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« (…), ne pas mener le travail de déconstruction/construction qu’impose d’ailleurs l’utilisation scientifique de toute catégorisation, (…) c’est se livrer à l’influence de certaines représentations qui parasitent subrepticement les analyses. (…) Le chercheur qui n’y prendrait pas garde deviendrait ainsi, involontairement sans doute, le simple porte-parole d’une représentation dominante, dans le cas présent, celle qui véhicule une image uniformisante des générations de descendants d’immigrés maghrébins. » p.41 in Santelli, E. (2004). De la deuxième génération aux descendants

d’immigrés maghrébins. Apports, « heurts » et malheurs d’une approche en termes de génération. Temporalités, n°2.

L’ethnicisation du social, ou a minima, des débats publics et politiques interpellent vivement le positionnement des sciences sociales face à cette actualité sensible. Or, les sciences sociales en France éprouvent des difficultés contextuelles et récurrentes à se saisir de l’objet immigration318. Au- delà du risque d’amalgames dans l’opinion publique qui rend délicat le développement d’une pensée et d’un vocabulaire scientifique, donc de catégories d’analyse autonomes vis-à-vis des catégories sociales dominantes et stéréotypées, la disqualification de l’objet sous-jacent – le couple « immigration-intégration » – trouve son fondement dans un tropisme national et politique319. La doxa politique républicaine, dans la poursuite de son projet national, réussit à passer sous silence la multiculturalité du social en définissant des catégories d’analyse officielles et légales. En ce sens, le droit concernant l’obtention de la nationalité constitue un système d’idées objectivées, au sens durkheimien320 qui révèle l’idéal-type moral à la base du projet politique de société. Cette imbrication entre une signification subjective – conception de la nation et identification à la nation – et une signification objective – définition juridique de la nationalité – est sujette à tensions dans le discours politique et ses ramifications statistiques321. En conséquence, les statistiques françaises, en lien avec la thématique de l’immigration, sont élaborées en référence au « modèle d’intégration à la française ». A ce titre, elles ne reflètent pas une réalité sociale objective, mais en fournissent toutefois une représentation légitime ancrée dans une histoire et un héritage national322. Le recensement adopte ainsi des catégories partielles en reproduisant « (…) la préférence pour la nationalité comme critère constitutif de la catégorisation »323. En filigrane, les travaux scientifiques se réalisent dans des contextes politiques nationaux et historiques qui les marquent inévitablement. Les

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Simon, P. (2008). Les statistiques, les sciences sociales françaises et les rapports sociaux ethniques et de « race ». Revue française de sociologie. Vol. 49, 1, pp. 153-162

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Haergraves, 1995, cité par Simon, P. Ibid. p.153

320

Durkheim, E. (2002, 1ère éd. 1894). Les règles de la méthode sociologique. Paris : PUF.

321

Noiriel, G. (1995). Socio-histoire d'un concept. Les usages du mot « nationalité» au XIXe siècle. Genèses. Vol. 20, n°20, pp. 4-23

322

Héran, F. (1984). L'assise statistique de la sociologie. Economie et statistique. n°168, pp. 23-35 ; Desrosières, A. (1993). La politique des grands nombres. Histoire de la raison statistique. Paris : La Découverte.

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deux champs ne sont pas étanches et discutent en permanence. Les tabous et silences statistiques découlant des catégories d’analyse officielles imposent des contraintes aux recherches en sciences sociales, productrices de débats intellectuels et scientifiques acharnés et responsables pendant longtemps d’une sociologie du petit324.

Nous tenterons maintenant d’en rendre compte au travers de l’étude des imbrications et liens de causes à effets entre doxa politique, code de la nationalité, tabous statistiques, polémiques scientifiques et constitution d’un objet illégitime et dominé. Ce travail permettra, dans un deuxième temps, de rendre intelligible les étapes de constitution d’un objet sociologique « immigration » plus complexe : d’une lecture de l’illégitimité culturelle et du déterminisme des destins collectifs à celle de l’individualisation des trajectoires d’intégration. Les moments de rupture, de réorientation, de déplacement d’objet ou de changement de paradigme seront analysés325 et, à travers eux, la levée des derniers points aveugles par l’apport des approches de l’expérience située, de l’intersectionnalité et surtout de la sociologie des transmissions.

I - L’« immigration » comme reflet d’une pensée d’Etat326 : l’impasse d’une analyse

1 - Les tabous des catégories statistiques

Finalement le code de la nationalité témoigne bien de la conception française de ce que peut et doit être l’intégration des immigrés et/ou des étrangers327. En France, l’étude statistique des phénomènes migratoires et de ses conséquences est extrêmement contrainte. Le cadre législatif concernant l’acquisition de la nationalité française qui découle de la doxa politique universaliste et assimilationniste mérite d’être appréhendé pour mieux comprendre la capacité, ou non, d’études statistiques basées sur une définition juridique des catégories de classement à saisir les enjeux sociaux consubstantiels à l’immigration.

La définition proposée sur le site officiel « Vie publique »328 parle de l’étranger comme d’une :

« (…) personne qui ne possède pas, sur le territoire français, la nationalité française, soit qu’elle possède (à titre exclusif) une autre nationalité, soit qu’elle n’en possède aucune (apatride). Les personnes de nationalité française possédant une nationalité double ou plurielle ne sont considérées en France que comme françaises, en application d’une règle générale du droit applicable en tous pays ». L’immigré est « une personne née étrangère à l’étranger et entrée en France en cette qualité en vue de s’établir sur le territoire français de façon durable. Un immigré a pu, au cours de son séjour en France, acquérir la nationalité française ».

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Sayad, A. (2006, 1ère éd. 1991). Op.Cit.

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Réa, A. & Tripier, M. (2003). Op.Cit.

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L’expression est empruntée à Patrick Simon.

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Costa-Lascoux, J. (1987). L’acquisition de la nationalité française, une condition d’intégration ? In Laacher, S. (Dir.). Questions de nationalité. Histoire et enjeux d’un code. Paris : L’Harmattan. pp. 81-124 ; Schnapper, D. (1991). Op.Cit.

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En France, l’« assimilation » des étrangers, par acquisition de la nationalité, s’est faite de manière discrète et dissymétrique entre les hommes et les femmes, sur un principe de droit du sang – jus sanguini – puis, de droit du sol – jus soli. Le Code civil de 1804 est basé sur le droit du sang. Les femmes mineures civiles ne sont pas en mesure de transmettre la nationalité, ce qui portera encore à conséquence plus d’un siècle après. En 1849, jusque-là dispensés de service militaire, les fils d’étrangers nés sur le sol français vont être soumis aux mêmes devoirs que les hommes français et ainsi être absorbés dans l’armée nationale. Cette obligation entraîne dans son sillon l’évolution vers le droit du sol comme concession faites aux fils d’étrangers nés en France. Dans un tel contexte, les femmes sont totalement absentes des débats et des enjeux. Mais, pendant la première Guerre Mondiale et les années qui suivent, la perte d’une grande partie des « forces vives » de la Nation entraîne un déséquilibre du marché matrimonial. Des françaises épousent alors des étrangers et perdent leur nationalité, leurs enfants sont donc considérés comme étrangers. Face à la menace nationale que représente cette situation, le statut et les droits des femmes en matière de nationalité s’invite enfin dans le débat public en 1927, date d’une loi qui permet à ces françaises mariées à des étrangers de conserver leur nationalité et de la transmettre à leurs enfants329. Le code de la nationalité aujourd’hui en vigueur date de l’ordonnance du 19 Octobre 1945. Il définit l’acquisition de la nationalité française par filiation lorsqu’un des parents au moins est français. L’enfant né en France est également français de naissance lorsqu’il est né de parents inconnus, de parents apatrides, de parents étrangers s'il ne peut recevoir la nationalité d'aucun d'eux du fait des lois étrangères, ou de parents étrangers dont l’un au moins est né en France. De même l’enfant né en France de parents étrangers et vivant en France obtient de plein droit la nationalité à sa majorité330.

Les confusions terminologiques et amalgames réalisés au quotidien dans la désignation des étrangers, immigrés et/ou personnes issues de l’immigration souffrent certainement de la

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Belorgey, J.M. (1987). Le droit de la nationalité : évolution historique et enjeux. In Laacher, S. (Dir). Op.Cit. pp. 58-80

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Weil, P. (2002). Qu’est-ce qu’un français ? Histoire de la nationalité française depuis la Révolution. Paris : Grasset. L’Ordonnance de 45 a été modifiée en 1973, 1984, 1993, 1998 et 2003. En 1993, la Loi dite Méhaignerie réforme le code de nationalité en instituant, notamment, pour les enfants étrangers nés en France de parents nés à l’étranger une formalité administrative de manifestation de leur volonté de devenir français. Celle de Mars 1998 institue la possibilité pour les enfants nés en France de parents étrangers de demander la nationalité française dès 13 ans avec l’autorisation de leurs parents, dès 16 ans, sans cette autorisation. Elle supprime la manifestation de volonté instaurée en 1993 et restaure le principe d’acquisition de plein droit, à la majorité, de la nationalité française par les jeunes étrangers nés en France de parents étrangers et vivant sur le sol français. La loi de Novembre 2003, relative à la maîtrise de l’immigration, durcit notamment les conditions d’acquisition de la nationalité française par les conjoints de français. Enfin, le 31 Mars 2010, un projet de loi relatif à l’immigration et à la nationalité a été présenté par Eric Besson en Conseil des ministres. Il conditionne l’obtention de la nationalité française par des étrangers (nés hors de France), non plus seulement à la durée de présence sur le territoire français, mais au respect d’un contrat d’accueil et de

solidarité. L’ensemble des informations légales sur les politiques de l’immigration et le code de la nationalité

française sont issues du site officiel et public « Vie publique » : www.vie-publique.fr/politiques-publiques/ politique-immigration/ acquisition-nationalité-francaise

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complexité des catégories de recensement qui émanent de ce code de la nationalité. En effet, il instaure la création de différentes catégories de population en lien avec l’immigration331. En croisant les lieux de naissance, les unions et les filiations, au final, douze catégories peuvent être référencées comme autant de cas d’obtention de la nationalité française ou de conservation d’une nationalité étrangère332. On en retiendra surtout l’idée que la nationalité peut changer au cours d’une vie – un immigré étranger peut ainsi devenir un français par acquisition. En ce sens, si le statut d’étranger se réfère à une situation juridique qui peut évoluer, celui d’immigré dépend d’une caractéristique invariable et possédée à vie : le fait d’être né à l’étranger puis d’être venu s’installer en France. Les étrangers représentent au final un apport démographique direct cumulant étrangers nés hors de France et français par acquisition nés hors de France; et un apport démographique indirect comprenant toutes les naissances en France du seul fait de l’immigration333. Or, de ce point de vue, l’INSEE en charge du recensement national, ne retient que deux variables : la nationalité et le pays de naissance. Elle recense ainsi les étrangers, ayant déclaré une nationalité autre que française, et les immigrés, qu’elle définit comme précédemment, en tant qu’individu étranger né à l’étranger. Dans ces conditions, certains « nationaux » sont fixés dans le recensement comme des immigrés334, pendant que d’autres issus de l’immigration, mais nés français en France ou devenus français par acquisition, ne sont plus identifiables, classés dans la catégorie français. Il devient alors impossible de suivre le devenir des immigrés sur la génération de leurs descendants. Rattrapés par la citoyenneté – donc la nationalité – ils échappent à toute investigation quantitative335.

Jusque-là, la loi française n’a toujours autorisé que la collecte des données sur la nationalité et le lieu de naissance, interdisant le recueil sur l’origine raciale ou ethnique, réelle ou supposée. Officiellement, la Commission des Droits de l’Homme de l’Organisation des Nations Unies (ONU) propose une définition internationale de l’ethnie : « On appelle ethnie un groupe humain d’une certaine densité qui n’a pas eu accès au statut d’Etat mais qui présente néanmoins de longue date plusieurs des caractéristiques suivantes : un territoire (à cheval ou non sur plusieurs Etats), une langue propre, un nom collectif (parfois imposé par les sociétés voisines, souvent retourné par le groupe lui-même), une histoire singulière (maintes fois tragique dans les espaces frontaliers), des traits culturels originaux (architecture, cuisine, musique, littérature orale ou écrite) et, enfin, une identité revendiquée et plus ou moins assumée ». Envisagée de cette manière l’ethnie renvoie à une

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Tribalat, M. (1989). Immigrés, étrangers, Français, l’imbroglio statistique. Population et sociétés. n°241

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Le détail exhaustif de ces catégories est présenté en Annexe 1 : Code de la nationalité et catégories de classement pour le recensement.

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Tribalat, M. (1989). Op.Cit.

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Tripier, M. (1994). Populations issues de l’immigration : problème de construction d’objet (exemple des étudiants). In Comment peut-on être socio-anthropologue ? Autour de Michel Verret, Utinam Revue de

sociologie et d’anthropologie. pp. 207-228

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identification qui peut être double : auto, elle en appelle à un sentiment d’appartenance ; hétéro, elle reconnait l’existence de différences, au sens de spécificités, qui pourraient conduire à une catégorisation336. Pourtant, l’ONU estime que le classement en fonction des groupes ethniques n’est pas essentiel dans le cadre d’un recensement des populations, l’ethnie ne représentant pas une « caractéristique fondamentale ». Finalement, dans le débat public en France, le terme ethnie s’est substitué au terme race. Cette euphémisation du vocabulaire montre que les différences culturelles pèsent plus que les différences biologiques dans les représentations collectives et traduit le déplacement récent des crispations du métissage biologique vers le métissage culturel. Mais, la conception de l’intégration nationale et républicaine – refus du classement des citoyens par origine, race, ethnie ou religion – a imposé aux chercheurs français de questionner l’intégration en empoignant le concept de classe plutôt que celui d’ethnie337. Elle aboutit à un silence des statistiques sur les croyances religieuses et les catégories ethno-raciales338.

La statistique publique française souffre donc de myopie quand il s’agit d’étudier la multiculturalité de la société339 qu’elle masque sous l’effet d’autres variables telles les catégories socio-professionnelles ou les territoires340. Aujourd’hui, certains en appellent pourtant aux statistiques ethniques.

2 - Les débats scientifiques autour du Colorblind

Les injonctions d’identification des immigrés et de leurs descendants renvoient alternativement à des désignations stigmatisantes ou à des auto-identifications positives comme stratégies de retournement du stigmate – théorie du renouveau ethnique. Les catégories ethniques peuvent donc tout aussi bien s’appuyer sur des catégories sociales dominantes que sur des

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Le Bras, H. (2007). Quelles statistiques ethniques ? L’Homme. Vol.4, n°184, pp. 7-24

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Schnapper, D. (1998). Op.Cit.

338

Schnapper, D. (1991). Op.Cit. Les choix sexuels représentent le troisième point aveugle de statistiques françaises.

339

Simon, P. (2005). La mesure des discriminations raciales : l’usage des statistiques dans les politiques publiques. Revue internationale des sciences sociales. Vol. 1, n°183, pp. 13-30

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Pourtant, la France possède de nombreux organismes et administrations en mesure (ou en charge) de fournir des statistiques sur l’immigration : du point de vue des organismes, l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE) renseigne sur les chiffres concernant les populations étrangères à l’occasion du recensement. L’Institut National d’Etudes Démographiques (INED) ébauche une situation démographique annuelle. Côté administrations, le Ministère de l’Intérieur possède les informations sur les titres de séjour ; l’Office des Migrations Internationales (OMI)), devenu Agence Nationale de l’Accueil des Etrangers et des Migrations (ANAEM) suit les dossiers des travailleurs étrangers ; l’Office Français pour la Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) possèdent des données sur les demandes d’asile et l’octroi du statut de réfugiés ; enfin le Haut Conseil à l’Intégration, depuis 1989, possède depuis 2004 un observatoire des statistiques de l’immigration et de l’intégration puisque la fonction du HCI auprès du premier ministre, est de traiter annuellement les questions de l’immigration et de l’intégration des populations migrantes ou issues de l’immigration.

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catégories indigènes pour penser le social341 : classement, officiel et officieux, des établissements scolaires ou des quartiers en fonction du nombre de nationalités étrangères ; discrimination à l’embauche au faciès ou patronymique… Concomitantes de caractéristiques plus ou moins visibles d’appartenance à une minorité, elles sont donc des marqueurs identitaires forts. Au travers de « leur capacité à définir les individus et leur « destin » social, à les « assigner » à un groupe ou à une « ethnie »342, elles structurent le social en créant des Bright and Blurred Boundaries343 fonctions des contextes nationaux.

Quand les catégories ethniques deviennent des catégories statistiques leur définition est basée sur une tradition politique et revêt une efficacité sociale propre à chaque pays. La méthode de recensement américaine tient ainsi compte des catégories indigènes. Elle fait cohabiter la couleur de peau – black, white – avec les origines géographiques – alaska native –, les origines ethniques – african ou indian american –, la continentalité – asian – et la langue – hispanic. Malgré cet apparent éclatement, la référence à l’ethnie y est mobilisée pour son caractère de construction sociale qui renvoie aux appartenances à des quartiers/ghettos. Les critères à la base de la définition des races/ethnies officiellement répertoriés ne sont pas des catégories scientifiques empruntées à des justifications biologiques, ni même anthropologiques, mais des catégories subjectives, ad hoc, choisies par les représentants des diverses communautés. Ils représentent des traits d’identification majeurs, revendiqués, produits d’un long processus de lutte pour la reconnaissance de minorités durablement opprimées344. Ils jouent ainsi un rôle essentiel dans la politique de discrimination positive – Affirmative Action – en permettant de revendiquer des traitements adaptés en réponse à des discriminations objectivement observées345. Ainsi, le débat sur l’opportunité d’utiliser des statistiques ethniques pour témoigner de l’effet structurant de cette variable sur la position sociale, au même titre que les autres grandes variables classiques – sexe, âge, classe sociale –, se pose différemment dans les pays à tradition différentialiste. Cependant, les expériences montrent que les critères d’auto-évaluation des groupes « racisés » sont des outils de recensement qui se prêtent mal à la répétition et aux longues séries tant le contexte intervient dans la définition de l’auto- perception346.

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Felouzis, G. (2008). L'usage des catégories ethniques en sociologie. Revue française de sociologie. Vol.49, n°1, pp. 127-132

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Ibid. p.129

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Alba, R. (2005). Bright vs. blurred boundaries: Second-generation assimilation and exclusion in France, Germany, and the United States. Ethnic and Racial Studies. Vol. 28, n°1, pp. 20-49

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Duret, P. (2006). Pourquoi les chercheurs américains parlent-ils de « race » et pas les français ? In Ohl Fabien (Dir.), Sociologie du sport. Perspectives internationales et mondialisation. Paris : PUF. pp. 104-108

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Simon, P. (2005). Op.Cit.

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En Europe, malgré l’existence d’un organisme officiel commun, Eurostat, chaque pays utilise des critères de classement distincts. Ainsi en France comme nous l’avons vu, la dimension juridique de l’appartenance nationale est au fondement des catégorisations. L’héritage jacobin des sciences politiques dans l’étude du fait migratoire n’est pas étranger à cette situation, mais cette tradition de construction de l’ordre social par le haut, n’empêche pas un fonctionnement autonome de la société civile347, dans lequel se joue un autre débat. La remise en cause de la statistique publique est concomitante d’une reconfiguration des paradigmes politiques qui ont trait à l’immigration à la fin du XXème siècle. Pour Patrick Simon, les politiques publiques sont passées d’une logique assimilationniste à une logique intégrative pour aboutir aujourd’hui à une prédominance de la lutte contre les discriminations348. Dans les faits cela revient à acter de l’existence de différences déterminantes au départ qui entraînent des inégalités sociales effectives. Le constat œuvre en faveur d’une Affirmative Action. Pour autant, la législation en matière de statistiques ethno-raciales n’a pas évolué. Les catégories statistiques se sont donc retrouvées au centre de débats intellectuels et scientifiques virulents. Sur cette question, il existe une différence de positionnement entre le politique et le courant favorable aux analyses ethno-raciales en sciences sociales. Pour ce dernier, l’enjeu revient à savoir comment parler des « minorités visibles » si elles sont rendues statistiquement invisibles ?

La question oppose cependant deux approches statistiques du social en France. La première conception de l’étude du social, qui traduit l’idéologie dominante en la matière, consiste à refuser l’ethnicisation, même dans l’intention de mesurer les discriminations. Ainsi, la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité (HALDE) et le Haut Conseil pour l’Intégration (HCI) voient un lien de cause à effet entre catégorisation statistique et augmentation des inégalités349.