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Chapitre I. Magnétisme environnemental dans le contexte du système Seine

I.2. Le système « Seine »

I.2.3. Les ETM dans la Seine et son bassin versant

La forte densité de population et l’activité industrielle dans l’agglomération parisienne ainsi que les pratiques agricoles sur de larges surfaces, couplées à la faible capacité de dilution de la Seine et de ses affluents rendent l’ensemble de son réseau hydrographique très sensible à la pollution dont les sources peuvent être nombreuses (déchets organiques, hydrocarbures, métaux, etc.).

Si dans le bassin de la Seine, l’utilisation du fer remonte à l’Antiquité, l’utilisation des métaux comme le zinc, le cadmium, le cuivre ou le plomb s’est fortement intensifiée dans le bassin de la Seine lors de la révolution industrielle entre les XVIIIe et XIXe siècles. L’étude de l’impact de la contamination métallique dans la Seine s’est développée depuis les années 1970 (Thévenot et al., 2009).

Actuellement de nombreuses préoccupations sont liées aux ETM. Dans les eaux et les sols, les principales sources de ces ETM peuvent varier selon les éléments, et bien que les activités agricoles, industrielles et domestiques soient autant de sources d’émission d’ETM dans l’environnement, il est encore difficile de quantifier l’importance de ces sources pour les différents éléments et les différents flux sont probablement sous-estimés (Figure I.10). Les flux industriels sont probablement moins bien estimés que les autres en raison de la difficulté d’accès aux données (Thévenot et al., 2009). Les données actuelles semblent toutefois montrer que les rejets d’origines domestiques contribueraient à plus de la moitié des ETM particulaires et dissous (au moins pour le cadmium, le cuivre, le mercure, le plomb et le zinc) de la Seine à Poses.

Figure I.10 : Estimation des principales sources d’apports métalliques (particulaire et dissous) du bassin de la Seine à Poses. Source : Thévenot et al., (2009).

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Bien que les activités agricoles puissent être des sources potentielles d’ETM, (Thévenot et al., 2009), l’enrichissement en ETM dans les MES de la Seine n’augmente pas significativement lors de passage de milieux forestiers à ruraux (Figure I.11). En revanche, l’enrichissement en ETM augmente significativement dans les MES lorsque la Seine traverse les zones d’agglomérations.

De manière générale, les principales sources d’ETM se situent dans les zones de forte agglomération (Figure I.11). Dans les zones urbaines, de nombreux métaux sont libérés dans l’atmosphère par les activités industrielles et automobiles lors de combustions d’ordures ménagères, d’essence et de charbons (Thévenot et al., 2009; Ayrault et al., 2010; AIRPARIF, 2014). Les particules les plus grosses se déposent à proximité alors que les plus fines peuvent être disséminées sur de larges surfaces et seront collectées dans le réseau des eaux usées par le ruissèlement lors des pluies. Une autre fraction provient du ruissellement sur les toitures (notamment le zinc) ou de la circulation des eaux dans les tuyauteries en cuivre.

Figure I.11 : Evolution du facteur d’enrichissement (EF) du cadmium, du cuivre, du mercure, du plomb et du zinc dans les matières en suspension de la Seine en fonction de l’occupation du bassin versant. D’après Thévenot et al. (2009).

Les rejets de stations d’épuration reflètent, malgré les traitements, l’impact de l’urbanisation des sols, de l’agglomération et de l’industrie sur l’enrichissement des ETM dans la Seine (Thévenot et al., 2009). Ceci est dû en partie au fait que ces stations reçoivent des eaux fortement contaminées et que le rendement d’épuration n’est pas suffisant pour permettre un retour à des concentrations naturelles. De plus, les étapes d’épuration ne sont généralement pas conçues pour éliminer la totalité des métaux, ou ne peuvent tout simplement pas traiter la

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totalité des eaux usées. Par exemple, les eaux du réseau d’assainissement de la ville de Paris proviennent du réseau unitaire qui collecte le ruissèlement des toitures et des chaussées, les eaux usées et les dépôts du réseau remis en suspension lors d’évènements pluvieux. Ces eaux sont généralement traitées en station d’épuration, mais en cas d’évènement pluvieux exceptionnel, elles sont rejetées directement dans les eaux de la Seine.

Dans le cas de la station Seine Aval, le rendement total d’épuration sur les métaux est en moyenne de 75 % (Thévenot et al., 2009) et le traitement concerne essentiellement la fraction particulaire (Figure I.12). Les fractions dissoutes et labiles sont moins retenues. Par ailleurs, certaines étapes de traitement des eaux usées consistent à ajouter des réactifs qui peuvent être une source potentielle de métaux. C’est le cas notamment de l’étape de clarifloculation, qui consiste à ajouter du chlorure ferrique (FeCl3) pour provoquer une floculation des déchets et

une élimination des phosphates (Figure I.12a). Dans le cas du nickel, la concentration totale des eaux rejetées dans la Seine est identique à celle d’entrée en station (Figure I.12b), car l’ajout de chlorure ferrique compense l’efficacité de traitement (Thévenot et al., 2009).

Figure I.12 : Effet des traitements des stations d’épuration sur les concentrations de métaux particulaires et dissous des eaux usées (Exemple de la station Seine Aval). (a) : schéma des différentes étapes de traitement. (b) concentration de cadmium, cuivre, nickel et plomb des eaux usées entre les différentes étapes de traitement avant d’être rejetées dans la Seine. Source : Thévenot et al., (2009).

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Dans les petites rivières urbaines de la Seine, la forte pression anthropique, couplée au très faible débit des rivières entraîne des concentrations importantes en contaminants. De ce fait, plusieurs études se portent sur les concentrations en ETM dans ces rivières, notamment l’Orge (Mouchel et al., 2008; Carré et al., 2010; Le Pape et al., 2012, 2013; Ayrault et al., 2014). Dans les MES de l’Orge, les facteurs d’enrichissements des ETM sont supérieurs à ceux de la Seine à Poses (Thévenot et al., 2009).

Selon les différentes études, la caractérisation des ETM dans la Seine peut être générale (Tessier, 2003; Meybeck et al., 2004; Thévenot et al., 2009; Ayrault et al., 2010) ou spécifique à un ou plusieurs métaux, notamment le zinc (Chen et al., 2009; Morin et al., 2012; Bonnot, 2015), le plomb (Ayrault et al., 2014), ou le cadmium (Chiffoleau et al., 2001). Meybeck et al. (2004) ont également proposé un paramètre permettant d’évaluer l’impact de la pollution métallique à partir du Metal Pollution Index (MPI). Ce paramètre additionne l’enrichissement (par rapport au bruit de fond) de 5 polluants métalliques communément étudiés dans les environnements aquatiques (cadmium, cuivre, mercure, plomb et zinc). La Figure I.13 regroupe quatre exemples issus de la littérature d’évolution spatiale des éléments chimiques dans les MES de la Seine : le calcium, le zinc, l’antimoine et le MPI. Un MPI inférieur à 10 indique une faible contamination, tandis qu’un MPI supérieur à 50 indique une forte contamination.

La teneur en calcium dans les MES de la Seine mesurées par Tessier (2003) peut être utilisée comme indice de la signature naturelle. Elle tend à diminuer d’amont en aval (Figure I.13a), ce qui est cohérent avec l’installation progressive des aménagements et de l’urbanisation qui contribuent à la dilution de la fraction naturelle. Plus précisément, la teneur en calcium dans l’Aube et la Seine en amont de la confluence de l’Yonne autour de 20 % diminue en aval de cette dernière reste stable entre 12 et 15 jusqu’à Poses. Les teneurs de la Marne et de l’Yonne sont semblables à celles de la Seine en aval des confluences, contrairement à l’Orge dont la teneur en calcium est significativement plus faible (environ 2,5 %).

Les concentrations en certains ETM considérés comme polluants, comme le zinc (Figure I.13b), l’arsenic (Figure I.13c), ainsi que le MPI (Figure I.13d), tendent au contraire du calcium à augmenter d’amont en aval. Dans ces trois autres exemples, l’augmentation d’amont en aval n’est pas linéaire :

- Pour le zinc et l’antimoine, la confluence de l’Yonne marque un premier changement sur le cours de la Seine : la teneur en zinc double après la confluence (80 à 130 ppm en amont et 220 ppm en aval) tandis que celle de l’antimoine triple (de 0,5 à 1,5 ppm). En amont, la Seine traverse essentiellement des milieux naturels et agricoles. En aval, ces milieux diminuent progressivement au profit des milieux urbanisés et la navigation s’intensifie de même que les aménagements du cours d’eau. Ce changement d’environnement et le début d’urbanisation expliquent probablement l’enrichissement en ETM.

- Les valeurs des échantillons de MES de l’Orge (petite rivière urbaine) se démarquent de celles de la Seine en amont et en aval de la confluence avec de plus fortes teneurs de zinc (330 à 800 ppm) que celles de la Seine (inférieures à 280 ppm). Il en est de

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même pour l’antimoine dont les teneurs sont en moyenne à 3 ppm dans l’Orge et entre 1,5 et 2 ppm dans la Seine. Le MPI de l’Orge est également beaucoup plus élevé (52) que dans la Seine en amont et en aval de la confluence (de 10 à 17).

- Un autre changement s’observe dans la Seine à partir de l’agglomération parisienne. Les échantillons prélevés dans la Seine au sein et en aval de l’agglomération montrent des teneurs en zinc et antimoine plus élevées que ceux prélevés en amont (à l’exception de l’Orge). Il en va de même pour le MPI qui monte à 23 à Paris jusqu’à 28 à Poses. On peut tout de même noter une diminution significative de la teneur d’antimoine à Poses (2,5 ppm) par rapport à celle de la sortie de l’agglomération (4,5 ppm) qui peut s’expliquer par une dilution due aux apports de l’Oise, une diminution de l’urbanisation ou une contamination des eaux saumâtres.

Le facteur « temps » est aussi étudié sur la question de l’évolution des ETM dans le bassin de la Seine. En effet, les conditions hydrologiques affectent directement le transport sédimentaire et peuvent fortement influer sur la concentration et la composition des MES, et plusieurs études tendent à démontrer que la concentration des métaux dans la Seine varie dans le temps. Sur le long terme, la concentration des contaminants métalliques tend à diminuer depuis le début des années 1980 (Meybeck et al., 2004; Thévenot et al., 2009; Ayrault et al., 2014). Cette diminution est due d’une part à la réduction de l’utilisation des métaux toxiques et d’autre part à l’amélioration croissante des processus d’épuration des métaux lourds (Meybeck et al., 2004).

A l’échelle saisonnière, la plupart des métaux issus des activités anthropiques voient leur concentration diminuer dans les MES de la Seine en période de crue par effet de dilution (Estèbe, 1996; Meybeck et al., 2004; Thévenot et al., 2009; Ayrault et al., 2014). A Paris, Chen et al., (2009) démontrent que le facteur d’enrichissement EF du zinc anthropique est, de même, inversement proportionnel au débit. En période de crue, il est compris entre 1,5 et 3 et entre 3 et 5,5 en étiage.

La Figure I.14 représente l’évolution du MPI de Meybeck et al., (2004) dans le temps et selon le contexte hydrologique dans les MES de différents sites de la Seine. Si tous les sites montrent des valeurs de MPI plus élevées en étiage, les variations sont beaucoup plus prononcées (ΔMPI > 25) dans deux sites : la Seine à Chatou (agglomération parisienne) et la Seine à Poses (estuaire). Ces deux sites sont les plus affectés par la contamination métallique (MPI entre 20 et 75).

Les trois autres sites se trouvent dans des zones moins urbanisées et moins impactés (MPI entre 5 et 25). Une légère augmentation du MPI s’observe en étiage mais les variations dues au changement de régime sont beaucoup plus faibles (ΔMPI < 10) qu’à Chatou et à Poses. Bien que les variations temporelles de la contamination métallique dues au régime hydrologique soient plus ou moins prononcées selon la pression anthropique exercée, la Seine joue un rôle majeur sur l’accumulation et la dilution des ETM.

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Figure I.13 : Exemples d'évolution des éléments chimiques dans les MES de la Seine et ses affluents. L’axe horizontal représente l’abscisse curviligne des sites d’échantillonnage par rapport à la source de la Seine (représentée par la flèche bleue). Les valeurs mesurées sur les affluents (représentés par des triangles colorés) correspondent à des sites localisés quelques kilomètres avant la confluence de la Seine. (a) Evolution du calcium. (b) Evolution du zinc. (c) Evolution de l’antimoine. (d) Evolution de l’index de pollution métallique (MPI). Valeurs issues des publications de Tessier, (2003), Meybeck et al., (2004), Chen et al., (2009) et Le Pape et al., (2012). Les valeurs issues de Tessier sont obtenues en moyennant les mesures faites sur des MES prélevées à plusieurs périodes. Celles issues des autres publications correspondent à un échantillon de MES par site.

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Figure I.14 : Variations temporelles de l’indice de pollution métallique (MPI) selon le contexte hydrologique dans les MES de la Seine à Morsang-sur-Seine (avant l’agglomération parisienne), à Chatou (partie aval de l’agglomération parisienne) et à Poses (estuaire) ainsi que dans la Marne et l’Oise. Source : Meybeck et al., (2004).