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Chapitre 1. Dispositifs d’aide aux personnes sans domicile, données disponibles et enquêtes réalisées

3. Enquêtes auprès des personnes sans domicile

3.1. Les sans domicile : des définitions multiples et évolutives

L’année 1993 a été marquée par plusieurs évènements concernant les sans-domicile comme une campagne autour des morts dans la rue pendant l’hiver, la création du Samu social, la fondation du Comité des sans-logis, l’apparition des journaux de rue, la première enquête réalisée par le Crédoc (Centre de Recherche pour l'Étude et l'Observation des Conditions de Vie) pour le compte de la FNARS concernant l’accueil d’urgence, le manifeste lancé par l’Abbé Pierre en février, proposant aux candidats aux élections législatives de s’engager à défendre une politique en faveur des mal-logés et de lancer dès les premiers mois de la législature une enquête nationale sur la situation des sans-abri et des mal-logés (Marpsat et Yaouancq 2016). C’est cette même année que le CNIS a mis en place un groupe de travail sur les « sans-abri »9, composé d’administrations (ministères, mairies, Caisse nationale des allocations familiales, Direction Générale aux Affaires Sanitaires et Sociales à la Ville de Paris, etc.), d’organisations caritatives et d’instituts de recherches (CNIS 1996). « La population des sans abri et sans logis » devait faire l’objet « d’une investigation méthodologique pour préparer les voies d’une meilleure connaissance de ces populations ». Divers outils ont alors été mis au point dont une définition de la population sans domicile qui repose sur la classification des situations de logement et comportant quatre aspects : l’aspect physique de l’habitat, le statut d’occupation, le confort du logement et la stabilité/précarité au sens temporel (garantie de pouvoir demeurer dans son logement au-delà d’une certaine durée). La définition des personnes sans domicile issue de ces travaux désigne des personnes qui, à un moment donné, se trouvent dans une des situations de logement répertoriées par cette classification, et plus précisément par une situation combinant les deux premières dimensions. Elle inclut les personnes hébergées dans les centres d’hébergement en plus des personnes vivant dans la rue, les sans-abri, mais exclut de fait les personnes hébergées chez un tiers ou à l’hôtel. Cette définition est ainsi fondée sur la situation au regard du logement (comme aux Etats-Unis) et non sur la visibilité dans l’espace public (comme au Royaume-Uni) ou d’autres critères d’exclusion. Des versions simplifiées ont ensuite été proposées par Cécile Brousse et ont été utilisées par l’Insee lors de ses enquêtes nationales (Brousse 2006a).

Au sens de l’Insee, une personne est ainsi dite sans domicile un jour donné si, la nuit précédant l’enquête, elle a eu recours à un service d’hébergement ou elle a dormi dans un lieu non prévu pour l’habitation. Cette définition constitue aujourd’hui un cadre de référence en France pour les enquêtes scientifiques et le débat public. Elle regroupe deux catégories de personnes selon leurs situations : les personnes hébergées en institution, qui ont un abri provisoire dans des institutions ou foyers d’hébergement gratuit ou à faible participation (comprenant les hébergements d'urgence) (Brousse 2006a), et que l’on pourrait qualifier de personnes sans logement, et les « sans-abri », qui dorment à la

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rue. Cette définition rend compte de la variabilité des habitats des personnes sans domicile, celles-ci pouvant passer régulièrement de l’un à l’autre et donc d’un groupe à l’autre. L’hétérogénéité de la population sans domicile mais également sa mobilité peuvent ainsi déjà être entraperçues.

Si le terme sans domicile a fait l’objet de réflexions et d’une définition servant de référence, le terme sans-abri n’est pas totalement fixé. Au départ, dans les travaux du CNIS, il est pris comme synonyme de sans-domicile. Dans les enquêtes SD de l’Insee il est employé pour désigner quelqu’un qui, la nuit précédant l’enquête, a dormi dans un lieu non prévu pour l’habitation, alors que dans le recensement, il est utilisé pour désigner les personnes qui dorment de façon habituelle dans des lieux non prévus pour l’habitation.

En 2010, la nomenclature du CNIS a été réactualisée, en ajoutant une dimension relative à l’environnement du logement (aspects environnementaux proprement dits comme la pollution, le bruit, etc. ; ségrégation urbaine) et quatre autres aspects relatifs à l’adéquation du logement à la composition du ménage qui l’occupe (accès aux services et aux emplois – école pour les ménages ayant des enfants en âge d’être scolarisé par exemple -, surpeuplement, difficultés de paiement, inadaptation à la composition du ménage - présence d’une personne handicapée ou âgée et logement d’accès difficile, etc.-) (Tableau 2). Il est à noter qu’il n’y a pas eu d’unanimité au sein du groupe pour ne pas classer la catégorie « formes d’habitat particulières » dans la catégorie des sans-domicile (CNIS 2010).

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Tableau 2. Les situations de logement selon le type d’habitat et le statut d’occupation

Type d’habitat Logement indépendant* Chambre ou dortoir dans une structure collective Chambre d’hôtel, pensions, B&B Lieux publics ou privés non prévus pour l’habitation Habitations de fortunes, constru-ctions provisoires Habitations mobiles Statut d’occupation Statut juridique Stabilité / précarité Locataire ou logé à titre gratuit ou propriétaire Logement de

droit commun // Hôtels

Sans-abri Habitations de fortunes, constru-ctions provisoires Habitations mobiles Sous-locataire Sous-locataire // Sous-locataire Occupant sans titre Squats // // Hébergé chez un particulier Hébergé par un tiers // // Hébergé par une institution (hors internat, caserne, prison, hôpital), résidant - Hébergement // // // ++ Résidences sociales // // // // Pensionnaire, militaire, prisonnier, hospitalisé // Commu-nautés // // // // Sans domicile

Sans logement personnel (hors sans domicile) Résidences sociales, sous-location

Formes particulières d’habitat

// Situations non classées

* y compris logements en structures collectives comme les maisons relais

Source : CNIS, Rapport d’étape du groupe de travail sur le mal-logement, 2010

En parallèle, une définition permettant de collecter des données comparables dans les différents pays de l’Union, a été établie par la Fédération Européenne d’Associations Nationales Travaillant avec les Sans-Abri (FEANTSA). Cette fédération, créée en 1989, est chargée par la Commission Européenne de produire chaque année un rapport sur la question des « homeless » dans l’Union Européenne. La définition a évolué au cours du temps : très liée aux services d’aide, puis aux situations, elle a été replacée dans le cadre plus large de l’exclusion liée au logement. La typologie proposée en 2007 (ETHOS10) rend ainsi compte du « continuum de situations » (Clanché 1998) entre la rue et le logement,

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une même personne pouvant effectuer des passages rapides et fréquents d’une situation à une autre. Elle part du principe que le concept de “logement” est composé de trois domaines (physique, social et légal) dont il découle quatre formes d’exclusion liée au logement : être sans abri, être sans logement, être en situation de logement précaire, être en situation de logement inadéquat - des situations qui indiquent toutes l’absence d’un logement. Et ces quatre catégories conceptuelles sont elles-mêmes divisées en 13 catégories opérationnelles regroupant plusieurs situations de vie. Cette définition distingue les personnes dormant en hébergement d’urgence de celles occupant des hébergements pour personnes sans domicile contrairement à celle de l’Insee.

Dans leur rapport pour la Commission européenne, Bill Edgar et al (Edgar et al. 2007) proposent une version allégée d’ETHOS (Tableau 3). Cette définition ne comporte plus que six catégories opérationnelles distinguant douze situations de logement (Marpsat 2009b).

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Tableau 3. Classification en 6 stades de la condition sans domicile proposée par la Commission Européenne

Catégories opérationnelles Lieux de vie Définition

Personnes dormant dehors Espace public / espaces à la rue Vivant dans la rue ou des espaces sans aucun abri pouvant être défini comme un logement

Personnes en hébergement d’urgence

Refuges de nuit Personnes sans lieu habituel de résidence changeant

fréquemment de type d’hébergement Personnes occupant des

hébergements pour sans domicile

Foyers pour sans domicile Logement temporaire Logement de transition avec soutien social

Abri pour femmes battues

La période d’occupation de ces lieux est de moins d’1 an

Personnes vivant en institutions Etablissements de santé

Institution carcérales

Séjour prolongé dû à un manque de logement Pas de logement disponible avant la sortie

Personnes occupant des logements non classiques suite à un manque de logements

Caravane

Constructions non classiques Structures temporaire

L’hébergement est utilisé suite à un manque de logement et n’est pas le lieu habituel de résidence de la personne

Personnes sans domicile vivant à titre temporaire dans un logement classique avec de la famille (suite à l’absence de logement)

Logement classique, mais n’étant pas le lieu habituel de résidence de la personne

L’hébergement est utilisé suite à un manque de logement et n’est pas le lieu habituel de résidence de la personne

Source : Les situations marginales par rapport au logement : méthodes et sources statistiques publiques. Rapport du groupe SML, Insee, 2009.

Malgré le travail de réflexion au niveau européen, on constate tout de même les difficultés d’harmonisation des définitions, liées à des conceptions nationales différentes du problème public du sans-abrisme. Chaque pays continue d’utiliser sa propre définition compliquant les comparaisons entre les enquêtes de chaque pays.

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Cette difficulté est également présente en France. Le collectif « Les morts de la rue » par exemple, qui recense les décès de personnes sans domicile, propose également sa définition des personnes sans domicile fixe (« SDF »). Celle-ci est inspirée de celles utilisées par l’Insee et la FEANTSA et regroupe les personnes ayant dormi principalement dans les trois derniers mois :

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dans un lieu non prévu pour l’habitation ou dans un centre d’hébergement d’urgence avec remise à la rue chaque matin ou dans tout type d’hébergement alloué pour pallier une urgence (SDF « en situation de rue ») ;

- dans un centre d’hébergement collectif gratuit ou à faible participation (hors foyers de jeunes travailleurs, foyers de travailleurs migrants, maisons-relais, pensions de famille et résidences sociales) ou dans un logement squatté ou dans le logement d’un tiers ou dans un hôtel (hors situation pérenne) (« SDF hébergé ») ;

- dans un endroit inconnu, mais probablement dans les lieux précités d’après leurs partenaires ou les médias (« probablement SDF »).

Les dénominations sont donc diverses et les définitions associées également, indiquant le grand nombre d’individus, d’organisations et d’institutions qui s’intéressent à cette population. Comme l’a écrit Julien Damon, au début des années 2000, « aujourd’hui, qu’il s’agisse d’un centre d’hébergement, d’un Samu Social ou d’un commissariat de police le nombre, la définition et la catégorisation des clients, des assujettis ou des bénéficiaires varient en fonction de chacun des interlocuteurs » (Damon 2003). Mais l’ensemble de ces dénominations renvoie surtout à la pluralité des situations. C’est d’ailleurs ce qu’a souligné la FNARS lors de sa Conférence de consensus sur les sans-abri organisée en 2007 : « quel que soit le terme utilisé (« sans domicile fixe », « sans-abri », « grands exclus » ou « gens de rien »), les personnes sans domicile forment une population hétérogène aux contours extrêmement variés, faiblement définis juridiquement et difficilement quantifiables. Contrairement au sens commun qui définit la personne sans domicile comme celui qui dort dehors et plus directement celui qu’on voit dans la rue, il y a consensus sur le fait que les personnes sans domicile ne forment pas un groupe social homogène distinct du reste de la population ».

Bien que toujours sujette à discussion pour les différents acteurs de la politique publique d’hébergement, la définition de l’Insee a permis de réaliser des enquêtes nationales méthodologiquement rigoureuses avec un champ clairement défini, permettant le dénombrement et la caractérisation des personnes sans domicile.

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