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PARTIE I : INTRODUCTION THÉORIQUE

CHAPITRE 2 – LES AFFECTS ET LES CARACTÉRISTIQUES PERSONNELLES DANS L’ÉTUDE DES

1. LE RÔLE DE LA PERSONNALITÉ ET DES AFFECTS DANS L’EXPLICATION DES COMPORTEMENTS HUMAINS

1.1 Quelques éléments sur la notion de personnalité

1.1.1 Les facteurs dispositionnels ou traits de personnalité

Un trait (ou disposition) est défini comme renvoyant à une caractéristique durable, à une propension à se conduire d’une manière particulière dans un certain nombre de situations données (Hansenne, 2006). Le trait de personnalité est stable et l’on connaît comme traits habituels, par exemple, l’impulsivité, la générosité, la sensibilité, l’empathie, la timidité, l’honnêteté. Dans la littérature, on parle aussi de dimensions générales de la personnalité (que l’on trouve aussi parfois sous l’appellation types de personnalité (voir Eysenck, 1953)). Dans un modèle factoriel hiérarchique, une dimension représente le résumé de différents traits corrélés entre eux. Prenons l’exemple de l’extraversion : c’est une dimension générale de la personnalité (ou un type) qui résume les traits suivants : sociabilité, dominance, assertivité, activité et nervosité (Eysenck, 1953, 1991). Le trait et la dimension sont le plus souvent représentés sous la forme d’un continuum allant d’un extrême à l’autre (on parle de trait et de dimension bipolaires). En général, peu d’individus occupent les positions extrêmes des continuums.

L’étude des dispositions ou traits de la personnalité constitue un domaine massivement exploré. Parmi les plus connus, les modèles en trois facteurs d’Eysenck ou en seize facteurs de Cattell ont longtemps été, dans ce champ, des références (Reuchlin, 2001). Depuis une vingtaine d’années néanmoins, un certain consensus a vu le jour autour d’un modèle de la personnalité en cinq grandes dimensions très générales (voir Digman, 1990). On parle du modèle en cinq facteurs

4 Le choix s’est porté sur la présentation de ces deux approches, car elles sont cohérentes avec et transférables aux études des situations d’Interaction Homme-Machine, pour lesquelles la prise en compte de la notion de caractéristiques personnelles devient incontournable.

ou encore du Big Five. Une terminologie générale semble pouvoir se dégager concernant l’appellation des cinq facteurs (Hansenne, 2006 ; Reuchlin, 2001), qui peuvent être nommés de la façon suivante :

- Extraversion-Introversion : l’extraversion correspond à une tendance à se tourner vers

l’extérieur, vers les autres, vers l’inconnu, alors que l’introversion constitue une propension à se tourner vers l’intérieur de soi-même, à s’isoler du monde extérieur.

- Caractère agréable (parfois appelé agréabilité) : il renvoie à la confiance en autrui, à

l’altruisme ou encore la bienveillance coopérative (Reuchlin, 2001) ;

- Caractère consciencieux : il renvoie au fait d’être responsable, organisé, soigneux, fiable, minutieux, persévérant (Reuchlin, 2001) ;

- Névrosisme : les individus ayant un score élevé dans ce facteur manifesteraient une

émotionnalité forte et instable. Sont observés des changements rapides d’humeur, de la susceptibilité, de l’anxiété, de la nervosité, des signes physiques d’émotion (Reuchlin, 2001) ;

- Ouverture vers l’expérience : ce facteur fait référence à la curiosité, l’imagination, l’ouverture culturelle, l’originalité, la vivacité d’esprit, la sensibilité esthétique (Reuchlin, 2001).

Ces cinq grandes dimensions (ou facteurs) formeraient les unités basiques de la personnalité. L’un des reproches parfois adressés au modèle des cinq facteurs est qu’il est essentiellement descriptif et ne propose pas d’explication causale des différences individuelles en matière de personnalité (Cervone, 2006 ; Hansenne, 2006). En effet, le but fondamental de cette approche serait de pouvoir caractériser un individu selon un ensemble de dispositions, lesquelles resteraient stables à travers les situations. Une autre façon d’envisager l’étude de la personnalité est constituée par l’approche sociocognitive.

1.1.2 L’approche sociocognitive de la personnalité

L’approche sociocognitive de la personnalité se situe à un niveau d’analyse différent de celui concerné par l’approche des traits (ou dispositions). Comme le suggère Cervone (2006), les deux approches ne sont pas antagonistes, elles répondent simplement à « des défis scientifiques

différents [et] fournissent des modèles scientifiques alternatifs du même objet de recherche »

(p. 358). L’approche sociocognitive envisage la personnalité comme un système de processus médiateurs, conscients et inconscients, dont les interactions se manifestent à travers des configurations de relations situation-comportement (Mischel & Shoda, 1995). L’objectif dans cette perspective est notamment de pouvoir prédire les patterns de relations situations-comportements pour un individu donné. Tous les modèles s’inscrivant dans cette approche ont pour point commun de se focaliser sur les processus médiateurs sociocognitifs qui sous-tendent et motivent les comportements. Par exemple, l’un des mécanismes médiateurs clés dans cette approche est constitué par les croyances d’auto-efficacité (Cervone, 2006). En effet, Bandura (1977, 1997), dans

le cadre de sa théorie sur l’agentivité5 humaine, estime que la croyance d’efficacité personnelle est

un fondement majeur du comportement. Selon cet auteur, l’efficacité personnelle perçue

« concerne la croyance de l’individu en sa capacité d’organiser et d’exécuter la ligne de conduite requise pour produire les résultats souhaités » (Bandura, 1997, p. 12). Les croyances des individus

en leur efficacité personnelle constituent un facteur médiateur majeur car elles ont un impact sur de nombreux autres mécanismes chez les personnes. Ces croyances contribuent à réguler notamment les aspirations, les choix de comportement, la mobilisation et la poursuite de l’effort, les réactions émotionnelles (Bandura, 1997). Il existe des croyances d’efficacité générales et des croyances d’efficacité spécifiques à des domaines précis. Bandura (1997) explique que les croyances d’efficacité spécifiques sont les plus prédictives car elles font référence à des domaines précis et à des activités spécifiques qui, de plus, s’inscrivent dans un contexte donné.

Mais, l’approche sociocognitive de la personnalité ne concerne pas que les croyances d’efficacité personnelles. Une attention est également prêtée aux processus automatiques et

5 L’agentivité est un néologisme utilisé par Jacques Lecomte, traducteur de l’ouvrage de Bandura (1997), « Auto-

efficacité, le sentiment d’efficacité personnelle ». L’agentivité, selon Bandura (1997), désigne le fait d’exercer une

inconscients ainsi qu’aux buts et motivations qui soutiennent les comportements (Mischel & Shoda, 1995). Mischel et Shoda (1995) proposent une liste de cinq types d’unités cognitivo-affectives (ou représentations mentales), dont les interrelations et influences mutuelles constituent, selon les auteurs, le noyau structural de la personnalité (voir figure 8). Ces cinq types d’unités cognitivo- affectives sont : - les codages / encodages des informations (cela correspond au fait de catégoriser les informations) ; - les attentes et croyances personnelles (à propos du monde, de soi et des résultats liés à nos comportements) ; - les affects (c’est-à-dire les humeurs, émotions et réactions physiologiques associées) ; - les buts et valeurs personnels (ces unités renvoient aux issues souhaitées ou bien, au contraire, non souhaitées ou que l’on redoute au regard de nos valeurs, ambitions et projets de vie) ;- les compétences et plans d’auto-régulation (ces unités correspondent aux savoirs-faire et comportements potentiels qu’un individu peut mettre en œuvre et aux plans et stratégies potentiellement employés pour organiser ses actions et réguler ses comportements et son état interne). Selon les auteurs, l’organisation des relations entre ces unités guide et contraint l’impact de chaque unité cognitivo-affective sur le fonctionnement de l’individu.

CARACTERISTIQUES DES SITUATIONS a b c d e f g h ... C O M P O R T E M E N T S

Encodage Processus de générationde comportements Interactions parmi les médiateurs

Le modèle proposé par Mischel et Shoda (1995, 1998) constitue un système dynamique, transactionnel, qui envisage la personne comme active et proactive et non pas seulement réactive. Il s’agit du modèle CAPS (Cognitive-Affective Personality Systems, Systèmes Cognitivo-Affectifs de la personnalité [notre traduction]). Le souhait des auteurs est de rendre compte du fonctionnement d’un individu en tant qu’un système organisé et cohérent (Mischel & Shoda, 1995, 1998). Ce système est notamment constitué des unités cognitivo-affectives (décrites plus haut) et de leurs interrelations. L'illustration, présentée ci-dessus (voir figure 8), permet de visualiser un type d’organisation de processus médiateurs cognitivo-affectifs, laquelle organisation génère des patterns comportementaux individuels distincts. Comme indiqué sur le schéma, les caractéristiques situationnelles sont encodées par une unité médiatrice donnée, qui active des sous-ensembles spécifiques d’autres unités médiatrices, générant alors des cognitions, des affects et des comportements différents en réponse à différentes situations. Ainsi, les différentes unités médiatrices sont tantôt activées par certaines caractéristiques situationnelles, tantôt inhibées par d’autres et non affectées par d’autres encore. Les unités médiatrices qui se trouvent activées vont influencer d’autres unités médiatrices par l’intermédiaire d’un réseau stable de relations qui caractérisent un individu. La relation peut être positive (flèches pleines), ce qui augmente l’activation, ou négative (flèches en pointillés), ce qui diminue l’activation.

Selon Cervone (2006), trois caractéristiques majeures distingueraient les recherches basées sur l’approche des dispositions des recherches basées sur la notion de système cognitivo-affectif :

1. L’objectif des travaux basés sur les traits ou dispositions serait uniquement d’ordre descriptif, sans qu’il n’y ait vraiment d’explication causale. Ainsi les individus peuvent être classifiés selon leurs traits de personnalité mais il n’est pas possible sur la base de ce type de théorie d’envisager l’explication des actions et comportements des individus. Tandis que les travaux s’inscrivant dans la perspective sociocognitive auraient pour objectif de trouver des explications causales à nos actions. Bandura (1986), par exemple, estime que certains mécanismes sociocognitifs agissent comme des déterminants de nos actions. Cette perspective sociocognitive envisage la personnalité sous l’angle des processus qui la sous- tendent.

2. La seconde caractéristique qui distingue les deux types d’approche est la prise en compte du contexte. Dans l’approche basée sur les traits ou dispositions, peu d’attention est portée aux variations contextuelles. Néanmoins, il s’avère simplement que cela ne fait pas partie des objectifs centraux de cette approche et comme le rappelle Cervone (2006), « il n’est pas

d’approche unique qui puisse tout accomplir » (p. 360). La théorie sociocognitive, quant à

elle, intègre les variations contextuelles. Il s’agit d’ailleurs d’une caractéristique majeure de cette approche, puisque l’un de ses postulats forts est que les systèmes psychologiques de la personnalité fonctionnent en interaction avec le contexte social (Bandura, 1986 ; Cervone, 2006).

3. La troisième caractéristique distinguant les approches basées sur les traits de l’approche basée sur les mécanismes sociocognitifs renvoie aux types de recherches qui sont réalisés. Globalement, les théories des traits se focalisent sur les différences entre les individus, tandis que l’approche sociocognitive se focalise davantage sur la variabilité intra- individuelle.

Mischel et Shoda (1995, 1998) précisent qu’ils envisagent l’existence simultanée de caractéristiques générales stables liées au tempérament et de processus cognitivo-affectifs dynamiques. Toutefois, ils se demandent quelle est la nature des aspects stables (les invariants) qui forment le noyau de la personnalité pour chaque individu. Ils s’interrogent également sur les dynamiques intra-individuelles et les processus psychologiques qui médiatisent l’expression de ces invariants en termes de comportement. Le modèle qu'ils proposent (présenté schématiquement en figure 8) permet, selon eux, d’unifier les notions de processus dynamiques et de dispositions. D’après les auteurs, c’est l’organisation des relations entre les unités cognitivo-affectives qui constituerait l’entité stable et unique au sein de chaque personne.

Nous n’entrerons pas davantage dans le détail de ces propositions car le sujet de la personnalité, vaste et complexe, ne constitue pas l’objet central de nos travaux. Néanmoins, nous pouvons retenir que la notion de personnalité ne se réduit pas à un ensemble de traits ou dispositions. Sa structure et son fonctionnement sont bien plus complexes et sont soumis à des

interactions dynamiques entre de nombreux facteurs. Nous l’avons peu souligné, dans les paragraphes précédents, mais les affects occupent une place non négligeable dans les propositions de Mischel et Shoda (1995, 1998), puisqu’ils constituent l’un des cinq types d’unités cognitio- affectives. Au-delà du domaine de la personnalité, le rôle significatif joué par les affects dans le fonctionnement humain, à différents niveaux, est aujourd’hui admis et devrait être plus souvent considéré dans les recherches. En effet, la littérature dense concernant les liens émotions-cognition met en évidence l’influence significative des affects sur un nombre important de processus cognitifs et de comportements humains (voir par exemple, Channouf & Rouan, 2002 ; Consedine, Strongman, & Magai, 2003 ; Corson, 2002 ; Demaree, Schmeichel, Robinson, & Everhart, 2004 ; Hertel & Hardin, 1990 ; Isen, 1987 ; Izard, 1991, 1992 ; Plutchik, 2003). Ainsi, nous pensons qu’aux côtés de dimensions liées à la personnalité, la dimension affective occupe probablement une place importante dans les relations entre l’homme et la technologie et dans les processus sous- jacents (notamment celui d’adoption des nouvelles technologies). Il est donc important, à présent, d’aborder les théories et concepts liés aux affects et à leur contribution aux processus psychologiques et aux comportements humains.

1.2 Le concept d’affects

Les affects constituent un phénomène complexe, éminemment subjectif et susceptible de fortes variations inter- mais aussi intra-individuelles. La question des émotions est donc délicate et son étude à différents niveaux d’analyse une nécessité. Grâce à la contribution d’un certain nombre d’auteurs (Piolat & Bannour, 2009 ; Plutchik, 2003 ; Russell, 2003 ; Sander & Scherer, 2009 ; Scherer, 2004 ; Scherer, Dan, & Flykt, 2006, pour des travaux récents), la complexité du phénomène affectif est clairement admise ainsi que son influence, parfois puissante, sur divers comportements et processus cognitifs.

1.2.1 Définition et approches théoriques

Le terme « émotion » est fréquemment employé dans la littérature, toutefois des différences fondamentales entre les termes « émotion », « humeur » ou encore « affect » sont bien souvent

négligées. On note en effet dans la littérature un manque d’attention porté à la distinction entre ces termes, ce qui amène les chercheurs à les utiliser parfois de manière interchangeable. Corson (2002), Channouf et Rouan (2002), Piolat et Bannour (2009), Ribert-Van De Weerdt (2003), notamment, décrivent un certain nombre de caractéritiques liées à chacun de ces concepts afin de pouvoir les différencier.

Il est assez difficile de donner une seule définition de ce qu’est une émotion. En effet, comme le dit Plutchik (2003), l’existence de définitions multiples de ce terme traduit en fait l’existence parallèle de nombreuses théories différentes des émotions. Niedenthal, Krauth-Gruber, et Ric (2006) proposent de retenir la définition de Keltner et Gross (1999). Ces derniers suggèrent que les émotions sont des « patterns, épisodiques relativement courts et avec une base biologique,

de perceptions, d’expériences, de réactions physiologiques, d’actions et de communication qui se produisent en réponse à des occasions physiques et sociales spécifiques. » (Keltner & Gross, 1999,

p. 468). Pour sa part, Plutchik (2003) suggère de retenir un certain nombre d’idées clés extraites de nombreuses définitions proposées dans la littérature, notamment : 1) les émotions semblent se déclencher suite à l’interprétation que font les individus des événements qui surviennent ; 2) les émotions impliquent de fortes réactions au niveau de plusieurs systèmes de notre organisme ; 3) les expressions émotionnelles seraient basées sur des mécanismes génétiques ; 4) les émotions permettent à une personne donnée de communiquer une information à une autre personne ; 5) les émotions aident les individus à s’adapter à des situations environnementales changeantes. Ces différentes fonctions notamment adaptatives contribuent, selon Plutchik, à la survie de l’organisme mais aussi à la régulation des interactions sociales entre individus. Les propos rapportés par Plutchik (2003) , d’une part, et Keltner et Gross (1999), d’autre part, pointent l’idée selon laquelle l’émotion est constituée de plusieurs composantes. Un consensus semble s’être opéré dans la littérature autour des deux composantes majeures de valence et de niveau d’activation (voir section 1.2.1.2 ci-après). Scherer décompose différemment l’émotion et en propose cinq composantes : cognitive, psychophysiologique, motivationnelle, motrice et une composante en termes de sentiment subjectif. Voyons, à présent, quelles sont les caractéristiques majeures permettant de distinguer les émotions, les humeurs et les affects.

En ce qui concerne l'émotion, elle semble constituer pour la majorité des auteurs une réponse immédiate et intense à un événement (elle serait réactionnelle). Selon Corson (2002), les émotions seraient initiées par un objet particulier ou une situation donnée et seraient dirigées vers cet objet ou situation. Cela renvoie à la question de l'intentionnalité d'une émotion qui a également été abordée par Channouf et Rouan (2002) : la peur viserait un objet, une situation ou une personne sous son aspect dangereux par exemple. D'autre part, l'émotion, que peut ressentir un individu dans une situation donnée, serait accompagnée d'une humeur formant comme une atmosphère de fond, une sorte de background, proche en qualité de l'émotion vécue. Selon Corson (2002), cet état d'humeur en toile de fond serait latent et perdurerait bien après la réaction émotionnelle. Un tel chevauchement dans le temps de ces deux aspects affectifs rend, d'après l'auteur, leur distinction difficile.

L’humeur serait moins vive que l’émotion, elle serait sans objet cognitif précis et durerait plus longtemps (Corson, 2002 ; Ribert-Van De Weerdt, 2003). Selon Green, Goldman, et Salovey (1993), l’humeur désignerait un état qui perdure, en partie lié à la personnalité de chacun et qui se traduit par une expression affective dominante dans le comportement. Channouf et Rouan (2002) ajoutent qu'un état d'humeur agit sur tout l'environnement d'un individu en installant comme une atmosphère à tonalité plutôt positive ou plutôt négative. Corson (2002) rapporte, quant à lui, que les humeurs semblent moins spécifiques que les émotions et qu'elles seraient moins envahissantes, plus subtiles et plus durables comparées aux émotions. L’humeur correspond donc à un état affectif, qui perdure, relativement diffus, et il est généralement difficile d’en identifier la (les) cause(s).

D'après Ribert-Van De Weerdt (2003), l’affect ne serait pas limité à des états intenses (au contraire de l’émotion), mais inclurait toujours une « tonalité émotionnelle » (de type agréable ou désagréable). Corson (2002) complète cette idée, apparemment majoritaire dans la littérature, en précisant que l'affect doit être considéré comme un terme générique qui impliquerait à la fois les émotions et les humeurs. Reste à savoir si les affects positifs et négatifs sont deux facteurs indépendants ou constituent des pôles opposés d’une même dimension. Dans le cadre de nos travaux, nous rejoignons la conception soutenue notamment par Yik, Russell et Feldman Barrett (1999) et Vautier, Steyer, Jmel et Raufaste (2005), selon lesquels les affects positifs et négatifs ne forment qu’un seul facteur bipolaire. De plus, nous adoptons le point de vue largement admis selon

lequel les affects constituent un terme générique, englobant à la fois les humeurs et les émotions. Les principales approches théoriques pour l'étude des affects sont la perspective catégorielle, la perspective dimensionnelle et la théorie de l’évaluation cognitive.

1.2.1.1 L’approche catégorielle des émotions

La perspective catégorielle, notamment défendue par Ekman (1992a) et Izard (1992), concerne essentiellement les émotions. Tous deux soutiennent l'idée d'une classification des émotions en deux grandes catégories : les émotions basiques (ou primaires) et les émotions complexes (ou secondaires). Cette théorie propose un nombre relativement faible d'émotions basiques : la joie, la peur, la tristesse, la colère, le dégoût, la surprise. Ces six émotions font l'unanimité dans la littérature, néanmoins, certains considèrent que d'autres émotions peuvent être considérées comme basiques (voir notamment Ekman, 1992a, 1992b). Selon l'approche catégorielle, chaque émotion basique reflète un ensemble différent de circonstances provocantes et chacune initierait un comportement adaptatif particulier (Watson & Clark, 1992). Elles proviendraient de l’évolution du fait de leur capacité à faciliter ces réponses adaptatives (Ekman, 1992a ; Izard, 1992). Une émotion basique préparerait et motiverait l’individu à répondre de manière adaptée aux sollicitations de l’environnement. Par exemple, et selon Watson et Clark (1992), la peur motiverait la fuite lors de situations menaçantes. Chaque émotion basique semble considérée comme ayant un substrat neural spécifique, une expression faciale prototypique et une qualité subjective distincte (Watson, 2000 ; Watson & Clark, 1992). Ekman (1992a) proposa huit propriétés identifiant une émotion basique : 1) elle possède un signal universel distinct ; 2) elle est présente chez d’autres primates que l’humain ; 3) elle a une configuration propre (un pattern) de réactions physiologiques ; 4) elle est associée à des événements déclencheurs distincts et universels ; 5) elle a des réponses émotionnelles convergentes ; 6) elle est rapidement déclenchée ; 7) elle est évaluée automatiquement ; 8) elle apparaît spontanément. L'universalité des émotions basiques a été suggérée suite à l'étude inter-culturelle des expressions faciales accompagnant typiquement l'apparition de chacune de ces émotions basiques (Ekman, Friesen & Ellsworth, 1972). A côté de ces émotions basiques, il existerait de nombreuses émotions dites complexes ou secondaires. Les émotions pourraient être classées en fonction de la présence d’une composante

cognitive forte ou faible à leur origine (M. Lewis, 1999). Cette proposition de Lewis supporte ainsi la distinction entre émotions primaires (à faible composante cognitive, relativement innées et dénuées d’évaluation cognitive consciente) et émotions secondaires ou complexes (à forte composante cognitive, acquises et plutôt basées sur un processus d’évaluation cognitive conscient, même si des processus inconscients peuvent aussi intervenir à leur niveau). Les émotions secondaires émergeraient plus tard que les émotions basiques. Selon Lewis, l'apparition de ce type d'émotions impliquerait une évaluation cognitive du contexte, qui constituerait l'événement provoquant à l'origine de l'émotion. Cela va dans le même sens que la théorie de l'évaluation