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Les films multicouches

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Comme indiqué auparavant (1.1.2.2.4), le design de nouveau biomatériaux s’intéresse aux propriétés de surface de ces derniers. En effet, ces propriétés de surface que sont la rigidité ou la topographie influencent l’intégration des biomatériaux dans les tissus et les évènements cellulaires associés (adhérence, migration, etc.). Si les hydrogels cités précédemment présentent d’importantes possibilités de modulation de leur rigidité dans le but d’induire une réaction biologique donnée, ils sont beaucoup trop épais pour couvrir les biomatériaux utilisés classiquement comme les métaux, les céramiques et les polymères (1.1). Face à la nécessité de films fins permettant un contrôle à l’échelle du nanomètre de l’épaisseur de ce dernier, des films très fins ont été développés comme les films Langmuir–Blodgett ou les monocouches auto- assemblées (SAM, en anglais, Self-Assembly Monoloyer). Cependant ces films présentent de nombreuses limitations restreignant leurs usages dans le domaine biomédical. En effet, les films de Langmuir-Blodgett requièrent un long temps de préparation et sont limités dans les biomolécules qui les composent alors que les SAM sont limités en termes de substrats (or, etc.) et de stabilité en conditions physiologiques (Tang, Wang et al. 2006, Boudou, Crouzier et al. 2010). Une nouvelle technique introduite dans les années 1990s par Decher va révolutionner ce domaine : les films multicouches (Figure 1-8).

La construction des films multicouches (LbL, en anglais, Layer-by-Layer) est basée sur l’exposition succes- sive d’un substrat donné à des polymères chargés positivement et négativement qui s’auto-assemblent pour former une bicouche de quelques nanomètres selon le couple de polymères utilisés. Ces étapes

d’auto-assemblage sont espacées par des étapes de rinçage. Le processus peut être répété un grand nombre de fois permettant une régulation de l’ordre du nanomètre de l’épaisseur du film. Généralement appliqués à des systèmes polyélectrolyte/polyélectrolyte, les LbL forment alors des films multicouches de polyélectrolytes (PEM, en anglais PolyElectrolytes Multilayers). Si l’auto-assemblage de ces films repose principalement sur les interactions électrostatiques entre des polymères chargés différemment, d’autres interactions comme les liaisons hydrogènes ou les transferts de charges entrent en jeu (Tang, Wang et al. 2006, Richardson, Björnmalm et al. 2015). Plusieurs techniques permettent de construire (1.4.2) et de mo- duler la rigidité (1.4.3) des PEM obtenus.

Ces films ont attiré l’attention et ouvert la voie à de nouvelles applications biomédicales en raison de leur facilité de préparation, leur polyvalence, leur capacité à incorporer différents types de molécules bioac- tives, du contrôle précis de leur structure et surtout de leur résistance aux conditions physiologiques et plus important encore, sont capables de couvrir des matériaux non planaires comme des fibres ou des parti- cules.

Figure 1-8|Assemblage de films multicouches LbL. Les films LbL peuvent être construits sur une variété importante de formes, de

tailles et de porosité de substrats. Les multicouches sont formés de matériels synthétiques ou biologiques comme par exemples les polyélectrolytes (les films sont alors appelés films multicouches de polyélectrolytes), de protéines, de lipides, de nanoparticules etc. La construction des films se fait par le dépôt d’une première couche d’un matériel suivit par une seconde couche d’un autre maté- riel formant une bicouche de quelques nanomètres selon la nature des matériaux utilisés. Le processus est répété un certain nombre de fois jusqu’à l’obtention d’un film ayant l’épaisseur souhaitée (de quelques nanomètres à plusieurs micromètres). Figure

adaptée de (Richardson, Björnmalm et al. 2015).

1.4.1. Focus sur les films multicouches de polyélectrolytes

Les films multicouches de polyélectrolytes sont des films LbL composés de polymères portant une charge positive ou négative en solution, les polyélectrolytes. Il existent deux grand types de PEM : les films à crois- sance exponentielle comme les films (PLL/HA)n et les films à croissance linéaire comme les films (PSS/PAH)n

(Porcel, Lavalle et al. 2006).

Outre le fait qu’ils soient faciles à préparer et stables en conditions physiologiques, les PEM présentent également une caractéristique commune à l’environnement cellulaire : une organisation spontanée (Tang, Wang et al. 2006). Ces différentes caractéristiques en font des éléments très utilisés en biologie, notam- ment dans la caractérisation des effets de la rigidité sur le comportement cellulaire (Richert, Lavalle et al. 2002, Boudou, Crouzier et al. 2011), en ingénierie tissulaire et comme traitement de surface (enduction) de biomatériaux classiques.

1.4.2. Préparation des films multicouches de polyélectrolytes

Quelle que soit la méthode de préparation choisie : par immersion, centrifugation, pulvérisation, électro- magnétique, etc. , le principe de préparation des films LbL reste le même.

1.4.2.1. Principe de construction des films multicouches

Le principe de construction LbL introduit par Decher repose principalement sur les interactions électrosta- tiques entre un polymère chargé positivement, un polycation et un polymère chargé négativement, un polyanion (Decher 1997). Pour construire un film LbL à la surface d’un matériau, une propriété bien connue de ces derniers est utilisée. En effet, de nombreuses surfaces comme celles des métaux, des silicones ou encore du verre sont chargées négativement en solution en raison de l’oxydation de surface et de l’hydrolyse. Le matériau est exposé au contact d’une solution de polycations. Des liaisons électrostatiques vont se former entre les charges négatives présentent à la surface du matériau et les charges positives du polycation. Ce dernier est ensuite rincé pour enlever les polycations qui n’ont pas réagi. L’ensemble est ensuite mis au contact avec une solution de polyanions qui vont réagir avec les polycations présents à la surface du matériau avant d’être à nouveau rincé, etc. (Figure 1-9) (Tang, Wang et al. 2006).

Figure 1-9|Principe de construction des LbL introduit par Decher. En solution, la surface de nombreux matériaux est chargée

négativement, principalement en raison de l’hydrolyse et de l’oxydation de surface. Cette charge négative va permettre des inte- ractions électrostatiques avec un polymère chargé positivement pour former une première couche à la surface du matériau. Après rinçage, les polycations en surface vont réagir avec des polyanions afin de former une seconde couche. Le cycle se répète un certain nombre de fois jusqu’à l’obtention d’un film multicouche d’une épaisseur comprise entre quelques nanomètres et quelques mi- crons. Figure adaptée de (Tang, Wang et al. 2006)

1.4.2.2. Méthodes de préparation

De nombreuses méthodes de préparations des films LbL reposant sur le principe décrit ci-dessus exis- tent (Figure 1-10 a.) : construction par immersion (dipcoating), par centrifugation (spin coating), par pulvé- risation (spray coating), assemblage électromagnétique, assemblage fluidique ou encore électrodéposition (Richardson, Björnmalm et al. 2015).

La technique de préparation des films par immersion ou dip coating est la technique la plus utilisée. Elle se fait généralement de manière manuelle : le substrat est plongé dans une solution de polyélectrolytes, puis rincé, pour supprimer les espèces chimiques n’ayant pas réagi. Les films obtenus par cette méthode sont relativement épais, homogène et les différentes couches sont interpénétrées. La technique de préparation par spin coating ou centrifugation permet d’obtenir des films plus fins, plus organisés et plus stratifiés que par immersion en raison des forces de centrifugation, qui permettent de retirer les polyélectrolytes faible- ment liés et induisent une déshydratation du film. Cette technique a l’avantage d’être plus rapide que la construction par immersion (30 secondes par couches en moyenne contre plusieurs minutes dans le cas de l’immersion) mais est limitée : en effet, elle ne permet de couvrir que très difficilement des surfaces non planes (Figure 1-10 b.).

Figure 1-10|Principales méthodes de construction de films LbL. De nombreuses méthodes de constructions des films LbL ont été

développées ces 20 dernières années ; les plus utilisées sont les méthodes de construction par immersion (dip coating), centrifuga- tion (spin coating), pulvérisation (spray coating), assemblage électromagnétique ou encore fluidique (a.). Les films construits par centrifugation (spin coating) sont plus fins, mous et stratifiés que les films construits par immersion (dip coating) mais limités à des surfaces planes (b.). Adaptée de (Richardson, Björnmalm et al. 2015)

La préparation par spray coating consiste à déposer de manière séquentielle les polymères sur un substrat sous la forme d’aérosols. Cette technique, très rapide (environ 6 secondes par couche) permet d’obtenir des films très organisés. Elle permet également de couvrir de grande surface et des surfaces de forme va- riée même si le traitement de surface complexe continue de se faire par immersion. Les méthodes de pré- paration électromagnétique et fluidique sont plus compliquées à mettre en œuvre, car elles nécessitent un outillage spécifique. Elles restent toutefois très intéressantes, car elles offrent de nouvelles approches des films LbL (Richardson, Björnmalm et al. 2015).

1.4.3. Modulation de la rigidité des films multicouches

La modulation de la rigidité de films LbL peut se faire lors de la formation des films en jouant sur la nature des polymères utilisés, leur concentration, le pH de la solution, les forces ioniques ou encore l’incorporation de nanoparticules. La réticulation, qui permet également de rendre les films plus stables,

peut également se faire après la construction des films à l’aide d’un stimulus physique (traitement UV, cha- leur, voltamétrie cyclique, etc.), chimique (réaction EDC/NHS, glutaraldéhydes, disulfides, etc.) ou encore l’ajout de couches de polyélectrolytes synthétiques.

1.4.3.1. Réticulation chimique par réaction EDC/NHS

La réticulation des PEM se fait généralement après construction par réticulation chimique. La réaction chi- mique la plus connue repose sur l’utilisation de [1-éthyl-3-(3-dimethyl aminopropyl) carbodiimide] (EDC). Cette réaction, très utilisée pour lier de manière covalente des protéines à la surface, permet de former des liaisons peptidiques entre les groupes carboxyles de l’acide hyaluronique et les groupes amines de la poly- L-lysine (PLL). L’utilisation de N-hydroxysuccinimide (NHS) permet de favoriser cette réaction de réticula- tion (Richert, Boulmedais et al. 2004, Rydzek, Schaaf et al. 2012).

Afin de réticuler le film, l’EDC réagit avec un groupe carboxyle du HA et l’active. Ce groupe carboxyle actif est ensuite converti en ester actif grâce au sulfo-NHS. Cet ester va ensuite réagir avec un groupe amine de la PLL pour former la liaison peptidique à l’origine de la réticulation du film (Figure 1-11 a.) (Richert, Boulmedais et al. 2004). Le module de Young des films réticulés, mesuré par nanoindentation à AFM, aug- mente en fonction de la concentration d’EDC (Figure 1-11 b.) (Boudou, Crouzier et al. 2010).

Figure 1-11|Modulation de la rigidité par réaction EDC/NHS. L’EDC ([1-éthyl-3-(3-dimethyl aminopropyl) carbodiimide]) permet la

formation de liaison peptique entre l’acide hyaluronique et la poly-L-lysine. L’EDC active les groupes hydroxyles de l’acide hyaluro- nique. Le NHS (N-hydroxysuccinimide) favorise cette réaction de réticulation en transformant les groupes carboxyles actifs en es- ters. C’est ces esters qui vont former des liaisons peptidiques avec les groupes amines de la poly-L-lysine (a.). Le contrôle de la rigidité des films réticulés se fait en variant la concentration d’EDC utilisée. Plus la concentration d’EDC utilisée est importante, plus les films sont rigides (b.). Adaptée de (Boudou, Crouzier et al. 2010, Rydzek, Schaaf et al. 2012).

1.4.3.2. Ajout d’un dépôt de polyélectrolytes synthétiques

La modulation des films multicouches de polyélectrolytes à base de poly-L-lysine(PLL) et d’acide hyaluro- nique (HA) se fait généralement par réticulation chimique de type EDC/NHS. Cependant, une autre mé- thode de rigidification des films a été développée par Senger et al. Cette méthode consiste à ajouter un nombre n de bicouches à base de polymères synthétiques, le poly(sodium 4-styrène sulfonate) (PSS) et poly(allylamine hydro-chloride) (PAH) (Francius, Hemmerle et al. 2007). Le film PEM obtenu est alors orga- nisé sous la forme (PLL/HA)m-(PSS/PAH)n (Figure 1-12 a. et b.). Il a été démontré qu’une augmentation du

nombre de bicouches n pour un nombre de bicouches m augmentait le module de Young et la viscoélastici- té des films. Cette augmentation de rigidité est sans doute liée à la pénétration et la diffusion de PSS (et peut être de PAH) dans les couches de PLL/HA qui altèrent les propriétés mécaniques du film (Figure 1-12 c.).

Figure 1-12|Modulation de la rigidité par ajout de bicouches de polyélectrolytes synthétiques. Les films obtenus ont une organi-

sation de type (PLL/HA)m-(PSS/PAH)n (a. et b.). L’augmentation de rigidité des films s’obtient en fonction du nombre n de bicouches

de PSS/PAH appliquées en surface de film (PLL/HA)m. Adaptée de (Francius, Hemmerle et al. 2007).

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