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temps de vie et de ses tensions dans le cadre du Luxembourg

2.2 Les conditions de mobilité quotidienne au Luxembourg

Pour mettre en évidence les tensions de la mobilité quotidienne des individus, il est avant tout nécessaire de s’interroger sur leur opinion générale vis-à-vis des conditions de mobilité au Luxembourg. Pour ce faire, nous aborderons, dans un premier temps, les discours sur les conditions générales de la mobilité quotidienne au Luxembourg. Nous y présenterons les traits caractéristiques de ces discours ainsi que les thématiques récurrentes y apparaissant. Dans un second temps, nous aborderons ces conditions de mobilité d’une manière plus détaillée, par la prise en compte des discours se rapportant aux modes de transport : tout d’abord ceux des modes de transport habituellement utilisés par chaque répondant, puis ceux des alternatives s’offrant à eux.

2.2.1 Une situation « routière » jugée catastrophique mais néanmoins relativisée

Lors de ces 14 entretiens, il a été demandé aux interviewés de dire si, d’une façon générale, ils jugeaient plutôt « satisfaisante ou insatisfaisante la manière dont on se

déplace au Luxembourg ? ». Plusieurs éléments ressortent : tout d’abord, et sans réelle

surprise, les discours s’orientent de manière spontanée vers les conditions de mobilité du système routier. Les personnes utilisant quotidiennement leur voiture ont donc parlé de manière privilégiée des conditions de la circulation automobile. La grande référence à la voiture individuelle dans leur discours concorde d’ailleurs avec son utilisation : 12 personnes sur 14 utilisent quotidiennement leur voiture pour effectuer leurs déplacements.

Dans le cadre des conditions du système routier, il est très souvent mis en avant l’opposition entre les heures dites « de pointe » et les heures dites « creuses ». Cette distinction entre ces deux créneaux horaires ne permet pas aux répondants de conclure de manière immédiate et amène ces derniers à choisir l’adjectif proposé en fonction de la situation horaire considérée. Un interviewé témoigne [13] 43 : « Je dirais qu’en dehors des

heures de pointe, on se déplace relativement bien. Pendant les heures de pointe c’est la catastrophe. Moi, comme j’ai des horaires relativement classiques, j’y suis assez souvent ».

Les discours se rapportant au système routier font état d’un autre phénomène : celui d’une opposition entre une situation jugée « catastrophique » et une certaine relativisation du phénomène au regard de l’importance des flux quotidiens. Une personne raconte [1] :

« Eu égard au nombre de personnes qui arrivent chaque matin et qui repartent chaque soir, c’est franchement pas si mal que ça. On ne va pas faire des autoroutes à 8 voies pour deux heures dans la journée… ». Une autre personne relativise quant à elle la

43 Les chiffres entre crochets renvoient aux mobilités résidentielles des individus (Fig.22 – p.95 ; Fig.23 – p.98 ; Fig.24 – p.101).

situation à une plus large échelle [11] : « Oui, d’une manière générale, c’est plutôt

satisfaisant…par rapport à d’autres villes européennes, oui ».

Chez ces mêmes personnes, la thématique des transports en commun est abordée soit en marge du discours, ou alors du fait de relances spécifiques de la part de l’enquêteur. Les transports publics recueillent alors des avis globalement positifs.

2.2.2 Des transports en commun bien évalués…

En effet, de nombreuses personnes ont noté l’amélioration (réelle ou perçue) des prestations générales du transport public luxembourgeois et lorrain au cours du temps [11] : « C’est vrai qu’ils ont quand même fait des efforts au Grand-Duché sur la question

des transports. Ici on a des bus toutes les demi-heures. Et en période de pointe, je sais qu’il y a encore des bus supplémentaires entre 16h00 et 17h00 ». Il y est également mis

en avant la qualité du service et de la desserte du territoire [7] : « Les trains, y’en a en

quantité : pour se déplacer, en bus et en train, on peut faire tout le Luxembourg ! ».

Le prix est cité comme un point très positif. Une personne témoigne [5] : « En plus, les

tarifs sont très compétitifs par rapport aux tarifs français. Le bus qui part de Villerupt pour aller au Luxembourg, c’est 1,5 Euros. Donc ça fait 3 euros de bus si l’on passe une journée à Luxembourg-Ville, c’est même pas le prix du parking pour 1 heure et demi !».

Comme nous le verrons par la suite, même si le prix ne représente pas l’argument en faveur duquel les gens pourraient changer de mode de transport, les interviewés établissent de manière spontanée une comparaison entre le prix de l’abonnement aux transports publics et les dépenses liées à leur(s) voiture(s) individuelle(s). Une personne apporte son témoignage [4] : « C’est dommage parce que c’est vrai que pour le prix de

mon plein d’essence pour une semaine, j’avais l’abonnement de train pour un mois… mais ça oblige à se lever encore plus tôt : il faudrait que je prenne le train de 4h40 à Rodange… ça ferait des longues journées ».

Dans le cadre de ces entretiens, certaines personnes (frontalières) n’avaient pas accès aux transports en commun à proximité de chez elles, du fait de leur localisation dans des zones d’habitat peu dense. Ces personnes ont déclaré être conscientes d’avoir fait un choix et semblent accepter cette absence de service : elles n’ont d’ailleurs pas de jugement à proprement négatif vis-à-vis du transport public. Un frontalier témoigne [2] :

« On est venu habiter ici, on savait très bien qu’il n’y a pas de gare. Il ne faut pas venir habiter ici et exiger de la commune qu’elle mette en place des lignes de bus. J’pense que la commune n’aurait pas les moyens et puis pour vingt personnes c’est pas rentable. On sait très bien ce qu’on fait quand on vient ici ».

Ainsi, les transports en commun sont de manière générale plutôt bien évalués. Il est pourtant surprenant de constater que, devant cette bonne évaluation, les taux d’utilisation soient aussi peu élevés : rappelons que seulement 2 personnes sur les 14 rencontrées les utilisent quotidiennement pour se rendre au travail. A quoi est dû le décalage entre bonne évaluation et faible utilisation ? Comment les interviewés perçoivent-ils les

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alternatives qui s’offrent à eux ? Et si elles existent, les considèrent-ils comme des alternatives crédibles à leur mode de transport habituel ? Le manque d’alternative est-il un élément contraignant ?

2.2.3 …mais jugés inadaptés aux déplacements des individus

Il faut avant toute chose remarquer que les transports en commun n’ont été jugés que de manière générale : en cela, les qualités susmentionnées ne font ni référence à des itinéraires précis, ni à des trajets vécus. Pour tenter de comprendre comment sont considérées les alternatives au mode de transport usuel de chaque personne (et si elles sont effectivement perçues comme des alternatives), il a été demandé aux interviewés de dire s’il serait « plutôt difficile » ou » plutôt facile » de changer de moyen de transport pour effectuer leurs déplacements quotidiens.

Force est de constater que 11 personnes considèrent une alternative à leur automobile comme « très difficile », « quasiment impossible », voire « complètement impossible »44. L’évaluation positive générale du transport public fait ainsi écho à la mauvaise évaluation des transports en commun pour un trajet précis. Dans un souci de cohérence et d’argumentation (vis-à-vis d’eux-mêmes ou de leur discours), beaucoup d’interviewés ont déclaré avoir essayé de se déplacer avec les transports en commun45. Ils mentionnent ainsi avoir abandonné depuis, et ce pour diverses raisons, ou ne les utiliser que lors de situations de dépannage (difficultés climatiques, voiture personnelle en panne, etc.).

Deux types d’arguments sont avancés. Ils fonctionnent sur deux logiques de discours différentes. Nous distinguons les arguments liés à « l’inadaptation » de la situation de la personne aux services proposés par les transports en commun, et les arguments liés à l’inadaptation des transports en commun vis-à-vis des besoins en mobilité de la personne46. Au sein de la première catégorie d’arguments, nous pouvons distinguer ceux s’appliquant :

Aux horaires de travail : les horaires de travail flexibles ou l’organisation du travail lui-même, tendent à s’opposer à la rigidité des horaires de transport en commun. Une personne témoigne [13] : « J’ai pas d’horaires fixes : je ne démarre

pas à telle heure et je ne finis pas à telle heure. Je peux commencer des fois à 06h00 du matin et terminer à 22h00… ça dépend vraiment de ma masse de travail. Donc la fluctuation de mes horaires de travail, ça, c’est la première raison. La seconde, c’est que je dois faire beaucoup de déplacements de mon bureau vers d’autres lieux pour mon travail ».

44

Les personnes ont adapté les adjectifs proposés.

45

Peut-être aussi pour légitimer le fait de ne pas les utiliser quotidiennement dans un contexte de société où l’écologie et l’environnement prennent de l’ampleur.

46 Ce second type d’argument représente une démarche inverse au premier : il laisse entrevoir de manière plus spontanée un éventuel report modal si les conditions de mobilité du transport public viennent à s’améliorer sur un trajet précis.

Au statut dégagé par les transports en commun : certaines personnes ont laissé entrevoir que l’image des transports en commun ne convenait pas à leur statut socio-professionnel [1] : « En fait j’occupe une place de cadre dans une

petite structure où je suis le numéro deux de la société, et donc je ne peux pas du tout me permettre de prendre les transports en commun, c’est pas du tout adapté. En plus j’ai encore des déplacements de temps à autres dans le cadre de mon boulot, même si c’est que sur un rayon de 10 km pas plus ».

Dans la seconde catégorie d’arguments, nous pouvons distinguer ceux s’appliquant : Au temps de trajet : le temps de trajet est l’argument le plus significatif justifiant

l’impossible utilisation quotidienne des transports collectifs. Une personne raconte [11] : « C’est surtout à cause du temps de trajet, et puis des horaires. Et puis vous

vous rendez compte ? 2 heures pour faire 50 kilomètres ? C’est beaucoup ! ». Le

temps de trajet en transport en commun est ainsi comparé de manière systématique au temps de déplacement en voiture. Une personne utilisant de temps à autre les transports en commun pour aller travailler résume [10] : « Si je

prends le train et le bus, je dois partir à 06h30 de la maison. Si je prends la voiture, je pars de la maison vers 07h15. Si je repars avec la voiture, je suis à la maison vers 17h40, quelque chose comme ça. Si je repars avec le bus et le train, j’arrive à la maison à 18h15 ou 18h20 ».

Aux ruptures de charge : les problèmes liés aux changements et autres ruptures de charges sont fréquemment avancés et décrits comme particulièrement rebutants. Ces changements sont, de plus, souvent combinés à des attentes aux arrêts qui accentuent l’impression de perte de temps et de rupture dans le trajet :

« 40 minutes c’est le temps pour revenir ici en voiture. Si j’attends quarante minutes à l’arrêt et qu’après j’ai encore quarante minutes de transport en commun... voilà quoi ! ».

A la distance (réelle ou perçue) par rapport aux arrêts de départ et d’arrivée : [5] « Ca voudrait dire quoi ? Qu’il faut que je descende à pied jusqu’au départ du

bus, ou alors que je laisse ma voiture sur le parking du supermarché ou quelque chose comme ça, pour prendre un bus qui, de toute façon, s’arrête encore loin de mon travail… et donc il faudrait que je continue à pied ? Donc pour le moment, effectivement, je ne l’envisage même pas… ».

En marge de ces arguments, et comme pour les justifier quelque peu, on note l’affichage de deux autres phénomènes. Celui tout d’abord d’une certaine bonne volonté de report modal, pour peu que les transports en commun eussent été plus « pratiques ». La personne précédente continue [5] : « S’il y avait quelque chose de plus pratique, si

y’avait une infrastructure plus facile à utiliser, comme un tram avec des arrêts à proximité,

etc., bon, je pense bien que dans le cadre de la cité des sciences47, il y aura ce qu’il

faudra, mais c’est pas encore pour demain ! ». Celui ensuite d’une notion de « report sur

47 La « Cité des sciences, de la recherche et de l’innovation » est un projet de reconversion étatique des friches industrielles de la commune d’Esch/Alzette.

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les autres » quant à la possibilité d’utiliser les transports publics. Un interviewé signale [4] : « d’une manière générale, je trouve que le Luxembourg est bien organisé :

y’a des bus pour tous les petits villages, ils ont toujours des bus tout au long de la journée, c’est régulier. Les gens ne sont pas obligés de prendre leur voiture. Nous, du coté français, on est obligé ».

Ainsi, pour les personnes rencontrées, les transports publics sont encore considérés comme des alternatives « de secours », que l’on n’utilise qu’en cas de besoin (difficultés climatiques, panne de voiture, etc.). Les tensions générées par les trajets quotidiens en automobile semblent toujours plus facilement acceptées que la perte de temps ressentie ou la « rigidité » issue du transport en commun. Intéressons-nous à présent à l’influence de ce temps des déplacements sur la vie courante.

2.3 Une organisation générale de la mobilité quotidienne fondée sur les temps