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DANS LES EGLISES ROUENNAISES

I.1.2 Les armatures de vitrau

I.1.2.3 Les barlotières-tirants

Au delà de ces considérations sur leur éventuelle datation, les observations sur les barlotières des fenêtres hautes de la cathédrale fournissent d’autres informations quant à leur rôle architectural. On remarque en effet la présence de barres de fer de forte section dans les

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fenêtres189, alors que les simples barlotières ont des dimensions beaucoup plus modestes190. Ces grosses barres jouent effectivement un rôle dans la fixation du vitrail, puisqu’elles sont le plus souvent pourvues de tenons, servant à recevoir feuillard et clavette pour bloquer les panneaux de verre, bien que cela ne soit pas systématique.

Les simples barlotières sont à la cathédrale de Rouen des éléments de fer assez courts, ne dépassant pas la longueur d’une lancette dans les fenêtres à lancettes multiples191, soit environ 70 à 80 cm, parfois 100 à 110 cm pour les plus larges192. Ces éléments ne sont pas continus de lancette en lancette et a fortiori de travée en travée, comme l’indiquent certaines discontinuités ponctuelles193. La barlotière est liée au panneau de vitrail qu’elle maintient en place et ces panneaux, de dimensions assez régulières en général à l’intérieur d’une même fenêtre, peuvent être de tailles légèrement différentes et entraîner ainsi un décalage. La continuité de ces éléments de travée en travée n’est donc pas envisageable.

En revanche, les grosses barlotières relevées au niveau des fenêtres hautes, montrent une certaine régularité tout le long de la nef. Ces barlotières se trouvent à la même hauteur de la troisième à la septième travée du côté nord comme du côté sud. La disposition change à partir de la huitième travée, puisque l’on peut observer deux barres, semblant également continues de la huitième à la dixième travée. La disposition de ces barres à la onzième travée semble légèrement différente. Cette rupture entre les septième et huitième travées se retrouve également au niveau de l’architecture du triforium. Lors de la réfection des fenêtres hautes, à partir de 1370, le maître d’œuvre Jean Périer prend tout d’abord le parti de conserver l’ancien triforium, composé d’un arc de décharge et d’une balustrade, en coupant la colonnette qui partait du milieu de la balustrade et montait jusqu’au niveau des baies hautes pour créer une avant-fenêtre à deux lancettes, comme celles conservées en parties basse dans les croisillons nord-est et sud-ouest du transept. A partir de la huitième travée, le maître d’œuvre change de conception et remodèle le triforium pour l’harmoniser avec les fenêtres hautes : il s’agit désormais d’un triforium à claire-voie, dont le remplage s’inscrit dans la continuité du glacis de la fenêtre194. Tous les auteurs mentionnent cette phase de restauration comme une phase

189 Section moyenne de 5,2 cm x 2 cm. La section de ces barres est de 6 cm x 2,5 cm à 5 cm x 2 cm dans les fenêtres hautes du chœur, où elles ont pu être mesurée grâce à la présence d’un échafaudage sur une des baies des travées droites.

190 Section moyenne 3,2 cm x 1 cm.

191 Comme celles des chapelles de la nef, des fenêtres hautes ou des fenêtres de la chapelle de la Vierge 192 Ceci correspond aux dimensions visibles.

193 Ceci n’est pas le cas de tous les édifices. Les barlotières de la cathédrale du Mans sont continues à l’intérieur d’une même fenêtre, TAUPIN (J.-L.), « Le fer des cathédrales »…, op. cit.

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continue à la fin du XIVe siècle195. La découverte de la mention de la vitrerie d’une des baies hautes les plus orientales de la nef dans le compte de 1434-1435 amène à penser, comme auraient pu l’indiquer de simples considérations stylistiques, avec cette rupture complète entre les septième et huitième travées, que cette restauration des fenêtres hautes de la nef de la cathédrale de Rouen s’est bien faite en deux temps. La première phase, probablement contemporaine de la fin du XIVe siècle, aurait vu la réfection des fenêtres jusqu’à la septième travée, la seconde, commencée au milieu des années 1430, aurait quant à elle concerné les quatre travées orientales. Une importante lacune dans les comptes de la fabrique de la cathédrale entre 1435 et 1457 empêche malheureusement d’en savoir davantage. La rupture dans le chantier, tout du moins dans la conception architecturale, mais vraisemblablement aussi chronologique, se retrouve donc aux deux niveaux, avec pour les fenêtres hautes cette différence dans le nombre et la position des barres de fer les étrésillonnant. Tous ces éléments vont en la faveur de grands tirants de fer, posés au moment de la reconstruction des fenêtres hautes à la fin du XIVe siècle ou au milieu du XVe siècle, ces tirants ayant pour but non seulement de maintenir en place une première vitrerie, mais surtout d’apporter un soutien architectonique à la structure en pierre.

Ces observations qui sont très nettes au niveau des fenêtres hautes de la nef peuvent également s’appliquer à d’autres parties de l’édifice. Les fenêtres hautes du transept ont trop souffert lors de la Seconde Guerre mondiale et nombre d’entre elles ont perdu leurs armatures métalliques anciennes, remplacées par des structures contemporaines. En revanche, il est possible de répéter le même schéma pour les travées droites des fenêtres hautes du chœur : chaque fenêtre possède deux tirants, un en partie haute et un en partie médiane, situés chaque fois à la même hauteur. Au contraire, au niveau de l’abside, bien que l’on observe toujours deux barlotières-tirants par fenêtre, la discontinuité entre les baies est flagrante. Ces barlotières-tirants sont également présentes dans la plupart des fenêtres basses, notamment dans les chapelles de la nef et dans les travées droites de la chapelle de la Vierge au nombre de trois ou quatre par baie. Certaines baies à lancette unique, comme celles du déambulatoire nord du chœur montrent également de tels tirants. Dans certains cas, ces tirants ne sont pas fixés au vitrail. Leur rôle est alors bien défini : ils servent uniquement de soutien à la structure en pierre.

195 BOTTINEAU-FUCHS (Y.), Haute-Normandie gothique…, op. cit., p. 287 ; BAYLE (M.), L’architecture

Normande au Moyen Age. Les étapes…, op. cit., p. 188 ; CARMENT LANFRY (A.-M.), La cathédrale Notre- Dame…, op. cit., p. 71.

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Deux questions se posent au sujet de ces tirants. La première est de savoir s’ils sont bien tous continus à l’intérieur d’une même travée, comme ils semblent l’être d’après les observations. La seconde, plus problématique, est de savoir si certains d’entre eux sont liés les uns aux autres à dans la maçonnerie des piles pour former un ou plusieurs chaînages continus enserrant l’édifice.

Les observations faites sur les fenêtres hautes de la cathédrale de Rouen montrent que ces tirants ne sont pas systématiquement continus au sein d’une même travée. Les preuves de la continuité comme de la discontinuité ont essentiellement été apportées par les prospections électriques et l’étude de la discontinuité des meneaux au niveau du passage de ces grosses barres pour faciliter leur mise en place.

Dans chaque fenêtre observée, le tirant haut est continu de manière systématique. En revanche, le tirant bas, lorsqu’il existe, montre la plupart du temps un meneau central monolithique ne permettant pas une continuité du tirant (cf. Figure 32). La lampe témoin du système de prospection électrique est venue confirmer ces hypothèses en ne s’allumant pas une seule fois dans une telle disposition. C’est notamment le cas des travées orientales de la nef ainsi que des quatre travées droites occidentales du chœur. Bien que certaines montraient un meneau en deux parties, aucune continuité électrique n’a pu être détectée.

Cependant, pour certaines fenêtres, notamment celles de la travée droite la plus orientale des fenêtres hautes du chœur, le meneau central est discontinu au passage du tirant et la lampe témoin s’est allumée par deux fois. Les fenêtres du rond-point ont quant à elles une disposition différente puisqu’elles ne possèdent que trois lancettes ; il n’y a donc pas de meneau « central » et la continuité des tirants a toujours été prouvée. Les fenêtres hautes du chœur ne montrent donc aucune unité quant à la continuité des tirants.

Dans les fenêtres basses, les prospections électriques n’ont pas pu être réalisées. Néanmoins, pour toutes les fenêtres à plusieurs lancettes, les meneaux sont toujours discontinus au passage des tirants, hauts comme bas ou médians. Ces observations vont bien dans le sens de la continuité des tirants.

La seconde interrogation réside dans l’éventuelle liaison de ces tirants dans les piles pour former des chaînages. L’observation des piédroits des baies est ici encore riche d’enseignements. Dans la majeure partie des fenêtres, les tirants bas ou médians ne sont pas ancrés dans les piédroits au niveau d’un joint de pierre ; par conséquent, ils ne peuvent pas traverser les piliers pour être reliés aux tirants voisins et ne forment donc assurément pas de

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chaînage. N’étant pour la plupart pas continus à l’intérieur même de la travée, il semblait évident qu’ils ne formaient pas chaînage entre les différentes travées. En revanche, les tirants hauts, continus, passent systématiquement au niveau d’un joint entre deux pierres. Dans les fenêtres de la chapelle de la Vierge, sur les trois cours de tirants, seul le tirant médian est ancré en pleine pierre.

Figure 32 : Continuité du tirant haut prouvée par la discontinuité des meneaux (joint de plomb visible) et discontinuité du tirant bas prouvée par la continuité du meneau central, fenêtres hautes de la cathédrale de Rouen.

Une prospection électrique a donc été réalisée sur certaines baies qui étaient accessibles, en particulier les baies hautes de la nef et du chœur. La lampe témoin ne s’est jamais allumée, ce qui indique que les barres ne constituent pas une chaîne tendue. Les mentions des archives qui relatent la réfection des fenêtres hautes du chœur ne font par ailleurs jamais mention d’une mise en œuvre sous forme de chaînage, chaque fenêtre

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semblant bien indépendante l’une de l’autre196. De même la mention de vitrerie des baies basses de la tour de Beurre en 1487-1488 donne la longueur des grands barreaux mis en œuvre : ils font chacun huit pieds de long, soit environ 2,60 m pour des fenêtres de 190 cm de large197. Ces barres sont donc ancrées dans la pierre d’environ 35 cm de chaque côté, soit un peu plus d’un pied. On peut par conséquent également exclure ici l’hypothèse de la liaison des barres entre elles dans les piles, qui mesurent plus d’un mètre de large. Il ne semble donc pas que les barlotières-tirants mises en œuvre dans les fenêtres de la cathédrale de Rouen forment chaînage. La seule inconnue reste au niveau de la chapelle de la Vierge dont la construction est trop précoce par rapport aux comptes conservés et dont les tirants sont restés inaccessibles. Ses baies, mesurant plus de 20 m², sont les plus grandes de l’édifice et sa structure montre que la pierre y a été réduite à son strict minimum : il est donc toujours possible d’envisager l’existence de chaînages venant la conforter.