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Chapitre 2 : Les visées énonciatives journalistiques

2. La deixis et le discours journalistique

2.4. Les déictiques temporels

Le système des déictiques spatiaux est moins complexe que celui des déictiques temporels. Les indications temporelles peuvent être repérées par rapport au « moment d'énonciation » qu’est le moment où l'énonciateur parle « le présent linguistique ».

Dans la présentation des éléments porteurs d’indications temporelles, nous pouvons distinguer à la suite de D. Maingueneau1, deux séries : celle des déictiques, tels hier ou aujourd’hui, qui sont fixés au moment de l’énonciation, et celle des éléments non-déictiques fixés à l’aide de repères inscrits dans l’énoncé.

L’examen de notre corpus montre que l’énonciateur met en ordre la chronologie de son discours et l’impose au locuteur par rapport à son propre acte d'énonciation.

Ainsi en est-il dans :

- « Aujourd’hui (...) Le problème est que tout le monde sait que Abdoulaye Wade, comme tous les dictateurs, n’a cure des appels à la raison, car

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estimant être investi d’une sorte de mission messianique. » (1/2/2012,

Commentaire)

Le morphème « aujourd'hui » et l'affixe « présent » du verbe « estimer » ne seront pas traduisibles si on ignore à quel moment cet énoncé a été réalisé : tous deux constituent des éléments déictiques temporels.

Passons à présent aux déictiques temporels qui se présentent sous deux formes, à savoir les éléments adverbiaux ou les syntagmes prépositionnels (hier, dans deux mois, etc.), et des informations liées aux affixes temporels qui se répartissent dans le présent, le passé et le futur.

Ainsi, toutes les indications temporelles ne sont pas forcément repérées par rapport au moment de l'énonciation (moment de l’instance énonciative). Si l'on considère par exemple l'énoncé :

- «Il vient de se faire remarquer par une deuxième marque : au lendemain des élections du 10 mai, outre son accoutrement étrangement ridicule, Abdelaziz Belkhadem a exhibé son doigt dont la première phalange était bleue, signe qu’il avait voté.» (20/5/2012, Point Zéro)

En lisant l’énoncé ci-dessus, on se rend compte que « le lendemain » est situé dans le temps grâce au point de repère que constitue le syntagme « des élections du 10 mai » et non par rapport au temps de l'énonciation. En revanche dans les énoncés suivants :

- « Les deux Présidents, qui se sont vus hier, le savent très bien. A

Tunis comme à Alger, on connaît la formule populaire : laisse le puits avec son couvercle. » (23/2/2012, Point Zéro)

Chapitre 2 : Les visées énonciatives journalistiques menacé de ne pas voter le 10 si on ne leur répond pas, immédiatement. » (28/2/2012, Raïna Raïkoum), l’adverbe hier est rapporté au temps de l'énonciation.

Nous distinguons donc deux séries : d’une part les déictiques, comme hier ou aujourd'hui, qui sont fixés à l’aide du temps de l'énonciation, et d’autre part les catégories non-déictiques établies grâce aux indices présents dans l'énoncé.

A. Expression du passé

1) Beaucoup d'éléments adverbiaux servent à situer le procès au passé1. Ce sont :

Hier, Avant-hier, Avant-hier matin, avant-hier soir, récemment, dernièrement, l'autre jour, naguère, autrefois, jadis.

- « Image Deux : juste après, et pendant le même journal TV

d’avant-hier, la speakerine parle de Syrie, dans le chapitre actualités arabes. »

(7/1/2012, Raïna Raïkoum)

- « C’est le président-candidat, Nicolas Sarkozy, qui a abordé hier ce thème, en parlant de la guerre, (…) opposant deux États disposant de statuts et de moyens plus ou moins égaux. » (10/3/2012, Commentaire)

2) L'expression temporelle de structure : N + dernier/passé, ou N = (mois, jour, semaine, année, siècle...) + dernier /passé.

- « Mais le calcul a été fait par des économistes : avec tout l’argent dépensé ces 10 dernières années, on aurait pu construire un nouveau pays à partir de rien, sur un territoire vierge » (23/1/2012, Point Zéro)

- « Il en a été ainsi l’an dernier du tsunami qui a balayé une partie du

Japon, emportant avec lui le gouvernement de l’époque quelques mois

1 La notion d'antériorité par rapport au temps de l'énonciation est trop floue. D. Maingueneau (1994 : 41) propose de distinguer un passé que l'on pose comme différent du présent et un passé présenté comme coupe de ce présent, comme en rupture avec lui.

Chapitre 2 : Les visées énonciatives journalistiques plus tard. » (20/2/2012, commentaire)

- « Ensuite, il faut faire oublier, et cela n’est pas évident, les fraudes

des dernières décennies. » (8/2/2012, Raïna Raïkoum) 3) N + dernier ou N = (lundi, mardi)

- « Depuis vendredi dernier, on peut dire que c’est le commencement de la fin pour le régime baathiste de Bachar Al Assad. Ce jour-là en effet, ses troupes ont tiré sur des citoyens qui manifestaient pacifiquement à Damas, tuant quatre d’entre eux. » (19/2/2012, Commentaire)

B. Expression du présent

1) Certains éléments adverbiaux comme maintenant, actuellement connaissent

une parfaite coïncidence du procès avec le temps de l'énonciation :

- « Comme maintenant par exemple : le chien me susurre : pourquoi vas-tu parler de ça ? Qui va comprendre ? Ils vont croire que tu racontes quelque chose qui est un poème et personne ne te croit vraiment. » (7/2/2012, Raïna Raïkoum)

2) Les prépositions temporelles de structure : Préposition + N comme en ce moment, à cette heure...font également coïncider le procès avec le temps de

l’énonciation :

- « Et à l’heure actuelle, il n’est pas faux de dire que le «costume» de leader maghrébin que Moncef Marzouki veut à tout prix enfiler peut paraître un peu trop grand pour lui. Du moins, c’est le cas maintenant. » (9/2/2012, Commentaire)

- « C’est la bonne question du moment : faut-il voter ou pas ? Tout le reste c’est des nuances d’arc-en-ciel. (25/2/2012, Raïna Raïkoum)

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C. Expression du futur

1) Éléments adverbiaux : immédiatement, demain, après demain, demain

(midi, soir), après demain (midi, soir), bientôt, etc.

- « Aussi vrai que beaucoup de chemin reste à faire pour s’arrimer au train du développement, le vrai, il est à craindre que les dessous de la corbeille vont bientôt commencer à apparaître…! » (1/2/2012, Raïna Raïkoum)

- « Hier, à Alger, des centaines de chômeurs du pré-emploi ont menacé de ne pas voter le 10 si on ne leur répond pas,

immédiatement. » (28/2/2012, Raïna Raïkoum) 2) N+ prochain/qui vient, ou N= (semaine, mois, année…)

- « C’est ce qui risque probablement d’arriver en Algérie avec les

législatives de mai prochain, alors qu’une bonne partie du pays, notamment le Centre et l’Est, vient de traverser un épisode hivernal des plus rigoureux. » (20/2/2012, Commentaire)

- « Le chroniqueur s’est toujours demandé comment le régime

algérien allait sauver la mise le 10 mai prochain, date de vos élections? » (25/3/2012, Raïna Raïkoum)

- « La guerre d’Algérie vient de faire irruption dans le débat de

campagne pour l’élection présidentielle française d’avril prochain. » (10/3/2012, Commentaire)

3) N + Prochain, ou N = (lundi, mardi, mercredi…)

- « L’Union européenne a décidé d’imposer, à partir de juillet

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D. Passé / Présent / Futur et Passé / Futur

1) Aujourd'hui, tout à l'heure : ces déictiques temporels ne font pas coïncider

le procès avec le temps de l’énonciation.

- « Si des peuples, les vrais, s’imposent aujourd’hui en véritables maîtres du Monde, ce n’est certainement pas – ou seulement – grâce au génie de leurs gouvernants, mais c’est surtout là le résultat bienheureux d’une implication réelle » (2/2/2012, Raïna Raïkoum)

2) Ce + N, où N = (matin, midi, été, année…)

- « Le jeune Algérien risque gros en effet. Un an de prison dans les prisons de l’Inde, cet été. » (13/6/2012, Raïna Raïkoum)

L'interprétation de ces déictiques nous permet de prendre en considération les unités de la chronologie. Ce matin, ce soir, cet été cette année référent au matin, au soir, à l'été ou à l'année de la journée du temps de l’énonciation.

Le tableau et l’histogramme qui suivent présentent les occurrences d’usage des déictiques temporels dans les différents journaux étudiés.

Tableau n° 7 : Les déictiques temporels

Le corpus Chronique + billet Éditorial + commentaire Total % Le Quotidien d’Oran 120 43 163 42,56 El Watan 81 22 103 26,89 Le Soir d’Algérie 95 / 95 24,80 Liberté / 22 22 5,75 Total 296 87 383 100 Pourcentage 77,28% 22,72%

Graphique n°

Graphique n°

Commentaire

L’étude quantitative montre localisation de l’énonciateur 0 20 40 60 80 100 120 Le Quotidien d'Oran El Watan 0,00% 20,00% 40,00% 60,00% 80,00% Chronique+billet

Les déictiques temporels

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Graphique n° 16 : Les déictiques temporels

17 : Pourcentage des déictiques temporels

montre que le déictique temporel portant des traces de localisation de l’énonciateur est favorisé par Le Quotidien d’Oran

Le Soir d'Algérie Liberté Chronique+billet Éditorial+commentaire 77,28% 22,72% Chronique+billet Éditorial+commentaire Les déictiques temporels

Chapitre 2 : Les visées énonciatives journalistiques

des déictiques temporels

portant des traces de Le Quotidien d’Oran avec 163

Chronique+billet Éditorial+commentaire

Chapitre 2 : Les visées énonciatives journalistiques occurrences soit 42,56% et El Watan avec 103 occurrences soit 26,89%, Le Soir d’Algérie avec 95 occurrences soit 24,80% alors que l’usage des déictiques temporels est très modéré dans le journal Liberté avec 22 occurrences soit 5,75%.

Conclusion

En conclusion de ce chapitre, nous affirmons qu’il y a subjectivité énonciative dans le discours journalistique algérien à chaque fois que l’énonciateur manifeste dans son énonciation les traces de sa présence en tant que sujet afin de se rapprocher du lecteur et de le pousser à voir le monde à partir de son point de vue.

Le locuteur s’énonce de manière permanente au sein de son discours et le degré de la visibilité de sa présence dépend du genre discursif : chronique, billet, commentaire ou éditorial. Nous avons constaté que le chroniqueur exprime sa présence explicitement à travers le je, « l’indice le plus puissant de la subjectivité », afin de créer un rapport de familiarité, de mieux cibler le lecteur en essayant de l’impliquer en le tutoyant.

En général, le je est souvent présent dans les chroniques de notre corpus et très peu utilisé dans les éditoriaux.

Souvent le journaliste opère une certaine fusion dans l’identité des personnes et donc des pronoms personnels du singulier et du pluriel. Ces marques grammaticales subjectives servent à mettre à jour un locuteur social ayant des traits identitaires avec ses lecteurs-destinataires.

Le nous repéré dans notre corpus établit une relation d’identité puissante entre l’énonciateur et le lecteur, ce qui donne au discours journalistique une teinture subjective. Le journaliste recourt souvent à la forme nous inclusif qui implique la relation entre l’énonciateur « je » et le « vous » des lecteurs afin de bien les

Chapitre 2 : Les visées énonciatives journalistiques sensibiliser et mieux les convaincre.

Une proportion importante de pronoms de la deuxième personne prouve le souci constant du locuteur de ne pas se dissocier de ses lecteurs. Le désir d’appartenir à une entité commune et à une même communauté de destin illustre l’effet de connivence et d’adhésion du lecteur aux sujets énoncés.

En somme, les marqueurs de la temporalité et ceux de la localisation spatiale forment un véritable système et servent à attribuer des "valeurs référentielles" aux constituants énonciatifs par rapport au sujet de l'énonciation. Ils affichent la relation entre l’énonciateur et le lecteur par l’intermédiaire de la situation d’énonciation.

L’examen de notre corpus montre que le journaliste choisit d’inscrire le temps et le lieu de son discours par des déictiques (là, ce matin…), des termes qui n’ont de référent précis qu’à l’égard de la situation de discours de l’énonciateur, laquelle montre à quel lieu coïncide là et à quel temps correspond ce matin. Ces déictiques placent l’énonciateur au cœur de l’univers dont il parle.

Bref, le journaliste implique le lecteur par son discours en lui offrant l’occasion de s’inscrire dans les circonstances de l’énonciation.

Il a été question pour nous dans ce chapitre de traquer les manifestations linguistiques énonciatives du locuteur. Cette étude nous a permis de mettre le point sur la relation entre le locuteur-énonciateur et son lecteur.

Le chapitre suivant sera consacré à l’étude de la manifestation de la subjectivité traquée dans les parties du discours, les subjectivèmes.