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Il s’agit, par l’intermédiaire de l’analyse métallographique d’un corpus de fers prélevés sur les églises troyennes et rouennaises, de tenter de répondre aux deux principales interrogations liées au matériau préalablement soulevées dans la problématique. La première de ces questions concerne la nature du matériau employé dans la construction : s’agit-il de fer, d’acier, d’un mélange des deux ? La matrice de ces fers contient-elle beaucoup d’inclusions non métalliques ? Le phosphore y est-il présent en grandes quantités ? Ces différentes caractéristiques de la structure métallographique des objets ferreux permettent d’aborder la notion de qualité de ces matériaux qui peut être extrêmement variable118. Cette « qualité » pourra éventuellement être mise en relation, d’une part avec les prix trouvés dans les comptes et d’autre part avec le comportement mécanique du métal et son usage dans le bâtiment. Existe-t-il des emplois de matériaux spécifiques à des endroits précis de leur structure ? La seconde question est liée à l’étude des différentes étapes de la chaîne opératoire menant du minerai au produit métallique fini ou semi-fini et en particulier à l’influence de l’introduction du marteau hydraulique et de la filière de réduction indirecte à la fin du Moyen Age. On tentera donc, par le biais de ces analyses, d’identifier dans le matériau les éventuelles relations entre ses caractéristiques et les deux grandes mutations de la métallurgie médiévale.

Constitution du corpus d’étude

Afin d’aborder ces problématiques, nous avons eu la possibilité d’effectuer 74 prélèvements d’éléments de fer (cf. Tableau 1) grâce au concours de différents organismes, comme les S.D.A.P. de la Seine-Maritime et de l’Aube, les ateliers de restauration Legrand (Rouen), mais également grâce au soutien et par l’accord des Conservations Régionales des Monuments Historiques et de M. E. Pallot et D. Moufle, Architectes en Chef des Monuments Historiques. Pièces parfois entières, lorsqu’il s’agissait d’éléments déjà déposés consécutivement à des restaurations, ou fragments centimétriques de fers encore en place dans le bâtiment, mais ne jouant plus de rôle statique, le corpus est très varié et concerne toutes les périodes de construction, allant du début du XIIIe siècle jusqu’aux

restaurations du XIXe siècle. Tous les spécimens sont soumis au même protocole de

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Dans le terme « qualité » il ne faut entendre aucun jugement de valeur. On entend ici plutôt « type de structure métallographique ».

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préparation. Après découpage, la zone sélectionnée est enrobée à froid sous résine, puis la surface à examiner fait l’objet d’un dégrossissage et prépolissage aux papiers de carbure de silicium (SiC), grades 80 à 4000. Le polissage final se fait à la pâte diamantée, 3 et 1 µm, afin d’obtenir un poli miroir qui permet l’observation de la section au microscope optique en réflexion.

Edifice Nombre de prélèvements

Eglise Saint-Ouen de Rouen 24 Cathédrale de Rouen 15 Cathédrale de Troyes 15 Eglise Sainte-Madeleine de Troyes 13 Eglise Saint-Jean-au-Marché 6 Eglise Saint-Maclou 1 Eglise Saint-Urbain 0

Total 74 Tableau 1 : Nombre de prélèvements effectués pour analyses métallographiques par édifice.

Etude du matériau

Le premier questionnement porte sur la caractérisation de la composition et de la microstructure des fers de construction employés. L’étude de la nature du matériau passe par la mise en œuvre de plusieurs méthodes, qui relèvent en général des techniques d’analyse utilisées de manière classique en métallographie119.

Chaque section fait tout d’abord l’objet d’un premier repérage au microscope optique afin d’évaluer la propreté inclusionnaire, c’est-à-dire la proportion d’inclusions présentes dans la matrice métallique (nombre, dimensions…) et de détecter d’éventuelles lignes de soudure. Pour tenter de sortir des caractérisations assez subjectives de la propreté inclusionnaire pour les objets archéologiques, une nouvelle méthodologie descriptive a été

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Citons par exemple les méthodes employées par J. Piaskowski pour l’étude de nombreux corpus d’objets. Voir entre autres PIASKOWSKI (J.), « Metallographic examinations of ancient and medieval iron implements found on the territories of Poland », dans PLEINER (R.), éd., Archaeometallurgy of iron 1967-1987, Symposium

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mise en œuvre120 ; elle s’appuie sur la norme AFNOR NF A04-106, corrigée d’un facteur 10, ce qui permet de garder les mêmes images types données par cette dernière (cf. Figure 14 et Figure 15)121. Le protocole appliqué est le suivant. L’objet, une fois poli, est observé à la loupe binoculaire. Des photographies de toute la surface sont réalisées de telle manière que la surface de chaque photographie soit un cercle de diamètre 8 mm122. Ces images sont ensuite agrandies d’un facteur 10 et comparées aux images types de la norme AFNOR de même diamètre, soit 8 cm. A chaque image est affecté un numéro de 1 à 5 suivant la quantité et la taille des inclusions, auquel est ajouté une étoile (*) pour ne pas confondre la norme AFNOR et sa modification123 (cf. Figure 15). Les inclusions sortant du cadre de la norme sont notées à part. Les résultats peuvent ensuite être présentés sous forme d’histogramme et de moyenne. Si l’objet possède une excellente propreté inclusionnaire (1* en moyenne), il se prête alors à une étude selon la norme AFNOR sans modification.

Ensuite, l’attaque au réactif Nital 4 % révèle la structure métallographique de l’échantillon, avec ses différents degrés de carburation. Les observations sont faites à la fois en macroscopie et en microscopie optique. La localisation des zones aciérées qui prennent parfois la forme de structures en bandes (SB) est notée. De même, les structures particulières traduisant l’utilisation d’un procédé thermochimique spécifique (trempe, cémentation…). Le réactif Nital est également susceptible de révéler des « structures fantômes » (SF)124, apparaissant lorsque l’on fait légèrement varier la mise au point de l’image. Elles sont en fait de légères variations de la teneur en phosphore dans la matrice métallique de l’objet et caractérisent en outre sa nature phosphoreuse pour des teneurs entre 1000 et 4000 ppm125. Des photographies représentatives de chaque type de zone identifié sont réalisées (cf. Figure 16), puis un dessin de la structure métallographique globale de chaque échantillon.

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Il n’est en effet pas possible de juger de cette propreté inclusionnaire selon des critères de métallurgie contemporaine : actuellement, les quantités et les tailles des inclusions sont bien inférieures à celles rencontrées dans les fers avant l’apparition des procédés d’élaboration en phase liquide (Bessemer, Thomas – deuxième moitié du XIXe siècle).

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Voir POKORNY (A.), POKORNY (J.), Inclusions non métalliques dans l’acier, Techniques de l’ingénieur, traité Matériaux métalliques, doc. n° M220, Paris, 1998, 36 p.

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Dans la norme AFNOR, il s’agit initialement d’un cercle de diamètre 0,8 mm. 123

Nous n’avons pas utilisé les séries "fines" et "épaisses" de la norme AFNOR, correspondant à l’épaisseur des inclusions, qui apparaissaient trop peu représentatives.

124

BUCHWALD (V. F.), WIVEL (H.), « Slag analysis as a method for the characterization and provenancing of ancient iron objects », Materials Characterization, 40, New York, 1998, p. 73-96.

125

STEWART (J. W.), CHARLES (J. A.), WALLACH (E. R.), « -Iron-phosphorus-carbon system, Part 3- Metallography of low carbon iron-phosphorus alloys », Materials Science and Technology, vol. 16, Cambridge, 2000, p. 291-303.

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Figure 15 : Modification de la norme AFNOR NF A04-106 et exemple d’application.

Après un nouveau polissage, la répartition quantitative du phosphore dans la matrice est également mise en évidence par attaque au réactif cuivrique de Oberhoffer pour les échantillons ferritiques. Les observations sont de nouveau faites à la fois en macroscopie et au microscope optique, avec photographie des éventuelles structures caractéristiques. Enfin, pour quelques uns d’entre eux, les éléments mineurs de la matrice métallique et en particulier le phosphore, ont été dosés en Spectrométrie X Dispersive en Longueur d’Onde (WDS pour Wavelenght Dispersive Spectrometry) à la microsonde de Castaing.

L’ensemble de ces techniques d’analyses permet de classer les différents échantillons suivant leurs teneurs en carbone, mais aussi leur éventuelle nature phosphoreuse caractérisée par dosages ou par la présence de structures fantômes. La définition de l’indice de propreté inclusionnaire révèle également la qualité du travail de cinglage de la loupe, destinée à expurger les inclusions. Enfin les ultimes étapes du travail de forge peuvent être appréhendées, en particulier les éventuels procédés thermochimiques employés par le

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