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Les impacts de l’utilisation des suppléments protéiques

Chapitre 1 : Introduction générale

1.9. Les solutions au manque de diversité et d’abondance florales : agir sur l’abeille

1.9.2. Les impacts de l’utilisation des suppléments protéiques

Bien que l’utilisation de suppléments protéiques soit une pratique courante en apiculture, l’effet de leur emploi sur les abeilles et leur colonie n’est pas complètement élucidé. Effectivement, ce sujet est relativement peu abordé dans la littérature récente, et de manières diverses. Tests en laboratoire ou sur le terrain, abeilles nourries à différents moments de l’année et plus ou moins longtemps, compléments ou substituts de pollen, produits commerciaux ou maison, variables réponses différentes, traitements témoins variés…il est parfois difficile de comparer les études entre elles et d’en tirer des conclusions claires.

Les études de laboratoire ne sont, en général, pas les plus adéquates pour évaluer la pertinence de l’utilisation des suppléments. Leur principale faiblesse est qu’elles ne représentent pas les conditions nutritionnelles réelles dans lesquelles les abeilles sont placées naturellement. Par exemple, l’alimentation des traitements témoins est souvent réduite à seulement du sirop de sucre, alors que les autres traitements ont accès à des glucides et des protéines. Il n’est alors pas surprenant de constater que les abeilles témoins performent moins bien que celles supplémentées (Alqarni 2006; De Jong et al. 2009; DeGrandi-Hoffman et al. 2010; Morais

et al. 2013). Cependant, dans la réalité, les abeilles font souvent face à une réduction plus ou moins prolongée de la quantité ou la qualité du pollen, et non à une absence totale de la ressource (Brodschneider et Crailsheim 2010; Girard, Chagnon, et Fournier 2012; Requier et al. 2015). Suivant cette logique, il serait préférable d’offrir un peu de pollen aux abeilles supplémentées pour refléter la réalité, ce qui n’est pratiquement jamais fait dans ces expériences. Enfin, les interactions entre les abeilles et les comportements nutritionnels de ces dernières peuvent être très différents selon qu’elles soient en colonies, en nucléi ou en cages, et donc un supplément pourrait ne pas avoir le même impact dépendamment du contexte (Brodschneider et Crailsheim 2010).

Malgré tout, les études de laboratoire peuvent servir à comparer l’efficacité de différents suppléments entre eux, parfois en les comparant aussi à une alimentation de pollen. Les conclusions générales de ces comparaisons sont que les suppléments, selon leur formulation, peuvent être équivalents ou même supérieurs au pollen quant à leurs bénéfices pour les abeilles. Alqarni (2006) a par exemple observé une longévité moindre chez des abeilles nourries avec un supplément à base de soya, lait écrémé et levure de bière comparativement à celles nourries au pollen. Toutefois, ce même supplément enrichi de 5% de pollen ainsi qu’un autre à base de soya contenant 25% de pollen de dattier permettaient d’obtenir des longévités similaires à celles des abeilles nourries au pollen. Les glandes hypopharyngiennes de ces dernières étaient cependant plus développées. De Jong et al. (2009) ont également observé que le Feedbee®, un supplément commercial sans soya, était meilleur que le pollen mixte concernant son impact sur le contenu en protéines de l’hémolymphe des abeilles, tandis que le supplément commercial Bee-Pro® était équivalent au pollen. Dans le cas de Morais et al. (2013), les deux suppléments testés avaient un effet similaire au pollen pour cette même variable. Plus de variables encore ont été analysées par DeGrandi-Hoffman et al. (2010), qui ont observé une quantité de protéines, une taille des glandes hypopharyngiennes et une infestation aux virus des ailes déformées (deformed wing virus, DWV) similaires entre les abeilles nourries au pollen et au MegaBee®. Enfin, Peng, D'Antuono, et Manning (2012) ont constaté qu’en général, les suppléments sans pollen menaient à un meilleur développement des glandes hypopharyngiennes que les suppléments avec pollen ou les diètes de pollen seulement. Or, les auteurs précisent que le pollen mixte utilisé contenait un faible taux de

protéines (14%), et supposent que l’autre principal pollen utilisé, celui d’eucalyptus (Corymbia calophylla) était peu digestible, ce qui expliquerait ces résultats.

Parmi les études allant dans le sens contraire, Manning et al. (2007) ont étudié l’effet de 22 diètes différentes sur la longévité d’abeilles en cages. Ils ont remarqué que les diètes de pollen d’eucalyptus (Corymbia calophylla) permettaient d’atteindre des longévités significativement plus grandes que les diètes à base de farine de lupin ou de soya. L’ajout de pollen aux diètes de soya augmentait d’ailleurs la longévité des abeilles. De plus, Amro, Omar, et Al-Ghamdi (2016) ont constaté que leurs colonies supplémentées avec diverses diètes protéinées performaient toutes moins bien que les colonies témoins ayant accès au pollen. Cependant, ces colonies témoins étaient en milieu ouvert à l’extérieur alors que celles des autres traitements étaient maintenues en isolement en laboratoire, ce qui pourrait avoir occasionné des différences non liées aux traitements. Omar et al. (2017) ont aussi observé un moins bon développement des glandes hypopharyngiennes chez les abeilles nourries au Feedbee®comparativement au pollen mixte ainsi qu’à certaines diètes de pollen monofloral. Parmi les diètes testées, le supplément présentait en effet les plus faibles taux de méthionine et tryptophane, deux acides aminés essentiels. Pour des colonies en isolation, Hocherl et al. (2012) ont obtenu de moins grandes surfaces de couvain pour leurs colonies supplémentées que pour celles nourries avec du pollen de maïs ou du pollen mélangé. Toutefois, le supplément avait un taux inadéquat de protéines (15% contre 23% pour le pollen mixte et 26% pour le pollen de maïs), contenait moins d’acides aminés essentiels et était beaucoup moins consommé par les abeilles que les pollens. Enfin, Fleming, Schmehl, et Ellis (2015), à la suite de l’inoculation d’abeilles en cages avec des spores de Nosema sp., ont observé l’effet de différents suppléments commerciaux sur le développement de la maladie. À leur premier essai, le Bee-Pro® provoquait une plus grande infestation de nosémose que le pollen ou les autres suppléments. Cependant, au deuxième essai, le Bee-Pro® et le pollen provoquaient des infestations similaires entre elles ainsi qu’avec les autres suppléments. Les auteurs, bien qu’encore incertains sur ce qui provoque la prolifération de la maladie, pensent qu’un estomac bien nourri est plus favorable à la nosémose que celui d’une abeille carencée. Cependant, il serait à leur sens contre-productif de ne pas supplémenter les abeilles et de provoquer leur malnutrition pour éviter une potentielle aggravation de l’infection.

En résumé, il semble donc ressortir de ces études que si un supplément contient un bon taux de protéines, assez d’acides aminées essentiels et une bonne palatabilité, il peut servir de source de nourriture de qualité aux abeilles lorsque le pollen de leur environnement est limité ou de mauvaise qualité nutritive. Il apparaît également qu’un supplément contenant du pollen, si ce dernier est de bonne qualité, peut être plus appétant et plus bénéfique qu’un n’en contenant pas (Alqarni 2006; Manning et al. 2007).

Les études de terrain sont encore plus intéressantes que celles en laboratoire, car en plus de se dérouler dans des conditions plus réalistes, elles permettent de mesurer des paramètres de la colonie qui intéressent particulièrement les apiculteurs, comme la production de miel, de couvain et la survie à l’hiver. Les colonies peuvent être placées dans des environnements pauvres en pollen ou soumises à des périodes où le pollen est limitant. Des conditions similaires peuvent aussi être créées en montant les ruches sur des trappes à pollen. Ces trappes piègent une partie du pollen ramené à la ruche par les abeilles (Keller, Fluri, et Imdorf 2005). En consultant ces études, il apparaît vite que l’utilisation de suppléments protéiques est bénéfique aux colonies en périodes de disette. Pour preuve, toutes les colonies de Avni, Dag, et Shafir (2009) ont vu leur surface de couvain décliner en période de pénurie de pollen, sauf celles qui recevaient le supplément à la plus grande surface de contact. La supplémentation n’avait cependant pas d’influence sur les stocks de pollen et de miel dans les ruches. DeGrandi-Hoffman et al. (2008) ont eux aussi observé que les suppléments testés permettaient d’obtenir de plus grandes surfaces de couvain que la supplémentation au sirop de maïs, mais seulement lorsque l’abondance florale était réduite dans le milieu. Certains suppléments permettaient également de maintenir de plus grandes populations adultes durant cette période. Mattila et Otis (2006) ont observé un phénomène similaire dans une étude sur trois ans à Guelph, leurs colonies supplémentées produisant toujours du couvain plus tôt que les colonies témoins ou limitées en pollen, et atteignant des populations plus grandes à la fin avril ou au début mai. Les colonies supplémentées de Morais et al. (2013) produisaient également de plus grandes surfaces de couvain et de miel, et gagnaient du poids au lieu d’en perdre comme les colonies non supplémentées. Très tôt au printemps, après 30 jours de nourrissage, Saffari, Kevan, et Atkinson (2010b) ont mesuré une surface de couvain, une production de miel et une population d’abeilles adultes toutes plus élevées pour les colonies

recevant du Feedbee® comparativement à aucun supplément. Les colonies recevant du Bee- Pro® performaient toutefois similairement aux colonies témoins. Enfin, bien que van der Steen (2007) n’ait pas démontré de différence au niveau des protéines de l’hémolymphe et du développement des larves entre les colonies supplémentées et celles non supplémentées, les résultats ont révélé que les colonies supplémentées avaient une longévité plus grande. Cependant, cet effet ne fut observé que pour une seule des deux années de l’étude.

De ces études, on peut conclure qu’il est intéressant d’offrir un supplément de protéines aux colonies qui subissent une période de pénurie de pollen ou pour les apiculteurs souhaitant augmenter leur cheptel en vue de la pollinisation commerciale de cultures hâtives. Or, on peut se demander si l’effet d’un supplément donné au printemps est persistant et peut mener à une meilleure récolte de miel. Avni, Dag, et Shafir (2009) n’ont pas observé de différences entre leurs récoltes de miel deux mois après la fin de la supplémentation, les surfaces de couvain des colonies étant redevenues similaires au retour de l’abondance du pollen. De même, Mattila et Otis (2006) ont constaté que les différences de populations adultes entre les colonies obtenues au début de la saison s’estompaient après l’arrêt de la supplémentation. La seule exception fût la première année de leur étude, durant laquelle la météo est demeurée peu favorable au butinage. Les colonies supplémentées ont alors produit deux fois plus de miel que celles qui ne l’étaient pas. Ces colonies recevaient toutefois du pollen et non un substitut ou un complément de pollen (aucun n’ayant été testé cette année-là). Cependant, durant les deux autres années de l’étude, le supplément et le pollen ont démontré la même efficacité, ce qui laisse supposer que durant la première année un supplément aurait pu être aussi performant que le pollen. D’ailleurs, plusieurs auteurs ont aussi constaté que certains substituts pouvaient être autant, sinon plus, efficaces que des suppléments de pollen (DeGrandi-Hoffman et al. 2008; Li et al. 2012; Mattila et Otis 2006; Saffari, Kevan, et Atkinson 2010b) alors que d’autres ont obtenu des résultats plus mitigés (DeGrandi-Hoffman et al. 2016; van der Steen 2007).

Certains suppléments possèdent des caractéristiques qui les rendent meilleurs que d’autres. Le taux de protéines est sans aucun doute un facteur important, Li et al. (2012) et Li et al. (2014) ayant constaté que plus le taux de protéines d’un même supplément était élevé,

meilleurs étaient le développement des abeilles et leur santé. De même, Morais et al. (2013) ont observé que leur supplément contenant 20% de protéines ne se différenciait pas de celui à 14% pour ce qui est du gain de poids des colonies et de la surface de couvain, mais celui à 20% engendrait une plus grande production de miel. DeGrandi-Hoffman et al. (2008) ont eux aussi obtenu une plus grande surface de couvain et de plus fortes populations adultes avec leur supplément à 16,5% de protéines qu’avec celui à 8%. Un autre produit à 26% de protéines était toutefois moins efficace que celui à 16,5%, mais il était également moins consommé par les abeilles, ce qui pourrait expliquer ces résultats. Comme les auteurs de cet article fournissent très peu de détails sur les diètes testées, il est difficile de dire ce qui aurait pu causer cette appétence moindre. Un autre facteur de succès important d’un supplément serait sa surface de contact, une plus grande surface stimulant sa consommation par les abeilles et son efficacité (Avni, Dag, et Shafir 2009). Finalement, l’ingrédient de base d’un supplément peut aussi affecter son succès auprès des abeilles. Ainsi, De Jong et al. (2009), DeGrandi-Hoffman et al. (2016), Fleming, Schmehl, et Ellis (2015), Saffari, Kevan, et Atkinson (2010a) et Saffari, Kevan, et Atkinson (2010b) ont tous constaté une moins bonne palatabilité ou une efficacité moindre du Bee-Pro®, un supplément à base de soya, par rapport à des produits basés sur d’autres ingrédients.

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