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C. Les nanomatériaux dans les biocapteurs

3. Les dichalcogénures de métaux de transition

Depuis quelques années, plusieurs équipes tentent de trouver une alternative aux matériaux carbonés et notamment aux nanotubes de carbone. En effet, bien que ces derniers présentent de nombreuses propriétés avantageuses et soient utilisés dans une grande variété d’applications, ils restent peu représentés pour ce qui est des applications in-vivo ou dans le domaine du biomédical de par leur toxicité.

Des études théoriques ont montré qu’une autre famille de semi-conducteurs pourrait être amenée à remplacer les CNT dans les années à venir, même si cette affirmation reste encore au stade d’hypothèse. Il s’agit de la famille des dichalcogénures de métaux de transition (TMD). Elle comprend notamment des composés tels que le disulfure de molybdène ou le disulfure de tungstène202. La formule générale d’un dichalcogénure de métal de transition peut être écrite sous la forme générale MX2, où M représente un métal de transition et X un

Les TMD sont des matériaux stratifiés de structure similaire au graphite. Une monocouche est constituée d’un arrangement hexagonal des atomes du métal de transition auxquels sont liés de manière covalente les atomes de chalcogène, formant ainsi une structure de type « sandwich » (voir Figure 35). L’arrangement entre les différentes monocouches est régi par des interactions de type van der Waals. Les TMD sont capables d'offrir une large gamme de propriétés. A l’instar des nanomatériaux carbonés, ils présentent une grande surface spécifique, des propriétés optiques et électriques uniques, en plus de leur nature de semi-conducteur. De plus, les premiers rapports de toxicité concernant ce type de composés montrent qu’ils sont, à l’heure actuelle, bien moins toxiques que leurs équivalents carbonés203. Enfin, la bande interdite (bandgap en anglais) de ces matériaux est ajustable en fonction de la géométrie et de la constitution de ceux-ci, ce qui les rend particulièrement intéressant pour des applications telles que la réalisation de transistors, de photodétecteurs ou encore de dispositifs électroluminescents204–207.

Figure 35: A) Principe d’obtention d’une monocouche de dichalcogénure de métal de transition par intercalation d’ions lithium; B) Représentation schématique de la structure d’une monocouche de

dichalcogénure de métal de transition. Reproduit de 203

Il existe plusieurs méthodes de synthèses pour ce type de composé. A l’image du graphène, les monocouches de TMD peuvent être isolées par clivage mécanique ou par des méthodes d’intercalations en partant du matériau massif, celui-ci possédant une structure de type graphitique 208. Si ces techniques assurent une excellente qualité de la monocouche synthétisée, elles sont cependant couteuses pour une production à large échelle. C’est pourquoi il existe une variété de méthodes de synthèse basées sur le dépôt chimique en phase gaz (CVD) ou encore sur l’exfoliation en phase liquide209,210. Si les TMD sont le plus souvent présents sous forme de feuillets, il est également possible de les trouver sous la forme de

Les TMD ont ainsi initialement trouvé des applications dans la production et le stockage d'énergie, notamment pour la réalisation de batteries lithium-ion et de supercondensateurs, et dans les dispositifs opto-électroniques204,206,212. Cependant, un intérêt croissant se développe quant à leur utilisation pour la réalisation de biocapteurs, en profitant de la grande surface, de la fluorescence, de la conductivité électrique et du transfert rapide d'électrons hétérogène qu’ils offrent213.

b) Fonctionnalisation

Comme pour les matériaux carbonés, les TMD nécessitent d’être fonctionnalisés pour pouvoir entrer dans la conception d’un biocapteur. Si les techniques classiques, présentées auparavant concernant la fonctionnalisation du graphène ou des nanotubes, peuvent être appliquées à ce type de matériaux, il faut cependant prendre en compte les modifications qu’elles peuvent induire sur les propriétés des TMD. En effet, la modification de surface de ces matériaux peut entraîner le déplacement de charges et à terme conduire à la formation de dipôles de surface qui peuvent provoquer des effets dramatiques sur la structure électronique du semi-conducteur.

Il existe déjà de nombreuses études portant sur la fonctionnalisation de la surface des composés de formules MoS2 via des méthodes de fonctionnalisation de surface standard. Une de ces méthodes est la physisorption (ou adsorption). En effet, les composés MoS2 offrent une très grande surface spécifique présentant une forte affinité pour les interactions de type van der Waals et favorisent donc la physisorption. Cependant, ce type d’interactions est naturellement peu sélectif. Il faut donc s’assurer de la composition du milieu avant de procéder à la fonctionnalisation afin d’absorber sur la surface seulement les molécules ciblées. Le dépôt physique en phase vapeur (PVD) permet notamment de déposer sélectivement une monocouche de molécules à la surface d’un matériau. Cette monocouche peut alors former la base d'un édifice moléculaire qui aboutit à une surface de sélectivité élevée pour une cible spécifique d'analyse biologique214.

Les réactions mettant en jeu des méthodes à base de silane et de thiol, qui sont communément appliquées pour modifier les surfaces d'oxyde et de chalcogénure, sont également de bonnes alternatives pour la fonctionnalisation de TMD. De telles méthodes dépendent fortement de la formation de groupements hydroxyles (-OH) ou thiol (-SH) à la surface du matériau. Or, ces groupements résultent de la formation de défauts au sein de la structure de formule MX2 du TMD. Ainsi, en modifiant les conditions de synthèse du matériau, il est possible d’obtenir un taux de défauts plus important, permettant par la suite la fonctionnalisation de ceux-ci215,216. Enfin, d’autres méthodes alternatives peuvent également être utilisées. Les liaisons disulfures sous la forme R-S-S-C peuvent être établies par couplage de deux groupes thiol pour immobiliser des entités organiques telles que diverses protéines. Les composés acides contenant des groupes -SOH peuvent également se lier à des protéines et des hydrates de carbone et agir comme catalyseurs ou comme des intermédiaires pour des interactions biologiques217.

Wang et al ont par exemple réussi à immobiliser un peptide, la thionine, à la surface de TMD en mélangeant simplement des feuillets de MoS2 et un sel d’acétate de thionine dans du DMF218. La Figure 36 montre que la thionine se greffe préférentiellement là où le nombre de défauts est le plus important, c’est-à-dire sur les bords de la structure. Une fois la thionine greffée, cette base a ensuite été utilisée pour immobiliser un brin d’ADN et ainsi permettre la réalisation d’un biocapteur pour la détection d’ADN.

Figure 36: Conception d'un biocapteur à ADN par fonctionnalisation d'un feuillet de MoS2. Reproduit de

218

c) Applications

Bien que l’incorporation des TMD dans la réalisation de biocapteurs soit relativement récente, plusieurs travaux sont déjà décrits dans la littérature et présagent d’un fort engouement dans les années à venir pour ce type de matériaux.

Zhang et al ont ainsi réalisé un biocapteur pour la détection d’ADN219. Ce capteur utilise les propriétés optiques des TMD, et plus particulièrement l’aptitude des TMD à inhiber la fluorescence des brins d’ADN marqués par des fluorophores. Plusieurs espèces ont été testées dans cette étude telles que MoS2, TiS2 ou encore TaS2 afin de réaliser un biocapteur fluorimétrique. Le biocapteur le plus performant (TaS2) a atteint une limite de détection de 50 pmol.L-1, contre 4 nmol.L-1 pour une détection basée sur l’utilisation de CNT comme matrice d’immobilisation de l’ADN.

Chao et al. ont pour leur part mis au point un biocapteur pour la détection de NO et H2O2220. Pour cela, ils ont développé un film composite constitué d’un feuillet de MoS2 et de nanoparticules d’or. Ce film a ensuite servi à immobiliser l’hémoglobine afin d’assurer la bioreconnaissance vis-à-vis des substrats désirés. Ce type de composite a un double intérêt puisqu’il permet d’une part d’immobiliser la protéine en conservant son activité biologique et l’intégrité de sa structure, mais facilite également le transfert électronique et assure une bonne biocompatibilité. En condition idéale, ce capteur ampérométrique offre une bonne limite de détection de l’ordre de 4 et 5.10-6 mol.L-1 pour la détection respectivement de H2O2 et NO avec une linéarité comprise entre 10.10-6 mol.L-1 et 300.10-6 mol.L-1 pour le premier et 10.10-6

Zheng et al ont eux utilisés les TMD pour des travaux théoriques s’appuyant sur la détection par SPR221. Ils ont ainsi montré que l’incorporation de feuillets de MoS2, couplé à un feuillet de graphène (Figure 37), permet d’augmenter la sensibilité du système d’environ 500 fois par rapport à une détection SPR classique utilisant simplement du graphène. Le graphène est ici utilisé pour assurer l’immobilisation de la biomolécule d’intérêt, alors que la monocouche de MoS2, grâce à son meilleur coefficient d’absorption de la lumière, permet d’augmenter la sensibilité. Ces travaux ont également montré que le nombre de monocouche de TMD ainsi que l’épaisseur du film d’or peuvent être modifiés selon la sensibilité et la précision recherchées.

Figure 37: Représentation schématique de la structure du biocapteur. Reproduit de 221.