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Les endotoxines, notions de tolérance et d’«amorçage »

Chapitre 1 : Les lipopolysaccharides

III. Les endotoxines, notions de tolérance et d’«amorçage »

Le système immunitaire est donc capable de détecter la présence de signaux dangereux pour l’hôte, tels que les LPS. L’activation des cellules de l’immunité engendre une réponse inflammatoire vigoureuse et vitale afin de combattre l’infection. Toutefois, ce processus doit absolument être finement régulé car une inflammation incontrôlée entraîne de sérieuses complications cliniques telles que les maladies auto-immunes, le sepsis, le choc septique, une défaillance généralisée des organes et à terme le décès. Parmi les moyens de régulation de la réponse inflammatoire, il y a bien sûr toutes les voies anti-inflammatoires déclenchées en parallèle des voies pro-inflammatoires mais il y a aussi le phénomène de tolérance aux endotoxines. Il faut toutefois rester prudent car la frontière entre la tolérance aux endotoxines et l’effet inverse d’« amorçage » de la réponse inflammatoire est minime.

1. La tolérance aux endotoxines

a) Notion de tolérance aux endotoxines

La notion de tolérance aux endotoxines a été rapportée pour la première fois par Paul Beeson en 1947 (Beeson & Roberts, 1947). Il décrit une diminution progressive de la fièvre induite par l’injection du vaccin typhoïde chez des lapins, au fur et à mesure des injections ; effet qui a tendance à disparaître avec une augmentation du temps d’attente entre les injections. Ce phénomène de tolérance aux endotoxines a également été observé chez des rats infusés de façon continue avec des LPS par voie intraveineuse. Ils montrent que dans les premières heures d’infusion (6 et 30 heures), les endotoxines provoquent une altération du métabolisme glucidique mais que ces effets délétères s’estompent au bout de 54 heures d’infusion (Lang & Spitzer, 1987). Chez l’Homme, une injection IV de LPS tous les jours pendant 5 jours entraîne une atténuation de leurs effets pro- et anti-inflammatoires (Draisma et al., 2009). Finalement, l’installation de la tolérance aux endotoxines est assez répandue en cas de pathologies infectieuses et l’un des exemples les plus marquants est celui du sepsis (López-Collazo & del Fresno, 2013).

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Le sepsis est une pathologie extrêmement complexe caractérisée par une inflammation puissante et non contrôlée en réponse à une infection bactérienne. Cette pathologie est qualifiée de biphasique : une phase initiale de sur-inflammation, le syndrome de réponse inflammatoire systémique ou SIRS, suivie d’une phase au cours de laquelle les cellules de l’immunité deviennent réfractaires à initier une réponse inflammatoire, le syndrome de réponse anti- inflammatoire compensatoire ou CARS. Malheureusement, même si ce dernier a pour but de réguler le statut inflammatoire de l’organisme, il est aussi à l’origine de nombreux décès par non détection d’une nouvelle infection (Adib-Conquy & Cavaillon, 2009).

La tolérance aux endotoxines permet donc de canaliser la réponse inflammatoire et de restreindre les dommages physiologiques mais peut aussi finir par représenter un risque non négligeable. Il existe de nombreux modèles précliniques et cliniques à la fois in vitro et in vivo pour étudier les fondements de l’installation de cette tolérance aux endotoxines (Biswas & Lopez-Collazo, 2009). Cependant, à l’heure actuelle les mécanismes moléculaires sont encore mal connus.

b) Les acteurs à l’origine de l’installation de la tolérance aux endotoxines

Plusieurs acteurs de la réponse inflammatoire participent à l’initiation de cette tolérance aux endotoxines. C’est le cas par exemple du récepteur TLR4. En effet, la stimulation de macrophages murins péritonéaux avec des LPS entraîne une diminution de l’expression du récepteur TLR4 en surface de ces cellules. Il en résulte une production cytokinique moindre lors d’une seconde exposition aux LPS (Nomura et al., 2000). Toutefois, un tel phénomène n’a pas été observé sur des monocytes humains traités avec la même dose de LPS (Medvedev et

al., 2002). La protéine MyD88 est elle aussi impliquée. Elle présente deux isoformes de tailles

différentes. La forme petite ou small MyD88 (MyD88s) est capable de se fixer sur le récepteur TLR4 et de recruter les protéines IRAK mais est incapable d’initier les cascades de signalisation. In vitro, l’administration de LPS induit MyD88s dans des cellules immunitaires humaines en culture. Toutefois, in vivo, les niveaux de MyD88s dans des monocytes circulants de donneurs sains ne sont que très peu induits par un traitement avec des LPS (Janssens et al., 2002; van ’t Veer et al., 2007).

Parmi les protéines de la signalisation intracellulaire, les protéines IRAK participent à l’initiation du phénomène de tolérance. Leur perte d’activation liée à la surexpression de

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MyD88s dans les cellules tolérantes est de surcroît favorisée par la production de la protéine IRAK-M, qui empêche les cascades de phosphorylation. IRAK-M est uniquement exprimée dans les monocytes/macrophages, sa production est induite par la cytokine pro-inflammatoire TNFα et est positivement corrélée avec la durée de la phase de tolérance aux endotoxines in

vivo (Kobayashi et al., 2002; van ’t Veer et al., 2007). Les cellules immunitaires « tolérantes »

présentent une surexpression de la protéine p50 NFκB et donc une augmentation de l’homodimère p50/p50 inactif, au détriment de l’hétérodimère p50/p65 actif (Ziegler- Heitbrock, 2001). La protéine SH-2 containing inositol phosphatase (SHIP) contribue aussi à l’installation de la tolérance aux endotoxines. Il s’agit d’un inhibiteur de la voie de signalisation dépendante de NFκB. Dans un modèle murin, l’expression de SHIP est induite par l’activation intracellulaire de MyD88 suite à un traitement avec des LPS. De plus, l’induction de son expression intracellulaire est uniquement temporaire. Elle n’est quasiment plus perceptible trois heures après le traitement de monocytes humains avec des LPS. Les niveaux de production de SHIP et la durée de la tolérance aux LPS sont même positivement corrélés chez la souris (Sly

et al., 2004; van ’t Veer et al., 2007).

Il a été montré que certains micro-ARN ou miR participent à l’installation et à la maintenance de la tolérance aux endotoxines (Quinn et al., 2012). Ces courts acides ribonucléiques (ARN) sont capables de s’apparier à l’ARN messager (ARNm) d’un gène cible entraînant ainsi une répression traductionnelle ou encore la dégradation de cet ARN messager. Ce sont donc des régulateurs post-transcriptionnels. Seul l’exemple de miR-146a sera ici développé. miR-146a est produit par les cellules de l’immunité en réponse à une stimulation par des LPS et a une visée plutôt anti-inflammatoire en inhibant les voies pro-inflammatoires dépendantes d’IRAK et de TRAF6 (Taganov et al., 2006). La restimulation de cellules prétraitées avec des molécules de LPS s’accompagne d’une production encore plus importante de miR-146a en réponse aux LPS. La transfection de monocytes humains en culture avec miR- 146a mime les effets d’un état de tolérance et inversement, des cellules déficientes en miR- 146a ont une moindre réponse tolérogène à une stimulation par des LPS (Nahid et al., 2009). Il y a bien sûr d’autres données sur ce miR et sur les autres miR pouvant être impliqués dans ce phénomène de tolérance aux LPS, la revue de Quinn et ses collaborateurs en 2012 permet d’en avoir un bon aperçu (Quinn et al., 2012).

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2. L’amorçage initié par les endotoxines

Un premier contact avec des LPS peut amoindrir les effets délétères d’un deuxième contact impliquant ainsi une notion de tolérance. Cependant, dans certains cas, et notamment quand la première dose de LPS est très faible, il est possible d’observer l’effet inverse : c’est- à-dire que le premier contact ne va pas atténuer les effets du deuxième mais va au contraire les potentialiser. C’est la notion d’amorçage. Il n’y a eu que très peu d’études sur cet amorçage des endotoxines aussi appelé Schwartzman-like reaction (Thomas & Good, 1952). Ainsi, à l’heure actuelle il est encore très difficile de comprendre l’origine de ce phénomène et surtout de comprendre pourquoi une très faible dose de LPS aboutit à cet effet potentialisateur et non à l’effet tolérogène décrit plus haut.

Ce phénomène d’amorçage est notamment mis en évidence dans des modèles murins. Une première injection d’une faible dose de LPS conduit à une très forte production de cytokines pro-inflammatoires lors d’une seconde administration de LPS allant même jusqu’à augmenter significativement la mortalité des animaux (Heremans et al., 1990). La protéine IRAK-1 serait impliquée dans ce phénomène d’amorçage. En effet, en condition de faible endotoxémie, cette protéine n’activerait pas la voie dépendante de NFκB mais une autre cascade de signalisation, celle dépendante de CCAAT/enhancer-binding protein ẟ (C/EBPẟ) (Maitra et

al., 2011). La principale différence entre les deux voies réside dans le fait que NFκB est capable

de stimuler à la fois l’expression de gènes pro- et anti-inflammatoires alors que C/EBPẟ est uniquement pro-inflammatoire. Ce phénomène d’amorçage parait aussi être dépendant des niveaux d’IL-10. En effet, la dose de LPS à injecter pour déclencher ce processus d’amorçage est cent fois plus faible chez des souris déficientes en IL-10. De plus, l’injection d’IL-10 chez des souris déficientes en IL-10 et chez des souris sauvages s’accompagne d’une résistance à l’amorçage (Berg et al., 1995).

Tout cela montre donc que l’ampleur de la réponse inflammatoire engendrée par une entrée de LPS au niveau systémique est pleinement dépendante du statut inflammatoire déjà présent.

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IV. Inactivation et élimination des lipopolysaccharides circulants