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Chapitre I État de l’art

3. Les techniques de caractérisation au service de l’étude de l’art rupestre

3.5. Les études de l’art rupestre dans le monde

En Australie, en Europe, comme par ailleurs dans le reste du monde, la question de l’âge des peintures produites par les Hommes de la Préhistoire constitue un des sujets majeurs des recherches archéologiques (González et de Balbín Behrmann, 2007 ; Hachid et al., 2010 ; Pigeaud et al., 2010 ; Chapot et al., 2012 ; Guidon et al., 2012 ; Ruiz et al., 2012 ; Aubert et al., 2014 ; Rosina et al., 2014 ; Sauvet et al., 2017). Les études de caractérisation des peintures constituent un autre volet de ces recherches archéologiques visant à appréhender la nature des matières picturales, les modes de préparation et d’application pour mieux comprendre les savoir-faire des premiers Hommes et la chaîne opératoire liée à ces pratiques artistiques. Les peintures rupestres ont ainsi été le sujet de nombreuses études archéométriques dans plusieurs parties du monde, en Amérique (Scott et al., 1993, 2002 ; Edwards et al., 1998, 2000 ; Fiore et al., 2008), en Argentine (Wainwright et al., 2000 ; Darchuk et al., 2010 ; Matarrese et al., 2011 ; Yacobaccio et al., 2012), au Canada (Taylor et al., 1974), en Égypte (Darchuk et al., 2011), en Turquie (Mortimore et al., 2004), en Inde (Ravindran et al., 2013), en Chine (Hernanz et al., 2016) et plus particulièrement dans les pays où se concentrent la majorité des sites d’art rupestre : en Afrique (par exemple : Hughes et Solomon, 2000 ; Prinsloo et al., 2008 ; Bonneau et al., 2012 ; Dayet et al., 2013a ; Rifkin et al., 2016), en France (par exemple : Menu et Walter, 1996 ; Smith et al., 1999 ; Chalmin et al., 2003 ; Ospitali et al., 2006 ; Mathis et al., 2014 ; Salomon et al., 2015) et en Espagne (par exemple : Garate et al., 2004 ; Hernanz et al., 2006 à 2012 ; de Balbín Behrmann et González, 2009 ; Iriarte et al., 2009 ; Gay et al., 2015 ; d’Errico et al., 2016).

La sollicitation des méthodes physico-chimiques pour l’étude de l’art rupestre débute avec la reconnaissance de la grande ancienneté des peintures présentes dans les grottes européennes du Paléolithique supérieur. Le chimiste français Henri Moissan (1903) est le premier à étudier les peintures rupestres d’un point de vue analytique. Son objectif est alors d’examiner l’authenticité des peintures de Font-de-Gaume et de La Mouthe (Périgord, France) sur la demande de l’abbé Henri Breuil (Moissan, 1903). De l’hématite et de l’oxyde de manganèse sont identifiés respectivement sur une peinture rouge et une peinture noire. Toutefois, ces recherches sur la composition physico-chimique des peintures ou sur les savoir-faire et techniques des artistes du Paléolithique sont relayées au second plan, la priorité étant aux descriptions et relevés des entités graphiques pour en saisir les significations symboliques. Il faut attendre les années 1980 et le développement des techniques permettant l’étude d’échantillons toujours plus petits pour que l’analyse physico-chimique des

peintures devienne plus systématique en Europe (Lorblanchet et al., 1988, 1990 ; Clottes, 1993 ;

Clot et al., 1995). Ces premières analyses se focalisent en premier lieu sur la détermination de la nature des matières picturales, sur les différents modes de préparation et d’application afin de reconstruire les savoir-faire des artistes du Paléolithique, à travers la reconstitution de la chaîne opératoire. Par la suite, un intérêt particulier est porté sur les notions de recette picturale et de « pot de peinture » ; les recettes se différencient par la nature de la charge ajoutée pour préparer la matière picturale tandis que les « pots de peinture » se composent de matières colorantes identiques mais issues de différentes

Chalmin et al., 2002, 2003 ; Vignaud et al., 2006 ; Menu, 2009). La question du traitement thermique des matières colorantes est au cœur d’études depuis plusieurs années. Le changement de couleur, jaune à rouge, a été examiné au travers d’expérimentations afin de révéler les mécanismes de transformation de la goethite en hématite (Pomies et al., 1998, 1999a, 1999b ; Salomon et al., 2008b ; Mastrotheodoros et al., 2010 ; Salomon et Vignaud, 2010). Les résultats ont par la suite été comparés avec des échantillons archéologiques, aussi bien des prélèvements de peinture que des matières colorantes enfouies. Toutefois, si la preuve d’un chauffage peut être amenée, les informations ne sont généralement pas suffisantes pour trancher en faveur d’une chauffe accidentelle ou d’une chauffe intentionnelle (Salomon et al., 2012, 2015).

Les recherches sur la conservation de l’art rupestre débutent quant à elles vers les années 1950 lorsque des démarches sont entreprises pour sauvegarder l’intégrité des peintures de la grotte de Lascaux. De nouveaux questionnements émergent alors et visent à comprendre les processus taphonomiques passés et présents responsables de la dégradation des œuvres rupestres et des divers vestiges archéologiques retrouvés dans les grottes ornées (Barril Vicente et Herras Martin, 1990 ; Ferrier et al., 2012 ; Gay, 2015 ; Chalmin et al., 2017b).

Récemment, les avancées technologiques ont conduit à la miniaturisation des composants des instruments d’analyse, permettant ainsi le développement d’appareils de terrain à prix abordable et l’acquisition de données in situ sans prélèvement d’échantillon de peinture. La présence des pistolets à fluorescence de rayons X (de Sanoit et al., 2005 ; Beck et al., 2012a ; Robinson et al., 2015 ; d’Errico et al., 2016), des appareils de spectrométrie Raman portables (Tournié et al., 2010 ; Lahlil et al., 2012 ; Olivares et al., 2013 ; Rifkin et al., 2016) et de DRX portables (Gatto Rotondo et al., 2010 ; Beck et al., 2014) est désormais plus fréquente sur les sites archéologiques.

Dans le souci de détériorer au minimum les œuvres rupestres, des échantillons toujours plus petits sont prélevés. Les analyses de matière picturale sont ainsi généralement appliquées sur des échelles de plus en plus petites (macro au nano) (Dooryhee et al., 2004 ; Cotte et al., 2009 ; Bertrand et al., 2012) incluant une description des constituants chimiques et de leur organisation structurale.

L’instrumentation à haute précision, incluant des sources à haute énergie telles que les sources synchrotron, est devenue plus facilement accessible avec des lignes de lumière dédiées à l’étude des archéomatériaux (Reiche et Chalmin, 2014). Les techniques bénéficiant du rayonnement synchrotron (XRF, DRX, FTIR, tomographie assistée par ordinateur, etc.) sont similaires à leurs équivalents de laboratoire sur le plan théorique mais présentent de nombreux avantages grâce à l’utilisation de la radiation X obtenue avec une source synchrotron au lieu d’une source classique constituée d’un tube de rayons X conventionnel. Les avantages du rayonnement synchrotron sont nombreux : grand flux de rayons X, analyses rapides, hautes énergies (jusqu’à plusieurs centaines de keV), haute résolution spatiale, microfaisceau focalisable (<100 nm) et sensibilité améliorée par la réduction du bruit de fond. Ces divers et nombreux atouts font des techniques utilisant le rayonnement synchrotron des outils particulièrement adaptés à l’analyse de l’hétérogénéité et de la complexité des matières picturales (Bertrand et al., 2012 ; Reiche et Chalmin, 2014). Grâce aux dernières percées technologiques, des appareils de laboratoire tendent désormais à proposer des prestations analytiques se rapprochant de celles délivrées par les méthodes profitant des sources synchrotron (Leynaud et al., 2014 ; Cersoy et al., 2015 ; Variola et al., 2014).

4. Conclusion

L’analyse des matières colorantes utilisées dans les œuvres rupestres en Australie ne se limite pas à la détermination de leur âge. Elle permet également d’enrichir les recherches sur les origines, les modes de préparation et d’application des matières picturales ainsi que sur leur conservation. Il est à souligner que si les peintures ont fait l’objet de nombreuses études de caractérisation, les matières colorantes retrouvées dans les carrés de fouille ont quant à elles moins attiré l’attention des chercheurs, à moins qu’elles ne portent des traces d’un usage anthropique. Les rares études focalisées sur les matières colorantes dénuées de stigmates anthropiques soulignent leur découverte dans des contextes plus anciens et en l’absence de représentations rupestres (Hovers et al., 2003 ; d’Errico et al., 2010 ; Salomon et al., 2012).

La nécessité d’une approche intégrée du site de Nawarla Gabarnmang s’inscrit autour d’une exigence, celle de la mise en cohérence pour chaque espace du site d’informations issues des analyses archéologiques, sédimentologiques, géologiques, géomorphologiques, pariétales et physico-chimiques. Cette exigence est fondamentale pour penser et ensuite construire les différentes interactions qui ont eu lieu entre l’évolution du site et les actions anthropiques.

Dans le cadre de ce travail de thèse, afin de construire les données et les connaissances sur l’art rupestre du site de Nawarla Gabarnmang, notre intérêt s’est porté sur l’ensemble des vestiges archéologiques associés de manière pertinente aux peintures et jouant chacun un rôle dans la compréhension de la chaîne opératoire à l’origine des peintures rupestres (cf. § IV). L’approche multi-technique mise en place pour l’étude des matières colorantes de Nawarla Gabarnmang vise à renseigner la nature des matériaux utilisés pour les peintures ornant plafond et piliers, leur source d’origine et leur mode de préparation (cf. § V). Elle a aussi pour objectif d’approcher un âge de réalisation des peintures à travers la construction des liens chrono-culturels entre les différentes générations de perintures et les différentes phases d’occupation archéologique, via les fouilles archéologiques et l’analyse géomorphologique (cf. § VI). Ne disposant pas de prélèvement de peinture du site, l’approche s’appuie donc sur une intercomparaison entre les vestiges de matières colorantes et colorées retrouvées en fouille et les superpositions de peintures encore visibles qui ont été finement étudiées et séquencées relativement les unes aux autres grâce à des matrices de Harris (cf. § III.1.1.). Une première séquence chronologique a ainsi pu être attribuée aux peintures les plus récentes ; elle n’en demeure pas moins relative sans ancrage absolu (cf. § II.3.2.). Néanmoins, l’âge de la plupart des peintures plus anciennes du site demeure inconnu à ce jour. Cela révèle la nécessité de mettre en place une approche permettant de contourner les contraintes et les limites des différentes méthodes de datation présentées dans la première partie du chapitre.

Dans le chapitre suivant, une synthèse des principales recherches archéologiques menées sur le plateau de la Terre d’Arnhem est présentée afin d’aborder les fréquentations de la région depuis la colonisation initiale du continent australien il y a près de 50 000 ans. Le plateau de la Terre d’Arnhem regorgeant de très nombreux sites archéologiques ornés, cette synthèse a pour objet de faire ressortir les raisons qui ont conduit les recherches à se concentrer sur le site de Nawarla Gabarnmang. Ainsi,

après une présentation dans un premier temps du contexte géologique, géomorphologique, social et culturel des terres Jawoyn, le site est décrit de manière détaillée en lien avec son art. Les principaux résultats issus des études anthropo-géomorphologiques, pariétales et archéologiques (datations des fréquentations et matériel de fouille) issus des études menées sur le site depuis sa redécouverte seront exposés.

C

HAPITRE

II

CHAPITRE II NAWARLA GABARNMANG ... 61

1. L’archéologie en Terre d’Arnhem ... 64 2. Le Pays Jawoyn ... 69

2.1. Le territoire Jawoyn ... 69 2.1.1. Contexte géologique et géomorphologique de la Terre d’Arnhem ... 71 2.1.2. Les conditions climatiques de la Terre d’Arnhem... 72 2.1.3. Paléo-environnement et évolution du paysage de la Terre d’Arnhem ... 72 2.2. La société Jawoyn ... 74 2.3. « La » culture des Jawoyn ... 75 2.3.1. Le Temps du Rêve ... 75 2.3.2. L’impact des incursions européennes en terres Jawoyn ... 76 2.3.3. Les programmes culturels ... 76

3. Les différents contextes de Nawarla Gabarnmang ... 80

3.1. Contexte géologique et géomorphologique de Nawarla Gabarnmang... 82 3.2. Contexte rupestre de Nawarla Gabarnmang ... 89 3.3. Contexte archéologique de Nawarla Gabarnmang ... 95