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Les éléments cis-régulateurs moteur de l’évolution

3. Les éléments cis-régulateurs au cœur des processus développementaux, évolutifs et des maladies

3.2 Les éléments cis-régulateurs moteur de l’évolution

Les mutations sont stochastiques et affectent le génome de façon aléatoire. Au sein d’une population, une mutation affectant l’un des individus sera perdue par sélection négative alors qu’elle peut être soit perdue soit fixée dans la population par sélection neutre. Si cette mutation est sous sélection positive, elle sera fixée plus rapidement dans la population (fig. 8A). La plupart des séquences sous sélection chez les mammifères sont en dehors des exons et la grande majorité sont des éléments régulateurs transcriptionnels. De plus en plus d’exemples de modifications sont associées à la régulation des gènes où le gain ou la perte de sites de fixation pour les TFs sont responsables de la divergence des patrons d’expression des gènes et l’altération des phénotypes. Ceci est en accord avec l’idée que des modifications de régulation transcriptionnelle sont un des mécanismes prédominant de l’évolution. Cependant il est aussi commun d’observer des divergences dans la séquence des éléments cis-régulateurs alors que leur fonction reste largement identique et inversement.

3.2.1 Évolution des enhancers et diversité animale

Un des mécanismes drastiques d’évolution des enhancers est la simple suppression qui entraîne la perte d’expression d’un gène dans une région particulière du corps. Un exemple célèbre concerne un enhancer du gène Pitx1 chez le stickelback à trois épines (ou épinoche) qui vit dans les eaux douces des lacs nordiques. Le stickelback marin possède une nageoire pelvienne épineuse pour se protéger des prédateurs alors que celui d’eau douce en est dépourvu. Le développement de cette épine pelvienne dépend de l’activité du TF Pitx1 qui est exprimé dans la région pelvienne sous contrôle d’un enhancer spécifique chez le stickelback marin qui est absent chez celui d’eau douce. La réintroduction de l’enhancer en amont de

Pitx1 par transgénèse chez l’animal d’eau douce permet le développement d’une épine pelvienne. Il est intéressant de noter que la délétion de cet enhancer a eu lieu plusieurs fois de manière indépendante dans des populations isolées de stickelbacks d’eau douce (Shapiro et al. 2004; Chan et al. 2010 et fig. 8B).

Un autre moyen d’évolution d’enhancers est par mutations ponctuelles ou petites insertions-délétions qui peuvent créer ou éliminer des sites de fixation pour des TF au sein de

Figure 8 : Évolution des séquences régulatrices

A. Fréquence de mutations au sein d’une population en fonction du temps rencontrant une sélection neutre (courbe

grise), faiblement négative (courbe verte), fortement négative (courbe bleue) ou positive (courbe orange). Une mutation chez un individu de la population apparaît au temps zéro.

B. Evolution de la nageoire pelvienne chez le stickelback. Le gène Pitx1 est régulé par plusieurs enhancers dans dif-férents tissus. La délétion de l’enhancer pelvien conduit à l’absence d’épine pelvienne chez le stickelback d’eau douce contrairement au stickelback marin.

C. Modèle de formation des côtes chez la souris et le serpent. Au niveau des segments thoraciques chez la souris, le gène Myf5 est co-régulé par Pax3 et Hoxb6 pour le développement des côtes contrairement au segment lombaire où

Mif5 est réprimé par Hoxa10 qui conduit à l’absence des côtes à cet endroit. Chez le serpent, un polymorphisme dans

la séquence empêche la ixation de Hoxa10 alors que Hoxa6 peut ixer l’enhancer grâce à sa co-ixation avec Pax3, entraînant la formation des côtes dans tout le segment postérieur malgré l’expression de Hox10 dans le tissu.

B

A

C

1 0 F q u e n ce positive neutre négative 0 Temps

l’enhancer et modifier son activité. La perte d’activité peut être liée à l’accumulation de mutations ponctuelles de faible effet pour éventuellement empêcher les effets pléiotropiques causés par la perte complète de l’enhancer. Un exemple intéressant est apporté par l’étude des enhancers du gène shavenbaby chez l’espèce Drosophila sechellia. Cinq enhancers contrôlent l’expression de ce facteur de transcription qui gouverne la morphogenèse des trichomes. La fonction d’un de ces enhancers a évolué par de multiples substitutions uniques qui altèrent le niveau et le timing d’expression de shavenbaby par rapport à l’espèce Drosophila

melanogaster (Frankel et al. 2011). De façon plus drastique chez les Vertébrés un polymorphisme dans l’enhancer du gène Myf5 contribuerait à l’allongement de la cage thoracique chez le serpent comparé à la souris. En effet, au niveau des segments thoraciques chez la souris, le gène Myf5 est co-régulé par Pax3 et Hoxb6 pour le développement des côtes. Au contraire dans le segment lombaire, Mif5 est réprimé par Hoxa10 conduisant à l’absence des côtes à cet endroit. Chez le serpent, un polymorphisme dans la séquence empêche la fixation de Hoxa10 alors que Hoxa6 peut fixer l’enhancer grâce à sa co-fixation avec Pax3, entraînant la formation des côtes dans tout le segment postérieur malgré l’expression de

Hoxa10 (Guerreiro et al. 2013 et fig. 8C). Ces résultats suggèrent que le polymorphisme de l’enhancer répondant aux Hox et à Pax3 joue un rôle dans l’évolution de la colonne vertébrale en modulant la réponse aux Hox répresseurs et activateurs du développement des côtes.

Au cours de l’évolution, de nouvelles activités régulatrices proviennent de modifications d’enhancers existants mais aussi grâce à l’apparition de nouveaux enhancers. La distribution des CNE (Conserved Non-coding Elements) suggère que les nouveaux enhancers jouent un rôle dans plusieurs étapes évolutives des vertébrés (Lowe et al. 2011), au même titre que la co-option de transposons en nouveaux éléments cis-régulateurs associés à l’innovation reproductive des mammifères placentaires (Lynch et al. 2011). Une étude originale tire parti de l’utilisation des iPSCs (induced Pluripotent Stem Cells) en dérivant des cellules de crêtes neurales de l’homme et du chimpanzé pour comparer leur profil épigénétique et identifier les divergences d’éléments cis-régulateurs. L’implication de ces enhancers dans le développement cranio-facial est confirmée par transgénèse chez la souris. Les éléments cis-régulateurs spécifiques d’une espèce sont moins conservés que ceux actifs dans les deux espèces avec des variations dans les sites de fixations des TFs et sont enrichis en rétro-transposons. Ces différences de régulation seraient à l’origine de la divergence de la morphologie cranio-faciale entre l’homme et le chimpanzé (Prescott et al. 2015).

3.2.2 Conservation d’expression sans conservation de séquences et vice versa

Il y a deux grands types de mécanismes permettant à une région régulatrice de changer de séquence sans affecter la régulation transcriptionnelle du gène sous son contrôle. Le premier est le changement du facteur en trans pour compenser l’altération de la séquence d’ADN. Le second est le réarrangement de la séquence en cis dans une configuration différente mais fonctionnellement équivalente. Le premier mécanisme est beaucoup plus lourd de conséquences puisqu’il va affecter tout un ensemble de gènes. Le second mécanisme est majoritaire mais est difficile à mettre en évidence. Comme vu précédemment il y a de nombreux exemples de gain et perte d’enhancers (‘turnover’) qui peuvent être graduels, mais aussi de relocalisation ou inversion d’enhancers (‘shuffling’).

De nombreuses études mettent en évidence des conservations d’activité d’enhancers sans conservations de séquence, souvent par transgénèse ou par sauvetage génétique, par exemple entre différentes espèces de drosophile (Ludwig et al. 2005), entre le poisson-zèbre et l’homme (Fisher et al. 2006) ou entre la cione et l’oursin (Oda-Ishii et al. 2005). Une étude de génomique comparative utilise les marques de chromatines activatrices (H3K4me3 et H3K27ac) pour comparer l’évolution des promoteurs et enhancers dans le foie de vingt mammifères (Villar et al. 2015). De façon surprenante, il n’y pas de différence de fréquences entre le gain ou la perte d’enhancer et promoteur. La plupart des enhancers ont évolué rapidement, contrairement aux promoteurs, et la plupart sont le résultat de l’exaptation de séquences d’ADN existantes. Malgré le peu de conservation des enhancers, les 2/3 ont conservé leur activité parmi les dix mammifères avec la meilleure qualité d’alignement du génome (Villar et al. 2015).

Trois séries de duplication complète du génome sont survenues au cours de l’évolution des Vertébrés, deux séries à la base des Vertébrés et une troisième au niveau de l’embranchement des téléostéens. Chez le poisson-zèbre, une partie des gènes dupliqués ont été conservés au sein du génome ainsi que de nombreux éléments cis-régulateurs. Une étude s’est concentrée sur ces éléments dupliqués très conservés jusqu’aux mammifères et leur impact dans la régulation de la famille des gènes Pax. Ces éléments présentent beaucoup plus de différences d’activité que de ressemblances par transgénèse et de petites mutations sont suffisantes pour la divergence d’activité (Goode et al. 2011). Cependant, il faut garder à l’esprit que l’activité des enhancers testée par transgénèse n’est pas toujours représentative de l’activité in vivo. Avec l’arrivée des techniques d’édition du génome de type CRISPR/Cas9, l’analyse systématique de la fonction in vivo des enhancers se développe pour de nombreuses espèces.

Le turnover et le shuffling des enhancers peuvent être la résultante de schémas d’organisation qui assurent une fonction cohérente alors qu’ils facilitent les variations et l’acquisition de nouvelles fonctions, ce que François Jacob appelait le « bricolage évolutif » (Jacob 1977 : Evolution and tinkering).