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Chapitre 1 : Introduction générale

1.4. Les conséquences d’une réponse adaptative pour les populations

Un certain nombre d’études suggèrent que des changements adaptatifs apparaissent dans les populations soumises aux pressions de sélection anthropiques (voir section 1.3.). Ces changements adaptatifs pourraient permettre de « sauver » la population (voir Figure 6) mais il est possible que ces changements en réponse à l’action combinée de la sélection naturelle et artificielle ne soit plus à l’optimum local du paysage adaptatif du trait soumis à la seule sélection naturelle (Carlson et al. 2007). Si l’intensité de la sélection artificielle est forte et que la population est capable de s’adapter (voir section 1.3.2), le nouvel optimum local pourrait être « déplacé » par rapport à l’optimum local naturellement sélectionné vers des tailles corporelles plus petites et son sommet pourrait être plus bas (voir Figure 6). La taille corporelle des vertébrés est un trait phénotypique clé qui reflète un grand nombre de traits d’histoire de vie (Blueweiss et al. 1978; Peters 1983; Calder 1984; Roff 1992; Brown and Sibly 2006) d’un individu (e.g. âge et taille à maturité sexuelle, croissance somatique). Jeffrey Hutchings et John Reynolds recensent les principaux traits d’histoire de vie qui pourraient influencer le potentiel de récupération d’une population exploitée (Hutchings and Reynolds 2004). En général, la taille corporelle d’un individu mature est positivement corrélée à sa survie et son potentiel reproducteur (i.e. taille des œufs, des larves, survie des juvéniles). Par exemple chez les poissons ovipares la taille des femelles est positivement corrélée à leur fécondité et à leur survie (Hutchings 2002). Une population composée d’individus de petite taille pourrait donc avoir un potentiel reproducteur plus faible, et diminuer la hauteur du nouvel optimum local (voir Figure 6), c’est-à-dire la fitness moyenne de la population (Hutchings and Reynolds 2004; Brown and Sibly 2006). Dans une expérience de sélection artificielle sur la taille corporelle de Capucette (Menidia menidia), Matthew Walsh et ses collaborateurs (2006) ont effectivement montré qu’une population exploitée pour de grandes tailles corporelles présentait un déclin substantiel de la fécondité, de la capacité à s’alimenter, de la taille des œufs, de la taille des larves, de leur croissance somatique et de leur viabilité. En outre, une diminution de l’âge à maturité sexuelle pourrait également augmenter le risque d’extinction de la population car une maturité précoce est souvent associée à une longévité plus faible (coût de la reproduction) chez les espèces itéropares et à un moins bon potentiel reproducteur (Hutchings 2002; Roff et al. 2002). Par exemple, une étude expérimentale du potentiel reproducteur de morues (Gadus morhua) a montré que les femelles plus jeunes qui effectuaient leur première reproduction étaient de moins bonnes reproductrices que leur

congénères plus âgées (Trippel 1998). Ainsi une population « perturbée » par des activités anthropiques, dont la taille moyenne diminue risque de voir également diminuer son effectif. Par conséquent elle pourrait être plus exposée à un risque d’effondrement densité-dépendent (voir encadré 2.1. et 2.2.). Un taux de croissance de la population plus faible augmente en effet les risques d’extinctions stochastiques (Lande 1988). Par ailleurs, certaines populations sont soumises à des effets densité-dépendants positifs (effet Allee) qui peuvent également augmenter leur probabilité d'extinction si leur effectif passe en dessous d’une valeur seuil (Courchamp et al. 1999).

Les facteurs anthropiques, en particulier la surexploitation, génèrent des changements de traits d’histoire de vie dans les populations qui peuvent s’accompagner d’une altération de leur environnement, et la nature plastique et/ou génétique de ces changements est difficile à établir (Conover 2000; Law 2000; Fenberg and Roy 2007; Conover and Baumann 2009). Pourtant des déplacements de traits évolutifs pourraient avoir des conséquences beaucoup plus dramatiques à long terme pour ces populations que des changements purement plastiques (Allendorf and Hard 2009). En complément des conséquences néfastes présentées ci-dessus, une réponse adaptative des populations aux pressions anthropiques pourrait diminuer les capacités d’adaptation futures par érosion de la diversité génétique de la population (Ryman et al. 1995).

Dans ce contexte j’ai réalisé une expérience de sélection artificielle taille-dépendante (voir chapitre 4) sur un poisson afin d’étudier les mécanismes d’adaptation des populations. Les objectifs spécifiques étaient (1) d’identifier quels traits sont susceptibles d’évoluer en réponse à une sélection taille-dépendante, (2) d’observer comment ces traits répondent (magnitude et direction) et (3) d’envisager les conséquences pour les populations (i.e. estimation de la fitness moyenne des populations sélectionnées).

Encadré 2.1. : Stochasticité dans les petites populations

Lorsqu’une population devient petite, certains processus stochastiques démographiques et génétiques se trouvent perturbés. Les effets de ces processus démographiques et génétiques et leurs interactions peuvent contribuer à augmenter le risque d’extinction des populations à faible effectif, par vortex d’extinction (Shaffer 1981; Lande 1988). Les processus stochastiques désignent les variations aléatoires qui se produisent à l'échelle des gènes (dérive génétique), des individus (stochasticité démographique) ou des populations (stochasticité environnementale). Or la loi des grands nombres prédit que pour une variable aléatoire normalement distribuée, plus le nombre de tirages augmente, plus la moyenne de l’échantillon s’approche de la moyenne théorique. Par conséquent dans une petite population (faible nombre de tirages) la moyenne réalisée d’un événement peut s’éloigner de la moyenne théorique.

La stochasticité démographique correspond à la variabilité aléatoire qu’ont les individus de survivre et de se reproduire. Dans le cas d’une grande population, les taux moyens de survie et de reproduction réalisés sont proches des taux moyens théoriques (i.e. loi des grands nombres) et suffisent pour assurer la croissance de la population. Dans une petite population, même si elle possède en théorie les taux de survie et de reproduction suffisant pour assurer la croissance de la population, il est plus probable que la population dévie fortement de son comportement théorique car la dynamique globale va dépendre d’un faible nombre d’événement (i.e. de tirage aléatoire) de survie et de reproduction. Par exemple la population de Bruant maritime en Floride de très faible effectif en 1980 s'est complètement éteinte en 1987 car des phénomènes de stochasticité démographique ont engendré un sexe ratio complément biaisé en faveur des mâles (Delany et al. 1981).

Dans les petites populations le risque de se reproduire entre individus génétiquement proches augmente et le risque d’exprimer des allèles qui ont un effet défavorable sur la survie ou la fécondité des individus augmente, c’est le phénomène de dépression de consanguinité (Charlesworth and Charlesworth 1987). La stochasticité génétique, ou la dérive génétique, fait référence aux variations aléatoires des fréquences alléliques dues à la ségrégation aléatoire des allèles lors de la méiose et à la fécondation aléatoire des gamètes dans le cas d’une reproduction sexuée. Dans une petite population, la fixation d’un allèle délétère ou la perte d’un allèle favorable pour la survie ou la reproduction augmente et peut réduire le taux de croissance de la population (Lande 1988; Frankham 2005). Par ailleurs, la perte d’individus ainsi que l’augmentation de la consanguinité et l’augmentation de la perte d’allèles par dérive génétique diminue la diversité génétique de la population. Or l’homogénéisation génétique diminue les capacités d'adaptations de la population dans son environnement (Willi et al. 2006).