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2. La régulation de l’expression génétique chez les eucaryotes

2.3 L’organisation tridimensionnelle du génome

2.3.1 Les domaines topologiques (TADs)

Les domaines topologiques sont des domaines de l’ordre du Mégabase (Mb) chez les mammifères caractérisés par une plus forte proportion d’interactions avec les loci d’un même domaine qu’avec ceux des domaines adjacents. Ils ont été mis en évidence par les techniques de Hi-C et de 5C qui permettent d’obtenir une carte des interactions génomiques, dont la résolution dépend de la profondeur de séquençage entre 10 et 100 kb, chez les mammifères et la drosophile (Nora et al. 2012; Dixon et al. 2012; Sexton et al. 2012 et fig. 6A). Les TADs sont globalement invariants au cours de la différenciation cellulaire et ils sont généralement conservés en position entre l’homme et la souris (Dixon et al. 2012; Vietri Rudan et al. 2015). Cependant ils sont divisés en sous-domaines d’interactions (aussi appelés sub-TADs) qui varient fortement d’un type cellulaire à un autre et correspondraient à différentes conformations entre éléments cis-régulateurs et promoteurs (Dixon et al. 2012; Nora et al. 2012; Phillips-Cremins et al. 2013; Rao et al. 2014 et fig. 6A). Les frontières des TADs sont enrichies en gènes de ménage, gènes d’ARNt, séquences répétées du type SINE et caractérisées par la présence de CTCF et de la cohésine chez les mammifères (Dixon et al. 2012). Chez la drosophile, les frontières comprennent des gènes constitutivement actifs et une forte proportion de protéines architecturales telles CTCF, BEAF-32, Su(Hw) et Mod(mdg4) (Sexton et al. 2012; Hou et al. 2012). Plusieurs études ont montré que les deux frontières d’un TAD contiennent des sites CTCF orientés de façon opposée et sont engagées ensemble dans une interaction à distance (Wit et al. 2015; Gómez-Marín et al. 2015; Guo et al. 2015; Rao et al. 2014; Vietri Rudan et al. 2015 et fig. 6A). Chez les mammifères, 85% des sites de fixation du facteur CTCF sont localisés à l’intérieur des TADs (Dixon et al. 2012) où ces sites favorisent les interactions enhancers-promoteurs dépendantes de CTCF (Tang et al. 2015).

Figure 6 : L’organisation tridimensionnelle de la chromatine au sein du noyau

A. Les domaines topologiques (TADs) délimitent des zones d’interaction chromatiniennes séparées par des insulateurs.

La matrice correspond à un Hi-C virtuel où les fréquences d’interaction sont représentées par des nuances de gris. Les TADs sont majoritairement délimités par des sites CTCF et sont divisés en sous-domaines d’interaction entre enhancers et promoteurs et sites CTCF dont l’orientation est indiquée par des lèches. Les TADs correspondent parfois à des domaines chromatiniens actifs (H3K36me3), riches en gènes et inactifs (H3K27me3), plus pauvres en gènes. Le point d’interrogation suggère que d’autres facteurs que CTCF peuvent participer aux interactions à distance.

B. Le génome est divisé en compartiments A (orange) et B (bleu) d’environ 5Mb qui s’associent préférentiellement entre eux au sein du noyau. Ces compartiments contiennent plusieurs TADs transcriptionnellement actifs (A) ou inactifs (B). C. Les domaines associés à la lamina nucléaire (LADs) sont des régions chromatiniennes condensées accrochées à la lamina nucléaire alors que les régions ouvertes pointent vers l’intérieur du noyau. Certains LADs peuvent délocaliser autour du nucléole formant les domaines associés au nucléole (NADs). Le noyau est entouré d’une enveloppe nucléaire composée d’une membrane nucléaire externe (MNE) et interne (MNI) recouverte de lamines, et comprenant les pores nucléaires permettant la communication entre le noyau et le cytoplasme.

D’après Ali et al., 2016 (A), Dekker et al., 2013 (B) et Pombo et al., 2015 (C).

B

A

C

TAD 1 inactif TAD 2 inactif

TAD actif Sous-domaines CTCF Interactions aux frontières Interactions motifs H3K36me3 H3K27me3 Gènes Enhancers

pas d’ interaction interaction

? Matrice d’interactions génomiques Compartiments A Compartiments B TADs Pore nucléaire Chromatine Noyau MNE MNI LADs Nucléole NADs Lamina nucléaire Cytoplasme

Plusieurs études ont visé à déterminer le rôle de la cohésine et de CTCF dans la formation et le maintien de cette structure. L’éviction de ces complexes entraînent un affaiblissement des frontières des TADs avec une augmentation des interactions entre éléments cis-régulateurs et promoteurs de différents TADs, quelques altérations au niveau de l’expression de gènes mais les TADs sont globalement conservés en forme (Seitan et al. 2013; Zuin et al. 2014; Phillips-Cremins et al. 2013; Narendra et al. 2015). Ces résultats suggèrent que la cohésine et CTCF participent à ce niveau d’organisation de la chromatine mais que d’autres facteurs ou mécanismes sont impliqués. Il est à présent possible de réconcilier les différentes fonctions du facteur CTCF au regard de son rôle de structure dans les frontières des TADs mais aussi fonctionnel au sein des TADs dans la communication entre éléments

cis-régulateurs.

Plusieurs études suggèrent qu’il y aurait une spécificité limitée des interactions enhancer-promoteur et que le facteur déterminant quel enhancer régule quel gène serait leur localisation commune dans le même domaine chromosomique (Schwarzer & Spitz 2014). L’analyse de l’expression des gènes au cours de la différenciation des cellules ES en progéniteurs neuronaux montre que l’expression des gènes localisés dans le même TAD est plus corrélée que celle entre gènes de TADs adjacents (Nora et al. 2012). Une autre approche consiste à utiliser l’insertion aléatoire et non biaisée d’un transposon servant de capteur de l’influence des éléments cis-régulateurs agissant dans cette région à travers tout le génome. Une fois le site d’insertion du rapporteur déterminé, les auteurs ont observé que ceux situés dans le même domaine avaient une expression tissu-spécifique importante et que ces domaines corrèlent avec les TADs (Symmons et al. 2014). Un cas particulier est apporté par le groupe des gènes HoxD au cours du développement du membre chez les tétrapodes. En effet, les gènes sont à l’interface entre deux domaines topologiques et leur capacité à répondre à ces deux types de régulation dépend des contacts physiques avec les enhancers correspondants et leur position dans le groupe. Cette régulation bimodale permet le développement séquentiel du bras et de la main sous le contrôle de la colinéarité d’expression des gènes HoxD (Montavon et al. 2011; Andrey et al. 2013).

Les TADs sont des unités chromatiniennes actives avec la présence des marques H3K27ac et H3K36me3 ou inactives avec H3K27me3 et H3K9me3 correspondant parfois à des LADs (cf 2.3.3 et fig. 6A), et souvent corrélées au niveau d’expression des gènes au sein de ces TADs (Nora et al. 2012; Rao et al. 2014; Le Dily et al. 2014; Dixon et al. 2015). Ces états chromatiniens ne sont pas stables et peuvent être modulés en corrélation avec l’activation ou la répression des gènes notamment après l’induction d’hormones (Le Dily et al. 2014). Les TADs sont donc des domaines fonctionnels délimités par des frontières qui

empêchent la communication entre les enhancers et les gènes situés dans un TAD adjacent en association avec un état chromatinien actif ou inactif.

Un modèle d’organisation des chromosomes en interphase essaye de réconcilier les différents aspects de la communication entre éléments cis-régulateurs au sein des TADs évoqués précédemment. Ce modèle « d’exclusion de boucle » propose la formation active de boucles par un facteur de type cohésine capable d’exclure la chromatine de façon à créer des boucles de plus en plus larges en fixant un site CTCF à la frontière du TADs jusqu’à atteindre la suivante (Nichols & Corces 2015; Bouwman & de Laat 2015; Sanborn et al. 2015; Fudenberg et al. 2016). Une autre possibilité implique un complexe actif qui contacte et scanne l’ADN de façon directionnelle et ayant la capacité de former des boucles de chromatine. Le premier candidat est le complexe cohésine qui chez la bactérie et la levure peut glisser le long de l’ADN et condenser les chromosomes en formant des boucles (Kim & Loparo 2016; Ocampo-Hafalla et al. 2016). Le second est l’ARN polymérase II : il a été montré que des polymérases actives peuvent exclure un gène en formant une boucle (Larkin et al. 2013). Une autre étude a mis en évidence qu’au cours de la transcription, l’ARN polymérase II transcrivant peut rester associée avec le complexe enhancer-promoteur formant ainsi une boucle active avec le corps du gène (Lee et al. 2015). De plus, deux études suggèrent que les boucles enhancers-promoteurs sont directionnelles et que les promoteurs contactent préférentiellement les enhancers en amont, ceci en accord avec les deux modèles proposés ci-avant (Sanyal et al. 2012; Tang et al. 2015). La formation et la fonction des TADs restent encore peu explorées avec différents modèles à confirmer et des acteurs majeurs à identifier qui viendront renforcer notre compréhension de l’organisation du génome.