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Les évolutions récentes et potentielles de l’industrie.

Marianne Verdier

4) Les évolutions récentes et potentielles de l’industrie.

Dans cette partie, nous montrons que les interactions concurrentielles dans le secteur des paiements par carte risquent d’être affectées par l’apparition de nouveaux moyens de paiement et par l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché, favorisée notamment par le SEPA.

a) La concurrence de nouveaux instruments de paiement

Nous avons montré que la part des paiements par carte en France avait augmenté en valeur et en volume, parce que la carte de paiement est un instrument de paiement électronique, qui permet aux banques de fournir des services différenciés aux consommateurs. La carte de paiement est également adaptée à l’émergence de nouveaux modes de consommation comme le commerce en ligne.

Cependant, d’autres instruments de paiement électroniques, comme le paiement par téléphone mobile, pourraient entrer en concurrence avec les cartes de paiement. Ainsi, un système de paiement par SMS a déjà été lancé en Belgique (Pay2me), et par les Caisses d’Epargne en France, tandis qu’un système de paiement par mobile qui s’appuie sur la technologie des puces sans contact (NFC53) est actuellement testé à Strasbourg, dans le cadre d’un partenariat entre NRJ

Mobile, Sagem, et le CIC Crédit Mutuel. Si une transaction de paiement peut être aussi véhiculée par les réseaux des opérateurs mobiles, on pourrait assister à une intensification de la concurrence entre les réseaux qui permettent de traiter les transactions, et à l’entrée de nouveaux acteurs non bancaires sur le marché.

Néanmoins, la carte de paiement possède plusieurs avantages concurrentiels importants par rapport au téléphone mobile, et plus généralement par rapport aux autres instruments de paiement électroniques. D’une part, l’industrie des paiements par carte bénéficie d’une base installée de porteurs suffisamment importante pour rendre l’entrée d’un nouvel instrument de paiement plus difficile, et d’autre part, un niveau de qualité et de sécurité similaire ne pourra être atteint sans investissements conséquents. En ce qui concerne le premier avantage concurrentiel, si un groupe de banques ou d’autres entreprises souhaite développer l’usage d’un nouvel instrument de paiement électronique, il doit inciter à la fois les consommateurs et les commerçants à adopter une nouvelle technologie, comme ce fut le cas pour les cartes de paiement. Le développement d’une nouvelle base installée de consommateurs est particulièrement coûteux pour les marchés « bifaces », puisqu’il faut attirer deux types d’utilisateurs distincts pour faire décoller le marché (ce qui soulève une problématique de type « chicken and egg »54). La confiance dans un système de

paiement dépend de sa durée d’existence, de sa stabilité et du nombre d’utilisateurs qu’il possède. Par ailleurs, en ce qui concerne la sécurité, les mobiles devraient être équipés d’une nouvelle génération de cartes SIM, qui permette de sécuriser les transactions à niveau au moins similaire à celui des cartes de paiement.

53Near Field Communication.

54Comme pour tout marché « biface », le système de paiement doit réussir à coordonner les anticipations de deux

L’entrée de nouveaux acteurs concurrents de la carte de paiement pourraient être facilitée sur le segment des paiements par Internet, parce que certains consommateurs hésitent encore à utiliser leur carte pour des raisons de sécurité55. Il existe déjà d’autres solutions de paiement pour

les micro-paiements sur Internet. Par exemple, les consommateurs peuvent payer certains achats par SMS, en composant un numéro surtaxé56. Les consommateurs peuvent aussi choisir d’utiliser

le système Internet Plus qui consiste à répercuter les sommes payées par le client sur la facture que lui envoie chaque mois son Fournisseur d’Accès Internet, ou encore le système des cartes prépayées, achetées chez un buraliste, qui préservent l’anonymat. Ces moyens de paiement présentent l’inconvénient de comporter des commissions s’élevant à près de 40% de la transaction pour le site Internet. Le portefeuille électronique PayPal, mis en œuvre par le site de vente aux enchères eBay, ne présente pas cet inconvénient, mais l’utilisation de la carte de paiement est nécessaire pour le recharger.

Si les banques souhaitent préserver les systèmes de paiement par carte, elles devront donc renforcer leur avantage concurrentiel pour faire face à l’apparition de nouveaux instruments de paiement électroniques proposés par des acteurs non bancaires, ce qui nécessitera des choix d’investissements stratégiques. Les banques peuvent aussi choisir de devancer les acteurs non bancaires, en proposant elles-mêmes de nouvelles technologies de paiement. Néanmoins, leur marge de manœuvre sera probablement réduite par un ensemble de contraintes réglementaires, dont la principale est la mise en œuvre d’un espace européen des paiements unique.

b) L’évolution des systèmes de paiement par carte avec le SEPA

L’Union Européenne a entrepris la construction d’un espace de paiements unique européen, « Single European Payments Area » - SEPA. D’ici 2010, lorsque le SEPA sera en vigueur57,

chaque transaction réalisée avec un instrument de paiement européen devra être traitée dans les mêmes conditions dans tous les pays européens. Les banques européennes réfléchissent au déploiement d’une carte de paiement européenne dans le cadre du « SEPA Card Framework »

55Source : le courrier de la Monétique. Selon une étude réalisée par Visa, 85% des consommateurs l’utilisent pour

payer leurs achats en ligne, cependant 11% des internautes ne l’utilisent pas car ils ont des doutes sur la sécurité.

56La loi n’autorise pas les SMS surtaxés à plus de 3 euros.

57En 2008, toutes les banques doivent accepter les moyens de paiement « SEPA ». Entre 2008 et 2010 aura lieu une

(SCF58), ou à la mise en œuvre de solutions de paiement alternatives. En effet, pour que les

consommateurs européens puissent utiliser leurs cartes dans les mêmes conditions partout en Europe, les systèmes de paiement par carte, qualifiés de « Card Schemes » dans le SCF, doivent élaborer des normes communes pour devenir compatibles, et interopérables. Aujourd’hui, par exemple, il est encore fréquent qu’un consommateur porteur d’une carte « CB » se rendant en Belgique ne puisse pas effectuer de retrait avec sa carte dans un distributeur du système Banksys. Des règles seront donc appliquées pour définir les obligations minimales que devront respecter les « Card Schemes », les émetteurs et les acquéreurs. Par exemple, toutes les cartes émises devront être équipées d’une puce et satisfaire à la norme EMV (Europay Visa, MasterCard), en respectant néanmoins les obligations définies par chacun des systèmes. Les commerçants pourront choisir leur acquéreur dans la zone Euro sans aucune restriction.

Le panorama que nous avons dessiné de l’industrie des cartes de paiement en France sera nécessairement modifié par la construction de l’Europe des paiements. En effet, l’organisation des paiements par carte est différente dans chaque pays européen, en fonction de son histoire, et des modes de consommation de ses habitants. Par exemple, la carte de paiement est beaucoup moins utilisée en Allemagne, ou en Espagne, qu’en France ou dans les pays Scandinaves59. Et

comme cela peut être le cas pour de nombreuses industries de réseau, les habitudes des consommateurs changent plus lentement, à cause de la présence d’effets de cliquet60 dans les

choix d’adoption et d’usage. Ceci soulève la question de l’harmonisation du fonctionnement des systèmes de paiement par carte en Europe. Plusieurs hypothèses sont envisageables. Soit les systèmes internationaux Visa et MasterCard seront utilisés pour les transactions nationales, comme c’est déjà le cas en Grande-Bretagne. Le service de paiement proposé dépendra alors uniquement du jeu de la concurrence entre Visa et MasterCard. La littérature sur l’économie des réseaux montre que la dynamique du marché conduit souvent à des situations dans lesquels un ou deux acteurs finissent par dominer le marché, parce que l’existence de produits techniquement incompatibles est un équilibre instable (phénomène de tipping)61. Dans un scénario alternatif, les

systèmes existant conserveront leurs infrastructures, tout en élaborant des accords 58Le SCF a été approuvé par l’EPC en septembre 2005.

59Dans une étude menée par la SOFRES pour le groupement CB en 2005, à la question « Quel moyen de paiement

privilégiez-vous pour régler vos achats ? », 61% des Français interrogés répondent « la carte bancaire », tandis que 61% des Allemands et 67% des Espagnols répondent « les espèces ».

60 En économie, on parle d’effet de cliquet lorsqu’il existe des rigidités qui empêchent les agents de revenir à une

situation antérieure. Dans le cas des cartes de paiement, les consommateurs très habitués à utiliser leur carte ne sont pas prêts à l’utiliser moins.

61Selon Besen et Farrell (1994), dans les industries de réseau, il existe souvent un standard dominant (tipping). On

cite souvent à titre d’exemple la domination du standard VHS sur son concurrent Betamax, qui a été éliminé du marché.

d’interconnexion qui rendront leurs systèmes interopérables. Dans ce cas se pose la délicate question de la rémunération des services interbancaires, et du mode de calcul des commissions d’interchange. Certains systèmes de paiement européens ont déjà décidé de relier leurs réseaux dans le cadre du projet « EAPS »62. Soit les systèmes nationaux opteront pour un co-marquage

avec les systèmes internationaux, comme c’est déjà le cas pour le système « CB ». Cette option risque de présenter l’inconvénient de ne pas être en conformité avec le principe du SEPA, selon lequel les transactions effectuées en Europe doivent être traitées dans les mêmes conditions. Enfin, il existe aussi un dernier scénario, dans lequel certaines banques européennes s’associeraient pour créer un nouveau système de paiement interbancaire à l’échelle européenne. Cette réflexion a été entamée récemment par plusieurs banques européennes, dont la Société Générale, la Deutsche Bank, IGN&ABN AMRO63.

L’organisation du système « CB » de paiement par carte influencera probablement les orientations stratégiques prises par les banques françaises et européennes, puisque 35% des volumes de transaction par carte de la zone SEPA sont réalisés dans le système « CB »64. En

outre, le système CB fournit un exemple d’un système de paiement de qualité, sûr et peu coûteux pour les banques. Les banques françaises membres du système « CB » considèreront les coûts de changement (switching costs) liés au choix d’abandonner un système national fiable pour un système international qu’elles ne contrôlent pas, et qui nécessitera des mises à jour techniques plus nombreuses. Shy (2001) montre que les coûts de changement ont deux effets opposés sur la concurrence que se livrent les entreprises. Pour les consommateurs qui sont déjà captifs d’une technologie, les entreprises peuvent se permettre d’augmenter leurs prix, tant que les consommateurs n’ont pas intérêt à changer. Pour les consommateurs non captifs, les entreprises se concurrencent de façon intense, pour proposer de nouveaux services qui rendront les consommateurs captifs dans le futur. Selon cette théorie, l’avenir des systèmes de paiement par carte en Europe dépendra de la concurrence sur les marchés où l’adoption et l’usage de la carte sont faiblement développés.

62Pour avoir une liste des systèmes participants au projet EAPS, voir :

http://www.card-alliance.eu/Documents/November_2007_01.pdf.

63Le projet en cours est principalement d’initiative franco-allemande et a pour nom de code « Monnet ». 64Source : Banque Centrale Européenne, Blue Book (2005).

5) Conclusion :

L’industrie française des cartes de paiement a longtemps bénéficié d’une avance technologique sur les autres pays européens, notamment grâce à l’utilisation de la puce, et à l’existence d’un système de paiement par carte interbancaire sûr et peu coûteux, le système « CB ». La détention et l’usage de ce moyen de paiement se sont considérablement développés en France, si bien que l’industrie des cartes semble avoir atteint une phase de maturité en termes d’équipement. Les acteurs de l’industrie continuent à créer de la valeur ajoutée pour les consommateurs en proposant de nouveaux services associés au paiement, souvent au moyen de partenariats avec des entreprises d’autres secteurs, si bien que le volume de transactions devrait continuer à augmenter dans les prochaines années.

Cependant, l’évolution des modes de consommation, ainsi que l’amorce d’un processus de convergence sur les usages au niveau européen risquent de modifier considérablement le modèle d’organisation économique et industrielle que nous avons présenté dans cet article. S’il est difficile d’effectuer des projections sur l’avenir de l’industrie, on peut raisonnablement penser que la concurrence entre les banques et les acteurs non bancaires va s’intensifier. Les obligations réglementaires en matière de gestion des risques qui devront être respectées par les différents acteurs, que ce soit dans le cadre du SEPA ou du projet Bâle 2, 65 seront l’une des clés du jeu

concurrentiel, parce qu’elles détermineront les niveaux d’investissement à réaliser pour sécuriser les systèmes, et les coûts de migration d’un système à un autre.

Références bibliographiques:

Bounie D., Bourreau M., François A. (2006) : « Les déterminants de la détention et de l’usage de la carte de débit : une analyse empirique sur données individuelles françaises ». Mimeo.

Bounie D., Bourreau M., François A., Verdier M. (2008) : « La détention et l’usage des instruments de paiement en France », Revue d’Economie Financière, vol. 91, Mars, 53-76.

Caillaud B., Julien B. (2003): « Chicken and Egg: Competition among Intermediation Service Providers », the RAND Journal of Economics, vol. 34, n°2, June, 521-552.

Verdier M. (2006): « Retail Payment Systems: What do we learn from Two-Sided Markets? », Communication & Strategies n°61, 37-51.

Payment Card Systems in Europe:

Convergence or Disappearance?