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Chapitre 1. Etat de l’Art et Problématique

2. L’ADN, brique technologique de structuration de la matière

2.4. Les applications des nanotechnologies ADN

2.4.1. Les applications biomédicales

L’un des premiers domaines d’applications possibles des nanotechnologies ADN est l’univers biomédical. Que ce soit pour l’imagerie, la détection biomoléculaire, ou les nano-robots livreurs de médicaments, l’ADN peut jouer un rôle clé technologique. Dans

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Un origami est une structure formée à partir de brins d’ADN. Suivant la séquence utilisée, il est possible de créer des figures géométriques complexes en 2D ou 3D comme des boîtes.

le domaine de l’imagerie, Joseph Wang a par exemple mis au point un nano-robot capable de détecter une cellule contenant une séquence d’ADN spécifique (Esteban-Fernández de Ávila et al., 2015). L’idée est de transporter un monobrin d’ADN fonctionnalisé avec un fluorophore dans une cellule en utilisant un nanofil d’or recouvert d’une feuille de graphène comme transporteur. Sur le nanofil, le fluorophore est désactivé à cause du graphène qui joue le rôle d’extincteur du fluorophore. Une fois dans la cellule, le monobrin d’ADN peut s’hybrider sur la séquence cible et quitte le nanofil d’or. Le fluorophore redevient actif, permettant d’identifier la cellule en question par fluorescence. Le schéma de principe est présenté en Figure 12 ci-dessous. Leur méthode de détection rapide (2-3 min) leur permet d’identifier un micro-ARN, un brin nucléique de 22 nucléotides responsable de l’extinction de certains gènes dans les cellules eucaryotes, pouvant intervenir dans les tumeurs.

Figure 12 : Détection d’un micro-ARN présent en milieu cellulaire par utilisation d’un nanorobot composé d’un monobrin d’ADN fluorescent transporté par un nanofil d’or. L’emploi d’ultrasons (US) permet une pénétration rapide du monobrin dans la cellule (Esteban-Fernández de Ávila et al., 2015).

Au-delà de l’imagerie, une grande communauté scientifique s’intéresse au design de structures complexes d’origamis pouvant encapsuler une substance destinée à être délivrée en milieu cellulaire. On peut citer à titre d’exemple la délivrance de médicaments anti-cancer comme la doxorubicine directement dans la cellule via une structure entièrement biocompatible car à base d’ADN (Jiang et al., 2012; Zhang et al., 2014). Récemment, une collaboration entre deux équipes indienne et française a également abouti au développement de deux nanorobots à base d’ADN capables de cartographier les changements de pH au sein d’une cellule (Modi et al., 2013). Ces exemples montrent que ce domaine de recherche est très actif et diversifié avec des pistes de développement pour la médecine.

2.4.2. L’algorithmique

Une partie de la communauté s’intéresse à développer des nouveaux algorithmes s’appuyant sur le principe d’hybridation/dé-hybridation de l’ADN et du déplacement de monobrins d’ADN au sein d’un circuit constitué de brins d’ADN interconnectés pour réaliser des calculs. La Figure 13 présente quelques exemples d’organisation de

monobrins d’ADN. Faisant face à des verrous technologiques lourds évidents, les développements sont à l’heure actuelle encore théoriques, bien que la possibilité de réaliser des calculs « simples » tels que la soustraction et la division (Zhang et al., 2009) ou plus complexes comme l’exponentiel ou le logarithme (Song et al., 2016) ont été démontrés.

Figure 13 : Exemple d'arrangements de monobrins d'ADN en circuit logique permettant le calcul arithmétique (Zhang et al., 2009).

Plus proche de l’expérience, on peut citer la création d’assemblages d’origamis d’ADN dans lesquels sont incorporées des fonctions logiques, telles que « OR », « AND » ou « NOR », toujours développés de façon théorique (Boemo et al., 2015, 2016) mais aussi expérimentale (Amir et al., 2014; Douglas et al., 2012; Lund et al., 2010) permettant une complexification et une autonomie de l’assemblage dans un milieu donné, comme à la bordure d’une cellule suivant l’information qu’elle contient (Douglas et al., 2012), ou sur l’interaction entre plusieurs origamis transportant des principes actifs (Amir et al., 2014). La recherche sur l’utilisation de l’ADN comme support de calcul ou comme implémentation d’un langage logique en est à son commencement et paraît très prometteur pour l’informatique comme pour la médecine.

2.4.3. La micro-électronique

L’approche « bottom-up » de l’auto-assemblage par ADN permet une structuration nanométrique de surface précise et programmable, propriétés particulièrement recherchées pour la réalisation de circuits imprimés ou de systèmes logiques (Le et al., 2004; Seelig et al., 2006). Le nanopatterning de surfaces par des origamis d’ADN a ainsi vu un important développement au cours des dernières années et a permis un abaissement d’échelles dans la réalisation de transistors que ne permettent pas les techniques classiques de photolithographie. Par exemple, Diane et al. ont développé une lithographie à base d’origami d’ADN pour structurer une surface de SiO2 sur des échelles de l’ordre

de 10 nm (Diagne et al., 2016). L’idée, schématisée en Figure 14, est de reporter un origami d’ADN sur une surface de SiO2, de graver la surface puis de retirer l’origami.

L’origami joue ici le rôle d’une résine de photolithographie classique négative, mais possédant une résolution cent fois supérieure (si on considère une résine de résolution de l’ordre du micromètre).

Figure 14 : Schéma de l’origami utilisé dans les travaux de (Diagne et al., 2016) pour la structuration nanométrique d’une surface SiO2 par procédé nanolithographique.

On parle aussi de transistors à un électron, transistors à base de nanotubes de carbone (Dwyer et al., 2004; Maune et al., 2010), ou encore de systèmes plasmoniques. On trouve également des applications pour l’immobilisation de nanoparticules sur surface permettant la réalisation de circuits optoélectroniques (Lalander et al., 2010), ou la réalisation de nanofils conducteurs à base d’ADN hybridés avec des ions Argent (Toomey et al., 2016). Les connections à l’échelle nanométrique sont également en développement, par report de filaments d’ADN sur surface qui sont par la suite métallisés par du cuivre, obtenant des filaments de 5 nm d’épaisseur (Brun et al., 2016).

2.4.4. Le stockage digital de l’information

A l’heure d’un monde connecté et mondialisé, la quantité d’information échangée et stockée augmente de façon considérable. Se digitalisant massivement depuis le XXIème siècle (Hilbert and López, 2011), les données générées pourraient dépasser les capacités de stockage du silicium d’ici 2040, prédisent Zhirnov et al. (Zhirnov et al., 2016), nécessitant la recherche de nouveaux matériaux pour stocker l’information. L’ADN apparaît alors comme une alternative pertinente grâce à sa haute capacité de stockage jusqu’à 106 fois plus importante que les techniques magnétiques ou optiques actuelles (Church et al., 2012), sa stabilité dans le temps bien supérieure aux technologies Flash à base de silicium (Zhirnov et al., 2016) et sa reproductibilité peu coûteuse grâce aux techniques d’amplification devenues « bon marché ». Ainsi, deux groupes indépendants d’Harvard University (Church et al., 2012) et du Laboratoire Européen de Biologie Moléculaire (Goldman et al., 2013) ont démontré la possibilité de stocker des livres, images et sons dans l’ADN avec possibilité de relecture sans erreurs. Les densités de stockage sont alors largement améliorées, passant de 3,1 × 109 bits.mm-3 pour un classique disque dur à 5,5 × 1015 bits.mm-3 par un stockage biologique (Church et al., 2012).

Or, la faiblesse de la nanotechnologie ADN tient dans sa relative fragilité face aux agressions chimiques extérieure. Par exemple, on peut évaluer le nombre de dommages (principalement liés à l’hydrolyse en milieux aqueux) survenant dans l’ADN d’une seule cellule humaine à 104-105 par jour (Schärer, 2003). Cependant, il existe de nombreux outils biologiques d’autocorrection disponibles dans le monde vivant listés par Zhirnov et al. (Zhirnov et al., 2016), ainsi que la possibilité de travailler dans un environnement

favorable permettant de gagner encore davantage de temps dans la conservation de l’information, comme en témoigne le séquençage d’un homme de Néendarthaal vieux de 50 000 ans préservé dans le permafrost à -4 °C (Prüfer et al., 2014). Grass et al. ont mis à profit ces techniques pour réaliser le codage d’un texte de 83 kB en 4991 brins d’ADN (Grass et al., 2015), et étudier la conservation de l’information suivant différents modes de stockage. La combinaison entre la mise en place d’un codon d’ADN auto-correcteur inspiré du code d’autocorrection de Reed-Salomon avec l’encapsulation de l’ADN dans une bille d’oxyde de silicium a alors permis aux auteurs d’estimer un temps de conservation sans erreurs de 2 millions d’années si stocké dans les conditions du permafrost.

Densité de stockage, temps de rétention, dimensions nanométriques sont autant d’avantages que possède l’ADN face aux technologies actuelles à base de silicium gourmandes en énergie et à l’impact écologique fort, productrices de chaleur, et dont la performance est désormais limitée par les limites dimensionnelles des techniques de lithographie. Cependant, le développement futur des nanotechnologies ADN dépendra du développement des techniques de production et de lecture des brins d’ADN, et surtout de leur coût (Zakeri and Lu, 2015). Il dépendra également du développement des autres applications citées précédemment telles que le calcul, la nano-lithographie, ou la détection moléculaire.

Bien qu’en marge des travaux présentés dans cette thèse, ce dernier paragraphe illustre parfaitement la puissance de cet outil technologique qui peut largement dépasser son cadre biologique originel, et la potentialité au moins aussi grande de son développement. L’ADN est un outil flexible, adaptable, et réparable, ce qui en fait un excellent candidat pour la structuration de la matière, dont entre autres l’organisation de nanoparticules, comme le démontre la section suivante.