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ÉVALUATION DES RISQUES ET L’AMPLIFICATION SOCIALE

4.1 Les facteurs psychologiques associés au risque: le terrorisme

La capacité de nos répondants de converser sur la question du terrorisme montre qu‘il ne s‘agit pas d‘une préoccupation introduite par notre questionnement. La plupart des policiers étaient en mesure de tenir un discours détaillé sur le sujet, en plus de démontrer une certaine fierté associée au partage de leur savoir. Bien qu‘ils aient été en mesure de discuter des différents groupes et idéologies terroristes ainsi que des tactiques employées, il en ressort qu‘objectivement leur connaissance sur le sujet reste superficielle et souvent erronée. Par contre, ce manque de formation et d‘information sur le terrorisme n‘empêche

pas les policiers de se considérer plus avertis que les citoyens. Plusieurs policiers vont même jusqu‘à critiquer l‘ignorance de la population générale. Si les gens perçoivent le terrorisme comme un phénomène flou et distant, c‘est que la « plèbe », pour reprendre les mots d‘un participant, n‘est pas bien informée sur la réalité de la menace. Ce discours donne l‘impression que les policiers perçoivent la menace comme étant réelle, mais croient être les seuls capables de la percevoir, parce que les citoyens seraient trop ignorants, préférant plutôt imaginer que ça se passe ailleurs. Quant à eux, les policiers insistent pour dire qu‘ils ont une vision plus globale de la menace et qu‘ils n‘adhèrent pas aux stéréotypes du terrorisme. Par exemple, les policiers ne s‘arrêtent pas à l‘idée que le terroriste utilisera nécessairement un engin explosif, mentionnant une multitude d‘autres situations à considérer comme un attentat de type CBRN, un tireur actif ou même une prise d‘otage. La perception de posséder une connaissance supplémentaire sur le terrorisme semble sécuriser les policiers dans leur fonction et pourrait même aller jusqu‘à réduire leur perception du risque, car ils bénéficient d‘un sentiment de pouvoir sur la menace. Savoir, c‘est pouvoir!

En tout et pour tout, ce que nos répondants retiennent le plus est que la menace pourrait venir de n‘importe où, à n‘importe quel moment puisque le terroriste n‘a pas de visage. À l‘inverse, l‘absence de contrôle sur le phénomène terroriste et les capacités limitées de prévention de la menace causent un sentiment d‘impuissance chez les policiers. Ceux-ci trouvent que certaines particularités du réseau rendent la sécurité difficilement atteignable. Les policiers savent que la mission première du transport en commun est d‘être facilement accessible aux citoyens et ils comprennent que leurs stratégies de sécurisation habituelle ne peuvent pas être appliquées à l‘aveugle. Dans un environnement comme le métro de Montréal, certains outils ne peuvent être employés. Les répondants nous mentionnent la mise en place de détecteurs de métaux comme un exemple concret des mesures auxquels ils n‘ont pas accès en raison de la nécessité de fluidité du système. L‘accessibilité du réseau laisse donc la porte grande ouverte à une personne avec des intentions malveillantes. Qui plus est, avec la présence d‘une population flottante composée de citoyens qui n‘ont pas l‘habitude de penser au terrorisme, les policiers ont l‘impression de lutter contre un ennemi plutôt insouciant que malveillant. L‘exemple classique avancé par les policiers est l‘individu qui transporte une bombonne de propane dans le métro. Ils nous affirment que ce n‘est pas tant que cet individu est malveillant, il n‘est tout simplement pas conscient des risques et n‘a pas la même mentalité sécurité qu‘on les policiers. Similairement à

l‘expression « chercher une épingle dans une botte de foin », le nombre réduit de policiers disponibles dans le métro, combiné avec la quantité d‘usagers, semble favoriser l‘anonymat des usagers, qui peuvent passer plus inaperçus. L‘incapacité à être partout en même temps semble ajouter à ce sentiment d‘impuissance. La probabilité qu‘un policier soit au bon endroit au bon moment est relativement mince et découle d‘une variable hors de son contrôle: la chance. Aussi, les policiers nous informent qu‘ils trouvent leurs outils de travail désuets ou tout simplement inefficaces, comme l‘inaccessibilité à l‘équipement CBRN, les « zones grises » de communication et les caméras mal utilisées. Mais ce qui est l‘élément le plus révélateur du sentiment d‘impuissance des policiers est l‘idée qu‘un arrêt de service affecte leur capacité de déplacement. Ceci soulève une question fondamentale: comment les policiers de l‘Unité-Métro peuvent-ils se rendre sur les lieux d‘un incident si leur moyen de transport est bloqué en raison de ce même incident qui requiert leur présence? Chose intéressante, l‘absence de contrôle sur la menace et les capacités limitées de prévention et d‘intervention, désensibilisent les policiers vis-à-vis de la possibilité d‘une attaque sur le métro de Montréal. Leur perception du risque est atténuée par l‘idée que si des individus désirent commettre un attentat contre le métro de Montréal, ils ne pourront rien y faire. Les policiers choisissent plutôt d‘accepter leurs limites et de ne pas trop s‘en faire pour quelque chose sur lequel ils n‘ont aucun impact concret.

À la fois, nos répondants insistent également pour souligner que le Canada n‘est pas à risque d‘une attaque imminente en raison des différents facteurs de protection liés à la nature de la société canadienne. Est-ce là une forme de pensée magique? Lorsque les policiers mentionnent les différences entre le Canada et les autres pays récemment touchés par des attentats terroristes, ils donnent en effet l‘impression qu‘il n‘y a pas de risque immédiat. Le fait que les États-Unis, l‘Angleterre et l‘Espagne sont tous activement impliqués dans les guerres en Irak et en Afghanistan semble renforcer leur idée que le Canada est dans une catégorie à part. Le Canada serait spécial parce que ses militaires ne font pas la guerre: ils sont en mission de maintien de la paix.

Slovic (1987) propose un paradigme psychométrique qui met en relation deux caractéristiques qualitatives (la familiarité et le contrôle) qui seraient associées à la perception du risque. Selon cet auteur, plus les niveaux de familiarité et contrôle augmentent, plus la perception du risque sera réduite. En nous basant sur le discours des

policiers, nous avons trouvé des similarités avec ce paradigme. Même si dans notre étude nous avons utilisé les termes « connaissance » et « sentiment d‘impuissance » respectivement, les concepts s‘apparentent à ceux avancés par Slovic (1987). Toutefois, les résultats supposent une relation quelque peu différente puisque la perception du risque des policiers ne semble pas être influencée dans le même sens pour les deux facteurs. En ce qui concerne le concept de connaissance (ou familiarité) sur le terrorisme, nos résultats supportent l‘hypothèse de Slovic (1987). Ici, la perception d‘avoir une meilleure connaissance sur le sujet (qu‘elle soit réelle ou non) réduit la perception du risque des policiers. Par contre, lorsqu‘il est question du concept de contrôle, la perception du risque n‘est pas amplifiée par le sentiment d‘impuissance des policiers, plutôt ce sentiment est un élément qui désensibilise les policiers au risque terroriste. De son côté, Peretti-Watel (2006) ajoute l‘idée des mécanismes de justification qui expliquent pourquoi les individus prennent des risques malgré la connaissance de conséquences potentiellement néfastes. Dans le cadre de notre étude, nous avons trouvé que l‘« incapacité à s‘identifier aux victimes » est un mécanisme de justification qui réduit d‘autant plus la perception du risque qu‘ont les policiers vis-à-vis du terrorisme. Ainsi, nous avons trouvé que les facteurs psychologiques et les mécanismes de justifications proposés par Slovic (1987) et Peretti- Watel (2006) viennent atténuer la perception que les policiers se font de la menace terroriste.