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De la matrice AlYb aux cœurs multi-composants pour la fabrication de fibres à grande aire effective

3. Les différentes matrices à grande aire effective envisagées

L’obtention d’un indice de réfraction proche de celui de la silice n’est pas compatible avec l’incorporation d’aluminium et de terres rares au sein de la silice, qui l’augmentent fortement

. Différentes options sont disponibles pour y parvenir : la première consiste à rajouter du phosphore à la composition, qui a la propriété intéressante de créer des entités particulières avec l’aluminium (AlPO4) qui n’augmentent pas l’indice de réfraction du matériau§ [35]. Les deux autres options impliquent l’ajout d’éléments bien connus pour diminuer l’indice de réfraction de la silice : du bore ou du fluor. L’utilisation du procédé MCVD a permis l’incorporation de ces différents éléments. Les avantages et contraintes de fabrication liés à l’élaboration de ces divers matériaux sont présentés ci-dessous.

a. Les cœurs Yb2O3-P2O5-Al2O3-SiO2

Les propriétés particulières du co-dopage aluminium et phosphore ont été présentées dans le chapitre 1 (§ 1.b.). C’est une matrice couramment élaborée par la méthode MCVD, car l’obtention d’un poreux phosphosilicate auquel sont ajoutés l’aluminium et une terre rare par trempage est relativement bien contrôlée [4], [36]. A l’inverse, aucune publication de la littérature ne fait état d’un matériau aluminosilicate dopé en bore et élaboré par la méthode MCVD couplée à un dopage en solution. En revanche, de récents travaux de Lin et al. [37] évoquent un matériau aluminophosphosilicate co-dopé avec du fluor réalisé de cette façon. Des matrices aluminophosphosilicates dopées ytterbium ont été réalisées par la voie SPCVD par Kholodkov et al. [6], avec des teneurs en aluminium proches de 2.5% molaire (atomique), et des teneurs en phosphore oscillant entre 6 et 12% molaire (atomique). C’est d’ailleurs la seule méthode, autre que la voie MCVD, référencée pour fabriquer ces matrices. Sans donner d’explications, les auteurs précisent néanmoins que l’obtention de tels matériaux par une méthode de synthèse autre que la méthode MCVD constitue un véritable « bugaboo », c’est-à-dire un défi technologique. Le mystère laissé par les auteurs vient en réalité de l’affinité des précurseurs gazeux, en l’occurrence le chlorure d’aluminium AlCl3 et l’oxychlorure de phosphore POCl3,

‡ Cf. chapitre 1, § 1.a., figure 2.

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qui réagissent à l’état gazeux pour former un adduit POCl3-AlCl3 [38], même à température ambiante [39]. En chimie organique, l’ajout de POCl3 est d’ailleurs souvent utilisé afin de supprimer totalement la présence d’AlCl3 de la zone réactionnelle lors de réactions de type Friedel-Crafts [40].

Lors de nos essais, nous avons observé un dépôt blanchâtre sur les parois du sas à la réunion des deux lignes permettant d’acheminer les réactifs gazeux. Ce dépôt est apparu uniquement lorsque ces deux réactifs ont été envoyés en même temps. Une analyse microsonde (profil radial) a été réalisée sur un échantillon d’une préforme aluminosilicate à laquelle un certain débit d’oxychlorure de phosphore a été ajouté sur les 10 dernières minutes du dépôt, et où le débit de chlorure d’aluminium a été maintenu constant (figure 8). Cet échantillon est appelé AlP1. On observe qu’à l’arrivée de phosphore dans le mélange (a), la teneur en aluminium chute d’abord légèrement et reste stable sur environ 200µm (b), avant de chuter fortement de 0.65% à 0.4% atomique (c). Cette chute de la concentration en aluminium est due à la fraction de chlorure d’aluminium ayant réagi avec une fraction de l’oxychlorure de phosphore dans le sas, pour former le dépôt blanchâtre observé. La teneur en phosphore incorporée dans le dépôt chute à 0% en raison de l’évaporation du phosphore lors de l’étape de rétreint.

Afin d’éviter ce phénomène nuisible à l’homogénéité du matériau, il est donc nécessaire

d’acheminer séparément les deux réactifs jusqu’au plus près de la zone de dépôt. Pour

réaliser cela, un tube en quartz a été connecté à la ligne amenant l’oxychlorure de phosphore (et par conséquent le chlorure de silicium et l’oxygène). La sortie de ce tube en quartz se situe

0 0,3 0,6 0,9 -1600 -1200 -800 -400 0 400 800 1200 1600 % m o lai re at o m ique Rayon (µm) Al P

Figure 8 : Evolutions radiales des teneurs en aluminium et en phosphore sur l’échantillon AlP1

a b c b a a a

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à quelques centimètres de la zone réactionnelle. De cette façon, aucun dépôt n’est observé dans le sas et les teneurs en aluminium et en phosphore restent alors constantes (figure 9.b, zone ii), sauf au centre du cœur (figure 9.b, zone iii). La remontée centrale d’indice de réfraction est causée par l’évaporation du phosphore au rétreint (figure 9.b, zone iii). De l’ytterbium est également présent dans ce cœur, et l’échantillon est donc appelé AlPYb1.

Le profil d’indice de réfraction du même échantillon (figure 9.a.) présente de légères ailettes sur les côtés du cœur (zone i) dues à un excès d’aluminium sur les premières minutes de dépôt. Sinon le profil est plat (zone ii) et l’indice de réfraction est stable. Au centre du cœur, on observe une remontée d’indice sur 0.8mm de diamètre qui est corrélée avec une chute de la teneur de tous les dopants de la silice, et une teneur en silicium qui augmente (zone iii). Une partie du phosphore s’évapore indéniablement au rétreint, ce qui modifie localement la composition du verre : la teneur en silicium augmente et par conséquent la teneur en aluminium et en ytterbium diminue. Cet échantillon prouve la faisabilité de tels matériaux par la méthode SPCVD, et certains échantillons ont notamment été tirés en fibre afin d’évaluer leurs propriétés laser (cf chapitre 5). 0 0,001 0,002 0,003 -2,5 -1,5 -0,5 0,5 1,5 2,5 Δ n Rayon (mm) a. . 0 1 2 3 -1600 -800 0 800 1600 % at o m ique m o lai re Rayon (µm) Al Si/10 Yb*10 P b.

Figure 9 : (a) Profil d’indice de réfraction obtenu à une position de la préforme AlPYb1 réalisée dans les conditions présentées précédemment et (b) profil microsonde en % atomique molaire, de l’aluminium, du phosphore, de l’ytterbium (teneur multipliée par 10) et du silicium (teneur divisée par 10)

ii ii iii i i i iii ii ii i cœur

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b. Les cœurs Yb2O3-B2O3-Al2O3-SiO2

L’insertion de bore est réalisée à partir du chlorure de bore (BCl3) liquide, dont la faible pression de vapeur permet d’acheminer par bullage à basse température des débits élevés de vapeur (de 0 à 200sccm). Le réactif, déjà utilisé en production à iXblue photonics, est donc disponible aisément pour la méthode SPCVD. Il est couramment employé en tant qu’unique dopant de la silice afin de créer des préformes pouvant ensuite être utilisées pour la fabrication de fibres de type PANDA (Polarization-maintening AND Absorption-reducing fiber) [41]. Il trouve aussi une application importante dans la fabrication de fibres photosensibles dopées en germanium, où le fait de co-doper avec du bore permet de diminuer l’indice de réfraction et ainsi de rajouter encore plus de germanium et donc d’augmenter la photosensibilité de la fibre [42]. Un co-dopage avec de l’aluminium (et du lanthane) est plus régulièrement utilisé dans des applications magnéto-optiques [43] que pour des applications laser [19].

Durant ces travaux de thèse, la méthode SPCVD a permis l’élaboration de préformes boroaluminosilicates dopées ytterbium par ajout de quelques dizaines de sccm de BCl3 au mélange réactionnel. Le profil d’indice de réfraction obtenu et l’analyse microsonde réalisée sur une tranche du cœur AlBYb1 sont présentés sur la figure 10.

0 0,6 1,2 1,8 2,4 -1800 -1200 -600 0 600 1200 1800 % at o m ique m o lai re Rayon (µm) Al B Yb*10 0 0,001 0,002 0,003 -3 -1 1 3 Δ n Rayon (mm) a. b.

Figure 10 : (a) Profil d’indice de réfraction obtenu à une position de la préforme AlBYb1 et (b) profil microsonde en % molaire de Al, B et Yb (teneur multipliée par 10 pour Yb)

i i

cœur

ii i i

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Le profil d’indice de réfraction (figure 10.a.) laisse apparaître un profil plat sur les côtés du cœur (zone i), et une remontée d’indice au centre (zone ii), sur 1.04mm de diamètre. L’analyse microsonde élémentaire (figure 10.b.) permet de se rendre compte de l’absence de bore au centre du cœur (zone ii), corrélant la remontée d’indice observée précédemment. Le bore est évaporé lors de l’étape de rétreint, phénomène déjà observé dans la littérature [44], ce qui se traduit visuellement par la présence d’une émission verte à droite du chalumeau. L’absence d’ « ailettes » sur les côtes du profil d’indice de réfraction est due à la compensation entre la teneur en aluminium (plus importante au départ) et la teneur en ytterbium (plus faible au départ). Cette préforme a été tirée en une fibre dont les caractérisations optiques sont présentées dans le chapitre 5.

c. Les cœurs Yb2O3-Al2O3-SiO2-F

Deux précurseurs sont disponibles afin d’ajouter du fluor au mélange réactionnel : le tétrafluorure de silicium SiF4, et l’hexafluoroéthane (ou fréon) C2F6. Le tétrafluorure de silicium apporte une contribution en silice supplémentaire au tétrachlorure de silicium SiCl4 déjà utilisé comme précurseur de silice et semble ainsi moins adapté pour contrôler précisément le taux de fluor incorporé à la couche. Par conséquent, le réactif utilisé dans la suite de ces travaux est l’haxafluoroéthane. Des traces de carbone peuvent éventuellement être incorporées, mais celui-ci a plutôt tendance à réagir avec de l’oxygène pour former du dioxyde de carbone, qui est évacué vers la pompe. L’ajout de quelques dixièmes de sccm de C2F6 suffit à diminuer considérablement l’indice de réfraction d’un matériau aluminosilicate dopé ytterbium à un indice proche de celui de la silice, comme en témoigne la figure 11. Le cœur étudié ici est appelé AlFYb1.

Le profil d’indice de réfraction (figure 11.a.) du matériau AlFYb1 présente une remontée importante d’indice au centre du cœur (zone iii). Comme dans le cas des matériaux AlPYb1 et AlBYb1, cette remontée s’explique par l’absence d’un élément volatil, en l’occurrence ici le fluor, sur 1.1mm de diamètre. Le fluor est évaporé lors de l’étape de rétreint selon la réaction suivante : 4SiO1.5F ↔ SiF4 (g) + 3SiO2 [44], [45]. Le matériau présente des « ailettes » à l’interface cœur/gaine (zone i) dues à un excès d’aluminium (figure 11.b, zone i) sur les premières minutes de dépôt. On observe également une légère diminution de la teneur en aluminium au centre du

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cœur (zone iii) due au changement de composition locale du verre : la perte de fluor entraine une augmentation de la teneur en silicium et par conséquent diminue celle de l’aluminium.

d. Conclusions et choix de la matrice

Les paragraphes précédents ont montré tout l’intérêt de la faisabilité de la méthode SPCVD pour l’élaboration de préformes de matériaux LMA. Les trois matrices envisagées présentent chacune une zone appauvrie soit en phosphore, soit en bore, soit en fluor au centre du cœur sur un diamètre d’environ 0.6mm dans le premier cas, et un diamètre d’environ 1mm dans les deux cas suivants. La remontée centrale d’indice de réfraction est nuisible à la qualité de faisceau et doit donc être contrecarrée. Mais il est nécessaire de prendre en compte d’autres aspects expérimentaux pour discriminer les différents matériaux, et notamment l’ovalité du cœur. L’ovalité** moyenne du cœur mesurée sur au moins 3 échantillons de chaque matrice est représentée dans le tableau 1.

On remarque que l’ovalité des cœurs de matrices AlBYb peut être très élevée, proche de 20%. Lors de l’étape de rétreint, le matériau est très mou et le cœur a une très forte tendance à ne pas rester rond lors de la phase de fermeture. Il est très difficile de savoir si le dépôt est déjà ovale sous forme de couche mince, ou si ce sont les conditions de rétreint qui ne sont pas adaptées à

** Cf. annexe B -0,3 0,3 0,9 1,5 -1800 -1200 -600 0 600 1200 1800 % ato m iqu e m o la ir e Rayon (µm) Al F Yb 0 0,001 0,002 0,003 0,004 -3 -1 1 3 Δ n Rayon (mm) a. b.

Figure 11 : (a) Profil d’indice de réfraction obtenu à une position de la préforme AlFYb1 et (b) profil microsonde en % molaire de Al, F et Yb i ii ii iii i i iii i ii ii cœur

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un tel matériau. Néanmoins, si dans de rares cas isolés l’ovalité peut descendre à 1%, elle est généralement très élevée (figure 12.b.), autour de 10%, ce qui rend le matériau inutilisable par la suite. Quelques matériaux dont les cœurs sont relativement ronds ont tout de même été tirés en fibre et caractérisés succinctement, mais l’élaboration et l’étude de ces matériaux n’ont pas été approfondies.

Matrice AlPYb AlBYb AlFYb

Ovalité (%) ≤1 1-20 0-2

Tableau 1 : Ovalité typique des cœurs des matrices AlPYb, AlBYb et AlFYb élaborés par la méthode SPCVD

Les matrices AlPYb représentent les matériaux avec les cœurs les plus ronds (figure 12.a.). En se référant aux propriétés particulières de ce co-dopage présentées dans le chapitre 1, on peut expliquer la faible ovalité de ces matériaux en raison de la similitude entre les entités AlPO4 formées par le co-dopage et les entités SiO4 formatrices du réseau. Le matériau se ramollit faiblement lors de l’étape de rétreint et le cœur reste ainsi aisément rond. De plus, comme précisé précédemment, l’évaporation centrale de phosphore n’intervient que sur 0.6mm de diamètre ce qui est avantageux en comparaison aux deux autres matrices (≈1mm). Néanmoins, l’élaboration de ces matériaux co-dopés n’est intervenue que tardivement au cours de ces travaux de thèse, en raison des difficultés rencontrées lors de leur élaboration et notamment la nécessité de séparer les lignes d’approvisionnement du chlorure d’aluminium et de l’oxychlorure de phosphore jusqu’à la zone réactionnelle pour qu’ils ne puissent pas interagir ensemble. Certaines préformes ont tout de même pu être tirées en fibre et caractérisées, et les résultats sont présentés dans le chapitre 5.

Du fait de la faible ovalité du cœur (<2%), la matrice AlFYb a été la matrice retenue pour ces travaux de thèse (figure 12.c.). Le fluor est connu pour abaisser la température de transition

vitreuse de la silice [29]. Dans notre cas, il est incorporé à des teneurs relativement faibles (≈1%), ce qui permet de ne ramollir que faiblement le verre, et d’obtenir des cœurs ronds après l’étape de rétreint. Généralement, l’ovalité des cœurs de ces matrices est inférieure à 1%, ce qui est tolérable et adéquat à la fabrication de fibres optiques. De plus, cette matrice présente des avantages exploités dans les stratégies de correction des profils d’indice de réfraction (cf. § 4).

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Elle fait donc l’objet de la suite des résultats présentés dans ce chapitre, et de la majeure partie des résultats du chapitre 5.

La figure 12 représente des vues en coupe de fibres optiques double gaine (avec une gaine octogonale) de matrices AlPYb (figure a.), AlBYb (figure b.) et AlFYb (figure c.). Les clichés ont été réalisés à l’aide d’un microscope optique à transmission, ce qui permet de visualiser aisément le cœur, et de se rendre compte de son ovalité.