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B. Arguments de la prostitution

3. Les arguments socio-historiques

ᴙ : C’est le plus vieux métier du monde, il n’y a pas de société sans prostitution

Abolitionnisme

Règlementarisme

Néo réglementarisme

Non

Oui

Oui

C’est FAUX, ce n’est pas le plus vieux métier du monde. Il existe des sociétés sans prostitution mais l’échange économico-sexuel est fréquent tant dans le temps historique que dans l’espace géographique. La question de savoir s’il existe un « plus vieux métier du monde » n’est pas historiquement fondée. Les tenants de cette idée s’appuient sur une phrase facile qui relève du mythe et qui revient à annoncer qu’il n’y a pas de société sans prostitution, la prostitution devient un trait caractéristique de toutes les sociétés humaines. Cet argument a aussi pour fonction d’ancrer la prostitution dans le champ sémantique du travail, puisqu’elle est un métier.

Les écrits des historiens et moralistes du 19e siècle ont contribué, dans une perspective évolutionniste, à montrer qu’il existe des preuves de l’existence de la prostitution dès les premières civilisations de l’écriture. Dans cette veine, Pierre Dufour a écrit, entre 1851 et 1853, une histoire universelle de la prostitution (par ailleurs toujours présente dans le catalogue de livres électroniques chez Amazon). Pierre Dufour serait un des pseudonymes du bibliophile, auteur à succès et coauteur d’Alexandre Dumas, P.L. Jacob. Dans le tome 1, il qualifie la prostitution d’être « une des plus honteuses plaies de l’humanité » (p. 4), et dans une visée hygiéniste, il compare la prostitution à la lèpre (p. 8), dont l’épidémie sera vaincue par la morale. On doit à ce travail une typologie de la prostitution inspirée de l’évolutionnisme d’Auguste Comte. Comte postulait trois âges de l’humanité, Jacob postule trois âges de la prostitution, chaque âge correspondant à un stade de développement des sociétés comme cela était courant dans un 19e siècle largement gagné à l’évolutionnisme et au progrès. Jacob définissait la prostitution hospitalière, la prostitution sacrée ou religieuse et la prostitution légale ou politique. Jacob s’oppose à Rabataux pour qui la prostitution constitue « le plus odieux esclavage de la femme qui doit s’abandonner sans choix et sans attrait aux brutales ardeurs qui la convoitent et la provoquent » (p.11). Les femmes, et ce sont des formes de prostitution, sont une « chose vile » (p.11) gage de présents de l’hospitalité, sacrifice aux cultes dégénérés (p.12). Pour Jacob, point d’esclavage, mais plutôt un libre arbitre de la femme et à son avarice (P.15). Il n’est pas lieu, dans ce rapport de suivre toute la pensée de Jacob. Par contre, il est primordial de se rappeler que les positionnements quant à la prostitution ont eux-mêmes une histoire, et que les différents positionnements ont œuvré pour faire de leurs explications l’évidence.

Ces arguments hérités des érudits du 19e siècle sont aujourd’hui revisités par l’historiographie et l’archéologie. Par exemple, l’existence d’une prostitution sacrée est remise en cause dans le livre de Budin, « The myth of sacred prostitution in Antiquity ». L’archéologue démontre qu’il n’est absolument pas question de prostitution selon les textes et qu’une interprétation des rituels comme étant de la prostitution est un jugement moral porté par les historiens.

ᴙ : Par le passé, l’explication de son existence était articulée à la présence d’une population

masculine frustrée (militaires en caserne, étudiants célibataires, prolétaires et petits bourgeois)

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Abolitionnisme

Règlementarisme

Néo réglementarisme

oui

Pas d’objet

Le passé est le passé

VRAI d'après les travaux de l'historien de la culture Alain Corbin. Dans son ouvrage, classique, "Les filles de

noces. Misère sexuelle et prostitution au 19e siècle", il décrit les transitions urbaines du 19e siècle avec

l'arrivée massive des paysans dans les villes industrialisées. "La constitution d'un vaste prolétariat masculin

se trouve alors aggravée par l'afflux massif de migrants temporaires venus des campagnes (p. 276)." Cet

afflux génère un déséquilibre entre le nombre de femmes et d’hommes vivant en ville dans un contexte caractérisé par une forte promiscuité au sein des familles ouvrières. Ces faits, selon Corbin, concourent à un effacement des limites entre sexualité et prostitution. Le mouvement de moralisation des classes populaires par la bourgeoisie conduit à la naissance de l'intimité ouvrière et à une moralisation des mœurs, notamment par une éthique qui valorise le travail sur le plaisir. Dans ce contexte, les employeurs protègent les cellules familiales en écartant les célibataires qui se tournent de ce fait vers la prostitution.

La nouvelle demande de prostitution émane de la bourgeoisie masculine au prise avec un discours à la fois religieux et médical qui ne valorise pas les relations sexuelles au sein du couple. Cette demande s'accompagne d'une augmentation du nombre de "petits bourgeois" célibataires, d'employés sans possibilité de fonder un foyer et des étudiants des facultés de province. "D'une manière générale, le ghetto sexuel au sein duquel se trouve enfermé l'adolescent bourgeois voit ses effectifs grossir avec le développement numérique de la petite et de la grande bourgeoisie. En effet, si le jeune homme du peuple trouve à nouer, dès l'adolescence, des relations sexuelles avec des filles de son milieu, le jeune bourgeois se trouve presque condamné à l'initiation par une prostituée, puis à la pratique de l'amour vénal."(p. 294)

ᴙ :

Tout au long du XIX

ème

siècle, le recours à la prostitution fait partie intégrante de la

construction identitaire masculine de l’élite. Elle est affichée comme une confirmation de la virilité

(dans son versant de vigueur sexuelle) et de la domination masculine.

Abolitionnisme

Règlementarisme

Néo réglementarisme

Oui

Pas d’objet

Oui

Dans la première partie du deuxième tome « Le triomphe de la virilité. Le XIXe siècle » de l’histoire de la

virilité paru en 2011, Corbin (2015, p. 29) écrit : « Pour qui tente une histoire de la virilité, l’intérêt de la

prostitution de ce temps est de mettre en évidence la tension, mais peut-être aussi la nécessaire symétrie établies entre une conjugalité apaisée et le déploiement d’une gauloiserie qui trouve à s’épanouir à l’intérieur des maisons closes ; entre des postulations angéliques et des exploits de bordel.. ».

Corbin développe ce qu’il entend par le déploiement d’une gauloiserie dans le chapitre intitulé « La nécessaire manifestation de l’énergie sexuelle ». En recourant à tout un corpus épistolaire de l’élite culturelle (Gautier, Mérimée, Stendhal, Flaubert, Musset, Michelet, …), cet historien met en évidence que cette élite commente avec force et détail ses incursions répétées dans la prostitution : « En ces

correspondances masculines, on ne décèle aucune gêne concernant le recours à la prostitution, bien au contraire, il est de bon ton d’y proclamer l’attirance que l’on éprouve à l’égard des « filles » » (p.138) Ainsi,

on s’échange les bonnes adresses, on donne ses appréciations des lieux et des prostituées elles-mêmes. Sous-jacent à cette description parfois minutieuse des lieux et des prostituées, l’objectif poursuivi est bien

« de se rassurer, dans l’intimité, d’exorciser toute crainte d’affaiblissement du pouvoir de séduction et de la puissance virile ». (p. 150).

Toutefois, ce recours n’est pas propre à l’élite culturelle, elle concerne l’ensemble de l’élite masculine qui a l’habitude de voir satisfait ses besoins somatiques par l’entremise de femmes du peuple, la prostituée se situant à l’extrémité de cette chaine.

En contrepoint à cette gauloiserie à laquelle se réfère Corbin, voici un récit de Flora Tristan publié en 1840 extrait de son livre « Promenades dans Londres ». Flora Tristan y relate ce qu’elle a observé lors de sa visite dans un finish (maison de plaisir où l’on va finir la nuit) londonien.

« Dans les finishes, il y a toutes sortes d’amusements… Un des plus goûtés est de soûler une fille jusqu’à ce qu’elle tombe morte ivre ; alors on lui fait avaler du vinaigre dans lequel de la moutarde et du poivre ont été délayés ; ce breuvage lui donne presque toujours d’horribles convulsions, et les soubresauts, les contorsions de cette malheureuse provoquent les rires et amusent infiniment l’honorable société. Un divertissement fort apprécié aussi dans ces fashionables réunions, c’est de jeter sur les filles qui gisent mortes ivres sur le plancher un verre de n’importe quoi ». (p.130)