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II. PARTIE CLINICO-THÉORIQUE

10. Les dernières séances avec Mattéo avril 2019

Par lui-même et à plusieurs reprises, Mattéo prendra le temps de respirer profondément. Je peux également observer qu’il a de meilleures coordinations générales. Son équilibre est meilleur, ses appuis également. Mattéo semble moins chétif. Il a pris d’ailleurs quelques centimètres et un peu de poids. Il a une bonne organisation corporelle, ses gestes sont posés et efficients.

Quand il est organisé dans son corps, je tente plusieurs fois d’augmenter la difficulté en allant « l’attaquer » dans ses cages. Son rythme s’accélère, sa voix également, quelques paratonies apparaissent, mais ses mouvements restent malgré tout fluides et organisés. Il est précipité mais pas désorganisé. Ses mouvements sont adaptés au jeu. J’observe encore quelques troubles tonico- émotionnels29 : réactions de prestance, paratonies, syncinésie buccale, etc.

En séance, il parle et rit beaucoup. Il se permet également de crier quelques mots. Ses paroles servent à expliquer ce qu’il fait, à arrêter l’action pour réfléchir à la façon d’agir. Son discours est fluide et organisé, comme son corps.

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Les troubles tonico-émotionnels se traduisent par une réponse mal adaptée du tonus musculaire (hypertonie, hypotonie, décharge tonique) survenant dans une ou plusieurs parties du corps.

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Au fur et à mesure des séances, je ressens une résonnance tonico- émotionnelle entre Mattéo et moi. Nos deux rythmes internes semblent ajustés entre nous ce qui nous permet une plus grande fluidité du mouvement, des meilleures coordinations et dissociations. Mattéo et moi sommes de plus en plus ajustés corporellement. La parole est facilitée, le corps est en mouvement. Il est moins impulsif dans son corps et dans sa parole. Son esprit semble plus posé.

Malgré tous ces progrès notables, la plupart de ses tirs sont pour m’éviter, non pour tirer dans mes buts. Mattéo est encore impulsif par certains moments, quand il n’arrive plus à gérer l’excitation qui est en lui. Il réussit à s’ajuster de plus en plus et prend conscience de cette agitation qui peut le traverser. Je ressens et j’observe que le travail est en cours.

Lors de l’avant-dernière séance avec moi, il regarde les jeux de société avec intérêt et souhaite en faire un : le Quoridor®. Il se souvient que c’est un jeu qu’il apprécie mais ne sait plus comment y jouer. Rappelons que la prise en charge en psychomotricité était axée au début sur la relation, et que la psychomotricienne s’appuyait sur la sphère logico-mathématique dans laquelle Mattéo se sent à l’aise pour créer du lien. Aujourd’hui, il ne souhaite pas se mettre en mouvement. Je me demande pourquoi ce refus ? Cherche-t-il à retrouver une zone de confort ? Je vais dans le sens de sa proposition pour tenter de répondre à ce comportement. À travers ce jeu, je vais observer comment Mattéo entretient le dialogue tonico-émotionnel que nous construisons ensemble depuis le début de l’année, comment il s’ajuste corporellement et émotionnellement face à la compétitivité du jeu. Nous nous s’installons au sol et nous discutons afin de déterminer des règles. Le dialogue est instauré entre lui et moi : il parle aisément, émet des règles, discute avec moi, il rit et va jusqu’à se moquer de moi. Il surveille que je ne me vexe pas, il expérimente l’humour et l’ironie à travers le jeu. Il fait preuve de stratégie pour gagner et surtout m’empêcher de gagner. Il accepte cependant sans difficulté que je gagne. Je sens l’excitation monter petit à petit, il se redresse, ses épaules sont contractées, il parle plus fort, il rit et me demande de me dépêcher, mais de lui -même il met du sens sur ce qui se joue : « tu réfléchis hein ! ». Il attend et observe bien. Il parle pour combler le silence que j’instaure en ne lui parlant pas, concentrée sur mes pions.

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Durant cette séance, Mattéo va vivre plusieurs émotions différentes (joie, excitation, etc.). En effet, il va rire aux éclats, sourire, s’exclamer, crier, etc. Il met des émotions dans sa parole. Il va se réguler par lui-même en soufflant, en bougeant les bras, en changeant de position. Cela ne semble pas le perturber, il se régule, est très concentré et ajusté tout au long de la séance. Cela me permet d’observer que les progrès de Mattéo sont transposables d’une médiation à une autre.

La semaine suivante, je reste en observation avec l’accord de ma tutrice qui mènera donc la séance. Je l’explique à Mattéo qui accepte mais il semble perturbé par le fait que je reste assise à l’observer. Malgré cela, il entre directement en relation avec elle, la connaissant bien, mais à nouveau il souhaite faire un jeu de société. Elle tente de l’amener à se mettre en mouvement, propose une médiation avec un ballon, à deux ; elle insiste ; mais Mattéo refuse. Comme s’il nous avait donné deux places différentes (jeune et vieux, actif et passif). Il propose le Reversi®30 : ce jeu demande de la réflexion, l’élaboration de stratégies (calculer comment placer son pion de façon à en obtenir le maximum possible en un coup, etc.). Nous nous questionnons quant à la pertinence de ce jeu en séance : comment Mattéo va intégrer les règles et jouer. Mattéo étant un peu perturbé quant au fait que je suis en observation, nous acceptons le jeu de société. À nouveau, il va nous surprendre, il va intégrer les règles et jouer de façon réfléchie et adaptée. Il aura besoin de l’aide de ma tutrice pour commencer le jeu, élaborer certaines stratégies mais reste très attentif et fait preuve de réflexion. Il interroge le jeu, les règles, il réfléchit à voix haute, nous demande si sa réflexion est adaptée. La relation à trois semble plus simple pour lui, il me lance plusieurs regards durant la partie. Face à la difficulté du jeu, il ne s’excite pas, adopte une posture calme et réfléchie. Il s’exclame à chaque petite victoire. À nouveau, sa voix est très expressive, son visage également, sa parole libérée.

Les progrès de Mattéo sont notables au fur et à mesure des séances : il est de plus en plus en relation. Corporellement, il paraît moins débordé, d’autant

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Jeu de stratégies à deux joueurs : noir et blanc. Il se joue sur un plateau unicolore de 64 cases. Chaque joueur a 32 pions. Un pion est noir si la face visible est noire, et blanc si la face blanche est sur le dessus. Le but du jeu est d’avoir plus de pions de sa couleur que l’adversaire à la fin de la partie (quand aucun joueur ne peut plus jouer).

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plus quand il joue à un jeu de société ce qui lui demande moins de mouvements. Sa régulation tonique est de meilleure qualité. Il paraît de plus en plus ancré, ses appuis semblent efficients. Son corps semble plus présent, plus compact.

Je revois Mattéo pour la dernière séance de psychomotricité après un mois d’interruption lié aux vacances et à une absence pour cause de maladie. Il ne me regarde pas : il discute avec la psychomotricienne. La relation à trois est à nouveau compliquée pour lui. Il a de nombreuses syncinésies buccales dès qu’il bouge, qu’il parle. Il ne semble pas à l’aise dans son corps, il se tortille. Toutefois, il entre très vite en relation : il répond assez souvent « oui » mais parle également de lui, de ses vacances. Je lui propose par la suite de se mettre en mouvement mais Mattéo s’y oppose, il n’a pas envie, les jeux de société le tentent davantage. Nous nous mettons d’accord : 10 minutes de foot puis 10 minutes de jeux de société. Il accepte, enthousiaste. Je m’interroge sur le refus de se mettre en mouvement : on pourrait penser que le foot le met en échec, qu’il ne sent pas à l’aise, mais ce n’est pas ce qu’il verbalise, ni ce que j’observe. Je ne pense pas que ce refus vienne donc de ses difficultés psychomotrices, ni d’une mauvaise estime de soi. Mattéo semble avoir besoin de se nourrir davantage sur le plan intellectuel.

Lors de l’échauffement, ses mouvements sont fluides, coordonnés et dissociés. Il est ancré dans le sol, son corps paraît davantage consistant. Il parle beaucoup et est assez expressif. Puis, nous démarrons la partie de foot. Il est précipité, court beaucoup. Sa respiration est efficiente pour autant, il n’est pas essoufflé. Il entre assez vite dans le jeu. Il ne se rend pas compte que la séance s’écoule ; je dois lui signaler qu’on arrête la partie et qu’on fait maintenant un jeu de société. Je pense que si je ne l’avais pas prévenu que les 10 minutes s’étaient écoulées, il ne s’en serait pas rendu compte.

Durant la partie, afin de l’aider à trouver son rythme, son équilibre, je décide à nouveau de très peu bouger, je reste du côté de mes cages. Je lui permets ainsi d’explorer seul l’espace, de ne pas se sentir menacé par ma présence qui peut lui voler le ballon. Il a le temps de viser mes cages. Pour autant, viser est encore compliqué pour lui : il tape souvent sans viser. Je parle également des stratégies que je fais, que j’adopte, pour mettre du sens dessus, l’aider à décomposer mes stratégies et qu’il puisse ainsi prendre ses

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mouvements et les faire siens. C’est donner des bases pour permettre d’élaborer et de construire ses mouvements. Ça lui permet d’avoir comme un grand panel de mouvements dans lequel il peut puiser. De plus, quand l’excitation est trop grande, je stoppe le ballon pour qu’on le place au centre ; cela permet, sans couper le jeu, de faire des micro-temps de pause. Ça inclut une pause dans le rythme. Et enfin, je ne cours plus durant les séances, je marche à grande s enjambées. Toutes ces stratégies me permettent de ralentir mon mouvement et l’énergie de la séance.

Enfin, à table, nous faisons une partie de Mastermind® : la partie est très fluide, les consignes sont acquises, Mattéo est très ajusté dans la relation.

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