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Effets de deux suppléments protéiques sur l'abeille domestique (Apis mellifera L)

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Effets de deux suppléments protéiques sur l’abeille

domestique (Apis mellifera L)

Mémoire

Marianne Lamontagne-Drolet

Maîtrise en biologie végétale - avec mémoire

Maître ès sciences (M. Sc.)

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Effets de deux suppléments protéiques sur l’abeille

domestique (Apis mellifera L.)

Mémoire

Marianne Lamontagne-Drolet

Sous la direction de :

Valérie Fournier, directrice de recherche

Pierre Giovenazzo, codirecteur de recherche

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Résumé

Chez l’abeille domestique, il est impératif d’avoir accès à une diversité florale pour combler les besoins en acides aminés essentiels via le pollen. Ainsi, dans les régions où la diversité florale est limitante, certains apiculteurs ont recours à des suppléments protéiques pour éviter les carences. Cependant, il est important et parfois difficile de quantifier les effets de ces produits sur des colonies commerciales. Les objectifs du projet étaient : 1) comparer la santé des colonies d’abeilles supplémentées à celles non supplémentées; 2) comparer deux types de suppléments commerciaux quant à leur taux de consommation et leurs effets sur la santé des colonies; 3) évaluer l’impact du paysage sur le statut nutritionnel des colonies. Cinquante colonies réparties sur trois sites en Montérégie ont été échantillonnées de mai à septembre 2016. Des trappes à pollen ont permis de placer certaines colonies en conditions simulées de manque de pollen. Les résultats démontrent que fournir des suppléments aux colonies en période de pénurie de pollen permet aux abeilles de maintenir leur production de couvain, ainsi qu’un taux de protéines plus élevé. Cependant, les abeilles supplémentées démontrent une longévité réduite, ce qui suggère que les produits testés ne sont pas optimaux. Le supplément Global PattiesMD, contenant du pollen, a été davantage consommé que le

Ultra BeeMD, sans pollen. Il semble également convenir mieux aux colonies, les abeilles y étant

exposées présentant un effort de récolte de pollen inférieur (lorsque limitées dans leur accès au pollen), un taux de protéines généralement plus élevé par rapport au témoin et une meilleure longévité. Enfin, les ruches du site présentant la plus grande proportion de terres agricoles dans un rayon de 5 km performaient mieux qu’aux autres sites en fin de saison, ce qui pourrait s’expliquer par la présence de certaines plantes nutritionnellement intéressantes retrouvées en milieu agricole.

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Abstract

The honeybees (Apis mellifera L.) must have access to a diversity of pollen sources to meet their nutritional requirements. In regions where floral resources are scarce, beekeepers sometimes provide protein supplements to their colonies to avoid nutritional deficiencies. However, it is important and sometimes difficult to quantify the effects of these products on commercial colonies. The goals of this study were to 1) compare the health of commercial honeybee colonies supplemented or not with a protein supplement, 2) compare the consumption and impact on honey bee health of two commercial protein supplements and 3) evaluate the impact of surrounding landscape on the nutritional status of colonies. Fifty colonies located in three apiaries in Montérégie, Québec, were monitored from May to September 2016. Pollen traps placed certain colonies in simulated pollen shortage conditions. We found that supplemented colonies limited in pollen collection were able to raise the same amount of brood than the control colonies. Nurse bees in supplemented colonies also had a higher body protein content compared to control bees. However, bees of supplemented colonies displayed shorter lifespan, which casts a doubt on the suitability of these products for honey bee nutrition. The supplement containing pollen, Global Patties, was more consumed than the supplement containing no pollen, Ultra Bee. It also seemed more suitable, colonies consuming it displaying a lower pollen foraging effort (in pollen shortage conditions), nurse bees with a higher protein compared to the control and bees with a longer lifespan. Finally, colonies from the apiary surrounded by the highest proportion of cultivated land in a 5-km radius performed better overall compared to the other apiaries toward the end of the season. This could be explained by the presence of nutritionally interesting plants present in the agricultural landscape at that time of the year.

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Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... iv

Table des matières ... v

Liste des figures ... vii

Remerciements ... ix

Avant-propos ... xi

Chapitre 1 : Introduction générale ... 1

1.1. La pollinisation et l’importance des pollinisateurs ... 2

1.2. L’apiculture – évolution de l’industrie au Canada et au Québec ... 3

1.3. Le déclin des pollinisateurs sauvages et les pertes de colonies d’abeilles domestiques ... 5

1.4. L’organisation, la division du travail et la circulation de la nourriture dans la colonie ... 7

1.5. Les besoins nutritionnels de l’abeille domestique ... 9

1.6. L’importance du paysage dans la nutrition des abeilles ... 12

1.7. Les effets d’un manque de diversité et d’abondance florales ... 15

1.8. Les solutions au manque de diversité et d’abondance florales : agir sur le paysage ... 18

1.9. Les solutions au manque de diversité et d’abondance florales : agir sur l’abeille ... 21

1.9.1. Les suppléments alimentaires utilisés en apiculture ... 21

1.9.2. Les impacts de l’utilisation des suppléments protéiques ... 24

1.10. Problématique, objectifs et hypothèses de recherche ... 29

Chapitre 2: The impacts of two protein supplements on commercial honey bee (Apis mellifera L.) colonies ... 31

Résumé ... 32

Abstract ... 33

Introduction ... 34

Materials and Methods ... 36

Sites and colony management ... 36

Experimental design and treatments... 37

Supplement consumption ... 38

Pollen weight ... 38

Sealed brood surface ... 38

Foraging effort ... 38

Protein content of adult honey bees ... 38

Bee lifespan ... 39

Nosema and varroa mite infestation ... 40

Landscape analyses ... 40

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Results ... 41

Supplement consumption ... 41

Pollen weight ... 42

Sealed brood surface ... 42

Foraging effort ... 43

Protein content of adult honey bees ... 44

Bee lifespan ... 45

Nosema and varroa mite infestation ... 45

Landscape surrounding the apiaries ... 46

Discussion ... 46

Supplemented vs. unsupplemented colonies ... 46

Pollen-enriched vs. pollen-free supplement ... 49

The impact of sites and landscape ... 50

Conclusion... 52

Acknowledgments ... 52

References ... 53

Chapitre 3 : Conclusion générale ... 57

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Liste des figures

Fig. 1: Least square means of weight of supplement consumed per day per hive ± 95% CI for each treatment and site in 2016. ... 42 Fig. 2: Mean proportion of foragers bringing back pollen to the hive ± 95% CI for each treatment in

2016. ... 43 Fig. 3: Least square means of protein content of nurse honey bees (in mg of protein per g of honey

bees) ± 95% CI, for each treatment in 2016. ... 44 Fig. 4: Kaplan-Meier curves for honey bee survival in 2016 and 2017. ... 45 Fig. 5: Landscape structure within a 5-km radius around each site (apiary). ... 46

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Remerciements

Je tiens tout d’abord à remercier ma directrice Valérie Fournier et mon codirecteur Pierre Giovenazzo. Merci de votre soutien, de votre patience, de votre gentillesse et de tout le temps que vous m’avez accordé. Vous m’avez guidée à travers toutes les étapes de cette maîtrise tout en me laissant développer une autonomie dont je suis fière aujourd’hui.

Je ne saurais oublier Olivier Samson-Robert qui, en tant que professionnel de recherche, m’a aidé tout au long de mon premier été de terrain, autant dans le montage de protocoles que moralement. C’est en ta compagnie que j’ai ouvert ma première ruche, alors merci de m’avoir transmis ton savoir pour éviter (le plus possible) les piqûres!

Un énorme merci également à mes collègues Amélie Gervais, Frédéric McCune, Stéphanie Patenaude et Sabrina Rondeau pour leur aide sur le terrain et en laboratoire, mais surtout pour avoir partagé cette horrible et magnifique période de ma vie. Sans vous je n’aurais jamais eu autant de plaisir à faire cette maîtrise, et je redoute déjà le moment où je ne vous verrai plus tous les jours.

Je remercie également Georges Martin et Robyn McCallum, qui ont accepté d’évaluer ce mémoire et ont donc contribué à son amélioration.

Merci à nos collaborateurs Les ruchers Gauvin, qui nous ont accordé leur confiance et nous ont fourni les ruches de ce projet. Je tiens à souligner également l’aide précieuse de Dominique Michaud et Marie-Claire Goulet pour le dosage des protéines des abeilles, Gaétan Daigle et Awa Diop pour les analyses statistiques, et enfin Georges Martin, Ségolène Maucourt et le personnel apicole du CRSAD pour le dépistage de la nosémose et le prêt des trappes à pollen.

Ce mémoire contient également une petite part de chaque stagiaire qui y a participé de près ou de loin. Merci à Lucie Alexandre, Thais Andro, Aurélie Boilard, Audrey Boivin, Tristan Cloutier, Andréa Duclos, Guillaume Guengard, Clémence Landreau et Damien Le Botlan, sans qui je serais encore en train de laver des sacs en plastique ou de broyer des abeilles.

Pour terminer, je souhaiterais remercier pour leur support inconditionnel mes parents Sylvie et Jean-Yves, mon frère Samuel et ma sœur Catherine (qui mérite tout de même une main d’applaudissement supplémentaire pour m’avoir accompagnée lors des désastreux incidents de la première mouture des

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tests de longévité). Merci aussi à Roxanne, à Alexandre, à mes cousins et cousines et à tous mes amis qui m’ont posé des questions sur mon projet, ont hoché la tête avec entrain et m’ont encouragé, même s’ils ne comprenaient pas tout ce que je faisais.

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Avant-propos

Le chapitre 2 de ce mémoire est présenté sous forme d’article scientifique rédigé en anglais. Intitulé « The impacts of two protein supplements on commercial honey bee (Apis mellifera L.) colonies », cet article a été soumis au journal scientifique Journal of Apicultural Research le 6 juin 2018 (TJAR-2018-0101). La récolte et l’analyse des données, l’interprétation des résultats ainsi que la rédaction de l’ensemble des textes sont issues du candidat, qui est premier auteur. Dr Valérie Fournier (directrice), Ph. D., professeure d'entomologie à l'Université Laval, Dr Pierre Giovenazzo (codirecteur), Ph. D., professeur de biologie à l’Université Laval et Olivier Samson-Robert, M. Sc., ont collaboré aux textes et sont coauteurs du chapitre 2. Les autres sections du mémoire, soit la revue de littérature présentée au chapitre 1 et la conclusion générale au chapitre 3, sont rédigées en français.

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1.1. La pollinisation et l’importance des pollinisateurs

Chez les angiospermes, la pollinisation est définie comme étant le transfert de pollen des anthères, la partie mâle des fleurs, à l’extrémité du pistil, soit la partie femelle (Abrol 2012). C’est sur cette extrémité, le stigmate, que les grains de pollen germent et forment des tubes polliniques qui permettent aux gonades mâles d’entrer en contact avec les gonades femelles. Il s’en suit la fécondation de la fleur et la formation d’un fruit. Chez certaines plantes, le pollen peut être transféré d’une fleur à une autre par des facteurs abiotiques comme le vent, ce qu’on nomme la pollinisation anémophile (Abrol 2012). Chez d’autres, un intermédiaire plus sophistiqué est nécessaire. Une vaste gamme d’organismes peuvent servir de vecteur au pollen, dont les insectes, les oiseaux, les chauve-souris et d’autres mammifères. La pollinisation par les insectes, ou la pollinisation entomophile, est sans contredit la plus répandue (Abrol 2012). Elle peut être effectuée par plusieurs ordres d’insectes dont entre autres les coléoptères, les diptères, les lépidoptères et les hyménoptères. Toutefois, ce sont les membres de la super-famille des Apoïdea de l’ordre des Hyménoptères, qui regroupe plusieurs bourdons et abeilles et présentent une morphologie adaptée pour la pollinisation. La majorité d’entre eux possèdent un corps velu sur lequel le pollen s’attache facilement (Borror et White 1970). De plus, le premier segment de leurs pattes arrière est généralement élargi et aplati, formant une sorte de réceptacle communément appelé corbeille à pollen. Certains apoïdes ne possèdent pas ces corbeilles mais ont d’autres structures au rôle similaire, comme par exemple les mégachiles qui possèdent des poils en forme de brosse sur la face ventrale de leur abdomen (Borror et White 1970).

La pollinisation effectuée par des vecteurs biotiques est un service écologique d’une importance capitale pour notre subsistance. Pour preuve, sur les 115 cultures les plus importantes pour notre alimentation, 87 dépendent de la pollinisation animale (Klein et al. 2007). En termes de volume, cela représente 35% de toute la production alimentaire mondiale (Klein et al. 2007). Également, une grande quantité des nutriments et micronutriments dont nous avons besoin provient de plantes qui dépendent de la pollinisation animale (Chaplin-Kramer et al. 2014; Eilers et al. 2011). Concombres, melons, canneberges, bleuets, fraises, framboises, amandes, pommes, pêches, canola, tomates, kiwis, café et bien d’autres cultures

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dépendent grandement du travail des pollinisateurs. Plus spécifiquement, d’un point de vue économique, ce sont les abeilles à miel qui sont les pollinisateurs des cultures les plus importants (McGregor 1976; Moritz et al. 2010; Watanabe 1994). Pour preuve, on estime que la valeur économique du service de pollinisation rendu par l’abeille domestique, ou abeille à miel (Apis mellifera L.), est égale à celle du service rendu par toutes les autres espèces d’abeilles combinées (Kleijn et al. 2015). En effet, une fraction de la pollinisation des cultures commerciales est effectuée par des pollinisateurs sauvages, mais la majorité est attribuable à l’abeille domestique (Morse et Calderone 2000). Au Canada seulement, en 2016, c’étaient plus de 2,5 milliards de dollars qui étaient générés par la pollinisation des denrées agricoles par l’abeille domestique (Mukezangango et Page 2017). Sans cette dernière, plusieurs cultures verraient leurs rendements diminuer de plus de 90 % (Southwick et Southwick 1992). De surcroît, l’abeille domestique ne contribue pas seulement au rendement des cultures mais aussi à leur qualité. Plus gros calibre, pourcentage de fruits difformes réduite, meilleure production de graines, contenu en sucres ou en huiles plus élevé et chute de fruits moins importante sont tous des effets d’une bonne pollinisation et certains se traduisent par un meilleur classement des produits, donc une valeur économique ajoutée (Bommarco, Marini, et Vaissiere 2012; Garratt et al. 2014; Partap 2000).

1.2. L’apiculture – évolution de l’industrie au Canada et au Québec

L’humain n’a toutefois pas commencé à domestiquer l’abeille domestique dans un but de pollinisation des cultures, mais bien pour récolter le produit principal de la ruche : le miel. La forme la plus primitive d’apiculture remonterait à 3000 av. J.-C., où les Égyptiens fournissaient des abris aux abeilles afin de les attirer et récolter leur miel (Crane 1999). On peut dire que la pierre angulaire de l’apiculture moderne fut posée par l’américain Lorenzo L. Langstroth, qui au milieu du XIXe siècle inventa la ruche à cadres mobiles (Crane 1999). Cette ruche permettait pour la première fois le retrait des cadres sans abîmer les rayons construits par les abeilles, de même qu’une extraction du miel plus efficace. Encore aujourd’hui, la ruche de type Langstroth est abondamment utilisée dans plusieurs pays.

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Au Canada, l’apiculture est une production agricole bien développée. En 2016, on comptait 9859 apiculteurs au pays, la majorité situés en Ontario et en Colombie-Britannique (Mukezangango et Page 2017). Toutefois, 41% des colonies sont situées en Alberta. Le Québec, quant à lui, regroupe 3% des apiculteurs et 7% des colonies. À l’échelle mondiale, le Canada ne se classe pas parmi les 10 premiers pays exportateurs de miel, mais produit tout de même 92,2 millions de livres de miel en 2016, pour une valeur de 159 millions de dollars (Mukezangango et Page 2017). Or, le miel n’est pas la seule source de revenus des apiculteurs. D’autres produits de la ruche sont récoltés et commercialisés comme le pollen, la cire, la gelée royale ou la propolis (Gauvin 2012). Les apiculteurs peuvent également orienter leur production vers d’autres spécialités, comme les services de pollinisation, la production de nucléi (de petites colonies ayant un nombre réduit de cadres, servant le plus souvent à démarrer une nouvelle colonie) ou la production de reines (Centre de référence en agriculture et agroalimentaire du Québec 2011). Au Québec, la majorité des apiculteurs se concentrent sur la production de miel et l’offre de services de pollinisation, cette dernière étant de plus en plus importante. Effectivement, les revenus des apiculteurs québécois proviennent maintenant à 61% de la vente de miel et à 32,5% des services de pollinisation (Massicotte 2017). Une hausse importante de la demande en services de pollinisation a été observée entre 2003 et 2013, où le nombre de colonies en location est passé de 13 633 à 35 588 (Belzile et Li 2014). Ce phénomène serait dû à l’augmentation des superficies de bleuets et de canneberges, qui ont respectivement doublé et triplé pendant la même période. Ces cultures étant fortement dépendantes des insectes pollinisateurs, elles occupaient 89% des ruches en location en 2013 (Belzile et Li 2014). Face à ce changement, l’industrie apicole québécoise a su s’adapter et structurer davantage ce service, à l’avantage des producteurs de petits fruits comme des apiculteurs. Un contrat type pour la location de ruches est maintenant disponible et des équipes d’inspecteurs vérifient les colonies en location et quantifient leur force au début des périodes de floraison.

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1.3. Le déclin des pollinisateurs sauvages et les pertes de colonies d’abeilles domestiques

L’industrie apicole doit toutefois aussi faire face à des changements qui lui sont moins favorables. Il y a un consensus sur le fait qu’en Amérique du Nord et en Europe, plusieurs pollinisateurs sauvages sont en déclin d’abondance, d’occurrence et de diversité (Becher et al. 2013; Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services 2016). Ailleurs dans le monde, les mêmes conclusions sont plus difficiles à confirmer car les déclins sont ponctuels et observés localement. À l’échelle mondiale, 16,5% des pollinisateurs vertébrés seraient menacés d’extinction (Aslan et al. 2013). Selon l’Union Internationale pour la Conservation de la nature (UICN), en Europe, 9% des espèces d’abeilles seraient menacées d’extinction, 5% seraient près d’être menacées et 8% verraient leurs populations en déclin (Nieto et al. 2014). Pour ce qui est des papillons, 9% des espèces en Europe seraient menacées d’extinction, 10% seraient près d’être menacées et 31% verraient leurs populations en déclin (van Swaay et al. 2010). Toutefois, ces chiffres pourraient être bien plus élevés en réalité, puisque les données sont insuffisantes pour tirer des conclusions pour une grande partie des espèces.

La situation de l’abeille domestique peut sembler bien meilleure que celle des pollinisateurs sauvages. En effet, selon la FAO, le nombre de colonies d’Apis mellifera est globalement en augmentation dans le monde (Food and Agriculture Organization of the United Nations 2016). Le Canada suit cette tendance, avec une croissance générale du nombre de colonies depuis les années 90 qui se poursuit encore aujourd’hui (Mukezangango et Page 2017; Statistiques Canada 2016). Néanmoins, l’abeille domestique reste un animal d’élevage et les apiculteurs peuvent diviser ou regrouper leurs colonies afin d’augmenter leur survie ou leur reproduction, ce qui masque les réelles variations des populations d’abeilles (vanEngelsdorp et Meixner 2010). En fait, les apiculteurs de plusieurs régions du monde perdent une part importante de leurs colonies depuis plusieurs années. Aux États-Unis, ces pertes anormales ont débuté à l’hiver et au printemps 2006-2007, où certains apiculteurs ont vu de 80 à 100% de leurs colonies périr d’un syndrome nommé le colony collapse disorder (CCD) ou syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles (Oldroyd 2007). Depuis, des enquêtes

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annuelles ont été menées afin de suivre les pertes de colonies à travers le pays. Les pertes hivernales totales ont fluctué entre 22 et 36% depuis les premières enquêtes (Kulhanek et al. 2017). La plus récente, pour l’année 2015-2016, révèle un pourcentage de mortalité des colonies américaines de 40,5%, dont 23,6% au cours de l’été et 26,9% au cours de l’hiver, ce qui était au-dessus des pourcentages considérés comme acceptables pour 59% des apiculteurs participant à l’enquête (Kulhanek et al. 2017). D’ailleurs, l’évolution de ce pourcentage de pertes acceptable reflète aussi la situation : il est passé de 13,1% en 2010-2011 à 19,1% en 2013-2014, ce qui suggère que les taux de mortalité constamment élevés ont poussé les apiculteurs à ajuster leurs attentes (Lee et al. 2015; vanEngelsdorp et al. 2012). Le constat est similaire en Europe, où bien que les pourcentages de mortalité hivernale varient énormément selon les régions et les types d’entreprise, des taux assez élevés sont observés régulièrement (plus de 30% au Royaume-Uni et dans plusieurs pays d’Europe du Nord à l’hiver 2012-2013) (van der Zee et al. 2014). Au Canada, les années 2000 ont également été porteuses de hauts taux de mortalité hivernale, souvent au-dessus du 15% généralement considéré comme acceptable (Ministère de l'Agriculture des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec 2014). Les pertes totales ont oscillé entre 29 et 35% de 2007 à 2009, puis une légère baisse a été observée de 2010 à 2015 avec des pertes entre 16 et 29% (Ministère de l'Agriculture des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec 2016). Toutefois, la situation demeure tout de même préoccupante, entre autres pour les petites entreprises qui subissent des pertes hivernales généralement plus élevées, ainsi que pour les apiculteurs de l’Ontario qui ont perdu 58% de leurs colonies à l’hiver 2014 et 38% à l’hiver 2015 (Ministère de l'Agriculture des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec 2016).

Outre les problèmes ponctuels de mauvaises conditions climatiques ou d’erreurs de gestion des colonies par les apiculteurs, plusieurs causes contribuent certainement à ce phénomène. Manque de diversité génétique des abeilles, pathogènes et parasites (dont l’acarien Varroa

destructor, plusieurs virus, les bactéries causant la loque américaine et la loque européenne

ainsi que le champignon Nosema ceranae), effets sublétaux des pesticides néonicotinoïdes et des acaricides utilisés pour le contrôle du varroa, intensification de l’agriculture, pertes d’habitats naturels et malnutrition des abeilles sont tous des facteurs qui agissent en synergie et dont l’ensemble contribue aux hauts taux de mortalité des abeilles domestiques (Berthoud

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et al. 2010; Buchler et al. 2014; Desai et Currie 2016; Genersch 2010; Le Conte, Ellis, et Ritter 2010; McMahon et al. 2016; Naug 2009; Requier et al. 2017; Smith et al. 2013; Tosi et al. 2017). Parmi ces facteurs, la malnutrition des abeilles est probablement l’un des moins bien compris et des plus complexes (Brodschneider et Crailsheim 2010; Smith et al. 2013).

1.4. L’organisation, la division du travail et la circulation de la nourriture dans la colonie

Les abeilles étant des insectes sociaux hautement organisés, les différentes tâches à effectuer dans une colonie sont divisées entre les individus pour un maximum d’efficacité et la gestion des ressources de nourriture est commune et complexe.

Tout d’abord, rappelons qu’il existe trois différentes castes d’abeilles, soit la reine, les faux bourdons et les ouvrières, qui ont chacune leurs fonctions propres. La reine, qu’on peut reconnaître à son abdomen allongé, est la seule femelle de la colonie ayant un système reproducteur fonctionnel. Elle provient d’un œuf fécondé qui a été déposé dans une alvéole plus grande que les autres, une cellule royale, et a été nourrie de grandes quantités de gelée royale tout au long de son stade larvaire (Haydak 1970; Winston 1987). Sa tâche principale est de pondre des œufs afin de peupler la colonie. Pour ce faire, au début de sa vie adulte, elle doit d’abord être fécondée par des faux bourdons, soit des abeilles mâles. Ces derniers proviennent d’œufs non fécondés et ont un corps plus massif que celui des ouvrières (Hrassnigg et Crailsheim 2005). L’unique rôle des faux bourdons est la reproduction et ils ne participent à aucune autre tâche dans la colonie, ce qui explique leur nombre relativement restreint (Winston 1987). Enfin, les ouvrières proviennent, tout comme la reine, d’œufs fécondés. Elles ont toutefois été nourries principalement de gelée larvaire, une nourriture moins riche que la gelée royale, et en plus petite quantité (Haydak 1970; Winston 1987). Présentes par milliers dans une colonie, ce sont les ouvrières qui effectuent virtuellement toutes les tâches dans la ruche.

Il existe une division des tâches au sein des ouvrières en fonction de leur âge. En effet, les jeunes abeilles sont attitrées aux tâches à l’intérieur de la ruche, alors que les plus vieilles

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vont davantage à l’extérieur. Par exemple, au début de leur vie, les ouvrières commencent par nettoyer les alvéoles, avant de voir aux besoins du couvain et de la reine, puis de recevoir et transformer le nectar et le pollen, de construire des alvéoles et de retirer les débris de la ruche (Ament, Wang, et Robinson 2010; Johnson 2010; Winston 1987). Plus tard, elles ventileront la ruche, garderont l’entrée et enfin partiront pour butiner, mais aussi pour ramener de l’eau et de la propolis. Évidemment cette suite n’est pas rigide et peut varier selon l’environnement, le développement des ouvrières, les besoins de la colonie et plusieurs autres facteurs (Ament, Wang, et Robinson 2010; Johnson 2010; Toth et al. 2005).

Le pollen et le nectar, les principales sources de nourriture des abeilles, sont ramenés par les butineuses à la ruche. Le nectar, entreposé dans le jabot des butineuses, est transféré aux ouvrières dans la colonie pour son stockage dans les alvéoles et sa transformation éventuelle en miel. Le pollen est également pris en charge par les ouvrières pour entreposage et transformation en pain de pollen, soit un mélange fermenté de pollen, sécrétions des ouvrières et nectar régurgité (Crailsheim 1992, 1998; Winston 1987). Les larves d’ouvrières sont alimentées par les nourrices principalement de gelée larvaire, soit un mélange riche en protéines provenant des sécrétions des glandes mandibulaires et hypopharyngiennes, mais peuvent aussi consommer de petites quantités de pollen (Winston 1987). Les ouvrières adultes se nourrissent elles-mêmes du pain de pollen et du miel entreposés dans la ruche. Leur consommation en pollen sera élevée au début de leur vie, car elles devront ingurgiter assez de protéines pour produire la gelée larvaire servant à nourrir le couvain (Haydak 1970; Hrassnigg et Crailsheim 2005; Winston 1987). De plus, elles transféreront aussi de la gelée larvaire aux autres abeilles adultes de la colonie, incluant les faux bourdons et la reine. Ce phénomène se nomme trophallaxie et permet la communication du statut nutritionnel de la colonie à ses membres (Crailsheim 1992, 1998; Winston 1987). Enfin, les butineuses consommeront beaucoup moins de pollen que les nourrices, n’ayant pas à s’occuper du couvain, et dépendront donc plus des réserves de miel.

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1.5. Les besoins nutritionnels de l’abeille domestique

Comme tous les organismes vivants, Apis mellifera possède des exigences spécifiques quant aux nutriments qu’elle doit ingérer dans son alimentation.

Les glucides sont la principale source d’énergie des abeilles (Brodschneider et Crailsheim 2010). Les faux bourdons sont ceux qui nécessitent la plus grande quantité de glucides dans leur alimentation, suivis des ouvrières (particulièrement les butineuses) puis des larves (Hrassnigg et Crailsheim 2005). Les abeilles obtiennent leurs glucides principalement du nectar et du pollen des fleurs. Le nectar est transformé en miel au cours d’un processus réduisant son contenu en eau et changeant sa composition en sucres par l’action d’enzymes digestives des abeilles (Brodschneider et Crailsheim 2010). Le miel est ensuite emmagasiné dans la ruche en grandes quantités. Certains sucres sont toxiques pour Apis mellifera, dont l’arabinose, le galactose, le lactose, le mannose, le melobiose, le raffinose, le stachyose et le xylose (Barker 1977). Ces sucres sont présents dans le pollen de certaines espèces de plantes, cependant les abeilles sont en mesure de les diluer avec le nectar qu’elles récoltent. Elles sont aussi en mesure de les hydrolyser, la consommation de pollen augmentant l’activité des enzymes nécessaires (Ricigliano et al. 2017).

La consommation de protéines est positivement corrélée avec la croissance, l’activité reproductrice et la longévité des abeilles (Li et al. 2012; Li et al. 2014). Plus spécifiquement, 10 acides aminées leur sont essentiels: arginine, histidine, lysine, tryptophane, phénylalanine, méthionine, thréonine, leucine, isoleucine et valine (De Groot 1953). Ceux nécessaires en plus grandes quantités sont la leucine, l’isoleucine et la valine. La sérine, la glycine et la proline auraient également un effet stimulateur sur la croissance en cas de carence en acides aminées essentiels. La seule source de protéines des abeilles est le pollen (Brodschneider et Crailsheim 2010). Au cours du butinage, les ouvrières amassent du pollen des fleurs qu’elles visitent dans les corbeilles à pollen sur leurs pattes arrière. De retour à la ruche, ce pollen est mélangé avec des sécrétions et du nectar régurgité, puis fermenté, ce qui donne un produit appelé le pain de pollen (Vàsquez et Olofsson 2009). Le pain de pollen a une valeur nutritive supérieure à celle du pollen brut, entre autres en vitamines, ce qui est dû à la fermentation

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faite dans les alvéoles par les bactéries lactiques du genre Lactobacillus et Bifidobacterium, présentes initialement dans le système digestif des abeilles (Vàsquez et al. 2012; Vàsquez et Olofsson 2009). En plus de leur fonction de fermentation, ces bactéries sont essentielles à la santé de l’abeille, les protégeant de bactéries pathogènes comme celle causant la loque américaine, Paenibacillus larvae (Forsgren et al. 2010). L’acidité plus élevée du pain de pollen comparativement au pollen brut, due à la présence d’acide lactique, lui permet de se conserver longtemps dans la ruche (Vàsquez et Olofsson 2009). Cependant, contrairement au miel, les stocks de pollen sont relativement faibles dans la ruche et diminuent rapidement en conditions non propices au butinage (Schmickl et Crailsheim 2001).

Bien que la littérature soit moins fournie au sujet de ces nutriments, lipides, vitamines et minéraux doivent également être ingérés par l’abeille domestique, la source principale étant encore une fois le pollen (Brodschneider et Crailsheim 2010). Du côté des lipides, les stérols seraient essentiels dans la synthèse des hormones impliquées dans la mue (Canavoso et al. 2001; Vaudo et al. 2015). De plus, la majorité des insectes requerrait un certain apport en acides gras polyinsaturés, généralement comblé par l’ingestion d’acide linoléique et linolénique, deux acides gras considérés comme essentiels chez l’abeille (Avni et al. 2014; Canavoso et al. 2001). L’acide linolénique, un oméga-3, serait d’ailleurs particulièrement important pour le système nerveux, une ingestion déficitaire d’oméga-3 menant à des capacités d’apprentissage réduites (Arien et al. 2015). Du côté des vitamines, il est généralement admis que les abeilles sont capables de synthétiser la vitamine C (Brodschneider et Crailsheim 2010). De plus, les vitamines liposolubles A, D, E et K ne sont pas considérées comme essentielles, mais leur ajout à la diète des abeilles permettrait une augmentation significative de la production de couvain (Herbert et Shimanuki 1978).

Ainsi, le pollen occupe une place prépondérante dans la nutrition des abeilles domestiques, fournissant la presque totalité des protéines, lipides, vitamines et minéraux nécessaires à leur survie. Cependant, les plantes diffèrent grandement quant à la valeur nutritive de leur pollen, particulièrement entre familles (Weiner et al. 2010). Par exemple, la concentration en lipides du pollen peut varier de 0,8 à 18,9% selon l’espèce florale (Roulston et Cane 2000). Le type de lipides varie également, le pollen d’eucalyptus contenant par exemple très peu

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d’oméga-3 (Arien et al. 2015). Les Rosacées auraient également un pollen à ratio oméga-6:d’oméga-3 relativement élevé, ce qui est associé chez l’humain à plusieurs troubles d’ordre mental et pourrait potentiellement être aussi problématique chez l’abeille (Arien et al. 2015). Pour ce qui est des protéines, leur concentration dans le pollen peut varier de 2,5 à 61% (Roulston, Cane, et Buchmann 2000). Il est considéré qu’un pollen contenant moins de 20% de protéines brutes ne permet pas de soutenir adéquatement le développement d’une colonie (Somerville 2001). Or, plusieurs espèces vivrières, certaines faisant l’objet de pollinisation commerciale, sont sous cette balise : bleuet, sarrasin, agrumes, tournesol… Au contraire, les plantes du genre Lupinus seraient particulièrement intéressantes pour les pollinisateurs, produisant un pollen contenant plus de 30% de protéines brutes (Somerville 2001). Évidemment, le contenu en protéines brutes n’offre pas à lui seul un portrait complet de la valeur nutritive d’un pollen : il est aussi important de considérer sa composition en acides aminés. En Allemagne, Weiner et al. (2010) ont étudié le contenu en acides aminés de 142 espèces de plantes et ont trouvé que la majorité d’entre elles présentaient un pollen au profil complet en acides aminés essentiels. Toutefois, certains étaient parfois présents en très faible quantité, comme le tryptophane qui était à des concentrations déficitaires pour plus du tiers des espèces. Similairement, en Australie, Somerville (2001) ont analysé 194 échantillons de pollen provenant de 60 espèces de plantes et ont observé des niveaux sous-optimaux d’isoleucine pour plus du tiers des échantillons. Les concentrations en tryptophane n’avaient pas pu être mesurées dans cette étude. Au Québec, les brassicacées, Salix spp., Trifolium spp. et Rubus spp. sont des exemples de plantes offrant un pollen excellent en termes de qualité et quantité de protéines, au contraire d’Alnus sp., Picea sp. et Taraxacum officinale, le pollen de ce dernier étant déficient en tryptophane, phénylalanine et arginine (Loper et Cohen 1987; Ramsay 1987). Selon Hendriksma et Shafir (2016), les abeilles pourraient pallier dans une certaine mesure à une diète déséquilibrée en butinant préférentiellement des espèces possédant les nutriments déficitaires. En résumé, soulignons qu’il est préférable qu’elles aient accès à une diversité d’espèces florales, puisque peu de diètes monoflorales sont aussi complètes qu’une variété de pollens (Brodschneider et Crailsheim 2010). Di Pasquale et al. (2013) ont d’ailleurs démontré qu’une diète diversifiée en pollen permettait aux abeilles infectées par Nosema ceranae de vivre plus longtemps comparativement à celles alimentées avec une seule espèce florale.

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1.6. L’importance du paysage dans la nutrition des abeilles

Grâce à leurs bonnes capacités de navigation et aux danses utilisées pour communiquer la localisation des ressources, les butineuses peuvent parcourir de grandes distances. Elles peuvent s’éloigner à un maximum d’environ 10 km de la ruche durant leur collecte de nourriture, bien que des distances jusqu’à 14 km aient parfois été observées (Beekman et Ratnieks 2000; Visscher et Seeley 1982). Cependant, la plupart du temps, les butineuses ne s’éloigneront pas autant de la colonie. À Sheffield au Royaume-Uni par exemple, Beekman et Ratnieks (2000) ont constaté que les abeilles s’éloignaient en moyenne de 5,5 km de la ruche. Dix pourcents des butineuses restaient dans un rayon de 500 m de la ruche, 50% dans un rayon de 6 km, 25% s’éloignaient de plus de 7,5 km et 10% de plus de 9,5 km. Couvillon, Schurch, et Ratnieks (2014), pour leur part, ont observé des distances de butinage moyennes d’environ 500 m au printemps, 1,3 km à l’automne et un peu plus de 2 km en été, période où les ressources florales étaient plus limitées. Les distances de butinage varient donc non seulement d’un endroit à un autre, mais également selon le temps, dépendamment des ressources florales disponibles. Les butineuses sont en mesure d’évaluer s’il est optimal d’aller visiter une certaine parcelle de nourriture et ne parcourront donc pas de grandes distances inutilement, puisque cela est risqué et coûteux en énergie (Beekman et Ratnieks 2000). Ainsi, la composition du paysage dans un rayon relativement restreint autour des colonies influence de façon importante leur statut nutritionnel.

Les milieux agricoles ne sont souvent pas des sites de choix pour les colonies d’abeilles domestiques. En effet, leur paysage très simplifié fait en sorte que des périodes d’abondance de fleurs sont entrecoupées de périodes où les ressources florales sont limitées. En France par exemple, l’équipe de Odoux et al. (2014) a observé une période de très faible abondance florale entre les floraisons des deux principales cultures de la région, le canola et le tournesol. Les milieux agricoles n’offrent également pas une grande diversité de pollen, et ces derniers sont le plus souvent peu intéressants sur le plan nutritionnel. Donkersley et al. (2014) ont d’ailleurs constaté que le contenu en protéines du pain de pollen était négativement corrélé avec les surfaces en terres cultivées dans des rayons de 3 et 10 km autour des ruches. Smart et al. (2018) ont également constaté que des colonies placées dans des milieux agricoles

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d’intensité faible et élevée (considérant un rayon de 4 km) récoltaient la même quantité de pollen, mais que le pollen du site agricole intensif était moins protéiné, contenait moins d’acides aminés et était moins diversifié, en plus de contenir plus de pesticides. Les colonies de ce site ont d’ailleurs perdu du poids durant la saison au lieu d’en gagner comme les colonies du site de faible intensité agricole. Au Québec, par exemple, le maïs est une des cultures principales retrouvées en milieu agricole intensif. Cependant, son pollen est déficient en histidine, un acide aminé essentiel aux abeilles, et il impacte négativement leur santé et leur développement (Di Pasquale et al. 2016; Hocherl et al. 2012). La pollinisation commerciale du bleuet nain provoquerait également une baisse de production de couvain chez les colonies, vraisemblablement à cause de la faible valeur nutritionnelle du pollen dans ce type d’environnement (Colwell et al. 2017; Girard, Chagnon, et Fournier 2012).

Dans les paysages simplifiés, il se peut également que les ressources florales soient présentes, mais loin de la colonie. Les abeilles peuvent donc être en mesure de récolter des sources de nourriture aussi diversifiées et de qualité qu’en environnement complexe, mais au prix de nombreux voyages coûteux en énergie (Danner et al. 2017). Steffan-Dewenter et Kuhn (2003) ont observé que les distances parcourues par les butineuses de nectar ne variaient pas selon la complexité du paysage, mais que les butineuses de pollen se rendaient significativement plus loin de la colonie lorsque le paysage dans un rayon de 2 km était simplifié (milieu agricole, grandes parcelles de ressources). Ces distances étaient encore plus grandes lorsque les cultures principales du paysage n’étaient pas en fleur.

Au contraire des paysages agricoles, les habitats semi-naturels auraient un impact positif sur les colonies. Entre autres, les surfaces boisées influenceraient positivement la taille des colonies, ainsi que le contenu en protéines du pain de pollen (Donkersley et al. 2014; Odoux et al. 2014). En plus des parcelles boisées, Alaux et al. (2017) ont inclus les haies dans leur analyse et ont constaté que la présence de ces deux éléments dans un rayon de 1,5 km autour des colonies augmentait significativement la masse des corps gras des abeilles et le niveau d’expression de la vitellogénine, cette protéine affectant positivement la survie à l’hiver des colonies.

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Malgré tout, les milieux agricoles ne sont pas toujours synonymes de déclin pour les colonies d’abeilles domestiques. Dans les provinces maritimes du Canada, Colwell et al. (2017) ont comparé des vergers de pommes, des cannebergières, des bleuetières et des terres non cultivées (principalement des prairies), et ont observé que les colonies placées sur les terres non cultivées récoltaient le pollen avec la plus grande diversité, mais la plus faible valeur nutritionnelle. Également, au Tennessee, Alburaki et al. (2017) ont placé des colonies dans trois environnements agricoles d’intensité différentes (basse, modérée et haute) et dans un environnement non agricole, basé sur la composition du paysage dans un rayon de 2,5 km autour des ruchers. Les colonies dans les milieux agricoles d’intensité haute et modérée ont pris du poids durant la saison, alors que celles en milieu non agricole ont pris significativement moins de poids et démontraient des signes de famine, ce qui a mené à la perte de plusieurs colonies. La production de couvain était également plus faible dans les milieux non agricoles que dans les milieux agricoles d’intensité modérée et basse. Enfin, en Ohio, Sponsler et Johnson (2015) ont constaté que les réserves de miel et de pollen dans les colonies, ainsi que l’accumulation de cire, augmentaient avec la présence de surfaces cultivées dans un rayon de 1 et 2 km respectivement autour des colonies. Selon ces auteurs de même que selon Colwell et al. (2017), les mauvaises herbes joueraient un rôle important dans le maintien d’un bon statut nutritionnel chez les colonies en milieu agricole.

En effet, les mauvaises herbes sont une ressource primordiale pour les abeilles en milieu agricole, pouvant constituer jusqu’à 40% de leur diète lorsque les cultures principales ne sont pas en fleurs (Requier et al. 2015). Au Dakota du Nord, Smart, Pettis, Euliss, et al. (2016) ont d’ailleurs observé qu’en milieu agricole intensif, la surface des « ressources florales non cultivées » (incluant entre autres les fossés, les pâturages, les terres en jachère et les bords de chemin) dans un rayon de 3,2 km autour des ruches influençait positivement la survie à l’hiver et la production de miel des colonies. Cependant, ces parcelles ne sont souvent pas gérées de façon à conserver ces ressources florales. Les abeilles acquièrent donc une part importante de leurs nutriments d’environnements instables, qui peuvent être sujets à la tonte ou à l’application d’herbicides à tout moment.

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1.7. Les effets d’un manque de diversité et d’abondance florales

Les effets d’une mauvaise nutrition en pollen sont nombreux et peuvent affecter les fonctions immunologiques, reproductives et mêmes comportementales d’A. mellifera, autant au niveau de l’individu que de la colonie.

Tout d’abord, au niveau physiologique, l’expression des gènes codant pour la vitellogénine et la transferrine serait affaiblie chez les abeilles ne consommant pas de pollen, ou consommant un pollen pauvre en lipides ou en protéines (Di Pasquale et al. 2016; Di Pasquale et al. 2013; Frias, Barbosa, et Lourenço 2016; Wang et al. 2014). Ces deux protéines sont produites dans les corps gras de l’abeille, la vitellogénine étant celle présente en plus grande quantité dans les ouvrières et les reines, et jouent un rôle dans le développement des ovaires (Amdam et Omholt 2002; Koywiwattrakul et Sittipraneed 2009; Nino, Tarpy, et Grozinger 2013). La vitellogénine permet aussi la production de gelée larvaire et royale, en plus d’être impliquée dans le système immunitaire et d’accroître la longévité des abeilles en offrant une protection contre le stress oxydatif (Amdam et al. 2003; Amdam et al. 2004; Seehuus et al. 2006). Par exemple, en régions tempérées, les abeilles dites « d’hiver » présentent un contenu élevé en vitellogénine, ce qui leur permettrait de vivre de six à huit mois, contrairement aux abeilles dites « d’été » qui vivent en moyenne de quatre à six semaines (Amdam et al. 2005; Maurizio 1950; Winston 1987). Quant à la transferrine, c’est une protéine qui transporte le fer dans l’organisme en plus d’être impliquée dans le système immunitaire comme agent antioxydant (Kucharski et Maleszka 2003). Par conséquent, puisque l’expression du gène codant pour la vitellogénine est affaiblie chez les abeilles ne consommant pas de pollen, il n’est pas étonnant de constater que plusieurs équipes de recherches aient observé une plus courte longévité chez les abeilles ne consommant pas ou pas assez de pollen, ou consommant un pollen moins riche en protéines (Di Pasquale et al. 2016; Frias, Barbosa, et Lourenço 2016; Schmidt, Thoenes, et Levin 1987; Scofield et Mattila 2015; Wang et al. 2014). Cet impact délétère sur la survie, de même que sur le poids des abeilles, peut même être visible chez des abeilles adultes ayant vécu dans des conditions de manque de pollen à l’état de larves seulement, démontrant qu’une mauvaise nutrition peut avoir des impacts à long terme sur la colonie (Scofield et Mattila 2015). De façon plus générale, van der Steen (2007) a

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observé une concentration en protéines de l’hémolymphe plus faible chez les abeilles de colonies à l’apport restreint en pollen. Également, le développement des glandes hypopharyngiennes, qui permettent la production de gelée par les abeilles nourrices, est réduit chez les abeilles consommant un pollen pauvre en protéines ou n’en consommant pas du tout ou pas assez (Di Pasquale et al. 2016; Di Pasquale et al. 2013). À l’échelle de la colonie, il a été prouvé que la production de couvain est réduite par un apport en pollen trop faible ou de mauvaise qualité (Girard, Chagnon, et Fournier 2012; Requier et al. 2017). Cet effet pourrait être dû, selon Girard, Chagnon, et Fournier (2012), non seulement au manque de nutriments lui-même mais aussi aux dépenses énergétiques supplémentaires encourues par les butineuses, qui dans des environnements peu favorables comme les monocultures, sont forcées à chercher de la nourriture diversifiée loin de la colonie. Ce dernier phénomène a d’ailleurs été observé par Steffan-Dewenter et Kuhn (2003) et Danner et al. (2017). Encore une fois, les conséquences négatives peuvent s’étaler dans le temps, Requier et al. (2017) ayant observé une chute des populations, une chute des réserves de miel et une plus grande mortalité saisonnière et hivernale plusieurs mois après la baisse de production de couvain.

Le statut nutritionnel des abeilles a également un effet important sur leur immunité, soit leur résistance aux pathogènes et parasites. Par exemple, la consommation de pollen, particulièrement d’un ensemble de pollens différents, augmente l’activité de la glucose oxydase, une enzyme essentielle à l’immunité sociale (Alaux et al. 2010). En effet, cette enzyme permet la synthèse d’acide gluconique et de peroxyde d’hydrogène à partir de glucose. Ces produits sont sécrétés par les abeilles dans les ressources de nourriture de la colonie et permettent de limiter la transmission de maladies grâce à leurs propriétés antiseptiques. Également, il a été prouvé que l’acide p-coumarique, une molécule présente dans la paroi des cellules de pollen, augmente l’expression de gènes menant à la synthèse de peptides antimicrobiens chez Apis mellifera (Mao, Schuler, et Berenbaum 2013). De façon plus générale, Di Pasquale et al. (2013) ont observé que les abeilles présentaient une tolérance plus élevée au pathogène Nosema ceranae si elles étaient soumises à une diète polyflorale comparativement à une diète monoflorale. Il se pourrait aussi que le parasite Varroa

destructor soit influencé par le statut nutritionnel d’Apis mellifera. Effectivement, Requier et

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colonies ayant subies une pénurie de pollen au printemps. Toutefois, il n’était pas possible d’affirmer avec certitude que l’augmentation de parasitisme soit réellement due à la malnutrition des abeilles et non simplement aux faibles populations à ce moment. À l’inverse, il est certain que le varroa lui-même affecte la nutrition de l’abeille, puisqu’il engendre une diminution du métabolisme des protéines ainsi qu’une baisse des concentrations de nutriments dans l’abeille (DeGrandi-Hoffman et Chen 2015).

Le comportement et les capacités cognitives des abeilles peuvent également être influencés par leur statut nutritionnel. Étant des insectes sociaux, le premier réflexe des ouvrières faisant face à une diminution significative des stocks de pollen est d’optimiser l’utilisation des nutriments disponibles pour le bien de la colonie. Ainsi, les plus jeunes larves, dans lesquelles moins de protéines et d’énergie ont été investies, peuvent être cannibalisées afin d’augmenter la quantité de protéines disponibles pour la colonie (Schmickl et Crailsheim 2001). Les plus vieilles larves, qui ont de plus grands besoins en protéines et représentent un plus grand investissement pour la colonie, se voient alors distribuer ces protéines supplémentaires par les nourrices. Elles sont également operculées de façon précoce afin de les soustraire à cette élimination de couvain (Schmickl et Crailsheim 2001). Cependant, malgré ces efforts, des larves qui sont élevées dans des conditions de carence en pollen n’ont pas une performance optimale une fois le stade adulte atteint, même si les conditions sont revenues à la normale à ce moment. Comme noté précédemment, ces abeilles peuvent être plus légères et présenter une longévité plus courte, mais leur comportement est aussi affecté (Scofield et Mattila 2015). En effet, elles butinent moins fréquemment et moins longtemps que leurs congénères élevées en conditions non limitantes, et leurs danses pour communiquer les sources de nourriture aux autres abeilles sont moins fréquentes et moins précises. Par conséquent, les effets d’une carence en pollen peuvent se faire ressentir sur une longue période de temps dans la colonie. Du côté cognitif, l’apprentissage, la navigation et la mémoire sont des fonctions très développées et essentielles chez les abeilles, particulièrement les butineuses. Cependant, même un faible dommage au système nerveux des abeilles peut grandement affecter l’efficacité du butinage et ainsi réduire de façon importante la performance de la colonie (Klein et al. 2017). La malnutrition fait partie des facteurs pouvant avoir des impacts négatifs sur le système nerveux. En effet, des abeilles en manque de nourriture démontrent des

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capacités d’apprentissage et de rétention de l’information moins bonnes (Jaumann, Scudelari, et Naug 2013). La qualité de la nourriture est aussi importante : comme mentionné plus haut, une diète déficitaire en oméga-3 est associée à de moindres capacités d’apprentissage (Arien et al. 2015).

Des carences alimentaires peuvent même provoquer une diminution de la résistance à certains pesticides chez A. mellifera. Selon Tosi et al. (2017), ces deux facteurs agiraient en synergie. Ainsi, les résultats de leur étude ont démontré qu’une exposition aux néonicotinoïdes combinée à une mauvaise nutrition réduit la survie des abeilles de façon plus importante que simplement l’effet additif des deux facteurs. De plus, Schmehl et al. (2014) ont observé une tolérance supérieure au chlorpyrifos, un des trois insecticides les plus fréquemment retrouvés dans les ruches, chez des abeilles nourries avec une diète de pollen, comparativement à celles nourries avec une diète de protéines de soya ou de sucrose seulement. Cette équipe de chercheurs a également constaté que l’expression de plusieurs gènes impliqués dans la détoxification des pesticides étaient stimulée par la consommation de pollen des abeilles. Conformément à cela, Mao, Schuler, et Berenbaum (2013) ont trouvé que l’acide p-coumarique, un composé présent principalement dans le pollen, induisait l’expression d’une grande variété de gènes de détoxification. L’ajout de ce composé à la diète des abeilles augmentait d’ailleurs la métabolisation du coumaphos, un acaricide communément utilisé pour traiter V. destructor, d’environ 60%.

1.8. Les solutions au manque de diversité et d’abondance florales : agir sur le paysage

La santé et la productivité des abeilles étant très affectées par une carence en pollen, il importe aux apiculteurs et aux autres producteurs agricoles de remédier à la situation. Une des solutions s’offrant à eux est la conservation et la réimplantation de ressources florales dans l’environnement des abeilles en milieu agricole. Bords de routes ou de champs, fossés, bandes riveraines, terres marginales et couloirs de services publics sont tous des aires semi-naturelles qui peuvent être améliorées pour le bien-être des abeilles domestiques et pollinisateurs sauvages (Decourtye, Mader, et Desneux 2010; Pollinator Partnership Canada

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2017). Mises ensemble, ces petites surfaces pourraient avoir un impact positif considérable, les bords de routes à eux seuls totalisant 4 millions d’hectares aux États-Unis (Forman et al. 2003). L’aménagement et la conservation d’habitats semi-naturels ont gagné en popularité au cours des dernières années, jusqu’à devenir un mouvement important en Amérique du Nord et en Europe. Aujourd’hui, de nombreuses politiques et programmes sont destinés à encourager les producteurs agricoles à adopter ces mesures (Decourtye, Mader, et Desneux 2010; Potts et al. 2011; Vaughn et Skinner 2008). Au Québec plus précisément, c’est par le biais du programme Prime-Vert que les producteurs peuvent obtenir du financement pour ce type de projet (Ministère de l'Agriculture des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec 2013). De plus, de nombreux guides de plantation et d’aménagement d’aires de butinage sont disponibles. Aux États-Unis par exemple, la Xerces Society for Invertebrate Conservation (https://xerces.org/) offre des listes de plantes bénéfiques pour les pollinisateurs par région, en plus de recommander des mélanges spécifiques de semences et des pépinières pour se les procurer. L’organisation à but non lucratif Pollinator Partnership (http://pollinator.org/) offre aussi des guides de plantation pour pollinisateurs par écorégions des États-Unis. La branche canadienne de cet organisme a aussi élaboré un guide d’aménagement d'aires de butinage pour les abeilles domestiques au Canada, qui regroupe des conseils pour conserver, maintenir et implanter ces aires (Pollinator Partnership Canada 2017). Au Québec, le Centre de référence en agriculture et agroalimentaire du Québec (CRAAQ; https://www.craaq.qc.ca/) a élaboré un guide d’identification des insectes pollinisateurs et des plantes mellifères, qui prodigue aussi des conseils pour favoriser la présence et la santé des pollinisateurs (Moisan-De Serres, Bourgouin, et Lebeau 2014).

Une aire de butinage devrait être composée d’un mélange diversifié de plantes à floraison abondante, attirante, nutritive et étalée tout au long de la saison (Carreck et Williams 2002; Pollinator Partnership Canada 2017). Les plantes indigènes sont les plus recommandées, car elles sont adaptées au climat de la région et ont une meilleure chance de bien s’établir et de persister au fil des ans avec peu ou pas d’interventions et d’intrants. Dans des haies aménagées composées d’un mélange de buissons et de plantes herbacées, Morandin et Kremen (2013a) ont d’ailleurs constaté que les abeilles domestiques visitaient davantage les plantes indigènes une fois les haies matures. Le mélange d’espèces idéal pour un

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aménagement donné sera différent selon la région, comme l’ont démontré Williams et al. (2015). Vaudo et al. (2015) suggèrent en plus de choisir des espèces florales qui suivent les besoins nutritionnels des abeilles tout au long de la saison. Les aménagements devraient par exemple inclure des plantes qui produisent un pollen nutritif et abondant tôt au printemps pour maximiser la production de couvain, et des plantes produisant beaucoup de nectar concentré à l’automne pour l’accumulation de réserves avant l’hiver. Pour les mois d’été, des espèces aux qualités nutritives complémentaires à celles des plantes agricoles cultivées devraient être choisies.

Une des inquiétudes qui freinent l’adoption des aménagements fleuris par les producteurs agricoles est la compétition possible de ces aménagements avec la culture à polliniser. Or, plusieurs articles démontrent que les aménagements fleuris n’entraînent pas une diminution des visites d’abeilles domestiques dans les cultures. Cela a été observé entre autres au Michigan près de plantations de bleuets en corymbe (Blaauw et Isaacs 2014), en Californie près de vergers d’amandiers (Lundin et al. 2017) et de champs de tomates (Morandin et Kremen 2013b) ainsi qu’en Afrique du Sud dans des plantations de tournesols (Carvalheiro et al. 2011).

Quant à l’impact des aménagements fleuris sur la santé des colonies, étrangement, les articles à ce sujet sont très limités malgré les nombreuses recommandations et politiques à leur égard. Néanmoins, des résultats positifs semblent avoir été obtenus. Decourtye, Odoux, et Cluzeau-Moulay (2008) ont par exemple observé que les colonies ayant accès à des terres en jachère fleuries conservaient un meilleur poids et une plus grande surface de couvain au cours de la saison que les colonies n’y ayant pas accès. Alaux et al. (2017) ont également observé un impact positif des aménagements floraux sur la surface de couvain des colonies. De plus, les quantités d’aménagements floraux et d’habitats semi-naturels dans un rayon de 1,5 km autour des ruchers avaient un impact positif significatif sur la masse des corps gras et l’expression de la vitellogénine chez les abeilles. Cette dernière variable en particulier menait à une meilleure survie à l’hiver des colonies. L’effet des habitats semi-naturels était toutefois plus important que celui des aménagements, démontrant l’importance de soutenir la conservation de ces milieux. L’équipe de Smart, Pettis, Euliss, et al. (2016), quant à eux, n’ont pas fait

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cette distinction et ont considéré à la fois les bandes fleuries aménagées et les fossés, pâturages, jachères et bords de chemin comme des « ressources florales non cultivées ». La surface de ces ressources dans un rayon de 3,2 km autour des ruches était ce qui prédisait le mieux la survie à l’hiver et la production de miel des colonies, une plus grande surface impactant positivement ces deux variables. Dans un article faisant suite à celui-ci et utilisant les mêmes ruchers, l’équipe de recherche a aussi démontré que les sites les plus riches en ressources florales non cultivées abritaient les abeilles aux meilleures paramètres nutritionnels, soit les taux de vitellogénine, de lipides et d’ILP-1 (insulin-like peptide 1), et la plus faible expression des peptides antimicrobiens defensine1 et lysozyme2 (Smart, Pettis, Rice, et al. 2016). Un haut taux de vitellogénine et une faible expression des peptides antimicrobiens étaient les facteurs expliquant le mieux la plus grande survie à l’hiver des colonies.

1.9. Les solutions au manque de diversité et d’abondance florales : agir sur l’abeille

Bien que la conservation et la réimplantation de ressources florales soient probablement les avenues les plus durables pour remédier aux carences nutritives des abeilles, elle n’est pas nécessairement la plus simple. En effet, l’apiculteur ne possède pas nécessairement toutes les terres sur lesquelles sont placées ses ruches et n’a donc pas toujours le contrôle sur la qualité de l’environnement des abeilles. Il existe néanmoins une solution à laquelle les apiculteurs eux-mêmes peuvent avoir recours : les suppléments alimentaires.

1.9.1. Les suppléments alimentaires utilisés en apiculture

Il existe une variété de suppléments alimentaires utilisés en apiculture afin de pallier un manque de nourriture dans l’environnement des abeilles. Les principaux utilisés au Canada et au Québec sont le sirop de sucre, qui sert de source de glucides, et les compléments et substituts de pollen, qui sont des suppléments de protéines (Eccles et al. 2016).

Le sirop de sucre est habituellement offert aux colonies au printemps ainsi qu’à l’automne. Ce sirop peut être composé d’une part d’eau pour une ou deux parts de sucre blanc raffiné ou saccharose pur. Un sirop moins concentré est habituellement offert au printemps et un plus

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concentré à l’automne (Eccles et al. 2016). Il faut éviter l’emploi de sucre brut, de sucre brun ou de mélasse, car ces derniers peuvent causer la dysenterie chez l’abeille (Eccles et al. 2016). Le sirop de maïs à haute teneur en fructose n’est pas un choix idéal, car il peut contenir des quantités élevées d’hydroxyméthylfurfural, un composé toxique qui réduit la longévité des abeilles (Brodschneider et Crailsheim 2010). Au début du printemps, le sirop de saccharose stimule la colonie alors que les ressources florales peuvent être rares dans l’environnement (Centre de référence en agriculture et agroalimentaire du Québec 2011; Eccles et al. 2016). Il est toutefois important de retirer ce sirop une fois que la floraison est assez avancée, car si une récolte de miel printanier est prévue, on veut éviter d’extraire du sirop de saccharose des alvéoles au lieu du miel (Centre de référence en agriculture et agroalimentaire du Québec 2011). Pour ces mêmes raisons, il est préférable d’éviter de donner du sirop pendant la saison. Le nourrissage d’automne commence au Québec vers la mi-septembre, après le retrait des hausses à miel. Supplémenter en sirop de saccharose à cette période laisse le temps aux abeilles de faire leurs réserves corporelles et de procéder au stockage et à la maturation du sirop en préparation à l’hiver (Centre de référence en agriculture et agroalimentaire du Québec 2011). Ce nourrissage cesse quand la température atteint 10°C ou moins, soit de la mi-octobre à la fin octobre dépendamment des régions au Québec (Centre de référence en agriculture et agroalimentaire du Québec 2011; Eccles et al. 2016). Pour dispenser le sirop aux colonies, diverses méthodes peuvent être utilisées : seaux inversés, cadres nourrisseurs, nourrisseurs Boardman, nourrisseurs de surface style Miller ou barils (Eccles et al. 2016). Les nourrisseurs qui se placent sur le dessus de la ruche et les seaux inversés sont les plus recommandés, puisqu’ils contiennent beaucoup de sirop et les abeilles peuvent y avoir accès sans quitter la colonie. Au contraire, les nourrisseurs à libre accès comme les barils augmentent les risques de pillage et de propagation de maladies, et ne permettent pas de maintenir le sirop à la température de la ruche (Centre de référence en agriculture et agroalimentaire du Québec 2011; Eccles et al. 2016).

Les suppléments protéiques peuvent être offerts aux colonies d’abeilles au printemps ainsi qu’en période de pénurie de fleurs pendant la saison (Brodschneider et Crailsheim 2010; Centre de référence en agriculture et agroalimentaire du Québec 2011; Eccles et al. 2016). Tout comme pour le sirop de saccharose, l’apport de suppléments protéiques au printemps

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assure la subsistance de la colonie alors que les ressources florales sont peu abondantes. Il stimule également la production de couvain, ce qui aide au démarrage des colonies au printemps afin d’augmenter rapidement les populations des colonies en vue de la pollinisation commerciale de certaines cultures à floraison hâtive. Il n’est pas recommandé de fournir des suppléments protéiques à l’automne, car cette pratique prolonge l’élevage de couvain et ne favorise pas la préparation à l’hiver des colonies (Brodschneider et Crailsheim 2010).

Il existe deux catégories de suppléments protéiques qui peuvent être offerts aux colonies d’abeilles domestiques, soit les compléments de pollen et les substituts de pollen. Comme leurs noms le suggèrent, les compléments sont des produits qui contiennent une certaine quantité de pollen, alors que les substituts n’en contiennent pas (Brodschneider et Crailsheim 2010; Eccles et al. 2016). Les sources de protéines de ces produits, outre le pollen dans le cas des compléments, peuvent inclure la farine de soya, la levure de bière, la poudre de lait écrémée, la poudre d’œufs et bien d’autres. Les compléments sont généralement plus attractifs que les substituts de pollen, car le pollen contient des composés appétants pour les abeilles (Hopkins, Jevans, et Boch 1969; Schmidt et Hanna 2006). L’apiculteur peut acheter ou faire lui-même ses suppléments protéiques. Dans tous les cas, il devra s’assurer que les compléments contiennent au moins 5% de pollen (Eccles et al. 2016). Ce pollen devra également être exempt de pathogènes (il peut être irradié à cette fin), avoir un taux de protéines d’environ 20% et contenir les 10 acides aminés essentiels aux abeilles (Brodschneider et Crailsheim 2010; Eccles et al. 2016). Ces deux derniers critères doivent aussi évidemment être respectés pour les suppléments en entiers, qu’ils soient des compléments ou des substituts de pollen. Une production de couvain optimale serait d’ailleurs atteinte avec une diète contenant de 23 à 30% de protéines (Herbert, Shimanuki, et Caron 1977). Du côté des sources de protéines autres que le pollen, la levure de bière est celle qui se rapproche le plus du pollen en termes de contenu en protéines. La farine de soya est également riche en protéines mais est moins attirante pour les abeilles, possiblement à cause des sucres toxiques qu’elle peut contenir (Barker 1977; Eccles et al. 2016). Les abeilles sont toutefois en mesure de réduire la toxicité de ces sucres en les diluant avec du sirop de

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saccharose. Enfin, le lactose étant également toxique pour les abeilles, si de la poudre de lait écrémé est utilisée dans la confection d’un supplément, elle doit absolument en être exempte.

En ce qui a trait à l’approvisionnement des colonies, les suppléments protéiques peuvent être dispensés sous deux formes, soit en poudre ou en galettes. Les galettes sont formées à partir du supplément en poudre, auquel on ajoute du sirop de saccharose (Centre de référence en agriculture et agroalimentaire du Québec 2011; Eccles et al. 2016). Le mélange est ensuite aplati entre deux feuilles de papier ciré percées, pour éviter que la galette s’assèche mais pour en permettre l’accès aux abeilles (Eccles et al. 2016). Alors que les suppléments en poudre sont fournis par un dispensateur commun pour tout le rucher, les galettes sont déposées sur le dessus des cadres de couvain de chaque ruche. Il est donc généralement préférable d’utiliser les galettes pour éviter la propagation de maladies entre les ruches, mais aussi car les galettes sont plus attirantes et peuvent être accessibles même par mauvais temps (Centre de référence en agriculture et agroalimentaire du Québec 2011; Eccles et al. 2016).

1.9.2. Les impacts de l’utilisation des suppléments protéiques

Bien que l’utilisation de suppléments protéiques soit une pratique courante en apiculture, l’effet de leur emploi sur les abeilles et leur colonie n’est pas complètement élucidé. Effectivement, ce sujet est relativement peu abordé dans la littérature récente, et de manières diverses. Tests en laboratoire ou sur le terrain, abeilles nourries à différents moments de l’année et plus ou moins longtemps, compléments ou substituts de pollen, produits commerciaux ou maison, variables réponses différentes, traitements témoins variés…il est parfois difficile de comparer les études entre elles et d’en tirer des conclusions claires.

Les études de laboratoire ne sont, en général, pas les plus adéquates pour évaluer la pertinence de l’utilisation des suppléments. Leur principale faiblesse est qu’elles ne représentent pas les conditions nutritionnelles réelles dans lesquelles les abeilles sont placées naturellement. Par exemple, l’alimentation des traitements témoins est souvent réduite à seulement du sirop de sucre, alors que les autres traitements ont accès à des glucides et des protéines. Il n’est alors pas surprenant de constater que les abeilles témoins performent moins bien que celles supplémentées (Alqarni 2006; De Jong et al. 2009; DeGrandi-Hoffman et al. 2010; Morais

Figure

Fig. 1: Least square means of weight of supplement consumed per day per hive ± 95% CI  for each treatment and site in 2016
Fig.  2:  Mean  proportion  of  foragers  bringing  back  pollen  to  the  hive  ±  95%  CI  for  each  treatment in 2016
Fig. 3: Least square means of protein content of nurse honey bees (in mg of protein per g of  honey  bees)  ±  95%  CI,  for  each  treatment  in  2016
Fig. 4: Kaplan-Meier curves for honey bee survival in (left) 2016 and (right) 2017. In both  2016 and 2017, the honey bees from unsupplemented colonies lived longer than honey bees  from  colonies  fed  the  pollen-enriched  supplement  (PES)  (2016:  p  =
+2

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