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Chapitre 3. Enseignements des différentes enquêtes et perspectives méthodologiques

2. Les implications méthodologiques et pratiques

Afin de surmonter les difficultés qui ont été détaillées ci-dessus, et de prendre en compte la spécificité des études épidémiologiques auprès des personnes sans domicile, des ajustements sont indispensables, tant sur le plan méthodologique que sur le plan pratique. Je vais maintenant exposer les solutions qui ont été testées et adoptées dans les différentes enquêtes.

2.1. Comment pallier l’absence de base de sondage et de cartographie dans l’espace public

Il n’existe donc pas de base recensant les structures d’hébergement qui soit fiable, exhaustive et mise à jour régulièrement. A chaque nouvelle enquête utilisant la méthode de sondage indirect via les services d’aide, la base de sondage doit à nouveau être constituée, induisant un réel problème pratique, mentionné par Maryse Marpsat dès 2007 (Marpsat 2008a). Il n’existe cependant aucune solution à ce problème. La mise en place des SIAO uniques avec un logiciel de gestion permet cependant d’espérer une amélioration des données disponibles pour la base de sondage.

Nous avons vu qu’il était très difficile de récupérer les données des différents acteurs de terrain pour localiser les personnes dans l’espace public. Seule la DPP a accepté de partager ses cartographies et de mettre à disposition des agents de l’UASA pour accompagner les enquêteurs dans les bois de Vincennes et Boulogne. Les autres acteurs de terrain n’ayant pas accepté de transmettre leurs données, une autre solution a dû être mise en place pour localiser les personnes sans-abri. Au lieu de les enquêter sur leurs lieux d’installation préalablement identifiés et tirés au sort, un sondage aréolaire a été effectué, les bois constituants chacun une zone avec une probabilité de 1 d’être tirée (Chapitre 2). Cette méthode s’est avérée moins complexe à mettre en œuvre que celle utilisée dans les accueils de jour et les points-soupe : toutes les personnes ayant l’air d’être sans domicile ont été contactées ; les personnes éligibles devaient être inclus sauf celles faisant partie d’un groupe ; absence de pas de sondage. Elle a permis d’inclure dans l’enquête des personnes ayant déclaré ne pas avoir eu recours à un centre d'hébergement, quel qu’il soit, au cours des 12 mois précédant l'enquête, soit 10,4% de la population (Gardella et Arnaud 2016). En revanche, nous ne pouvons pas dire si elles étaient utilisatrices d’autres services d’aide (hormis les bains-douche et les accueils de jour pour se doucher uniquement).

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Depuis le 1er septembre 2016, la coordination des maraudes parisiennes a été confiée au Samusocial de Paris dans le cadre de sa mission SIAO-Urgence. Le découpage de Paris en quatre zones a été conservé et les responsables sont désormais des salariés du Samusocial de Paris. Chacun organise et pilote la coordination des maraudes sur son territoire de référence. Ceci se fait en articulation étroite avec les trois autres responsables territoriaux dans le but de déployer la mission de manière coordonnée et harmonisée sur l’ensemble du territoire parisien. Dans ce cadre, et pour améliorer la connaissance du public à la rue dans un objectif de prise en charge adaptée, des indicateurs communs ont été mis en place. Cette nouvelle organisation nous permet d’espérer un meilleur partage d’information entre les différents professionnels à travers la centralisation des informations individuelles relatives aux parcours des personnes à la rue et donc la facilitation des enquêtes auprès des personnes installées dans l’espace public, sous réserve d’avoir accès aux données.

2.2. Comment tenir compte de la mobilité des personnes et de l’évolution de la population

D’un point de vue statistique, afin de prendre en compte la fréquentation multiple des lieux d’enquête, la méthode généralisée du partage des poids (MGPP) a été utilisée lors de l’enquête SAMENTA dont les lieux d’enquête étaient les services d’aide (Lavallée 1995, 2002; Ardilly et Le Blanc 2001). Les enquêtes HYTPEAC et ENFAMS échantillonnant uniquement les lieux où les personnes dormaient, les personnes ayant peu bougé sur la période de la collecte des données pour HYTPEAC, et les personnes tirées au sort ayant été enquêtées dans leur nouvel hébergement en cas de déménagement dans l’enquête ENFAMS, la MGPP n’a pas été utilisée (Annexe 4).

Le tirage au sort et le recueil des données doivent avoir lieu rapidement après la constitution de la base de sondage, afin que le nombre de personnes hébergées par centre, nécessaire à l’établissement du plan de sondage et au calcul des poids des individus, ne se modifie pas trop au cours du temps. Il faut également enquêter rapidement afin que les profils n’évoluent pas non plus trop rapidement (par exemple, s’il y a nécessité de recruter des enquêteurs bilingues et de traduire des questionnaires, il est nécessaire que ces ressources soient adaptées). Ceci est un défi particulièrement difficile à relever étant donné le temps nécessaire à la traduction et au test des questionnaires en général.

Le calendrier des enquêtes doit également être adapté à la variation saisonnière du parc d’hébergement. Ainsi, pour éviter les fluctuations de population, les enquêtes de l’Insee ont lieu durant la période hivernale, où la capacité d’hébergement est plus importante et où la population est plus susceptible d’être « captée » dans les services d’aide dédiés. Ce même principe a été appliqué pour l’enquête SAMENTA.

Pour l’enquête HYTPEAC, le partenariat avec la DDP a permis aux équipes d’enquêteurs d’accéder à la population installée dans les bois parisiens. Cependant, cela a eu un impact sur la période

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d’enquête qui devait éviter la période de suractivité de l’UASA, soit la période hivernale. C’est pourquoi l’enquête dans l’espace public a eu lieu en octobre et celles dans les centres en novembre.

Pour l’enquête ENFAMS, l’enquête a effectivement commencé en période hivernale mais s’est poursuivie jusqu’en juin pour pouvoir rencontrer, à trois reprises, toutes les familles sélectionnées.

Les horaires des enquêtes doivent également être adaptés à la vie des personnes. En effet, les personnes sans domicile ont quantité de démarches et d’actions à réaliser pour assurer leur survie au quotidien. La priorisation de leurs besoins peut entraver leur participation à une étude dont elles ne voient pas l’intérêt et qui mobilise un temps précieux pour leur survie même. La question des horaires a été particulièrement problématique lors de l’enquête ENFAMS car les structures d’hébergement pouvaient être très éloignées de Paris, l’enfant enquêté devait être présent, le ménage avait souvent des contraintes liées aux autres enfants présents, et la passation des questionnaires durait 3 heures en moyenne. Les temps de transport des enquêteurs, et leurs aléas, sont également entrés en ligne de compte pour les lieux d’enquête les plus éloignés de la capitale. Contrairement à ce qui était possible dans Paris intra-muros (enquête tôt le matin ou en soirée), une unique passation par binôme était prévue par jour. Exceptionnellement deux rendez-vous pouvaient être organisés pour un même binôme, dans un même lieu, avec des langues concordantes, généralement un premier à 10h et le second à 14h. Cela permettait également aux équipes de revenir sur Paris dans les meilleures conditions. A noter qu’une majorité d’enfants âgés de 6 à 12 ans étaient scolarisés, obligeant à concentrer les rendez-vous les mercredis et samedis, et lors des vacances scolaires. Avec cette organisation un problème de disponibilités des binômes dans certaines langues est apparu, entraînant le recrutement et la formation d’enquêteurs supplémentaires en cours d’enquête, et l’augmentation des délais entre les pré-visites et les entretiens.

La mobilité a également des conséquences pratiques pour le recueil de données de santé. Elle implique l’utilisation d’outils de mesure portatifs et de dépistage immédiat, comme celle de toises escamotables ou d’hémoglobinomètres portatifs HemoCue® dans l’enquête ENFAMS. Cela permet d’éviter des perdus de vue entre la passation du questionnaire et l’examen lorsque les personnes doivent être orientées vers des laboratoires pour faire les analyses, et donc la perte d’information. Cela permet également d’éviter les perdus de vue entre l’examen et la restitution des résultats qui se fait alors directement aux intéressés.

2.3. Comment adapter la méthode d’enquête aux nouveaux profils de population engendrés par les migrations

Dans un contexte de migrations massives, l’orientation des personnes migrantes vers le système d’hébergement d’urgence, fait constamment varier, en nombre et en profils, la population sans domicile.

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Ainsi, les données issues des bilans infirmiers effectués au CPA montrent que la répartition des personnes selon leurs pays de naissance varie d’un trimestre à l’autre (données du SSP non publiées). La part des populations migrantes augmentant dans la population sans domicile, les enquêtes doivent, selon leurs objectifs, pouvoir être adaptées à un public non francophone. L’Insee montrait d’ailleurs que parmi les adultes sans-domicile, ce sont les non francophones dont le nombre a le plus progressé entre les enquêtes SD2001 et SD2012 (+ 207 %) (Mordier 2016). Les solutions possibles sont soit l’utilisation de questionnaires traduits, passés par des enquêteurs bilingues, ou en auto-questionnaires, soit des questionnaires non traduits, administrés par des enquêteurs ayant recours à un interprétariat téléphonique. Cette dernière solution est cependant coûteuse et ne permet pas de passer les entretiens dans les meilleures conditions.

C’est l’auto-questionnaire qui a été choisi lors de l’enquête SD2012. Seule une version courte était alors envisageable. Or, certaines personnes parlaient la langue mais ne savaient pas suffisamment bien lire pour répondre au questionnaire auto-administré (limite indiquée pour S2012, (Marpsat et Yaouancq 2016). Par ailleurs, d’après les expériences à l’Observatoire du Samusocial de Paris, l’auto-questionnaire ne semblait pas l’outil le plus adapté à la population sans domicile car l’accompagnement des personnes et les explications sont indispensables. Les personnes sont d’autant plus en difficulté pour répondre si elles viennent d’arriver en France et ne connaissent pas bien le dispositif d’hébergement. C’est pourquoi le choix des enquêteurs bilingues et des questionnaires traduits s’est imposé lors de l’enquête ENFAMS. L’aide de « pairs », migrants ayant été sans logement, dans l’élaboration des questionnaires et leur passation a également été un réel bénéfice (Le Méner et Oppenchaim 2013). Leur expérience de la vie en hôtel mais également leur connaissance de la culture des personnes enquêtées ont permis une meilleure formulation des questions en levant de possibles ambiguïtés ou impairs culturels. La reformulation lors des entretiens a également permis d’avoir des réponses plus précises et peu de réponses « ne sait pas » ou « ne veut pas répondre ». Leur participation a également permis d’avoir des éclairages sur des situations qui seraient passées inaperçues sans leur savoir expérientiel (Observatoire du Samusocial de Paris 2014a).

2.4. Limiter les refus de participation et les biais de sélection

Pour atteindre les populations, un travail préalable auprès des acteurs est nécessaire pour augmenter le taux de participation des centres d’une part et celui des personnes ciblées d’autre part.

Comme indiqué précédemment, prendre contact avec les personnes par l’intermédiaire des services d’aide qu’elles fréquentent facilite les enquêtes auprès des personnes sans domicile. Cependant certaines structures d’hébergement sont réfractaires à participer aux enquêtes et le fait de passer par un intermédiaire peut entraîner un biais de sélection. C’est pourquoi un gros travail de sensibilisation en amont sur la démarche et l’importance de l’échantillonnage, voire d’implication des personnels des

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centres, est indispensable. En plus d’augmenter le taux de participation des centres, ce travail doit permettre un meilleur taux de participation des personnes enquêtées.

Les personnes ciblées par l’enquête peuvent en effet être réticentes à participer pour plusieurs raisons, comme un fort rejet des institutions et du Samusocial de Paris en particulier, un rejet des enquêtes « qui ne servent à rien » et ne vont pas les aider. Malgré le principe de l’anonymat bien expliqué et mis en avant par les enquêteurs, les personnes peuvent avoir peur que les personnels des centres ou même leur hébergeur aient accès à leurs réponses. Les populations peuvent également craindre le regard de l’institution, avec par exemple, la peur du placement de l’enfant dans les enquêtes réalisées auprès des familles. Toutes ces raisons peuvent influencer la participation des personnes, c’est pourquoi une bonne communication, relayée par les acteurs des centres est indispensable.

Il convient également de souligner que les personnes sont enclines à s’exprimer quand un espace de parole accueillant leur est proposé. C’est pourquoi des lieux adaptés à la passation des entretiens, respectant l’intimité et la confidentialité, tout en respectant le peu d’espace privé qui reste aux personnes, est très important. Cependant cela est souvent très difficile à réaliser, que ce soit dans l’espace public, les accueils de jour et points-soupe, ou même dans les centres. Pour les enquêtes SAMENTA et HYTPEAC, des camping-cars ont été loués pour pouvoir fournir ce type de lieu, engendrant un dispositif logistique particulier (horaires particuliers – très tôt le matin pour HYTPEAC, en soirée pour SAMENTA, recrutement de chauffeurs ou recours à des bénévoles, gestion des plannings, du matériel embarqué et de la récupération des questionnaires impliquant un grand investissement de l’équipe de recherche sur le terrain). Dans les centres et les hôtels, les salles à disposition et regroupant tous ces critères sont rares. Pour l’enquête ENFAMS, les entretiens avaient le plus souvent lieu dans les chambres lorsqu’elles étaient individuelles, mais la présence du reste de la famille a dû être gérée par les enquêteurs.

2.5. Prendre en considération les biais liés à certains critères d’exclusion

L’état de santé d’une personne, ou son usage de drogues ou substances psychotropes (addiction à l’alcool), peut la rendre incapable d’apporter un consentement éclairé pour participer à une enquête. Les personnes sous emprise d’une substance au moment de la rencontre, tout comme les personnes ayant des troubles de la santé mentale qui peuvent altérer leur jugement et leur capacité à répondre à un questionnaire, auront du mal à participer à l’étude. Exclure les personnes non francophones c’est exclure des personnes ayant probablement plus de difficultés avec le système de soins et donc plus à risque de maladies. Ce phénomène induit un biais de sélection pouvant conduire à une sous-estimation du phénomène que l’on veut observer (exemple des enquêtes sur la santé mentale et les addictions, ou sur les ectoparasitoses importées). Si les personnes non francophones peuvent être incluses dans les enquêtes par différents moyens (paragraphe 2.3), il est plus délicat d’inclure les personnes sous

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l’emprise d’une substance psychotrope ou celles ayant des troubles les empêchant de participer à l’enquête.