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V. Les cancers de phénotype MSI

1. Les cancers MSI héréditaires : syndrome de Lynch

Le syndrome de Lynch est une prédisposition héréditaire aux cancers à transmission autosomique dominante, responsable de 2 à 5 % des cancers colorectaux (soit environ un tiers des CCR MSI) et d’un risque accru de développement de cancers dits extra-coliques, particulièrement de tumeurs de l’endomètre (Lynch and de la Chapelle, 2003; Fearon, 2011; Bansidhar, 2012; Balmana et al., 2013; Lynch et al., 2015; Gelsomino et al., 2016).

Au début du 20ème siècle, le docteur A.S Warthin recense la plus grande série de cas de cancers du côlon, de l’estomac et de l’utérus au sein des membres d’une même famille et propose l’explication d’une transmission héréditaire (Warthin, 1985). En 1966, le docteur H.T Lynch fait état d’une prédisposition similaire dans deux familles supplémentaires (Lynch et al., 1966). Plus tard, le terme d’HNPCC est employé par Lynch lui-même pour distinguer ce syndrome familial d’une autre prédisposition génétique au cancer du côlon : la polypose adénomateuse familiale (ou FAP pour Familial Adenomatous Polyposis, environ 0,5-1% des CCR) (Lynch et al., 1985; Fearon, 2011; Colas et al., 2012). Cette dernière est caractérisée par

des mutations germinales du gène APC et la présence de plusieurs centaines voire milliers de polypes intestinaux bénins susceptibles de dégénérer en tumeurs malignes (Colas et al., 2012). Aujourd’hui nommé syndrome de Lynch (LS pour Lynch Syndrome), celui-ci définit la susceptibilité accrue de développer des tumeurs MSI colorectales mais également extra-colorectales présentant une déficience du système MMR d’origine héréditaire.

1.a. Caractéristiques génétiques et moléculaires

Les patients atteints du syndrome de Lynch sont porteurs d’une mutation monoallélique (i.e. mutation hétérozygote) germinale au niveau d’un des gènes du système MMR (MLH1, MSH2, MSH6 et PMS2) prédisposant au cancer (Peltomäki, 2005; Lynch et al., 2015). Une seconde mutation de l’allèle sauvage par une inactivation épigénétique, une altération somatique ou une perte d’hétérozygotie subvenant au cours de la vie du patient (modèle « two hits » de Knudson ; Knudson 1971) est responsable du phénotype d’instabilité MSI. Les individus LS ont un nombre réduit d’adénomes comparé aux individus FAP et la vitesse de développement de ces derniers est comparable à celle des cancers sporadiques (Fearon, 2011). En revanche, les cancers LS sont caractérisés par une transition plus rapide de l’adénome au carcinome comparés aux cancers sporadiques MSI (2-3 ans versus 10 ans) (Jass et al., 1994; Lynch and de la Chapelle, 2003; Edelstein et al., 2011). Plusieurs centaines de mutations des gènes du MMR (substitutions non-sens et faux-sens, modifications du cadre de lecture ou de l’épissage, délétions, réarrangements) sont observées dans les cancers LS. Elles sont répertoriées et classées selon leur origine et leur pathogénicité dans une base de données (https ://www.insight-group.org/) régulièrement mise à jour par le groupe InSiGHT (pour International Society for Gastrointestinal Hereditary Tumors) (Plazzer et al., 2013). Ainsi, il a été observé que les mutations des gènes MLH1 et MSH2 sont les plus fréquentes puisque présentes dans 42% et 33% des cas de cancers héréditaires MSI respectivement. Celles des gènes MSH6 et PMS2 sont rares (10 et 5%) et les mutations de MLH3 et PMS1 sont exceptionnelles (<2% des cas) (Jasperson et al., 2010; Plazzer et al., 2013).

Quelques cas de patients Lynch ont été rapportés avec des tumeurs MMR-d sans qu’aucune mutation germinale des gènes de ce système ne soit observée. Il a été mis en évidence chez ces patients des phénomènes d’épimutation constitutionnelle

(hyperméthylation germinale hémi-allélique) des promoteurs de MLH1 et MSH2 et sont considérés comme des mécanismes d’étiopathogénie alternatifs prédisposant au LS (Gazzoli et al., 2002; Chan et al., 2006; Yamamoto and Imai, 2015). Récemment, une large délétion de la région 3’ du gène EPCAM (pour Epithelial Cell Adhesion Molecule), localisée en amont du gène MSH2 a été décrite comme un nouveau mécanisme de prédisposition au LS sans mutation germinale de ce dernier (Ligtenberg et al., 2009). En effet, la mutation germinale d’EPCAM a été associée à une inactivation épigénétique de MSH2 dont la répression transcriptionnelle (gene silencing) cause la perte d’expression de la protéine.

1.b. Spectre clinique et épidémiologie du Syndrome de Lynch

Les tumeurs associées au spectre clinique du syndrome de Lynch surviennent généralement chez le sujet jeune (<45 ans) avec une prédominance de tumeurs du côlon droit dans 60% des cas et du côlon gauche et du rectum dans 40% des cas (Young et al., 2001; Lynch and de la Chapelle, 2003; Colas et al., 2012). L’incidence des tumeurs synchrones (i.e. tumeur(s) métastatique(s) diagnostiquée(s) en même temps que la tumeur primitive) et métachrones (i.e. tumeur(s) diagnostiquée(s) après le traitement du cancer primitif et induite(s) par celui-ci) est particulièrement élevée chez les patients LS (Aarnio et al., 1999; Gryfe et al., 2000). Plusieurs études estiment le risque pour un individu LS de développer un CCR au cours de sa vie à environ 69% pour les hommes et 52% pour les femmes comparé à un risque d’environ 5% pour la population générale (Hampel, Stephens, et al., 2005; Giardiello et al., 2014; Siegel et al., 2017). Le risque de manifestation de tumeurs extra-colorectales est également élevé ; le cancer de l’endomètre étant le deuxième cancer le plus fréquent chez les patientes atteintes d’un syndrome de Lynch avec un risque cumulé de 30-60% (Palomaki et al., 2009; Balmana et al., 2013). D’autres localisations tumorales associées au LS sont également rapportées, à savoir celles du tractus gastro-intestinal (estomac, intestin grêle, voies biliaires, pancréas), des voies urinaires supérieures, des ovaires, du cerveau (glioblastome) et plus rarement du sein, de la prostate, de la peau et des glandes surrénales (Lynch and de la Chapelle, 2003; Rustgi, 2007; Watson et al., 2008; Bansidhar, 2012; Lynch et al., 2015).

Par ailleurs, il est intéressant de noter qu’en fonction des mutations et du gène MMR altéré, la pénétrance et la prédisposition tumorale des différents organes varient (figure 8) (Lynch and de la Chapelle, 2003; Lynch et al., 2015; Espenschied et al., 2017). Pour aider les cliniciens dans leur pratique, un site web donne accès aux distributions des types de cancers en fonction du défaut de gène MMR (Møller et al., 2015).

Figure 8 │ Mutations germinales hétérozygotes de gènes du MMR, fréquences mutationnelles (%), hétérogénéité phénotypique et risques des tumeurs associées au syndrome de Lynch

Sources : Jasperson et al., 2010, Bansidhar, et al., 2012, Lynch et al., 2015 & Espenschied et al., 2017.

Figure 9 │ Mutations germinales hétérozygotes de gènes du MMR, fréquences mutationnelles, hétérogénéité phénotypique et risques des tumeurs associées au syndrome de Lynch

Sources: Jasperson et al., 2010, Bansidhar, et al., 2012, Lynch et al., 2015 & Espenschied et al., 2017. 38 25 17 19 1 MLH1 MSH2 MSH6 PMS2 EPCAM

Gène Hétérogénéité phénotypique associée

MLH1 CCR

MSH2 Cancer de gastrique

Cancers extra-colorectaux

MSH6 Cancers gynécologiques dont de l’endomètre

Cancers gastrique et du rectum

PMS2 Risque réduit de développer un cancer

Cancers gynécologiques et CCR

EPCAM Risque réduit de développer un cancer

Spectre clinique similaire à la mutation de MSH2

Cancer Risque au cours de la vie (%)

CCR 50-80

Endomètre 40-60

Estomac 11-19

Ovaires 9-12

Tractus hépatobiliaire 2-7

Voies biliaires supérieures 4-5

Pancréas 3-4

Intestin grêle 1-4

1.c. Critères d’identification

En raison du caractère héréditaire et sévère de la pathologie tumorale associée au LS, il est important d’identifier de manière standardisée les familles à risque. Pour cela des critères ont été définis afin d’assister les cliniciens et praticiens dans le diagnostic des familles LS. En 1991, les critères d’Amsterdam I, basés sur l’historique familial de CCR, ont été proposés. Les critères d’Amsterdam II les complètent en reconnaissant la présence de tumeurs extra-colorectales associées au syndrome de Lynch (tableau 2). Les critères d’identification gagnent en spécificité et en sensibilisation grâce à la découverte du phénotype tumoral MSI des cancers LS ainsi que de leurs caractéristiques clinico-pathologiques spécifiques et donnent lieu aux directives de Bethesda. En 2004, celles-ci font l’objet d’une ré-évaluation (directives de Bethesda révisées) afin d’incorporer la détection moléculaire de MSI de ces tumeurs (tableau 2) (Lynch et al., 2015; Richman, 2015). Malgré les avancées, celles-ci peuvent manquer jusqu’à près d’un quart des patients LS en raison de critères trop stricts (Hampel, Frankel, et al., 2005; Hampel, Stephens, et al., 2005). Les recommandations de Jérusalem (2009) ainsi que celles du National Cancer Care Network (2015) suggèrent une stratégie de dépistage sélectif : la détermination du statut MSI (évaluation de MSI par PCR et/ou de MMR par immunohistochimie ; ces techniques sont détaillées ci-après : cf. supra : section V.5) doit être effectuée sur tous les CCR de patients diagnostiqués avant 70 ans ainsi que sur les patients âgés de plus de 70 ans répondant aux directives révisées de Bethesda (Balmana et al., 2013; Ryan et al., 2017). Par ailleurs, une autre stratégie pour augmenter les probabilités de diagnostic des patients LS est celle du dépistage moléculaire universel (ou reflex testing) qui propose l’évaluation de MSI pour tous les CCR diagnostiqués (Hampel et al., 2008; Palomaki et al., 2009; Moreira et al., 2012; Giardiello et al., 2014; ASCO, 2016).

Dans leur ensemble, les critères et recommandations actuels suggèrent la recherche du phénotype tumoral MSI des tumeurs dans un premier temps, l’analyse génétique de mutations constitutionnelles de gènes du MMR dans un deuxième temps et enfin la prise en compte de l’analyse de l’historique familial.

Tableau 2 │ Critères d’Amsterdam II & directives de Bethesda révisées

*Histologie évocatrice de MSI : fait référence à la présence de lymphocytes intra-tumoraux, réaction inflammatoire de type Crohn, différenciation de type mucineux ou en bague à chaton ou architecture médullaire.

Adapté de Lynch et al., 2015 & Ryan et al., 2017.

Critères d’Amsterdam II

Au moins trois parents du cas index sont atteints d’un cancer associé au syndrome de Lynch (i.e. cancer colorectal, endomètre, estomac, ovaires, voies urinaires supérieures, cerveau, intestin grêle, voies hépatobiliaires, glandes sébacées et kératinocytes)

1. L’un des trois sujets doit être apparenté au premier degré avec les deux autres 2. Au moins deux générations successives sont concernées

3. Au moins un des cas de cancer associé au LS doit être diagnostiqué avant 50 ans 4. La polypose adénomateuse familiale (FAP) doit être exclue des cas de CCR 5. Le diagnostic histologique des tumeurs doit être vérifié

Directives de Bethesda révisées

Le statut MSI des tumeurs doit être analysé dans les cas suivants: 1. CCR diagnostiqué avant 50 ans

2. Présence de tumeurs synchrones et métachrones liées au LS quel que soit l’âge 3. CCR avec une histologie évocatrice*de MSI diagnostiqué avant 60 ans

4. CCR ou cancer associé au LS diagnostiqué chez au moins un parent au premier degré avant 50 ans

5. CCR ou cancer associé au LS diagnostiqué chez deux parents de premier ou deuxième degré quel que soit l’âge

Tableau 2 │ Critères d’Amsterdam II et directives de Bethesda révisées

*Histologie évocatrice de MSI: fait référence à la présence de lymphocytes intra-tumoraux, réaction inflammatoire de type Crohn, différenciation de type mucineux ou en bague à chaton ou architecture médullaire.