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II.2 LA DIGESTION ANAEROBIE

II.2.3 Les inhibiteurs de la digestion anaérobie

Chen et al. (2008) indiquent que la méthanogenèse est sensible à de nombreux groupes d’inhibiteurs, notamment les accepteurs d’électrons alternatifs (oxygène, nitrate et sulfate), l’ammoniac, le sulfure d’hydrogène, les AGV, les métaux lourds et les cations. Chynoweth et

al. (1998) précisent que l’effet toxique d’un inhibiteur dépend de sa concentration et de la

capacité des bactéries à s’adapter à celui-ci. La concentration inhibitrice dépend donc de différentes variables englobant le pH, le temps de rétention des boues, la température et le ratio entre la substance inhibitrice et la quantité de biomasse. Par ailleurs, les populations méthanogènes semblent plus sensibles aux variations de l’environnement qu’à la présence de toxiques auxquels elles peuvent s’acclimater.

II.2.3.1 Le couple ammonium / ammoniac libre

Bien que l’azote ammoniacal soit indispensable au métabolisme bactérien et stimule l’activité méthanogène pour des valeurs de 0,05 à 0,20 kg.m-3 (Vedrenne, 2007), des fortes concentrations n’en restent pas moins inhibitrices de cette même activité. Cependant, il est important de faire la distinction entre l’ammonium (NH4+) et l’ammoniac libre (NH3), inhibiteur principal (Hashimoto, 1986, Hunik et al., 1990, Angelidaki & Ahring, 1994, Massé

et al., 1997).

+

+ +NH3← → NH4

H Ka

La teneur en ammoniac libre dépend principalement de deux paramètres : le pH et la température. En effet, les valeurs du pKa du couple NH4+/NH3 sont de 9 à 10 pour des valeurs de températures respectivement de 30 à 0°C (Bates & Pinching, 1950). Pour la zone de pH optimal de la méthanogenèse, l’équilibre est donc déplacé vers l’ammonium. Cependant, une augmentation du pH de 7 à 8 provoque une augmentation de la concentration en ammoniac libre de huit fois (Hansen et al., 1998). Angelidaki & Ahring (1994) et Massé et al. (1997) précisent que la digestion anaérobie de déjections chargés en ammoniac libre est plus facilement réalisable en condition psychrophile qu’en condition mésophile et thermophile. Hansen et al. (1998) précisent que seuls les microorganismes méthanogènes sont affectées par des taux élevés d’ammoniac libre.

De nombreux auteurs ont tenté de déterminer un seuil d’inhibition par l’ammoniac. La plupart du temps, les résultats sont en désaccord et ont été obtenus dans des conditions différentes (Borja et al., 1996). Cependant, une fourchette de 1,5 à 2,5 kgN-NH4+.m-3 pour des cultures non-adaptées a été proposée par Van Velsen (1979) et Hashimoto (1986). Angelidaki & Ahring (1994), Hashimoto (1986) et plus récemment Angenent et al. (2002) proposent une tolérance à 3,5 - 4,0 kgN-NH4+.m-3 dans le cas d’une culture adaptée.

Pour ce qui concerne l’ammoniac libre, Hansen et al. (1998) et Angelidaki & Ahring (1994) avancent des valeurs respectivement de 1,1 et 0,7 kgN-NH3.m-3, alors que De Baere et

al. (1984) suggèrent une inhibition entre 0,10 et 0,15 kgN-NH3.m-3. La différence

s’expliquerait par l’utilisation, pour le premier cas, des boues de digestion de déjections porcines et bovines et, dans le second cas, par des boues de digestions d’eaux usées. Ces observations laissent supposer que pour des écosystèmes (comme le lisier) exposés à des concentrations en ammoniac libre élevées et régulières, les seuils d’inhibitions sont nettement plus élevés. En effet, Borja et al. (1996) montrent une adaptation des boues (lisiers) sans modification de la production de biogaz par ajout progressif d’ammoniac. Sung & Liu (2003) observent les mêmes conclusions pour des effluents industriels synthétiques.

II.2.3.2 Les Acides Gras Volatils

Les AGV sont d’importants intermédiaires métaboliques entre la flore fermentaire et la flore acétogène. Cependant, au-delà d’un certain seuil, ils n’en restent pas moins considérés comme des inhibiteurs.

En condition de surcharge d’un réacteur ou en présence d’inhibiteurs, l’activité méthanogène ne consomme plus l’acétate et l’hydrogène aussi vite qu’ils sont produits. Il en résulte une accumulation d’AGV entraînant une diminution du pH qui aurait un effet inhibiteur. Bien que le facteur responsable de cette inhibition ne soit pas clairement établi, il semble que l’effet du pH soit majeur.

Chynoweth et al. (1998) constatent une inhibition à 2 kgAGV.m-3 mais précisent également qu’un digesteur peut fonctionner jusqu’à 10 kgAGV.m-3. La clé de ce fonctionnement est le pouvoir tampon du milieu, principalement régulé par l’ammoniac et le bicarbonate. Ainsi, Chynoweth et al. (1998) indiquent trois valeurs pour le ratio AGV/Alcalinité :

- 0,1 : fonctionnement normal, - 0,5 : début de dysfonctionnement, - 1 : blocage du système.

Il est donc important de maintenir le pH autour d’une valeur de 7-8 dans un digesteur afin de garantir sa stabilité. Chynoweth et al. (1998) préconisent l’utilisation de chaux et de bicarbonate de sodium tout en rappelant la toxicité du sodium (> 3,5 kg.m-3). Ils estiment ainsi que l’alcalinité nécessaire est de 0,833 pour 1 mg.L-1 d’AGV.

Dans le cas du lisier, et comme indiqué précédemment, le pouvoir tampon élevé permet d’assurer une bonne stabilité du pH sans la mise en place d’une régulation.

II.2.3.3 Le sulfure d’hydrogène

Les sulfures existent en solution sous trois formes dont l’équilibre présenté en relation II.2 dépend du pH. + + + ← → +  → ← 2 2S 1 H HS 2 2H S H Ka Ka (II.2)

A 35°C, le pKa1 est de 6,82, le pKa2 de 11,37 (Gupta et al., 1994). Ainsi, seules les espèces H2S et HS- sont rencontrées dans les digesteurs fonctionnant à des pH de l’ordre de 7-8.

Le H2S et le HS- sont produits par les bactéries sulfato-réductrices lors de la décomposition des molécules organiques contenant du souffre. Comme le montre le tableau II.4, il existe une double compétition entre les flores productrices de méthane et les flores productrices de sulfure : la consommation d’hydrogène et la consommation d’acétate (Percheron, 1997).

Tableau II.4 : Réactions énergétiques de la réduction du sulfate et de la production de méthane (Conrad et al., 1986, Winfrey & Zeikus, 1977)

Substrats Bactéries Réactions

(kJ.mol-1) sulfato-réductrices -72 méthanogènes -31 sulfato-réductrices -153 méthanogènes -136 Acétate Hydrogène + + + 2 + 3 2 4 3COO SO H H S 2 HCO CH −+ 2 4+ 3 3COO H O CH HCO CH + −+ + +SO H H O HS H 2 2 4 2 4 4 O H CH H HCO H2 3 4 3 2 4 + −+ + +

Bien que les considérations énergétiques semblent en faveur des bactéries sulfato-réductrices en cas de limitation du substrat, l’étude bibliographique de Percheron (1997) montre que la compétition pour l’acétate est très controversée dans la littérature. Il souligne le même phénomène pour la compétition face à l’hydrogène.

Le frein le plus probable au métabolisme méthanogène est le produit de cette compétition. En effet, l’H2S en solution est toxique pour les bactéries de la digestion anaérobie. Il perméabilise la membrane cellulaire et dénature les protéines natives dans le cytoplasme en établissant des ponts dissulfures entre les chaînes polypeptidiques. Le sulfure d’hydrogène est également responsable de complexation avec le fer des ferrédoxines, des cytochromes et autres intermédiaires riches en fer ce qui conduit à l’arrêt du transfert d’électrons chez les bactéries sulfato-réductrices (Maillacheruvu & Parkin, 1996).

Maillacheruvu & Parkin (1996) estiment que les bactéries sulfato-réductrices sont plus facilement affectées par l’H2S que les bactéries méthanogènes. Cependant, cette inhibition dépendrait de la nature du substrat, et notamment son degré d’oxydation (Ueki et al., 1988).

II.2.3.4 Les minéraux et métaux lourds : essentiels et toxiques

Les ions minéraux, indispensables en faible quantité, peuvent parfois présenter des concentrations en phase soluble inhibitrice pour l’activité méthanogène (Tableau II.5).

Les teneurs en éléments dans le lisier indiquent que des carences sont peu probables et que, dans le cas du calcium et du potassium, les concentrations relevées peuvent être faiblement inhibitrices. Concernant le calcium, Ahn et al. (2006) ont déterminé cependant une concentration optimale pour la digestion anaérobie du lisier porcin de l’ordre de 3 kg.m-3 et une concentration inhibitrice de l’ordre de 5 à 7 kg.m-3. Seul le potassium pourrait donc être inhibiteur. Cependant, l’acclimatation de la biomasse méthanogène est possible, même à des concentrations très importantes en minéraux (Vedrenne, 2007).

Tableau II.5 : Concentrations inhibitrices de quelques minéraux comparées aux concentrations présentes dans le lisier de porcs (Vedrenne, 2007)

Stimulante faiblement inhibitrice

fortement

inhibitrice Lisier de Porc

Na+ 0,1 à 0,2 3,5 à 5,5 8,0 0,5 K+ 0,2 à 0,4 2,5 à 4,5 12,0 2,0 à 4,2 Ca2+ 0,1 à 0,2 2,5 à 4,5 8,0 0,15 à 3,0 Mg2+ 0,075 à 0,15 1,0 à 1,5 3,0 0,1 à 0,4 Concentrations (kg.m-3) Ions

De façon similaire aux ions minéraux, les métaux lourds sont indispensables aux métabolismes bactériens (cofacteurs, métalloprotéines,…) quand ils sont présents à l’état de traces. A de fortes concentrations évoluant entre quelques milligramme et quelques centaines de milligrammes par litres en fonction des espèces, ils sont généralement toxiques pour les populations anaérobies et peuvent provoquer l’arrêt du digesteur (Chen et al., 2008).

La notion de biodisponibilité des minéraux et des métaux paraît alors être importante pour expliquer leur potentiel inhibiteur et la forte variation des échelles de concentrations. En effet, la précipitation (en lien avec le pH), la sorption sur la matière organique ou la complexation avec d’autres éléments sont autant de phénomènes qui peuvent réduire la part de minéraux et/ou de métaux en solution, et donc leurs effets toxiques.

II.2.3.5 Les oxydes d’azote

Beaucoup d’études rapportent que les oxydes d’azote inhibent fortement la méthanogenèse. En fonction des sources, les auteurs attribuent cet effet aux réactions thermodynamiques, à un changement du potentiel d’oxydo-réduction, à la présence des produits issus de la dénitrification ou encore à une compétition pour les sources carbonées.

D’après Redla et al. (1997), la réaction thermodynamique de la méthanogenèse à partir du glucose est exprimée selon la relation II.3.

+ + + → + H O CH HCO H O H C6 12 6 3 2 3 4 3 3 ∆G°= -404 kJ/réaction (II.3)

En présence de nitrates en anoxie/anaérobie, la réaction de dénitrification s’écrit alors suivant la relation II.4.

O H N CO O H NO O H C6 12 6+4,8 3+4,8 2 →6 2+2,4 2+8,4 2 ∆G°= -2669 kJ/réaction (II.4)

Au vue des enthalpies libres, en présence de nitrates dans un digesteur, la dénitrification sera choisie préférentiellement à la méthanisation. Ceci peut justifier les cas de séparation temporelle de la dénitrification et de la méthanisation observés dans de nombreuses études. Par ailleurs, les études de Balderston & Payne (1976), Chen & Lin (1993) ou Clarens et al. (1998) démontrent qu’en présence d’une seule source de substrat (ex : acétate) en excès, la méthanisation et la dénitrification peuvent se dérouler dans un même milieu, soit séquentiellement, soit en différentes zones.

MacGregor & Keeney (1973) sont les premiers à suggérer que les nitrates empêchent la production de méthane dans des sédiments lacustres via une augmentation du potentiel d’oxydo-réduction. Hendriksen & Ahring (1996) constatent que, sur des boues de digesteur d’eaux usées, la production de méthane ne reprend que lorsque les oxydes d’azote ont disparu et que le potentiel d’oxydo réduction atteint un niveau suffisant pour l’activité méthanogène.

Des travaux plus récents réalisés en contrôlant le potentiel d’oxydo-réduction par ajout de composés réducteurs (cystéine) en début de cultures batch (Akunna et al., 1998) ou par régulation automatique (citrate de titane) (Chen & Lin, 1993) montrent que même à un potentiel d’oxydo-réduction favorable (-300 mV) la méthanisation n’a pas lieu tant que les nitrates sont présents. Cette inhibition ne peut donc pas être simplement attribuée à une hausse de ce potentiel.

Au vue des discussions sur l’effet du potentiel d’oxydo-réduction sur la méthanisation, il semble que les oxydes d’azotes ont un effet inhibiteur direct sur le métabolisme des bactéries méthanogènes. Selon les études de Balderston & Payne (1976), Chen & Lin (1993), et Clarens et al. (1998), le N2O exercerait un effet plus marqué que le NO, lui-même plus toxique que le NO2-. Le nitrate est l’oxyde d’azote le moins inhibiteur.

A titre indicatif, Chen & Lin (1993) relèvent des concentrations inhibitrices de la méthanogénèse pour les nitrates et les nitrites respectivement de 0,10 et 0,01 kgN.m-3 en co-cultures. Clarens et al. (1998) proposent pour une culture pure de Methanosarcina mazei une inhibition partielle avec une concentration en NO3- de 1,0 kgN.m-3. Ils observent également une inhibition totale pour des concentrations en NO2- de 0,0025 kgN.m-3. Enfin, ils proposent la valeur de 0,32 mM de N2O dans l’espace de tête pour constater une inhibition totale de la méthanogénèse. Enfin, les mêmes auteurs suggèrent que l’inhibition par les NOx- est liée à la présence de bactéries dénitrifiantes et leurs activités dans le milieu. Les « niveaux » d’inhibition seraient différents selon l’espèce de méthanogène présente et le substrat.