• Aucun résultat trouvé

Chapitre II Nawarla Gabarnmang

1. L’archéologie en Terre d’Arnhem

Les études archéologiques de la Terre d’Arnhem fournissent un cadre général pertinent pour aborder les occupations anciennes et plus récentes de la région et de Nawarla Gabarnmang. Ces études se séparent en deux groupes : d’une part, celles qui s’intéressent au matériel archéologique culturel, à leur chronologie à travers les fouilles et aux changements environnementaux, et d’autre part celles qui utilisent les résultats du premier groupe pour proposer une chronologie reposant sur les différents styles artistiques de la région. Les études d’art rupestre conduites sur de nombreux sites à travers la région sont à l’origine de plusieurs modèles séquentiels chronologiques (cf. § I.1.1.).

La première grande étude archéologique en Terre d’Arnhem a lieu en 1948 lorsque McCarthy et Seltzer (1960) entreprennent des fouilles sur plusieurs sites archéologiques à Oenpelli, Argaluk Hill et Unbalanja Hill (Fig. II-3) au cours de l’Expédition Scientifique Américano-Australienne (Expédition de Mountford). Aucune description de l’art rupestre dans ces sites n’est donnée. Il est seulement rapporté que les sites à Unbalanja Hill sont bien plus décorés que ceux à Argaluk Hill ; en revanche, le nombre de pièces de matière colorante dans les carrés de fouille des sites à Argaluk Hill est plus élevé que celui retrouvé dans les sites d’Unbalanja Hill (McCarthy et Seltzer, 1960). Les auteurs supposent alors que les matières colorantes ont dû plutôt servir à la coloration « d’artefacts » tels que des lances, des paniers, des ossements ou encore pour la peinture corporelle plutôt que pour l’art rupestre. L’année suivante, N.W.G. Macintosh fouille les abris de Tangtangjal et de Doria Gudaluk sur les terres Jawoyn. Il est le premier à enregistrer l’art rupestre de cette région en relevant la nature, les couleurs et le nombre de motifs ainsi que leur état de conservation (Macintosh, 1951). Fouillés plusieurs décennies avant l’avènement de la datation 14C, ces sites restent en grande partie non datés. Utilisant des charbons collectés par Macintosh, Gunn et Whear (2007b) obtiennent une date comprise entre 568 – 728 ans cal BP pour la plus ancienne occupation du site, mettant en avant une occupation récente de l’abri (Tableau II-1).

De 1964 à 1967, Carmel Schrire (née White) conduit des fouilles dans cinq abris rocheux – Paribari, Malangangerr, Nawamoyn, Jimeri I et Jimeri II – aux alentours de la bordure nord-ouest du plateau (East Alligator River, Fig. II-3), dans le cadre de sa recherche doctorale (White, 1967). Des années plus tard, elle publie une monographie dans Terra Australis dans laquelle elle révise certaines de ses interprétations de thèse (Schrire, 1982). Elle fournit la première preuve d’une occupation au Pléistocène pour la région, offre une première esquisse des premières fréquentations humaines en Terre d’Arnhem et identifie deux types d’assemblages de vestiges lithiques rapportés à deux périodes distinctes : la première période allant de 25 000 à 6000 ans BP est caractérisée par des dépôts culturels contenant des racleurs, des lamelles utilisées, des matières colorantes, des meules et des haches à bord tranchant ; la seconde période s’étalant de 6000 ans BP au présent comprend des dépôts riches en pointes, haches à bord tranchant, herminettes, petits racleurs rectangulaires et lamelles polies par usage (Schrire, 1982 ; Shine, 2014 ; Gunn, 2016). Schrire porte peu d’attention aux œuvres rupestres à l’intérieur des abris fouillés. Elle mentionne toutefois la présence d’une roche tombée à Jimeri II, fournissant un âge maximal pour les parois peintes de l’abri ; cet événement est daté entre 4770 ± 150 ans BP et 6650 ± 150 ans BP (Tableau II-1).

Une expédition tchécoslovaque, composée d’archéologues et d’ethnologues sous la direction de Jon Jelinek (1979), réalise des fouilles dans un abri le long de la Goomadeer River. Néanmoins, aucun rapport n’est publié pour les fouilles réalisées.

En 1972-1973, Kamminga et Allen (1973) entreprennent la fouille de huit sites et l’étude exhaustive dans le cadre de la mission Alligator Rivers Region Environmental Fact-Finding, mise en place après la découverte de dépôts riches en uranium dans la région de l’Alligator River. Les fouilles confirment la présence de dépôts stratifiés remontant au Pléistocène (Tableau II-1) (Kamminga et Allen, 1973 ; Clarkson et al., 2015). À Madjedbebe, une meule portant des résidus colorés sur sa surface active est mise au jour dans un niveau stratigraphique daté de 17 583 – 18 583 ans cal BP (Clarkson et al., 2015). De plus, des matières colorantes avec et sans traces d’utilisation sont découvertes le long de la stratigraphie jusque dans des dépôts datés par thermoluminescence de 61 000 ± 13 000 ans BP (Roberts et al., 1990). La fouille de Nauwalabila révèle la présence de plusieurs milliers de vestiges lithiques (Shine, 2014). Des datations réalisées par thermoluminescence indiquent une occupation du site remontant entre 53 000 et 60 000 ans (Roberts et al., 1993, 1994).

Après la création du Kakadu National Park, l’Australian National Park et le Wildlife Service financent une étude visant à évaluer le potentiel archéologique des sites archéologiques présents dans le parc. Une équipe coordonnée par Rhys Jones entreprend dès 1981 plusieurs missions de terrain. Outre les thématiques portant sur les dynamiques environnementales et la réponse des populations face aux changements environnementaux (Jones, 1985a), les questions en rapport avec le temps de l’occupation des sites, l’origine des technologies des macro-outils, la nature et la chronologie des différents styles d’art rupestre sont également étudiées (Jones, 1985b). L’équipe fouille et date les occupations des abris d’Anbangbang I et II, l’abri Spirit Cave, l’abri Nawulandja Blue Painting et l’abri de Yiboiog (Jones et Johnson, 1985b) (Fig. II-3, Tableau II-1).

Il y a 20 ans, en 1997, des fouilles sont réalisées par Claire Smith et Jane Balme à Droopney Cave (Gunn, 2016), appelé Yimigronggrong par les Jawoyn, à cinq kilomètres à l’ouest de l’abri de Tangtangjal (Fig. II-3). Les fouilles de cet abri n’ont pas été publiées mais l’occupation des abris de Tangtangjal et de Yimigronggrong apparaît être contemporaine (Wilson, 2002 ; Tableau II-1).

Enfin, plus récemment, Denis Shine fouille dans plusieurs abris à l’est de l’East Alligator River (Shine, 2014). Un rapport initial des fouilles dans l’abri de Birriwilk suggère un usage du site il y a environ 5000 ans (Tableau II-1), avec une période d’activité majeure allant de 700 à 300 ans (Shine et al., 2013).

N° carte Abris fouillés Références bibliographiques Occupation la plus ancienne (BP)

1 Argaluk Hill McCarthy et Seltzer, 1960

2 Unbalanja Hill McCarthy et Seltzer, 1960

3 Tangtangjal Macintosh, 1951 Gunn et Whear, 2007b 726 ± 36 4 Paribari Schrire, 1982 3120 ± 100 5 Malangangerr Schrire, 1982 24 800 ± 1000 6 Nawamoyn Schrire, 1982 21 450 ± 380 7 Jimeri I Schrire, 1982 10 790 ± 200 7 Jimeri II Schrire, 1982 6650 ± 500 8 Goomadeer Jelinek, 1979

9 Madjedbebe Kamminga et Allen, 1973

Roberts et al., 1990 (âge TL) 18 040

± 300 61 000 ± 13 000

10 Nawulandja Kamminga et Allen, 1973 8630 ± 310

11 Nangalawurr Kamminga et Allen, 1973 755 ± 100

12 Balawuru Kamminga et Allen, 1973 19 975 ± 365

13 Feather Dreaming Kamminga et Allen, 1973

14 Nauwalabila Kamminga et Allen, 1973

Roberts et al., 1994 (âge TL) 19 975

± 365 53 400 ± 5400

15 Angbangbang I et II Jones et Johnson, 1985b 5770 ± 100

16 Spirit Cave Jones et Johnson, 1985b 2490 ± 200

17 Nawulandja Blue Paintings Jones et Johnson, 1985b 7900 ± 200

18 Yiboiog Jones et Johnson, 1985b 1100 ± 80

19 Yimigronggrong Wilson, 2002 709 ± 28

20 Birriwilk Shine et al., 2013 4413 ± 32

21 Dalakngalarr 1 James et al., 2017 4431 ± 25

22 Exfoliation site EXF3 David et al., 2017c 22 235 ± 163

23 Genyornis Occupation à venir

24 JSARN-124 Barker et al., 2017 17 113 ± 83

Nawarla Gabarnmang David et al., 2011, 2017b 41 680 ± 1532

Tableau II-1 : Synthèse des abris fouillés sur et aux environs du plateau de la Terre d’Arnhem en lien avec la

Ces différents travaux archéologiques (cf. § I.1.1.) positionnent fermement la Terre d’Arnhem comme l’une des régions du monde contenant un art rupestre ancien, riche et complexe. Il y a près de 50 000 ans, dès leur arrivée sur le continent australien, les Hommes ont investi les abris rocheux de la Terre d’Arnhem. Des matières colorantes portant des stigmates anthropiques (facettes et/ou stries) ont été mises au jour dans les dépôts culturels datant de cette première occupation. Si leur usage reste inconnu, leur présence dans des sites contenant de l’art rupestre suggère une utilisation destinée à la production de peintures rupestres.

Les rares études menées sur les terres Jawoyn (abris de Tangtangjal et Yimigronggrong) ont montré une occupation contemporaine récente (respectivement 726 ± 36 et 709 ± 28 ans BP). Dans le cadre du « Jawoyn Rock Art and Heritage Program » (ou JRAHP ; cf. § II.2.3.3.), les récents travaux de Gunn (Gunn et Whear, 2007a, 2007b, 2007c, 2008 ; Gunn et al., 2011, 2012, 2017), en collaboration avec la Jawoyn Aboriginal Corporation, se sont particulièrement concentrés sur l’archéologie et sur les styles d’art rupestre avec notamment l’identification de nouveaux styles tel que le style Bula (Fig. II-4) et la mise en évidence de nuances entre ces styles artistiques.

Figure II-4 : Dreaming Beings sous forme d’hiboux peints en style Bula (Bulajang, ouest de la Terre d’Arnhem)

(© R.G. Gunn)

Les résultats de ces travaux ont conduit à la mise en place d’enregistrements systématiques et plus détaillés de l’art rupestre sur les terres Jawoyn, à l’utilisation de nouvelles technologies pour révéler l’art ancien caché sous les nombreuses superpositions picturales et à l’utilisation d’autant de techniques de datation différentes et indépendantes pour dater l’art de manière robuste (cf. § I.1.1.). Centré sur une zone importante de la Terre d’Arnhem qui n’a jusqu’à présent reçu que peu d’attention et qui n’a jamais été l’objet d’un programme de recherche de grande envergure (archéologique et pariétal), le « Connecting Country: the Jawoyn Homeland Project » est un programme visant à comprendre les stratégies environnementales, sociales et culturelles au sein des terres Jawoyn (cf. § II.2.3.3.). Ces terres revêtent une importance particulière pour comprendre la longue histoire de la Terre d’Arnhem puisqu’elles sont situées à quelques kilomètres de deux des plus anciens sites occupés d’Australie (Madjedbebe et Nauwalabila).

Avant de revenir sur les objectifs et les principaux résultats issus de ces derniers programmes de recherche (cf. § II.2.3.3.), une présentation des terres Jawoyn, de leur société et de « leur » culture est proposée ci-dessous.