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D. Les avis des experts

VI. Pistes pour une action politique

1. Exploitation et Droit à l’égalité au travail

A. ÊTRE EXPLOITÉ-E AVANT L’ENTRÉE DANS LA PROSTITUTION

Il ressort de l’analyse des entretiens que les personnes exerçant la prostitution sont exposées à des formes d’exploitation bien avant l’entrée dans la prostitution, et que souvent l’exploitation se double d’une confrontation à l’impérialisme culturel (domination masculine, marchandisation du corps et du relationnel), comme le harcèlement ou les propositions de travail contre échange sexuel.

L’exploitation est à la fois la résultante de facteurs structurels liés à la dégradation du marché du travail et de l’emploi (appauvrissement, emploi précaire, un mari ou compagnon dépensier ou très endetté) et la confrontation à des verdicts sociaux (infériorisation, intériorisation des rapports de force, normalisation de la prostitution, acceptation de la représentation de l’homme pulsionnel, vision de la prostitution comme prévention du viol, ..).

Ainsi les rapports d’oppression de sexe peuvent-ils initier un processus qui peut entraîner une décision d’exercer la prostitution, selon une logique telle que : puisqu’ils veulent avoir un rapport sexuel avec moi, puisqu’ils se permettent de me toucher ou de me harceler, et que j’ai peu de possibilités de faire valoir mes droits, j’entre dans la prostitution. Ce faisant, je change les rapports avec ces hommes-là, qui devront payer pour mes services sexuels et envers qui je ne dois plus rien. Les recommandations visent à lutter contre les circonstances de l’oppression qui favorisent l’entrée dans la prostitution.

Recommandations

● Accentuer les politiques de lutte contre le harcèlement sur le lieu de travail et les propositions de travail contre échange sexuel, en particulier l’Horeca, les métiers liés aux services de nettoyage, les métiers de l’évènementiel et de l’esthétique

● Renforcement et/ou activation des protections sociales pour les personnes, en particulier les femmes et mères de famille, devant travailler dans des emplois précaires, peu rémunérés et pénibles.

● Renforcer les formations en cours de carrière et en formation initiale sur la question des rapports sociaux de sexe (administration, police, services sociaux, enseignements) dans le but de diminuer les verdicts sociaux liés à la prostitution tant avant l’entrée, pendant l’exercice et à la sortie.

B. ÊTRE EXPLOITÉ-E PENDANT L’EXERCICE DE LA PROSTITUTION

De l’analyse des entretiens, il s’avère que les personnes exerçant actuellement la prostitution sont confrontées à une série de faits qui renforcent leur vécu de marginalisation, d’impuissance et d’impérialisme culturel. Parmi ceux-ci, relevons ce qui est de l’ordre des lieux où l’activité prostitutionnelle est pratiquée, en particulier, les vitrines. Les décalages entre le montant des loyers affichés sur le contrat de bail et ceux réellement perçus par les propriétaires ne correspondent pas souvent.

Recommandations

Veiller à l’application de la législation de l’article 380 du code pénal alinéa 3 quiconque aura

vendu, loué ou mis à disposition aux fins de la prostitution des chambres ou tout autre local dans le but de réaliser un profit anormal.

● Développer une analyse juridique conjointe de l’art. 380 alinéa et de l’article sur la pénalisation du proxénétisme

● Renforcer le soutien juridique à disposition des personnes exerçant la prostitution

● Réfléchir à la mise en place d’un processus qui permet aux personnes exerçant la prostitution d’introduire des actions collectives en justice

● Mieux prendre en compte au niveau institutionnel et politique les liens entre la prostitution et la traite des êtres humains ; les politiques de lutte contre la prostitution se situant au niveau local et celles de la traite des êtres humains, se situant au niveau fédéral, articuler les différents niveaux. ● Renforcer la lutte contre les réseaux, avec une attention sur l’utilisation des sites d’annonces et des réseaux sociaux.

C. POUVOIR CHANGER D’ACTIVITÉ, SORTIR DE LA PROSTITUTION

Comme expliqué plus avant, il n’est pas du tout évident que l’entrée dans la prostitution soit systématiquement contrainte. Selon les entretiens, il s’agit le plus souvent d’une entrée dans la prostitution pour atteindre un minimum de moyens d’existence. Ceci n’est évidemment pas valable pour les personnes forcées d’exercer la prostitution par un tiers ou exploitées dans des réseaux.

Si l’entrée dans la prostitution relève pour le moins d’un jugement porté par une personne sur sa situation, la sortie de la prostitution se révèle plus problématique. Pour reprendre une phrase maintes fois entendue dans les entretiens et les observations : « il est plus facile d’entrer dans la prostitution que d’en sortir ». Les nombreuses difficultés rencontrées par les personnes qui exercent la prostitution pour sortir de la prostitution constituent certainement une de leur plus grande aliénation qui est un important facteur d’inégalité. Les figures de l’oppression se conjuguent et s’intersectionnent lorsqu’une personne souhaite quitter la prostitution. Si l’entrée dans la prostitution peut signifier une amélioration des finances, et parfois une amélioration de la sécurité (fuir un mari violent), elle correspond aussi à une forte exposition à la marginalisation, l’impuissance politique et à l’impérialisme culturel. Selon les entretiens, les personnes qui souhaitent quitter la prostitution n’ont aucune assurance de trouver un revenu équivalent. La précarité

peut être telle qu’une personne qui quitte la prostitution pour un travail précaire ou peu valorisant aura tendance à reprendre son activité de prostitution, tendance accentuée si la personne est redressée fiscalement. Confrontée aux services sociaux, par exemple, la personne peut connaître un traitement inégalitaire eu égard à l’exercice de la prostitution.

Recommandations

● Lutter contre les jugements et les injustices sociales qui empêcheraient ou rendraient très difficile le projet d’une personne de sortir de la prostitution. Il s’agit à la fois d’évaluer avec les personnes concernées par les futures mesures politiques, d’être attentifs au respect du traitement égalitaire dans les services, de faciliter l’accès aux formations professionnalisantes pour les personnes qui ne maîtrisent pas le français ou pour les personnes qui n’ont pas un titre requis.

● Etablir des critères et des conditions pour accorder l’amnistie fiscale aux personnes souhaitant sortir de la prostitution. Le paradoxe étant que des personnes doivent retourner dans la prostitution après un contrôle fiscal, alors qu’elles souhaitaient arrêter leur activité.