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ÉVALUATION DES RISQUES ET L’AMPLIFICATION SOCIALE

4.5 Les facteurs environnementaux: le réseau du transport en commun

Les données recueillies nous permettent d‘affirmer qu‘en l‘absence d‘attaques terroristes sur le métro de Montréal, les policiers de l‘Unité-Métro sont plutôt préoccupés par d‘autres crimes plus fréquents. À ce sujet, les policiers mentionnent qu‘un des problèmes de la police en général, c‘est que le quotidien est bien rodé, mais lorsqu‘il est question

d‘incidents majeurs, c‘est plus problématique. Nous avons remarqué que les policiers sont désensibilisés face à certaines situations et plus vigilants par rapport à d‘autres. Par exemple, puisque le quotidien n‘apporte pas d‘attentats terroristes, les policiers seront plus vigilants vis-à-vis d‘autres phénomènes comme les voies de fait, la vente de stupéfiant et les attroupements de jeunes. Or, le contact avec le terrain et les mesures de sécurité créent ce que les policiers appellent un « blocage psychologique » (ou une carapace), qui leur permet de faire face à la criminalité tout en maintenant le niveau d‘alerte nécessaire pour lutter contre la criminalité. En ce qui concerne le travail quotidien des policiers, celui-ci comprend une part élevée d‘inconnu, ainsi, les policiers semblent être mieux disposés pour faire à l‘inconnu de la menace terroriste. À cet effet, les policiers acceptent cette particularité de leur travail, l‘utilisant plutôt pour demeurer prêts à tous et maintenir leur vigilance à un niveau convenable. De plus, même si le taux de criminalité est faible, les policiers sont en contact fréquent avec la criminalité et les mesures de sécurité. Toutefois, cela ne semble pas causer une peur démesurée, au contraire, la perception du risque est grandement diminuée.

De manière générale les facteurs environnementaux comme la composition ethnique, les conditions socio-économiques et le taux de criminalité sont considérés comme des variables associées au processus décisionnel et à la perception du risque. D‘un côté, Taylor et Shumaker (1990) affirment que les individus qui sont exposés à un environnement à risque élevé s‘adapteront à cet environnement et donc auront une perception du risque réduite. Dans cette perspective, Mitchell (2005) ajoute que plus la fréquence d‘exposition et le degré de sécurité augmentent, plus il est probable que l‘individu s‘adapte et que sa perception du risque soit diminuée. Inversement, la notion de désadaptation suggère que les individus impliqués dans le processus de sécurité auraient une perception du risque plus élevée puisqu‘ils seraient plus conscients de la menace que les citoyens non impliqués. Le concept de désadaptation se fonde sur l‘idée que le contact fréquent avec des mesures de sécurité serait un rappel du danger potentiel. Tarr et coll. (2005) concluent lorsque les gens ont fait face à un événement tragique, ils choisissent plutôt d‘en faire abstraction et de reprendre les activités quotidiennes afin de gérer le stress associé. Dans ce sens, nos résultats démontrent que les policiers de l‘Unité-Métro sont à la fois conscients et désensibilisés face à la criminalité en raison de leur contact avec le terrain. Les policiers ne perçoivent pas la menace terroriste comme une préoccupation première, car ils n‘ont pas de

contact ce phénomène, ceci au même titre que l‘absence de contact entre les citoyens et les mesures de sécurité réduit leur perception du risque criminel. À cet effet, d‘autres phénomènes, tels que les vols et le flânage dans le métro, ne doivent pas être oubliés, car, bien que les conséquences de ces gestes soient d‘un registre moins élevé, sa fréquence élevée en justifie la priorité quotidienne. Par contre, il arrive aussi que les policiers adoptent des stratégies de justification et de protection qui minimisent la perception du risque. Nos répondants soulignent que ces stratégies sont nécessaires pour leur permettre d‘effectuer leurs tâches quotidiennes. Ainsi, afin d‘échapper à la paranoïa, les policiers évitent de penser à la menace terroriste et dirigent plutôt leur attention vers la criminalité sur laquelle ils ont l‘impression d‘avoir un pouvoir concret. Toutefois, la vigilance reste de mise.

Bref, ce qui ressort principalement de nos résultats c‘est que les policiers développent une perception du risque qui leur est propre. En général, ils ont une attitude pragmatique qui leur permet de relativiser les situations et de décider lesquelles nécessitent une intervention de leur part. Bien que les policiers ne conçoivent pas le risque de la même manière que les gestionnaires, la présence de l‘Unité-Métro demeure un élément important de production de la sécurité sur le terrain. Ce qui reste à comprendre c‘est l‘impact des perceptions du risque sur la production et la gestion de la sécurité dans le transport en commun de Montréal.

Dans la dernière décennie, ou plus précisément depuis les attentats terroristes du 11 septembre 2001, l‘attention médiatique dépeint la menace terroriste comme étant omniprésente dans tout l‘Occident. Les événements tragiques qui ont eu lieu à Madrid en 2004 à Londres en 2005 ont éveillé la conscience populaire et ont semé la peur dans l‘esprit des gens. L‘absence de revendications au profit d‘un message symbolique non écrit n‘a fait qu‘ajouter à ce phénomène. Mondialement, les terroristes se sont surtout attaqués aux infrastructures de transport (trains, autobus, avions, terminaux) et assez peu aux autres types d‘infrastructures. Le Canada, bien qu‘ayant été largement épargné par de telles attaques, a néanmoins adopté une série de mesures de prévention et de répression du terrorisme, en partie pour se conformer aux activités de ses partenaires économiques et politiques. Une proportion importante de ces mesures de sécurité a eu pour objet les services de transport en commun des grands centres urbains. Ainsi, même si nous savons que la fréquence d‘attaque terroriste est objectivement très faible, c‘est la perception subjective de ce nouveau risque qui crée une peur et un sentiment d‘insécurité chez les citoyens. Pour les policiers, la perception du risque découle plutôt de leur expérience. Bien que plusieurs auteurs se soient penchés sur la question de la perception du risque auprès des citoyens, assez peu d‘études ont porté sur la perception du risque chez les policiers de première ligne, et encore moins sur le système de transport en commun. De plus, dans la littérature, la perception du risque a aussi été abordée pour comprendre la perception des gestionnaires et des experts du risque. Compte tenu du fait que les terroristes utilisent la peur comme tactique et qu‘ils s‘en prennent aux infrastructures essentielles, il était important de comprendre comment les acteurs, œuvrant dans le domaine de la sécurité, conçoivent le risque d‘une attaque terroriste.

La présente étude voulait connaître les perceptions des policiers vis-à-vis du terrorisme. Il ressort que sur cette question les policiers de l‘Unité-Métro ont une connaissance relativement variée sur le terrorisme, mais qui demeure tout de même superficielle. À ce sujet, nous avons pu remarquer que leur connaissance du phénomène est basée essentiellement sur les objectifs, les différents groupes, les tactiques employées et les idéologies auxquelles peuvent adhérer les terroristes. De plus, les policiers ont presque tous tenu à mentionner que les individus terroristes n‘ont pas de visage. Les policiers perçoivent aussi des facteurs de protection qu‘ils associent à la culture canadienne. L‘idée que le Canada est une terre d‘accueil pour les groupes terroristes parce qu‘il n‘y a pas de pression

policière qui est mise est une manière que les policiers utilisent pour justifier l‘absence d‘attentat. Finalement, les policiers disent que le terrorisme est un phénomène flou et distant, et par conséquent, ils ne perçoivent pas la menace comme étant imminente.

Nous voulions également connaître les perceptions que les policiers ont du risque d‘une attaque terroriste dans leur sphère d‘activité. Bien que les policiers de l‘Unité-Métro n‘appréhendent pas la menace terroriste comme étant concrète, ils sont d‘accord pour dire que dans l‘éventualité d‘une attaque au Canada, le réseau de transport en commun de Montréal serait une cible de première importance. En raison des valeurs intrinsèques au transport en commun et des stratégies de sécurisation actuelles, les policiers perçoivent le métro comme un environnement vulnérable aux attentats terroristes.

Aussi, l‘étude visait à connaître l‘image que les policiers de l‘Unité-Métro se font de leur rôle dans la lutte antiterroriste. À ce sujet, les policiers perçoivent que leur présence sur le terrain sert essentiellement à rassurer les citoyens. Nous avons pu remarquer que les policiers valorisent la force de l‘Unité-Métro par la connaissance unique qu‘ils détiennent sur l‘environnement et ses vulnérabilités. Les policiers perçoivent leur rôle comme étant essentiellement réactif.

Finalement, nous voulions savoir quels outils étaient utilisés pour mettre en contexte leurs perceptions. À ce sujet, nous avons pu remarquer que les policiers perçoivent leur environnement à travers des lentilles de suspicion et de vigilance. Aussi, ils se basent principalement sur le gros bon sens pour décider, dans un premier temps, si une intervention est nécessaire, et dans un deuxième temps, quelle action est à prendre. De plus, les policiers considèrent les procédures comme un guide plutôt que comme une règle stricte, choisissant ainsi de se référer à leur expérience.

Avec l‘ensemble de ces objectifs, nous avons été en mesure de comprendre l‘impact des différents facteurs de l‘amplification sociale du risque sur la perception du risque terroriste et la production de la sécurité dans le transport en commun de Montréal. Toutefois, d‘autres études pourraient être envisagées pour permettre une compréhension plus approfondie de l‘impact de ces perceptions sur le processus décisionnel et, par le fait même, sur la gestion de la sécurité. Comment les perceptions du risque influencent-ils concrètement le processus

décisionnel et l‘action policière? Quelles sont les répercussions de la perception du risque sur la réponse institutionnelle et les politiques gouvernementales? De plus, en lien avec les limites abordées dans le deuxième chapitre, bien que l‘approche qualitative permette de comprendre un phénomène en profondeur, les possibilités de généralisation sont réduites. Ainsi, il serait intéressant de procéder à une étude comparative de plus grande envergure qui pourrait inclure plusieurs villes et/ou services d‘ordre (public ou privé). Une recherche de ce genre offrirait des résultats plus universels et permettrait de comprendre si les perceptions du risque varient d‘une ville à une autre, ou entre le domaine public et privé par exemple. Néanmoins, nous croyons que notre étude amène des connaissances précieuses en ce qui concerne la sécurité dans le transport en commun en contribuant au manque d‘études sur la perception des risques chez les acteurs de la sécurité. Notre vision analytique nous a permis de comprendre les enjeux (politiques, institutionnels, personnels, etc.) auxquels les policiers de l‘Unité-Métro doivent faire face dans le cadre de leur travail et de quelle manière leur comportement sera influencé par la perception du risque.