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Les cellules souches oculaires et la régénération tissulaire

Chapitre 1 : Introduction

1.4 L’œil et le glaucome à angle ouvert

1.4.5 Les cellules souches oculaires et la régénération tissulaire

Jusqu’à maintenant, la thérapie cellulaire au niveau oculaire reste expérimentale, bien que quelques techniques soient déjà pratiquées en clinique. L’objectif principal de la plupart

de ces recherches est la régénération des cellules nerveuses et des photorécepteurs de la rétine, dont la destruction mène à la perte de vision dans les maladies oculaires, comme les dystrophies rétiniennes, le glaucome et la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA). L’utilisation de cellules souches embryonnaires ou des IPS sont parmi les avenues thérapeutiques les plus prometteuses pour réparer l’œil et font donc l’objet d’une investigation intensive. Différents types cellulaires obtenus suite à la différenciation des ESC ont été utilisés dans des modèles animaux de dégénérescence oculaire et, jusqu’à maintenant, ont permis de ralentir la progression de la perte de vision ou de restaurer la sensibilité à la lumière dans certains modèles de maladie. Le mécanisme impliqué était le remplacement des tissus endommagés par l’intégration à la rétine et la différenciation des ESC en photorécepteurs fonctionnels ou en cellules épithéliales pigmentaires de la rétine (RPE)(265). Toutefois, d’autres structures de l’œil, comme la cornée, le trabéculum, le tissu vasculaire et les cellules RPE, sont des sources potentielles de cellules progénitrices pouvant mener à de nouveaux traitements en clinique (266, 267).

1.4.5.1 La cornée

Les cellules de la cornée, comme toute autre surface épithéliale, sont constamment éliminées et renouvelées pour maintenir la transparence et l’intégrité de cette membrane. Les cellules progénitrices responsables de ce renouvellement, nommées cellules souches épithéliales limbales (LESC), se trouvent à la jonction cornéosclérale, au niveau du limbus de l’œil, plus précisément dans une structure nommée « palissades de Vogt »(57, 268). Elles sont identifiables par leur forte expression du facteur de transcription P63, de Bmi-1, de N-cadherin et de l’intégrine-α9 (57, 269). Ces cellules peuvent s’autorenouveler et produire des cellules

d’amplifications transitoires qui vont migrer vers le centre de la cornée en suivant la membrane de Bowman et remplacer les cellules vieillissantes (270). La déficience en LESC peut résulter en une invasion de la cornée par du tissu conjonctif et une néovascularisation de la surface tissulaire, provoquant une opacification de la cornée(271). La transplantation autologue de cellules limbales est l’une des rares thérapies cellulaires oculaires présentement réalisées en clinique (57, 272).

1.4.5.2 Le trabéculum et le corps ciliaire

Plusieurs populations remplissant les caractéristiques des cellules souches ont été identifiées dans l’angle de l’œil. On retrouve ces cellules au niveau du corps ciliaire ainsi que dans une sous-population du trabéculum.

L’épithélium du corps ciliaire provient du neuroépithélium de la vésicule optique, qui est à l’origine de l’œil durant l’embryogenèse. On croit donc que cette région pourrait contenir des cellules progénitrices rétiniennes. Suite à un traitement par trabéculoplastie au laser dans des modèles animaux ou dans des organes humains en culture, une augmentation de la division cellulaire peut être observée dans l’angle de la chambre antérieure (273-278). Après l’induction du dommage, ces cellules épithéliales du corps ciliaire peuvent acquérir l’expression de marqueurs de cellules progénitrices, comme Nestine, Pax6, Sox2, Oct-3/4. Ceci peut être répliqué in vitro par une stimulation avec des facteurs de croissance, tels que l’insuline et bFGF (279). De plus, lorsqu’isolées et mises en culture en présence de bFGF et d’EGF, ces cellules ont la capacité de former des neurosphères (280); ces structures cellulaires sphériques non adhérentes sont représentatives des cellules souches neurales (NSC) et sont

composées d’une population hétérogène de cellules à différents niveaux de différenciation (275, 279, 281, 282). Dans ces neurosphères, on retrouve des cellules qui peuvent produire différentes sous-populations retrouvées dans la rétine, comme des photorécepteurs bâtonnets, des cellules bipolaires et des cellules ganglionnaires. Elles peuvent exprimer aussi des marqueurs de cellules rétiniennes, comme la rhodopsine, l’iodopsine, la protéine kinase C (PKC) et HPC-1 (marqueur de cellules amacrines et des interneurones de la rétine), démontrant un potentiel de différenciation spontané en cellules rétiniennes (274, 282). Transplantées in vitro, ces cellules s’intègrent dans l’espace sous-rétinien et sont capables de se différencier en photorécepteurs (283, 284). On a aussi observé leur participation dans certains rôles des RPE, comme la phagocytose des photorécepteurs de type bâtonnet périphérique, en plus de favoriser la survie des photorécepteurs dans des modèles de dégénérescence rétinienne (277, 285, 286). Il est donc possible que ces cellules progénitrices puissent agir comme cellules de soutien de la rétine. Plusieurs études tentent actuellement de déterminer si ces cellules pourraient être utilisées comme source de cellules souches pour la régénération de rétines endommagées (287, 288).

Le trabéculum possède aussi des cellules progénitrices avec des propriétés semblables aux MSC (289). Elles sont d’ailleurs identifiables par des marqueurs communs entre ces deux populations, tels que CD73, CD90 ou CD166 ainsi que OCT3/4, BMI1 ou Notch1. Mises en culture, ces cellules forment aussi des sphères qui peuvent produire des cellules neuronales, adipeuses ou cornéennes. Il est aussi possible d’obtenir des cellules morphologiquement semblables aux cellules du TM en dissociant les sphères et en les plaçant en culture adhérente (267, 276, 280). L’étude des neurosphères dérivées du TM a montré que ces cellules

expriment les protéines aquaporine-1, matrix gla (MGP) et chitinase 3-like 1 (CH3L1) qui, au niveau de l’œil, sont exprimées préférentiellement dans le TM (280). Elles sont aussi capables de phagocytose, comme les cellules trabéculaires normales. Le mécanisme de différenciation des cellules du TM n’est pas connu, mais cette différenciation s’effectue spontanément en culture en présence de sérum de veau foetal (FBS), ce qui suggère qu’il s’agit d’une population spécialisée. Des études sont en cours pour tenter de raffiner la production de ces cellules afin d’être éventuellement en mesure de remplacer les cellules endommagées du TM et de prévenir la progression du glaucome à angle ouvert.

1.4.5.3 Cellules souches et neuroprotection

Certaines études ont utilisé des cellules souches provenant de l’extérieur de l’œil, notamment des MSC, afin de vérifier leur potentiel dans le traitement de la rétine. Ces cellules, injectées au niveau de la rétine, ont exprimé un fort potentiel neuroprotecteur. Cela signifie que les MSC altèrent l’environnement inflammatoire et hypoxique de la rétine (notamment dans des modèles de dégénérescence maculaire ainsi que de glaucome avec hausse de pression intraoculaire). Les MSC sont notamment capables d’induire une baisse du niveau de TNF- et d’INF- ainsi qu’une diminution de l’apoptose au niveau de la rétine. Il est supposé que la production locale du Ciliary NeuroTrophic Factor (CNTF), du Brain Derived Neurotrophic Factor (BDNF) et du bFGF est responsable de ces changements (290, 291). Certains précurseurs des cellules souches neurales sont aussi capables de favoriser la survie de cellules oculaires par des mécanismes paracrines parfois semblables aux MSC, comme, par exemple, la sécrétion de facteurs neurotrophiques (BDNF, CNTF, NGF)(292). Au

niveau du cerveau par exemple, les cellules souches neurales peuvent amener une diminution des dérivés réactifs de l’oxygène présents dans l’environnement tissulaire par production de superoxyde dismutase 2 (SOD2). Les cellules souches neurales peuvent non seulement produire directement SOD2, mais aussi activer sa production dans les cellules neurales adjacentes par un mécanisme dépendant de VEGF et de CNTF (293). D’autres types de cellules progénitrices neurales, comme les cellules précurseurs d’oligodendrocytes, peuvent protéger les neurones et réduire la dégénérescence tissulaire de la rétine dans des modèles de glaucome induits par un mécanisme impliquant IGF-1 et le Glial cell line Derived Neurotrophic Factor (GDNF) (294).

1.4.5.4 Les cellules souches mésenchymateuses et le glaucome

L’effet des MSC dans le traitement du glaucome a été vérifié dans plusieurs études fondamentales (295). Les premières études mentionnant les MSC dans le traitement du glaucome visaient la régénération ou la neuroprotection de la rétine et ont suggéré que les MSC pourraient être utilisées en combinaison avec des méthodes de contrôle de la pression intraoculaire classiques (296). Elles ont montré que les MSC étaient en mesure de diminuer la mortalité des cellules rétiniennes de 15% si on les administre deux mois après l’induction de la haute pression et de 60% si la greffe était effectuée au même moment que l’induction (295, 297). Les premières études démontrant que du MSC-CM pouvait aussi avoir un effet protecteur ont effectuées durant cette période (298, 299). Les mécanismes impliqués étaient la production de facteurs de croissance importants pour la rétine, comme CNTF, BDNF, NGF

ainsi que les propriétés anti-inflammatoires des MSC. Finalement, ces études ont démontré l’implication d’une injection locale de MSC comme condition essentielle à la neuroprotection.

Connues depuis les années 2000, les cellules progénitrices présentes dans le corps ciliaire ont été suggérées comme étant capable d’agir sur le trabéculum après que différentes études aient montré qu’un dommage comme une trabéculoplastie laser pouvait les faire sortir de leur dormance (10). Une étude publiée en 2011 par Shwartz, M. et al a démontré que les macrophages avaient un rôle important à jouer dans cette activation en modulant l’environnement tissulaire vers des conditions anti-inflammatoires (300). À notre connaissance, aucune étude n’a démontré que cette population pouvait être activée par les MSC injectées dans la chambre antérieure par l’intermédiaire des macrophages et induire une baisse de la pression intraoculaire, avant la publication présentée dans le deuxième chapitre de cette thèse. Ces résultats ont depuis été partiellement confirmés par d’autres groupes (301).

Raisonnement, Hypothèse et Objectifs

Les MSC sont des cellules abondamment décrites pour leur pouvoir régénératif exceptionnel. De ce fait, ces cellules s’avèrent des candidates particulièrement intéressantes pour la régénération tissulaire ainsi que le traitement de maladies dégénératives. Elles sont faciles à obtenir et à cultiver en laboratoire. Contrairement à d’autres types de cellules souches, elles sont relativement peu couteuses à entretenir. De plus, leur mode d’action par production de facteurs paracrines permet d’envisager une thérapie cellulaire sans injection de cellules chez le patient. Le glaucome à angle ouvert, quant à lui, est une maladie à progression

lente, mais incurable, qui affecte l’un des sens sur lesquels on se base le plus, la vue. Jusqu’à maintenant, tous les traitements connus sont capables d’en ralentir la progression, mais aucun ne permet d’arrêter sa progression. Pouvoir redonner la vision, ou du moins aider à la préserver, est un objectif qui aurait un impact important majeur pour les patients atteints de cette maladie. Toutefois, l’absence de renseignements détaillés sur tous les mécanismes d’action des MSC rend cette tâche plus difficile, ou du moins exploratoire. Malgré ces embuches, utiliser le glaucome comme modèle pour comprendre le fonctionnement des MSC est particulièrement intéressant, en raison de la capacité d’obtenir des mesures et de réaliser des observations directes in vitro et in vivo. L’utilisation de modèles expérimentaux très près de la condition clinique permet d’entrevoir les conséquences immédiates que ces résultats pourraient avoir sur la vie de milliers de patients. En tenant compte des mécanismes d’action connus des MSC, nous émettons dont l’hypothèse suivante :

« L’utilisation de MSC, ou de leurs facteurs sécrétés, permettra la régénération tissulaire du trabéculum endommagé et pourra représenter une stratégie efficace afin de bloquer la progression du glaucome à angle ouvert »

Les objectifs principaux de la thèse sont :

 Vérifier si les MSC ont la capacité de régénérer le trabéculum dans un modèle induit de glaucome à angle ouvert.

 Comprendre les mécanismes à l’origine de la régénération tissulaire et identifier les facteurs responsables de cet effet