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Chapitre I État de l’art

3. Les techniques de caractérisation au service de l’étude de l’art rupestre

3.1. La construction des connaissances sur les matières picturales

Un large panel de techniques d’analyse a été mis en œuvre pour enrichir les connaissances de l’art rupestre dans chaque région d’Australie, que ce soit sur la nature des matières colorantes, les étapes de préparation et les recettes picturales utilisées dans l’art rupestre de la Nouvelle-Galles du

Sud (Huntley et al., 2011 ; Huntley, 2012), dans le Queensland (Cole et Watchman, 1996), dans le

Kimberley (Clarke, 1976 ; Crawford et Clarke, 1976 ; Ford et al., 1994 ; Watchman, 1997 ; Ward et al.,

2001 ; Huntley et al., 2014, 2015) et en Terre d’Arnhem (Brandl, 1973 ; Clarke et North, 1991a,

1991b ; Watchman et al., 2004 ; Castets et al., 2014 ; Wesley et al., 2014 ; Hunt et al., 2015, 2016 ; Chalmin et al., 2016, 2017a).

L’art rupestre de la Terre d’Arnhem a fasciné les chercheurs dès les années 1950 (cf. § I.1.1.). Ce n’est toutefois qu’à partir des années 1970 que des chercheurs se sont intéressés à la nature des matières picturales présentes dans les abris rocheux. Les premières références s’attachent à la description des matières premières, à leur origine géographique et à leur valeur symbolique (Brandl, 1973 ; Chaloupka, 1993). La première étude détaillée des matières picturales est entreprise par Clarke et North (1991a, 1991b). Leur recherche porte sur la détermination de la composition chimique et minéralogique des peintures post-estuariennes de différents sites dans le Kakadu National Park. Les objectifs de l’étude sont d’identifier et de décrire chimiquement et physiquement (i) les peintures rapportées à la phase post-estuarienne, (ii) les peintures contemporaines réalisées par les Aborigènes, (iii) les liants naturels disponibles dans la zone étudiée et enfin, (iv) quantifier la composition chimique des sels présents sur les surfaces rocheuses et dans les peintures ainsi que de qualifier leur effet sur ces dernières. Par ailleurs, avant d’examiner les peintures rupestres, des échantillons provenant de sources locales traditionnelles ont été analysés. Les matières de couleur blanche correspondent à de la kaolinite et à de la huntite. Les matières de couleur rouge contiennent de l’hématite pure ou mélangée avec des argiles. Les matières de couleur jaune et brune sont composées de mélanges d’oxydes de fer et d’argiles ; la couleur reflète les proportions relatives de minéraux et la nature minéralogique de l’oxyde de fer. Les peintures sont quant à elles étudiées par microscopie optique, MEB-EDS, ICP, DRX et FTIR. Les auteurs identifient un large panel de

minéraux naturels utilisés pour créer l’art rupestre post-estuarien incluant la dolomite, la

montmorillonite, la kaolinite, la calcite, l’hématite et la jarosite (cf. Annexe 1 pour retrouver les formules structurales des minéraux cités dans la thèse). Des peintures d’origine européenne sont également identifiées sur la base de présence de « modern industrial materials » (Watchman, 1990). La présence de liant n’est pas déterminée. Enfin, l’analyse des sels minéraux montre qu’ils proviennent pour la majorité de dépôts atmosphériques et qu’ils sont responsables de la détérioration des peintures rupestres de la région (Clarke et North, 1991a, 1991b).

Mis à part cette étude, peu d’informations sont acquises à propos des matières picturales ; les recherches ayant été plus dédiées à la compréhension de leurs significations symboliques (Chaloupka, 1993) et à l’établissement de l’âge des peintures à partir de l’identification de styles artistiques particuliers (cf. § I.1.1.). Les questions sur la provenance et les méthodes de préparation des matières colorantes utilisées dans les peintures rupestres ne font l’objet d’études que depuis récemment (Watchman et al., 2004 ; Wesley et al., 2014 ; Hunt et al., 2015, 2016 ; Chalmin et al., 2016, 2017a).

Les matières colorantes utilisées pour produire les nombreuses peintures X-ray de l’abri de Dalakngalarr 1 situé sur le plateau de la Terre d’Arnhem ont récemment été étudiées par Hunt et al. (2015, 2016). L’un des objectifs vise à comprendre la nature et l’origine des peintures de couleur mauve observées notamment au niveau des représentations de poissons en style X-ray (Fig. I-16).

Figure I-16 : Peintures polychromes de poissons en style X-ray à Dalakngalarr 1 (Terre d’Arnhem)

(© P. Thomas)

De précédentes études focalisées sur les peintures mauves en Australie ont montré qu’elles étaient souvent, mais non systématiquement, présentes dans les plus anciennes phases des séquences stylistiques des régions du nord de l’Australie, du Kimberley au Queensland en passant par la Terre d’Arnhem (Watchman, 1997 ; Ward et al., 2001 ; Huntley et al., 2015). Il a longtemps été supposé que le couleur mauve était due à l’utilisation de sang, de sève d’arbre et/ou autre substance organique comme liant ou substance colorante (Chalmin et Huntley, 2017). Néanmoins, l’analyse de peintures mauves du Kimberley a révélé la présence d’un sulfate de fer et potassium, la jarosite, comme constituant minéral majeur (Watchman, 1997 ; Ward et al., 2001). Ce minéral se forme par oxydation de sulfures de fer tels que la pyrite. La jarosite se trouve dans des filons au sein de roches métamorphiques et magmatiques. Sa présence dans l’art rupestre reste rare même si on la rencontre dans le Kimberley (Ford et al., 1994 ; Huntley et al., 2015), en Terre d’Arnhem (Watchman, 1990), au Queensland (Mardaga-Campbell et al., 2001), dans la partie méridionale (Jercher et al., 1998), ainsi que dans d’autres parties du monde, notamment en France (Pomies et Vignaud, 2009), en Argentine (Darchuk et al., 2010) et en Patagonie (Boschin et al., 2011).

L’étude des peintures mauves des motifs Gwion dans le Kimberley, via les analyses par pXRF, MEB-EDS et DRX, a mis en évidence la présence de deux recettes picturales, avec une première recette où l’hématite est le composant majeur et une seconde pour laquelle la jarosite domine

(Huntley et al., 2015). Les analyses réalisées par MEB-EDS, spectrométries Raman et FTIR sur les

échantillons prélevés dans l’abri de Dalakngalarr 1 ont permis d’identifier l’hématite et la kaolinite, à la fois, sur les peintures rouges et mauves. Les peintures de couleur mauve présentent, néanmoins, des différences microstructurales et micromorphologiques. Les analyses réalisées par spectrométrie Raman ont clairement identifié l’hématite. Cependant, les peintures rouges se distinguent nettement des peintures mauves par la présence d’une bande additionnelle à 660 cm-1 sur les spectres Raman obtenus (Hunt et al., 2016). Cette bande est attribuée à une impureté et traduit un désordre structural (Bikiaris et al., 1999 ; Zoppi et al., 2002, 2005, 2008). L’absence d’une telle bande sur les spectres des

peintures mauves indique donc l’absence d’impureté ou de substitution dans la structure de l’hématite. La perte de cette bande sur les spectres Raman de l’hématite a également été observée lorsque ce minéral est chauffé (Lofrumento et al., 2012). Enfin, les cristaux des peintures mauves sont de taille plus importante que celle des peintures jaunes et rouges ; cela peut être un indice d’un mode de préparation et plus particulièrement d’un broyage différent pour fabriquer ces deux matières picturales (Hunt et al., 2016).

Sur le plateau de la Terre d’Arnhem, l’abri JSARN-124 a fait l’objet d’une étude exhaustive incluant notamment la caractérisation des matières picturales, des accrétions minérales et du substrat rocheux, réalisée à l’aide d’un large panel de techniques d’analyse élémentaire et structurale (Chalmin et al., 2017a). L’hématite a été identifiée comme principal composant des peintures rouges tandis que la goethite a été mise en évidence sur les peintures jaunes. La présence d’oxalates de magnésium (magnésite), de gypse, de sels et de leucophosphite a également été identifiée et fournit des informations sur les processus d’altération du substrat rocheux quartzitique. L’analyse d’échantillons de peinture préparés en coupe transversale a permis de déterminer l’épaisseur de couches picturales, allant de 3 à 360 µm. Une meilleure préservation est observée dans les microporosités et microfissures du substrat rocheux. Cette fine épaisseur indique un lessivage dû à un ruissellement d’eau sur la paroi et montre la forte adhésion de la matière picturale sur le substrat rocheux.

La caractérisation des peintures Wandjina, caractéristiques de l’art rupestre traditionnel du

Kimberley avec les peintures Gwion (Akerman, 2016), a été mise en œuvre dès les années 1970.

Crawford et Clarke (1976) sont les premiers à identifier la huntite comme constituant minéral majeur

des peintures blanches. Récemment, Huntley et al. (2014) étudient pour la première fois par

SR-µDRX les minéraux composant les couches picturales stratifiées prélevées sur une peinture Wandjina. Une telle stratification avait été observée et étudiée précédemment fois par John Clarke (1976). Le prélèvement étudié, de taille très réduite et d’approximativement 3 µg, montre une succession de microcouches alternant huntite et kaolinite. Les peintures rouges sont à base soit d’hématite soit d’un mélange hématite et gibbsite (Huntley et al., 2014). Les résultats acquis démontrent que l’identification minérale de chaque couche picturale individuelle est possible par SR-µDRX, comparativement à la DRX traditionnelle qui nécessite des quantités plus importantes d’échantillons pour parvenir à une caractérisation optimale des compositions minérales.

La majorité des études de peintures rupestres menées dans la Nouvelle-Galles du Sud ont été réalisées sur des sites dans le bassin de Sydney. Les techniques de MEB-EDS, PIXE et DRX ont été mises en œuvre pour étudier la géochimie, la minéralogie et la micromorphologie des prélèvements de peinture provenant de plusieurs sites sur le plateau de Woronora (Huntley et al., 2011). L’analyse des peintures rouges, orange, jaunes, blanches et noires a révélé une composition hétérogène, un mélange d’oxydes de fer, de charbon et de grès local altéré dispersé dans une matrice argileuse (kaolinite et/ou muscovite). De plus, une liste d’éléments traces a été dressée et a ainsi fourni des pistes pour une future recherche de provenance. L’étude de la morphologie des peintures échantillonnées suggère que la matière picturale a été appliquée sous forme liquide, probablement par soufflage direct de la bouche des artistes.

Jillian Huntley (2012, 2015) poursuit son étude de l’art rupestre dans le bassin de Sydney et teste l’application de la pXRF et de la µ-CT (Huntley et Galamban, 2016). Les données XRF acquises ont confirmé l’utilisation de mélanges argileux riches en oxydes de fer. Les analyses multivariées,

incluant l’analyse par composantes principales et l’analyse par classification hiérarchique, ont permis de relier la composition chimique des peintures à la composition de sources locales. L’auteur discute également l’influence des propriétés physiques des peintures rupestres sur les résultats obtenus par pXRF. Les propriétés microstructurales, telles que la taille de grain et la porosité, ont en effet la capacité d’atténuer les signaux des rayons X et en conséquence, d’influencer l’analyse semi-quantitative (Huntley, 2012). Les travaux de Huntley et Galamban (2016) menés dans le Kimberley et dans le bassin de Sydney illustrent les informations pouvant être acquises à l’aide de techniques d’analyses non invasives comme la pXRF et la µ-CT. Deux types de matières colorantes, l’une de couleur rouge, l’autre de couleur mauve, sont scannés par µ-CT. Les scans mettent en évidence des différences micromorphologiques. La matière colorante rouge est constituée d’hématite et présente de nombreuses porosités, tandis que la matière colorante mauve est composée d’hématite ainsi que de minéraux argileux et est dépourvue de porosité. Par ailleurs, les scans obtenus sur une accrétion minérale révèlent la présence de fissures et de porosités sur la couche externe. Ces observations apportent des informations sur la formation de l’accrétion et peuvent servir comme un proxy paléoenvironnemental à l’échelle du panneau, voire du site (Huntley et Galamban, 2016).

Les questions concernant les modes de préparation, d’application et les mécanismes d’altération des matières picturales peuvent trouver leurs réponses grâce à l’identification de la composition chimique et minérale des matières colorantes complexes et hétérogènes qui les composent. Plus particulièrement, des relations entre les matières colorantes et les sources peuvent être établies et permettre ainsi d’acquérir des informations sur les échanges et les contacts intergroupes.

3.2. La provenance des matières colorantes

Dès le XIXème siècle, de nombreuses études s’intéressent à la recherche et au recensement des sources de matières colorantes en Australie. Watchman (1990) propose une synthèse des données ethnographiques et historiques ainsi qu’une description sommaire de plusieurs sources de matières premières découvertes entre 1834 et 1989. Un résumé des premières études analytiques menées sur les peintures en Australie entre 1974 et 1989 est également présenté (Watchman, 1990). La caractérisation physico-chimique des matières colorantes présentes dans les sources d’approvisionnement débute donc à la fin du XXème siècle.

Les études axées sur l’aspect provenance des matières colorantes ont tout d’abord commencé par la caractérisation et la discrimination des sources géologiques connues ethnographiquement. Les techniques utilisées afin de discriminer les sources reposent généralement sur la détection et la quantification d’une vaste gamme d’éléments chimiques (majeurs, mineurs et traces).

Les techniques PIXE (David et al., 1993 ; Creagh et al., 2007), ICP-MS (Smith et Fankhauser,

2009), LA-ICP-MS (Green et Watling, 2007 ; Scadding et al., 2015) et l’analyse par activation

neutronique (Popelka-Filcoff, 2006 ; Popelka-Filcoff et al., 2011, 2012) ont été utilisées afin de caractériser et de différencier plusieurs sources géologiques sur l’ensemble du territoire australien. Les

résultats obtenus au moyen de ces techniques ont permis de mettre en évidence que les sources possèdent chacune une signature géochimique caractérisée notamment par la présence d’éléments traces spécifiques. Cela permet de déterminer l’origine d’échantillons d’origine inconnue.

Si des méthodes classiques ont pu être utilisées telles que la combinaison XRF/DRX (Jercher et al., 1998), des méthodes plus atypiques ont également été appliquées afin de distinguer les sources. Par exemple, Smith et Pell (2007) ont utilisé le rapport isotopique de l’oxygène (18O/16O) contenu dans les grains de quartz associés aux oxydes de fer. Leurs résultats montrent que la méthode est adaptée pour discriminer des sources situées dans des environnements géologiques différents. Toutefois, cette approche ne fonctionne qu’à grande échelle et ne peut être utilisée pour différencier les possibles sources dans une même région. Les auteurs préconisent ainsi l’utilisation de cette méthode combinée avec d’autres techniques géochimiques pour les recherches de provenance à l’échelle régionale (Smith et Pell, 2007). Mooney et al. (2003) ont caractérisé les matières colorantes provenant de plusieurs sources en utilisant les propriétés magnétiques des oxydes de fer. Les sources ont été séparées par la susceptibilité magnétique et l’aimantation rémanente isotherme des matières ferrugineuses. Néanmoins, les auteurs estiment qu’il est indispensable de combiner plus de paramètres magnétiques pour parvenir à attribuer un échantillon inconnu à une source (Mooney et al., 2003).

La caractérisation et la discrimination des sources de matières premières peuvent ainsi aider à déterminer la provenance des matières colorantes utilisées pour peindre les abris rocheux ainsi que celles découvertes sur le sol et lors des fouilles des sites d’art rupestre (Scadding et al., 2015 ; Wallis et al., 2016). Par exemple, après avoir caractérisé par LA-ICP-MS les matières colorantes rouges et jaunes de deux sources, Wilgie Mia et Little Wilgie (Australie occidentale), Scadding et al. (2015) ont comparé leur composition chimique avec celles des peintures ornant des abris rocheux dans un rayon de 20 km. Les auteurs sont parvenus à attribuer les échantillons archéologiques à chacune des deux sources séparées de seulement 3 km. Leurs résultats montrent que Little Wilgie était la source des matières colorantes utilisées pour peindre dans les abris à proximité.

Les recherches de provenance, parfois appuyées par des témoignages, permettent aussi de retracer les réseaux d’échange entre différents groupes d’individus (Peterson et Lampert, 1985) et apparaissent comme un outil adapté afin d’aborder les comportements socio-économiques au sein des populations (Dayet, 2016).