les organismes de gestion collective qui font valoir et perçoivent leurs droits avant de les leur redistribuer. Nous nous sommes donc intéressés aux incidences que l’adoption de la proposition de Directive aurait sur ces dernières et leurs relations avec les plateformes UGC. L’application de l’article 13 de la proposition de Directive implique un pouvoir accru pour les organismes de gestion collective. Effectivement, puisque les sociétés de gestion collective représentent les

184 Id. p. 11.

185 Proposition de directive 2016/0280 du 14 septembre 2016, sur le droit d'auteur dans le marché unique

numérique, 2016.

auteurs, il est logique que l’obligation de conclure des licences avec les titulaires de droits les concernent et qu’ils soient consultés lors de leur rédaction. Les plateformes UGC pourraient donc se trouver dans l’obligation de conclure des contrats de licence avec ces dernières. En effet, dans les faits il est difficilement imaginable que ces plateformes concluent des contrats de licence avec chacun des ayants droits de chacune des œuvres protégées présentes sur leur site, c’est pourquoi l’application de cette obligation induit une plus grande collaboration entre les sociétés de gestion collective et les plateformes de partage numérique.

D’ailleurs, la proposition de Directive mentionne la gestion collective à plusieurs reprises dans plusieurs considérants et articles, mais sans rapport avec l’article 13. Le considérant 24, relatif aux concessions de licences sur les œuvres indisponibles souligne d’ailleurs l'importance d'un système rigoureux et performant de gestion collective.

À ce jour, de tels contrats de licence entre des organisations d’ayants droits et les plateformes existent pourtant déjà. Notamment des accords conclus par les sociétés de gestion collective. Comme nous l’avons vu précédemment, s’il existe de tels accords, leur contenu demeurent secrets. C’est d’ailleurs le cas de l’accord conclu entre la Sacem et YouTube en 2010 puis renouvelé en 2013187 et ayant pour objet la rémunération des auteurs représentés par la Sacem pour la diffusion de leurs œuvres sur la plateforme. En soit, l’article 13 aurait pour effet de généraliser une pratique déjà présente pour une majorité des plateformes.

Le professeur Alexandra Bensamoun a par ailleurs souligné que ces accords reposent sur une asymétrie contractuelle188. L’on peut donc penser que l’adoption de la proposition de Directive permettrait une négociation plus équilibrée entre les ayants droits et les plateformes.

b) Mesure appropriées et proportionnées : logiciels de reconnaissance

Appliqué aux plateformes UGC, l’obligation de prendre des mesures appropriées et proportionnées par le moyen par exemple de logiciels de reconnaissance. Nous avons, pour

187 note 63.

simplifier le propos, donné précédemment l’exemple du logiciel de reconnaissance musicale

Shazam. Les plateformes seraient donc dans l’obligation de prendre des mesures efficaces pour

empêcher la première mise en ligne de l’œuvre protégée. Nous avons mentionné précédemment qu’il était humainement impossible pour la plateforme YouTube de faire vérifier, une à une, chacune des vidéos par leurs employés puisque chaque minute ce sont 400 heures de vidéos qui y sont télé-versées par les internautes. Le recours aux technologies automatiques de reconnaissance est donc logique.

En réalité de tels logiciels existent déjà sur les plateformes UGC. En effet la plateforme

YouTube dispose du Content ID, les plateformes Dailymotion et SoundCloud ont recours à la

technologie Audible Magic et le réseau social Facebook dispose de Rights Manager.

Le Content ID est un outil développé par la plateforme YouTube pour « pour aider les titulaires

de droits d'auteur à identifier et à gérer en toute facilité leur contenu sur YouTube. Les vidéos mises en ligne sur YouTube sont comparées à une base de données de fichiers fournis par les propriétaires de contenu. Ce sont eux qui décident de la procédure à suivre lorsqu'une correspondance est établie entre une vidéo mise en ligne sur YouTube et leur propre contenu. Dans ce cas de figure, la vidéo en question fait l'objet d'une revendication Content ID. »189. Mis en place graduellement depuis 2007 cette technologie scanne toutes les vidéos qui sont télé-versées par les utilisateurs. Quand le robot détecte, ne serait-ce qu’une partie d’une œuvre protégée, préalablement identifiée par ses ayants droits, la plateforme devra respecter la volonté de ces derniers. En effet YouTube pourra alors supprimer la vidéo, la monétiser au profit des titulaires de droits ou encore empêcher sa monétisation pour faire barrière à tout usage commercial190.

Le recours à des techniques efficaces de reconnaissance des contenus tel qu’entendu par la proposition de Directive permettrait donc de systématiser, une fois encore, une pratique largement répandue dans le milieu des plateformes. Cela généraliserait donc l’utilisation de logiciels tels que le Content ID de YouTube. Cependant l’article 13 de la proposition de

189 Aide YouTube, Fonctionnement de Content ID, en ligne :

<https://support.google.com/youtube/answer/2797370?hl=fr> (consulté le 4 août 2018).

190 YouTube Help, YouTube Content ID, en ligne :

Directive précise que : « Ces mesures, telles que le recours à des techniques efficaces de

reconnaissance des contenus, doivent être appropriées et proportionnées ».

Aussi l’application de ces mesures sera limitée au contenu préalablement identifié par les titulaires de droits, cela suppose donc une fois encore une coopération entre ces derniers et les plateformes.

En effet, l’instauration de logiciels de reconnaissance par l’application de l’article 13 se traduirait par une coopération accrue entre les sociétés de gestion collective et les plateformes. Il est effectivement probable que les sociétés de gestion collective soient tenues de fournir des empreintes sur les œuvres de leur répertoire puisque la proposition de Directive confère une importance primordiale à cette coopération entre les acteurs de la société de l’information et les titulaires de droits :

« La collaboration entre les prestataires de services de la société de l’information qui stockent un grand nombre d’œuvres ou autres objets protégés par le droit d'auteur chargés par leurs utilisateurs et qui proposent au public un accès à ceux-ci est essentielle au bon fonctionnement des technologies, comme les technologies de reconnaissance des contenus. Dans de tels cas, les titulaires de droits devraient fournir les données nécessaires pour permettre aux services de reconnaître leurs contenus, et les services devraient être transparents à l'égard des titulaires de droits quant aux technologies déployées, afin de leur permettre d'apprécier le caractère approprié de ces dernières. »191

Outre la coopération accrue entre plateformes et sociétés de gestion collective, une autre conséquence probable de l’application de l’article 13 serait la meilleure répartition des droits en cause. En effet, la proposition de Directive impose que : « Les prestataires de services

fournissent aux titulaires de droits des informations suffisantes sur le fonctionnement et la mise en place des mesures, ainsi que, s'il y a lieu, des comptes rendus réguliers sur la reconnaissance et l'utilisation des œuvres et autres objets protégés. ». Or, nous avons vu en première partie que

la qualité des données transmises par les organismes de diffusion aux sociétés de gestion collective est primordiale pour une juste répartition des droits192. En effet, les fournisseurs de contenus numériques sont tenus de transmettre des fichiers de déclaration des œuvres diffusées

191 Considérant 39, Proposition de directive 2016/0280 du 14 septembre 2016, sur le droit d'auteur dans le

marché unique numérique, 2016.

par leurs biais. Et la qualité des données transmises par la plateforme YouTube a été déplorée. La proposition de Directive souhaite que les techniques de reconnaissance des contenus soient efficaces. L’amélioration de ces dernières notamment « au vu des évolutions

technologiques »193 pourrait donc permettre une répartition plus efficace et transparente des droits pour l’utilisation des œuvres sur la plateforme. Il ne s’agit plus de se laisser dépasser par les technologies comme cela a été le cas avec la Directive 2000/31194.

L’application de l’article 13 de la proposition de Directive aux plateformes UGC pourrait donc permettre une meilleure opposabilité du droit d'auteur sur internet en mettant fin à l’irresponsabilité automatique de ces plateformes et donc d’aboutir à une rémunération plus représentative des auteurs d’œuvres protégées.

193 Article 13, Proposition de directive 2016/0280 du 14 septembre 2016, sur le droit d'auteur dans le marché

unique numérique, 2016.

194 Directive 2000/31 du 8 juin 2008, relative à certains aspects juridiques des services de la société de