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Chapitre 1. Etat de l’Art et Problématique

1. Les nanothermites, une classe de matériaux énergétiques

1.1. Généralités

En guise d’introduction, nous pouvons rappeler que les matériaux énergétiques sont des composés capables de libérer une grande énergie en quelques fractions de seconde sous l’effet d’un stimulus (par apport de chaleur ou choc électrique). La réaction énergétique est généralement une réaction exothermique d’oxydo-réduction entre espèces ou molécules oxydantes et réductrices. Les matériaux énergétiques solides sont à usage unique et sont généralement classés en deux catégories :

- Les matériaux mono-moléculaires. Constitués d’une phase unique homogène où la molécule élémentaire contient tous les éléments nécessaires à la réaction, ils sont généralement de nature organique. Du fait de la proximité des éléments réducteurs et oxydants, souvent au sein d’une même molécule, la réaction exothermique est extrêmement rapide, allant jusqu’à une dizaine de km.s-1 pour le CL-20, puissant explosif développé à Chinese Lake en Californie (C6N12H6O12) (source Eurenco). La

TNT (pour TriNitroToluène de formule C6H2(NO2)3CH3) est un exemple célèbre de

matériau réactif mono-moléculaire dont la proximité des groupes oxydant (NO3) et

réducteurs (CH2 et CH) le rend très sensible et instable. L’extrême sensibilité de ces

matériaux mono-moléculaires rend l’optimisation de leur potentiel énergétique difficile.

- Les matériaux composites. Ils se présentent généralement sous la forme de poudres, constituées d’au moins deux composants : l’oxydant et le réducteur. Leur cinétique de décomposition (classiquement appelée « réactivité ») est dépendante de la proximité des différents constituants et de la diffusion des espèces entre oxydant et réducteur, rendant ces matériaux énergétiques de fait moins sensibles que les matériaux mono-moléculaires. Pour des poudres micrométriques, les cinétiques de décomposition varient de quelques mm.s-1 à plusieurs m.s-1 suivant les ingrédients utilisés et le compactage des poudres. La poudre noire est un exemple célèbre des matériaux composites.

Les thermites, ou composés alumino-thermites, entrent dans cette deuxième catégorie. Elles peuvent être qualifiées de « composites », car elles associent un métal réducteur, appelé également « combustible », avec un oxyde métallique oxydant, appelé « comburant ».

Les thermites ont été découvertes en 1893 et brevetés en 1895 par le chimiste allemand Hans Goldschmidt (Goldschmidt, 1895), en cherchant une méthode de synthèse de métaux purs sans carbone. C’est en synthétisant du chrome par réduction de sa forme oxydée par l’aluminium qu’il comprit l’intérêt de sa découverte pour la soudure. Le nom

thermite vient du dégagement de chaleur très élevé de ces matériaux, dont la température de flamme peut atteindre 3 600 °C(Fischer and Grubelich, 1998).

D’un point de vue chimique, la réaction dite « thermite » désigne plus précisément la réaction d’oxydo-réduction intervenant entre les deux éléments (Piercey and Klapötke, 2010). Usuellement, le métal le plus utilisé est l’Aluminium (Al) car son affinité avec l’oxygène est telle qu’il est très facilement oxydable et ce métal est disponible en grande quantité et à bas coût. La réaction d’oxydo-réduction s’opérant entre les deux composés peut s’écrire formellement de la façon suivante :

𝑀 + 𝐴𝐴

𝛥𝛥

�� 𝑀𝐴 + 𝐴

(1.1)

Avec M et MO le métal et sa forme oxydée, de même AO et A un oxyde métallique et sa forme réduite, et ΔH l’enthalpie de réaction.

Cette réaction fortement exothermique produit une certaine quantité de chaleur, caractérisée par l’enthalpie de réaction ΔH, exprimée en cal.g-1, J.g-1 ou encore J.cm-3. Cependant, un certain nombre de facteurs limitent les rendements de la réaction comme la dissipation de chaleur dans l’environnement ou des barrières de diffusion d’espèce comme la couche d’alumine présente dans les poudres utilisées.

Conventionnellement, la chaleur de réaction peut être caractérisée par Calorimétrie Différentielle à Balayage (notée DSC, pour Differential Scanning Calorimetry). Cette technique d’analyse thermique compare les échanges de chaleur avec son environnement d’un échantillon et d’une référence situés dans une enceinte fermée. Plus précisément, l’appareil mesure la variation d’énergie appliquée à la référence pour maintenir la température de l’enceinte constante, suivant si l’échantillon absorbe de la chaleur en subissant une transformation endothermique (comme la fusion), ou dégage de la chaleur s’il subit une réaction exothermique.

Lorsqu’on travaille avec les thermites, il est important de connaitre les conditions environnementales de la réaction ainsi que la stœchiométrie du mélange métal / oxyde. Nous pouvons donc définir dans un premier temps le ratio de masse équivalente Ø de façon à caractériser la stœchiométrie du mélange de la façon suivante :

Ø =

�𝑀

𝐴𝐴

⁄𝑀

𝑂𝑂𝑂𝑂𝑂

𝑆𝑆𝑆𝑆𝐴𝑂

�𝑀

𝐴𝐴

⁄𝑀

𝑂𝑂𝑂𝑂𝑂

𝑆𝑆

(1.2)

Où MAl et MOxyde représentent les masses molaires de l’aluminium et de l’oxyde

métallique. La notation Sample indique le ratio entre les deux composés et la notation ST indique le ratio entre les deux composés dans les conditions stœchiométriques, i.e. contenant la quantité d’oxygène nécessaire à oxyder la totalité de l’Al sans apport extérieur. Cette définition nous permet donc d’écrire la relation suivante :

�𝑀

𝐴𝐴

⁄𝑀

𝑂𝑂𝑂𝑂𝑂

𝑆𝑆

=

𝑦 𝑀𝑥 𝑀

𝐴𝐴

𝑂𝑂𝑂𝑂𝑂 (1.3)

En prenant en compte la fine couche d’alumine (Al2O3) naturellement présente en

surface des nanoparticules d’Al, nous pouvons considérer la pureté P correspondant au taux d’Al actif de la nanoparticule pour pouvoir exprimer de façon précise le rapport massique X entre métal et oxyde :

𝑋 = Ø × �

𝑀

𝐴𝐴�

𝑀

𝐴𝑥𝑦𝑂𝑂�𝑆𝑆

𝑃 + Ø × �

𝑀

𝐴𝐴

𝑀

𝐴𝑥𝑦𝑂𝑂𝑆𝑆 (1.4)

Les rapports massiques stœchiométriques de différents couples de nanothermites, les enthalpies théoriques des réactions associées, les températures adiabatiques et les produits de réaction finaux calculés à l’équilibre thermodynamique sont listés dans le Tableau 1 ci-dessous (Fischer and Grubelich, 1998).

Tableau 1 : Rapport massique stœchiométriques, températures adiabatiques calculées en tenant compte des changement de phase et enthalpies de réaction de différents couples de nanothermites usuellement utilisés (Fischer and Grubelich, 1998).

Couple oxydant- réducteur Rapport massique stœchiométrique Température adiabatique (K) Enthalpie de réaction massique (kJ.g-1) Enthalpie de réaction volumique (kJ.cm-3) Proportion de gaz (g.g-1) Al-MnO2 1 / 2,147 2 918 4,9 19,5 0,4470 Al-CuO 1 / 4,422 2 843 4,1 20,8 0,3431 Al-Fe2O3 1 / 2,959 3 135 4,0 16,5 0,0784 Al-NiO 1 / 4,454 3 187 3,4 18,0 0,0063 Al-TiO2 1 / 2,221 1 752 1,5 5,5 0,0000 Al-WO3 1/4,296 3 253 2,9 14,7 0,1463

Le Tableau 1 montre qu’il existe une grande variété de couples oxydant/réducteur ayant des propriétés énergétiques très différentes. Ainsi, il est possible de choisir le couple suivant les contraintes de l’application choisie. Par exemple, si le poids ou le volume est une contrainte prépondérante, on choisira un couple énergétique performant d’un point de vue massique ou volumique, i.e. Al-MnO2 dans un cas ou Al-CuO dans

l’autre. Par ailleurs, l’ensemble de ces couples ont en commun une forte température de réaction, de 1 800 à 3 300 K, raison pour laquelle les thermites sont principalement utilisées depuis leur découverte au XIXème siècle pour divers usages civils tels que la

découpe de métaux, la soudure, mais aussi la synthèse de matériaux. Par exemple, les thermites à base d’oxyde de fer sont utilisées historiquement pour la soudure de rails de chemin de fer, grâce à l’application locale de chaleur permettant la fusion des matériaux et l’apport de fer lors de la réaction permettant la soudure. De façon similaire, les thermites à base d’oxyde de cuivre peuvent servir à souder des tubes épais de cuivre pour des connections électriques.

Cependant, la forte enthalpie de réaction couplée à une haute température de flamme ne fait pas tout. En effet, les thermites ont souffert jusqu’ici de leur faible réactivité, de l’ordre du mm.s-1, ne permettant pas une pleine exploitation de leur potentiel énergétique. Cette faible réactivité est principalement due à l’utilisation de composés sous forme de poudre macroscopique limitant le transport de l’oxygène d’un matériau à l’autre. Or, la diminution de la dimension de ces matériaux a ouvert la voie à des nouveaux développements.