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« Aborder un sujet qui donne lieu à des prises de position militantes fortes non seulement dans la société civile (…) mais aussi au sein même des sciences-humaines et ce quelques soient les disciplines (…) implique de prendre soin de déterminer la position d’où l’on parle : chercheur et/ou militant, savant ou penseur social engagé dans l’action. Je situe mon discours comme celui d’un chercheur qui affiche sur un tel sujet une « neutralité » engagée pour reprendre l’heureuse expression de Jacques Walter. » p. 61 in Chabrol, C. (2007). Catégorisation de genre et stéréotypage

médiatique. Du procès des médias aux processus socio-médiatiques. In Boyer, H. (Dir.). Stéréotypage, stéréotypes : fonctionnements ordinaires et mises en scène.

Média(tisation)s. Paris : L’Harmattan. Tome 1

A l’issue de ce travail de déconstruction des catégories sociales dominantes, comme autant de prénotions bornant la manière d’appréhender notre objet, puis de reconstruction de catégories d’intelligibilité du social, nous avons évité un double écueil : celui de l’incompatibilité politique et de sens commun des catégories mobilisées, et celui de la « prédétermination » des conclusions de l’analyse. Nous pouvons alors cheminer vers la recherche des conditions du possible de l’expérience de loisir sportif des descendantes de migrants maghrébins dans les quartiers populaires et, plus encore, des implications pratiques de cet engagement en terme de repositionnement de leur part dans les rapports sociaux.

I - Le loisir en question : une enclave égocentrique temporaire d’expériences individuelles émancipantes ?

Depuis les premiers évènements qualifiés d’« émeutes urbaines » au début des années 1980, la société civile scrute les quartiers populaires667 comme des territoires malades de violences qu’ils généreraient spontanément668. Les crispations sécuritaires qui en découlent conduisent à leur prise en charge par les politiques publiques au travers de dispositifs nombreux et renouvelés de traitement des problématiques de précarité. Celles-ci ont largement recouru aux loisirs dans la poursuite d’un triple objectif : de rattrapage des inégalités sociales d’accès, de recréation du lien et de la cohésion sociale et, enfin, de prévention de la délinquance669. Pourtant, ces politiques publiques présentent des points aveugles qui contestent la légitimité du loisir en tant qu’outil. Cette fonction de « pansement social » essentialisée suppose d’abord de sortir l’objet loisir de l’impensé politique et scientifique dans lequel il se trouve plongé lorsqu’on l’associe à certains publics, milieux ou territoires, avant de pouvoir être elle-même évaluée. Or, dans son usage commun, la catégorie loisir est indissociable de la catégorie de temps libre et prend son sens dans son opposition à celle de

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Le terme de quartier populaire est défini dans la Partie 1-chapitre 2-II-3- Disqualification territoriale, politiques publiques et expérience située de l’exclusion

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Collovald, A. (2001). Des désordres sociaux à la violence urbaine. Actes de la Recherche en Sciences Sociales. Vol.1-2, n°136/137, pp. 104-113

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travail. Le fondement historique de cette antinomie remonte à la civilisation grecque où travail et loisir s’excluaient mutuellement. En grec, Scholé signifie loisir et instruction, A-scholé, travail et servitude. De fait, les Grecs pensaient le loisir comme une voie d’accomplissement personnel et le travail comme une activité dégradante, réservée aux esclaves. Partant de cette position, nous proposons de nous atteler à l’analyse de la lecture sociologique fonctionnelle évolutive faite du loisir afin de mieux appréhender sa compatibilité avec les autres catégories de notre objet.

Activité sociale, le loisir s’inscrit dans la complexité des temps sociaux670. En tant que tel, il a longtemps été lu par les sociologues dans une relation dialectique avec le travail, en tant qu’activité réservée ou de compensation. Il a ensuite été perçu comme temps de conscience, pour soi, permettant de s’extraire du temps physique et du temps social contraignants, résultat d’une redistribution globale des temps sociaux. Puis, il a enfin été considéré, en tant qu’activité sociale structurante, comme un objet sociologique propre.

Ainsi, les premières analyses critiques marxistes, qui pensent l’aliénation de l’homme par le travail, présentent le loisir alternativement comme temps utile de recréation ou régénération de la force de travail671, comme pratique distinctive de consommation ostentatoire et improductive du temps, réservée aux classes bourgeoises, donc comme sphère sociale aux modalités d’accès inégalitaires672, ou encore, par retournement du problème, comme arme subversive des prolétaires dans la lutte des classes pour contraindre les bourgeois au retour au travail673. Cette lecture négative d’un temps réservé aux classes dominantes est remise en question par un premier changement de focale sociologique dans les années 1960. Le loisir reste perçu comme un ajout, une compensation au travail, mais cette fois en tant que pratique occupant un temps libéré des contraintes professionnelles, sociales et familiales. Il représente alors un mouvement de fond, inscrit dans une logique égalitaire, dès lors moteur de l’élaboration de « nouvelles logiques d’usages du temps, de nouveaux modes de calcul de sa déperdition »674. De la lutte pour la réglementation du temps de travail depuis le milieu du XIXème siècle, à l’institution de la RTT (Réduction du Temps de Travail) comme mode de vie avec l’avènement des 35 heures en 2000675, la redistribution effective des temps sociaux a déplacé le centre de gravité de l’objet loisir de la question de la libération du temps à celle

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de la manière de l’utiliser676. De fait, l’étude du loisir par Joffre Dumazedier qui suggère l’avènement d’une civilisation du loisir677 représente une porte d’entrée pertinente dans la manière de penser l’organisation des temps libres dans les sociétés modernes. Le loisir figure alors une construction subjective du temps personnel socialement constitué dans les sociétés libérales, témoin d’une mise à distance individuelle des contraintes cumulées, en plein essor depuis les années 1960. Ses trois fonctions sociales – les 3 D, fonction de délassement par rapport au travail, de divertissement par rupture avec le quotidien et de développement personnel par ouverture culturelle – l’inscrivent dans une dynamique de libération et d’émancipation individuelle678. A ce stade cependant, si le loisir est considéré comme un thème central dans l’étude et la compréhension de la société moderne, il se caractérise toujours par sa fonction compensatoire vis-à-vis du travail679. Or, la massification et la diversification des loisirs, depuis 50 ans, invite à les analyser non plus seulement par contraste vis-à- vis des affaires sérieuses de la vie680 mais « comme des phénomènes sociaux en eux-mêmes, interdépendants des activités de non-loisirs, dont la fonction ne leur est pas subordonnée et qui ne sont pas associés à une valeur moindre »681. Cette position dépasse la conception d’un loisir compensatoire dont la fonction essentialisée resterait de libérer les individus des tensions de la vie. Pour prévenir cette lecture et pallier à l’absence de théorie centrale du loisir682, Elias et Dunning proposent de définir un spectre du temps libre destiné à clarifier les caractéristiques et les fonctions des activités de loisir. Cet essai de typologie des activités de temps libre vise à spécifier la place et le rôle des loisirs dans le temps libre et dans la vie des individus. Ainsi, le temps libre reste un préalable au loisir, mais « si toutes les activités de loisir sont des activités de temps libre, toutes les activités de temps libre ne sont pas des activités de loisir »683. De plus, « toutes les activités de loisir expriment un relâchement contrôlé des contraintes sur les émotions »684. Enfin, le loisir se définit par sa fonction de déroutinisation qui ne prend sens que dans l’équilibre qu’il crée avec la routinisation. En effet, activité sociale qui défie l’ordre et les règles du quotidien, il reste cependant régulé par la société

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Dumazedier, J. (1988). La révolution culturelle du temps libre. 1968-1988. Paris : Méridiens-Klincksieck. Le loisir se définit autour de quatre caractéristiques : il est libératoire vis-à-vis des contraintes, suppose le libre choix et vise l’émancipation individuelle ; il est désintéressé, c’est-à-dire dénué de toutes finalités utilitaires, idéologiques ou lucratives, représentant une fin en soi ; il est hédoniste et vise une satisfaction des besoins de l’individu dans une recherche de plaisir ; en conséquence, il est personnel en réaction aux normes sociales, ne prenant comme seule référence que les besoins de l’individu.

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683

Elias, N. & Dunning, E. (1994, 1ère éd. 1986). Op.Cit., p.129

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dans laquelle il se déroule. Le loisir représente alors une expérience de plaisirs personnels et de choix individuels permettant un affaiblissement modéré des contrôles sociaux et une libération ponctuelle vis-à-vis des institutions en charge de l’ordre social. Il est une enclave égocentrique685 temporaire d’expériences individuelles émancipantes. En tant que telle, il véhicule ses propres normes, codes et règles partagés par ceux qui s’y adonnent et permettant au groupe d’exister. On entrevoit dès lors que cette expérience revêt des fonctions sociales variées qui ne peuvent se comprendre que du point de vue des individus eux-mêmes et dans le contexte propre à chaque activité de loisir686. Ainsi, les tendances lourdes récentes de désinstitutionalisation et de désencadrement des pratiques de loisir s’insèrent dans une tendance plus globale à l’individualisation des expériences de loisir687, lesquelles deviennent de plus en plus structurantes dans la vie des nouvelles générations : « Le loisir ne se réduit pas au temps libéré par le progrès économique et la revendication sociale. Il est aussi création historique, née du changement des contrôles institutionnels et des exigences individuelles. (…) il est de plus en plus le centre d'élaboration de valeurs nouvelles, surtout dans les jeunes générations : mises en question des règles du travail professionnel et scolaire, de la vie familiale, socio-spirituelle et socio- politique. Il a donné naissance à un mouvement social qui va ébranler et modifier non seulement les structures de la société, mais plus radicalement les orientations de la vie elle-même »688.

Pourtant, le sens commun lie, de manière presque exclusive, les activités de loisir, culturelles ou sportives, à la jeunesse, période de la vie où le temps libre est important et doit être comblé de manière constructive. A contrario, l’âge adulte est caractérisé par le temps des contraintes, particulièrement liées au travail et aux responsabilités familiales, alors que les 3ème et 4ème âges sont définis par un temps libre souvent contraint par de nouveaux facteurs – sanitaires, économiques, etc.689. Ainsi, la recherche d’activités occupationnelles par les pouvoirs publics prend davantage la direction des jeunes générations, particulièrement dans les quartiers prioritaires, pour éviter le désœuvrement tout en assurant une mission éducative et structurante. Dans ces conditions, en même temps que les politiques publiques ont multiplié les dispositifs d’occupation du temps libre des jeunes690, les études scientifiques en ont analysé la pertinence et l’efficacité, en négligeant souvent la question des adultes691. Dans les faits, on constate que le loisir n’a effectivement pas atteint la dimension de civilisation et d’émancipation annoncée par les pionniers de la sociologie du

685 Ibid., p.144 686 Ibid. 687 Octobre, S. (2009). Op.Cit. 688 Dumazedier, J. (1974). Op.Cit. 689

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loisir puisque certains publics restent durablement à la marge692. Ainsi, les temps sociaux des familles populaires et des précaires restent dominés par les contraintes professionnelles qui provoquent un oubli du temps personnel et même parfois familial693. Les analyses socio-anthropologiques stigmatisent la vie de labeur des milieux populaires694 qui les maintient à distance de l’espace des loisirs et confirme la permanence d’inégalités sociales en la matière695. Le modèle distinctif de certaines pratiques de loisir, basé sur l’homologie structurale de l’espace des goûts et de l’espace des positions sociales, resterait donc d’actualité696. Cette forme de déterminisme social des consommations de loisirs interpelle les processus de transmission des goûts et des passions, notamment culturels. Or, malgré l’émergence d’un système d’échanges généralisés, ces derniers continuent de se forger dans la petite enfance soulignant le rôle prépondérant des parents, soit qu’ils possèdent eux-mêmes cette passion, soit qu’ils possèdent un niveau scolaire et un capital culturel fournis697 : « Mis à part quelques activités dont la découverte est plus fréquente dans le cadre de la sociabilité amicale (ordinateur, marche, bénévolat), la règle est plutôt d’avoir été initié par ses parents ou une autre personne de la famille. »698. A ce titre, se dessine une transmission sexuée traditionnelle des loisirs où les pères transmettent le sport et les mères la culture. Dans une société porteuse d’une culture co- et préfigurative, il est également intéressant de remarquer que les grands- parents n’agissent pas comme modèle repoussoir en matière de transmission d’une pratique culturelle ou sportive mais qu’ils jouent au contraire un rôle actif et positif699.

Ces permanences sont pourtant contredites par les constats d’individualisation des choix et goûts en matière de pratique culturelle sous l’effet d’une perte de poids des instances de socialisation ou de transmission classiques – famille, école –700. Pour l’école, la perte d’influence

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s’explique par l’apparition de trois crises : celle liée au développement de la concurrence dans les mécanismes de transmission des contenus culturels – internet particulièrement – ; celle liée à la perte de légitimité des transmetteurs en milieu scolaire, du fait de la perte d’autorité de l’institution elle-même ; et enfin celle liée aux modes d’intervention pédagogique non-renouvelés701. Cet ensemble de décalages concourt à rendre l’école moins prégnante dans les processus globaux de transmission des goûts et des pratiques de loisir. Pourtant, en milieu populaire, l’école continue à jouer un rôle compensatoire dans l’ouverture des jeunes à l’espace des loisirs, selon trois modèles plus ou moins marqués : exclusif, intermédiaire ou relatif702.

On note cependant le déplacement et l’atténuation des lignes de césure sous l’effet de la multiplication de l’offre et de la massification de la consommation à l’origine de hiatus de plus en plus fréquents entre positions sociales, dispositions, goûts et consommations de pratiques culturelles et sportives703. Ainsi, la tendance à l’intensification de l’engagement dans le loisir fait émerger des univers de consommation différenciés oscillant entre l’exclusion et l’éclectisme sous l’effet de variables cumulées qui ne tiennent plus seulement au positionnement de classe704. Le genre agit notamment comme filtre efficace. En effet, si les temps sociaux masculins et féminins restent durablement opposés autour d’une division sexuée traditionnelle et complémentaire du travail professionnel versus travail domestique, ils conduisent en filigrane à un temps de loisir prioritairement masculin et un temps d’éducation majoritairement féminin – autonomie et liberté versus care et intériorité. Cette tendance lourde à la reproduction des rôles et des temps sexués induit une manière de pensée androcentrique jusque dans les représentations des femmes elles- mêmes : le loisir n’est pas un temps pour elles705. Des contraintes objectives, telles les moyens matériels – en temps, en ressources économiques ou en offres –, rencontrent dès lors des contraintes subjectives propres au monde des femmes, telles l’éthique du soin et la représentation du droit aux loisirs706. Elles agissent comme freins cumulés au développement de l’expérience de loisir chez les femmes qui reste de fait inégalitaire du point de vue du genre. Les études menées en France sur la sexuation du loisir confirment la faible transformation de la consommation des pratiques selon le genre depuis les années 1960. On observe d’abord une différenciation sexuée durable entre le

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Dubet, F. (2002). Op.Cit. ; Octobre, S. (2009). Op.Cit.

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culturel apanage des femmes707 et le sportif chasse gardée des hommes. En filigrane, se révèle une faible mixité dans les pratiques, même lorsque les activités sont identiques. La séparation s’opère alors par l’espace ou le temps. Se révèle également une rupture dans la trajectoire des loisirs des femmes dès 12 ans avec un décrochage parfois définitif, particulièrement en milieu populaire708. L’effet de polarisation sociale relevé dans l’accès aux loisirs se trouve donc décuplé chez les femmes709 et provoque une différenciation des expériences de loisir au féminin sous le poids différencié de certaines variables socio-démographiques710 – âge, niveau d’études, emploi occupé, origine, territoire, génération, politique, etc. –. Chez les populations issues de l’immigration, les lignes de fracture s’observent alors plus nettement sous l’effet du genre711. De même, l’offre publique de pratiques et d’équipements accentue souvent l’effet discriminant du genre :

« une étude des lieux de pratiques sous l’angle de la mixité, de la parité et du genre, nous montre a contrario que les dispositifs publics qui organisent les loisirs des jeunes, bien que se pensant