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Les différentes étapes de la cascade métastatique

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Les métastases (du grec, « déplacement » et du latin, « au-delà du calme ») représentent la première cause de mortalité par cancer (plus de 90%) et limiter leur évolution est un réel défi thérapeutique. Plus de 30% des femmes présentant un cancer du sein développeront des métastases des mois, voire des années, après leur diagnostic. Au cours de ce processus multi-étapes complexe, les cellules tumorales vont s’adapter à un microenvironnement étranger pour former une tumeur secondaire dans un tissu hôte : c’est la colonisation métastatique. Les cellules doivent tout d’abord migrer et envahir le tissu environnant avant d’atteindre la circulation lymphatique et sanguine (par des vaisseaux néoformés au sein de la tumeur) pour y être transportées jusqu’à des organes viscéraux où elles peuvent former une tumeur.

III.1 La transition épithélio-mesenchymateuse

La transition épithélio-mésenchymateuse ou TEM fut initialement décrite comme un processus développemental essentiel à la formation de nombreux tissus dont le tube neural. Le concept de la TEM est assez récent dans le domaine de l’oncologie (pour articles de revue, (Thiery et al., 2009; Wang and Zhou, 2011; Foroni et al., 2012)). Lors d’une TEM, en réponse à un signal cellulaire, de nombreuses modifications transcriptionnelles et protéiques entraînent des changements cellulaires et moléculaires importants. Les cellules épithéliales, caractérisées par une polarité apico-basale et l’expression des marqueurs de jonctions intercellulaires, perdent progressivement leur phénotype pour acquérir un phénotype mésenchymal. Ce dernier est caractérisé par une morphologie cellulaire allongée, associée à une perte de la polarité et de l’adhésion cellule-cellule ainsi qu’à une augmentation des capacités de migration, d’invasion et de résistance à l’anoïkis. La TEM est donc caractérisée par :

(1) la perte/relocalisation : des marqueurs des jonctions intercellulaires et de la polarité apico- basale incluant la E-cadhérine (des jonctions adhérentes) ; des occludines, des claudines et de ZO1 (des jonctions serrées) ; et de la desmoplakine (des desmosomes) ;

(2) la diminution d’expression des cytokératines épithéliales, une augmentation de l’expression de la vimentine, de la N-cadhérine et de l’actine musculaire lisse ;

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(4) la production de métalloprotéinases matricielles (MMP, matrix metalloproteinase) permettant le remodelage de la MEC ;

(5) l’augmentation de la motilité et de l’invasion cellulaire impliquant les microfilaments d’actine ; (6) l’augmentation de la résistance à l’anoïkis.

Parmi les principaux régulateurs de la TEM, de nombreux facteurs de transcriptions et de croissance, fonctionnant comme des « interrupteurs » de la TEM, ont été impliqués. Snail, Slug, Twist, ZEB1 (zinc finger E-box binding homeobox 1), ZEB2 (zinc finger E-box binding homeobox 2) régulent notamment l’expression de protéines d’adhésion dont la E-cadhérine, les claudines, les occludines (pour articles de revue, (Thiery and Sleeman, 2006; Thiery et al., 2009; Wang and Zhou, 2011; Foroni et al., 2012)). Ils peuvent notamment interagir avec la E-box présente sur le promoteur de la E-cadhérine et inhiber ainsi sa transcription. Des facteurs de croissance ou encore des composants de la MEC peuvent entraîner une TEM dans des cellules épithéliales. Parmi eux, on peut citer le TGF-β (transforming growth factor β), les facteurs de croissance des fibroblastes, les EGFs, les IGF-1 et IGF-2 (insulin-like growth factor). Les voies de signalisation WNT, Hedgehog, NOTCH et intégrines coordonnent la TEM.

Des mécanismes semblables à la TEM se mettent en place durant la progression tumorale des carcinomes, notamment au cours de l’invasion. Au niveau histologique, le front de migration des carcinomes présente une architecture moins cohésive et différenciée en comparaison de la région centrale de la tumeur. Certains phénotypes de la TEM tels que la perte d’expression des cytokératines épithéliales, l’expression ectopique de vimentine, sont associés à un haut grade histologique, un haut indice mitotique et une absence d’expression des RH (Willipinski-Stapelfeldt et al., 2005). En se basant sur une étude immunohistochimique sur des microarrays de tissu ou « tissue microarray » (TMA) de 479 carcinomes infiltrants, Sarrio et al., ont observé une signature TEM dans le sous-type basal (Sarrio et al., 2008). En analysant les profils d’expression génique par puces à ARN à partir d’échantillons d’individus avec un cancer du sein, l’activation des voies de la TEM semble corrélée au grade histopronostique (Teschendorff et al., 2007). Les composants des voies de signalisation impliquées dans la TEM seraient surexprimés dans les cancers de haut grade et cette surexpression serait associée à un mauvais pronostic. L’expression de Twist chez les individus est positivement corrélée avec les tumeurs de haut grade (Mironchik et al., 2005) et l’expression de SNAI1 est négativement corrélée au degré de différenciation des carcinomes (Blanco et al., 2002).

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III.2. L’invasion du tissu peritumoral

La migration est un mécanisme cellulaire très dynamique au cours duquel les cellules se déplacent sur un substrat ou au sein d’une matrice pour migrer. Les cellules peuvent migrer individuellement ou de façon collective. Différents types de migration et d’invasion ont été décrits : la migration individuelle et la migration collective, chacune caractérisée par différentes voies de signalisation. Durant la migration collective de cellules tumorales, une certaine cohésion est maintenue entre les cellules qui se déplacent en amas. En permettant aux cellules tumorales d’envahir leur microenvironnement, la dégradation de la matrice extracellulaire est essentielle à la dissémination métastatique. Elle est assurée par les MMPs, produites par les cellules tumorales mais aussi par des cellules du stroma (majoritairement les fibroblastes).

III.3. L’intravasation dans la circulation

L’intravasation fait référence à l’invasion d’une cellule tumorale à travers la membrane basale des vaisseaux lymphatiques ou sanguins. L’angiogenèse tumorale est donc un prérequis, non seulement à la croissance tumorale, mais aussi à la colonisation métastatique. Les cellules tumorales peuvent pénétrer dans la circulation de manière passive ou active : la perméabilité des vaisseaux sanguins permet un passage passif des cellules, tandis que les chémokines sont impliquées dans le transport actif des cellules tumorales (Bockhorn et al., 2007). Les cellules adhérent aux cellules endothéliales, puis à la MEC sous-jacente, et pénètrent ainsi dans la circulation lymphatique ou sanguine. Les macrophages associés à la tumeur sont capables de guider les cellules tumorales aux sites d’intravasation.

III.4. La survie dans la circulation : résistance à l’anoïkis

En 1994, Frisch et Francis furent les premiers à proposer le terme anoïkis (du grec, an-o-TT- kos ; état d’être sans maison), pour décrire la réponse cellulaire apoptotique induite en absence d’interactions, ou en présence d’interactions inappropriées entre les cellules et leur matrice environnante (Frisch and Francis, 1994). Ces auteurs ont observé que suite à leur transformation avec des oncogènes, des cellules épithéliales normales deviennent résistantes à l’anoïkis. L’anoïkis pourrait alors ralentir la progression tumorale des cellules cancéreuses une fois qu’elles sont localisées dans un tissu autre que le tissu mammaire. Ce type de mort cellulaire intervient donc à de multiples étapes de la cascade métastatique : de l’invasion, l’intravasation et transport dans les vaisseaux, jusqu’à l’extravasation et la survie dans des organes secondaires. Dans la circulation, les cellules tumorales circulantes ne prolifèrent pas et la plupart d’entre elles sont destinées à mourir :

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les lymphocytes T cytotoxiques (Natural Killer) du système immunitaire et les lymphocytes T ciblent les cellules cancéreuses pour les lyser.

III.5. L’extravasation de la circulation

L’extravasation correspond à la sortie des cellules tumorales des capillaires lymphatiques et sanguins pour envahir les organes environnants (Miles et al., 2008). Les mécanismes permettant l’extravasation des cellules sont similaires à ceux mis en jeu au cours de l’intravasation et de l’invasion. Les réseaux capillaires expriment certains marqueurs spécifiques dans chaque tissu de l’organisme qui permettent aux cellules circulantes de discerner leur tissu cible et de s’y arrêter. Par exemple, le foie, les ganglions lymphatiques, la moelle osseuse et les poumons expriment CXCL12 (C- X-C motif chemokine 12), une chémokine ligand de son récepteur, CXCR4 (C-X-C motif receptor 4)qui lui-même est exprimé par les cellules tumorales (Muller et al., 2001). D’autres interactions cellulaires participent aux contacts entre cellules endothéliales et cellules tumorales ; CD44 (cluster of differentiation 44) se lie à certains constituants de la MEC (collagène IV, fibronectine). S’ensuit une rétractation des cellules endothéliales permettant aux cellules tumorales de dégrader la membrane basale et la MEC sous-jacente avant de pénétrer dans le parenchyme adjacent.

III.6. La colonisation métastatique des organes secondaires

Une fois localisée au niveau de son organe cible, les cellules tumorales peuvent rester dans un état de dormance pendant de longues périodes (Luzzi et al., 1998), avant de développer une tumeur secondaire. Le processus inverse à la TEM, la transition mésenchymato-épithéliale (TME), également décrit au cours de l’embryogenèse, semble exister au cours de cette étape. Les cellules sont alors capables de réacquérir un phénotype épithélial et d’être à l’origine d’une nouvelle tumeur. Contrairement à la TEM, la TME n’est que très peu décrite.

Afin de comprendre l’évolution métastatique, deux modèles de progression co-existent : linéaire et parallèle. Dans le modèle de progression linéaire, les cellules des tumeurs primaires donnent naissance, après de multiples mutations, à des populations hétérogènes n’ayant pas les mêmes capacités métastatiques (Fidler and Lieber, 1972). Dans le modèle de progression parallèle, la dissémination des cellules tumorales serait un évènement très précoce, et leur évolution, indépendante des cellules de la tumeur primaire, leur permettrait de coloniser les organes secondaires.

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La localisation des métastases n’est pas anarchique au sein de l’organisme, elle est spécifique à chaque cancer, et l’anatomie de la circulation sanguine et lymphatique ne permet pas d’expliquer cette spécificité. En 1889, Stephen Paget avait proposé la théorie de « la graine et du sol », selon laquelle une graine (la cellule tumorale) ne peut se développer que dans un sol propice (le microenvironnement de l’organe hôte). La nature de l’organe cible ne dépend donc pas seulement des propriétés intrinsèques des cellules tumorales, mais aussi de leur « compatibilité » avec l’organe lui-même.

De nombreux efforts ont été réalisés afin d’identifier des signatures moléculaires pronostiques pour évaluer les individus à risque de développer des métastases. Bien que le transcriptome des tumeurs soit relativement stable au cours de la progression cancéreuse (voir Chap.3, II.1), des analyses d’expression génique ont identifié des gènes impliqués dans la dissémination métastatique au sein des différents organes. Ainsi, des signatures prédictives d’un mauvais pronostic sont décrites (van 't Veer et al., 2002; van de Vijver et al., 2002; Weigelt et al., 2005; Andrews et al., 2010; Lee et al., 2013) et sont commercialisées (MammaPrint®, Oncotype Dx®). Ces tests ont également une valeur prédictive de la réponse des individus aux traitements. L’existence de profils d’expression prédisant la localisation des métastases suggère que ce sont les propriétés intrinsèques des gènes exprimés dans la tumeur primaire qui gouverneraient ce processus (Kang et al., 2003; Allinen et al., 2004; Landemaine et al., 2008). Cependant, une signature ne démontre pas une implication fonctionnelle dans la pathologie, mais une association entre ces profils d’expression et la localisation métastatique. D’autre part, des gènes suppresseurs de métastases ont été identifiés : lorsqu’ils sont surexprimés, ils affectent la dissémination métastatique des cellules tumorales sans altérer la croissance de la tumeur primaire (pour article de revue, (Bohl et al., 2014)). On peut aussi envisager que chaque individu atteint d’un cancer présente une certaine susceptibilité génétique à développer des métastases, susceptibilité qui pourrait être héréditaire et contribuer à la colonisation métastatique.

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