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Chapitre 3 : Les visées axiologiques descriptives : les subjectivèmes

2. Les adjectifs subjectifs

2.1. Les adjectifs affectifs

Les adjectifs affectifs énoncent non seulement une propriété de l’objet qu’ils dénotent, mais également une réaction émotionnelle de l’énonciateur envers cet objet. Autrement dit, ils impliquent un engagement affectif de l’énonciateur, comme ils manifestent sa présence au sein de son énoncé.

En suivant la typologie de C. Kerbrat-Orecchioni1, nous pouvons les classer comme suit :

2.1.1. Valeur affective inhérente à l’adjectif

Dans la perspective d’une sémantique lexicale, la valeur affective est souvent inhérente à l’adjectif.

Examinons l’exemple suivant :

« Nous, les «sales Arabes», nous sommes bons pour garder le jerrican de pétrole, pour acheter des armes. » (7/2/2012, Raïna Raïkoum)

Cet extrait est doublement marqué subjectivement :

- Par l’usage du déictique (nous inclusif) qui implique que c’est un énonciateur arabe qui s’adresse aux Arabes.

- Par l’utilisation de l’adjectif affectivo-axiologique « sales », qui énonce un jugement de valeur dépréciatif du locuteur vis-à-vis du référent dénoté. Le chroniqueur ici interpelle les Arabes par l’adjectif « sale ». À l’époque dans un épisode de la guerre de libération algérienne, les Pieds Noirs appelaient les Algériens les « sales arabes ». Le journaliste fait appel à cette expression péjorative dépréciative, pour dire que les Arabes ne servent à rien, ne savent rien faire à part s'adonner à la violence et faire la guerre aux autres.

Chapitre 3 : Les visées axiologiques descriptives : les subjectivèmes Considérons les exemples suivants :

1. « Eh oui ! Imaginez que ce pauvre préposé à l’urne n’arrête pas de cligner de l’œil…» (17/3/2012, Pousse Avec Eux)

2. « Quel soulagement pour celles et ceux qui n’ont que la radio pour meubler leur triste quotidien.» (7/5/2012, Pousse Avec Eux)

3. « J’hésitais entre aborder ce drame horrible de trois enfants, des écoliers âgés entre 10 et 12 ans et qui se sont suicidés en moins de 48 heures en Kabylie ... » (21/3/2012, Pousse Avec Eux)

Dans l’exemple (1), l’adjectif « pauvre » est considéré comme subjectif dans la mesure où il révèle l’implication émotionnelle de l’énonciateur dans ce qu’il relate comme information. Cet adjectif affectif ainsi employé a également une fonction conative dans la mesure où l’énonciateur espère atteindre le récepteur par son apitoiement et favorise son adhésion à l’interprétation qu’il a de certains faits.

Dans (2), l’expression « ceux qui n’ont que la radio pour meubler leur triste quotidien. » est subjective car son énonciateur se trouve émotionnellement impliqué par le contenu de son énoncé, comme il espère atteindre le lecteur par son apitoiement.

L’exemple (3) présente l’adjectif affectif « horrible » qui teinte son énoncé d’une couleur émotionnelle affective négative. L’énonciateur, dans ce cas, espère que la répulsion qu’il manifeste atteindra le lecteur et favorisera son adhésion à l’interprétation qu’il procure des faits.

S’ils ne sont pas totalement absents dans les éditoriaux et les commentaires (66 occurrences), les adjectifs affectifs sont nombreux dans les chroniques et les billets (463 occurrences).

Chapitre 3 : Les visées axiologiques descriptives : les subjectivèmes

2.1.2. Valeur affective inhérente à un signe typographique

L’usage des signes typologiques, le point d’exclamation tout particulièrement, donne à l’adjectif une valeur affective dans la mesure où il exprime un sentiment ou une émotion qui ne peut être que celle du locuteur. Le point d’exclamation met en scène le locuteur en train de s’exclamer. Il suggère, en plus, un contexte d’échange dans lequel les raisons qui justifient l’exclamation sont identifiées ; l’exclamation ne peut avoir de sens que si le récepteur à qui l’énoncé est destiné connaît le contexte de l’événement et peut déceler la marque de l’exclamation à savoir : l’étonnement, l’excitation, l’indignation ou l’admiration. Certes, l’énoncé met en représentation le locuteur s’exclamant, mais également un allocutaire qui saisit en quoi y a-t-il lieu de s’exclamer. Plusieurs exemples relevés de notre corpus illustrent ces propos :

- « Pas de renforts, bien évidemment ! Les trois routes donnant accès à la ville ayant été fermées avant. Génial ! Proprement lumineux ! » (19/3/2012, Pousse Avec Eux)

Dans cet énoncé, l’exclamation marque une fausse admiration ironique de l’énonciateur par son recours à un adjectif affectif appréciatif, « génial », dont la valeur affective est liée à un signe typographique, le point d’exclamation. Tel est le cas dans l’exemple suivant :

- « Je sais, c’est primitif et trivial, mais Dieu que c’est boooooon ! Alors, bravo les mecs du Palais. Et dès demain matin, la guerre reprend ! Je fume du thé et je reste éveillé, le cauchemar continue. » (31/3/2012, Pousse Avec Eux)

Dans cet exemple, on note une itération de la voyelle o, répétée 6 fois, dans un seul terme « bon », suivi d’un point d’exclamation servant à montrer l’insistance de l’énonciateur sur l’idée développée. Cet adjectif affectif appréciatif dont la valeur est inhérente au point d’exclamation exprime un sentiment ironique.

Chapitre 3 : Les visées axiologiques descriptives : les subjectivèmes Dans l’exemple ci-dessous, l’adjectif impressionnant est suivi d’un point d’exclamation exprimant l’intonation de l’énonciateur, la valeur affective de l’adjectif est liée à ce signe typographique

- « Le nombre, convenons-en, est impressionnant ! » (18/4/2012, L’Édito)

Dans l’énoncé suivant, le terme bourricot exprime une valeur affective péjorative liée à un signe d’exclamation, il montre l’indignation du chroniqueur. Ici l’auteur veut montrer un côté comique, l'absurde, la dérision et nous amener à nous moquer des islamistes.

- « C’est du même acabit ! Kif-kif ! Bourricot ! Il est tout de même terrible de constater qu’historiquement, les pires félonies ont été commises par des islamistes. » (10/1/2012, Pousse Avec Eux)

Tel est le cas de l’adjectif dégoûtant suivi dans l’exemple suivant d’un point d’exclamation qui connote non seulement l’étonnement de l’énonciateur, mais également sa répulsion.

- « Nous ne sommes pourtant qu’en janvier. C’est donc qu’ils font la queue pour la séance d’effeuillage. Dégoûtant ! Je fume du thé et je reste éveillé, le cauchemar continue. » (14/1/2012, Pousse Avec Eux)

2.1.3. Valeur affective liée à un signifiant syntaxique

Ce cas d’adjectif est souvent en usage concret. Ainsi, son antéposition le colore généralement d’affectivité.

- « Vision ancienne du peuple pauvre, mal nourri, colonisé par les autres puis par les siens, naïf, poussé vers l’illettrisme … » (19/4/2012, Raïna Raïkoum)

Chapitre 3 : Les visées axiologiques descriptives : les subjectivèmes cligner de l’œil, de toussoter ou de se gratter le menton … ? » (17/3/2012, Pousse Avec Eux)

Observons ce cas spécifique de jeu syntaxique : « Ce pauvre préposé »/ «le peuple pauvre » où le second adjectif « pauvre » dénote un statut social et économique, que neutralise le premier adjectif qui connote un apitoiement de l’énonciateur. L’adjectif "pauvre" du premier exemple est objectif, car il sert à décrire l’état économique du peuple alors que dans le second exemple l’adjectif « pauvre » est chargé d’affectivité.