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C. Observations de terrain

3. De L’Impuissance

Les propriétaires exercent des contraintes sur les activités de prostitution en vitrine. Par exemple, tous les propriétaires ne sont pas d’accord que les filles qui louent leur salon se fassent remplacer. Ainsi, l’histoire d’une « nana » qui est en congé maladie (problème pulmonaire) et qui va écourter son congé maladie car le propriétaire ne veut pas qu’elle se fasse remplacer et donc elle doit payer la semaine alors qu’elle ne travaille pas et n’a pas de rentrée. L’exigence d’avoir des remplacements peut exposer les personnes à des situations peu désirées. Par exemple, cette personne qui fait un remplacement de nuit d’une semaine (pour une fille qui a pris congé). Elle n’aime pas travailler la nuit car elle ne distingue pas bien les visages des

Figure 3 : rue Marnix, Seraing (photo des auteurs)

clients, elle se sent plus en insécurité qu’en journée. Comme elle le répétera à plusieurs reprises : « hay que

tener aguante » (il faut savoir résister).

Pour la prostitution de vitrine, les rues sont fréquemment en dehors des zones de passages courants, l’actuelle déviation des bus par la rue Varin à Liège est une rupture de cette mise entre parenthèses urbaine, qui par ailleurs, d’après les observations dans les bus et les conversations avec les personnes exerçant la prostitution, met en relation des mondes qui d’habitude tendent à s’ignorer. La rue Marnix, à Seraing, est un cul-de-sac, et n’est même plus à la sortie de l’usine. Pourtant, le passage dans cette rue est impressionnant. La circulation est significative dans les deux sens. Comme les personnes exerçant la prostitution nous le confirmeront, c’est une rue où l’on passe pour voir, parfois des hommes, parfois un homme, parfois une femme, parfois des femmes, parfois des couples, des ados, des jeunes, des plus vieux, des très vieux. On vient rue Marnix pour voir, pour mater, pour se moquer aussi.

Pour la traite des êtres humains, il n’y a pas de choix sur le lieu où exercer le racolage. L’attachement à un lieu est ce qui rend possible le contrôle par le maquereau ou le réseau lors de leurs rondes.

Pour la prostitution de rue, l’interdiction du racolage implique, qu’il s’agisse de traite ou de prostitution dite traditionnelle, de pouvoir composer un personnage piéton hybride qui à la fois évoque suffisamment la prostitution pour attirer le client et en même temps permet de passer presque inaperçu. Les quartiers, où se déroule le racolage, peuvent être usités pour d’autres raisons, pour transiter vers un lieu, pour aller boire un verre, etc. Il y a souvent, sauf à Charleroi depuis les dernières années, un monde ordinaire qui côtoie celui de la prostitution. La personne qui racole peut être fixe ou mobile en ronde. Comme il est rare qu’une personne soit longtemps fixe dans l’espace public que constitue la rue, il faut que l’endroit soit crédible et accessible. Il s’agit de pouvoir presque passer pour une personne en attente d’un lift au coin d’une rue, près d’un lieu où l’on pourrait très normalement se donner un rendez-vous. Les personnes qui choisissent la mobilité effectuent des rondes au sein d’un même quartier, dans les rues où les clients potentiels savent qu’ils pourront identifier un racolage. Dans les deux cas, le téléphone portable est un allié précieux. Outre le fait qu’il permet de fixer des rendez-vous au client, il permet aussi d’avoir l’air occupé et d’avoir l’air d’un passant en conversation. La fixité et la mobilité dans des zones connues ne suffisent pas, mais il nous semble la part essentielle. Elles sont complétées par une attitude et une manière de se vêtir à la limite, plutôt sexy mais ni plus ni moins que d’autres passantes. Des accessoires peuvent servir pour se dissimuler comme des perruques, des chapeaux ; mais moins les lunettes noires associées selon certaines prostituées à la toxicomanie. Parfois, le petit sac et une façon de le balancer constituent un marqueur de l’activité, mais cela reste assez rare d’après nos observations. L’idée, et la maîtrise, est de ne pas être trop engagé dans un rôle qui déterminerait à coup sûr l’identité de prostituée. Il s’agit tout autant d’une protection contre les services de police ou les services sociaux que d’une possibilité de jouer sur la méprise pour refuser un client. Le personnage ainsi composé trouble les possibilités d’interaction dans les quartiers. Il n’est pas rare qu’une femme passant par là puisse être interpellée par un client qui croit reconnaître une prostituée, générant souvent des insultes envers la passante, qui malgré ces explications pourra être traitée de « sale pute » et autres variantes.

L’impuissance se révèle aussi dans les capacités des personnes de pouvoir sortir de la prostitution de manière temporaire ou définitive. Ainsi, Amor sort de la prostitution en centre pour « faire un bébé », mais n’indique pas qu’elle n’y reviendrait pas. Pour, Lucienne, cela fait un an qu’elle se prostitue. Auparavant, elle ne l’avait jamais fait. Elle a exercé le métier de soudeur mais comme elle a eu des problèmes récurrents de tendinite, elle a arrêté le métier. Son mari (au courant de son activité) est pensionné et ils ont un prêt à

rembourser pour la maison. C’est la raison pour laquelle elle exerce cette activité. Elle pense arrêter dès que l’emprunt sera remboursé.