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« C’est toute la question des rapports de la délibération politique aux sciences sociales et à la pensée critique qui est ainsi soulevée. Sur l’immigration, sujet sensible, politisé et public entre tous, cette étude devient urgente. » p.1154 in

Bonnafous, S. (1992). Le terme "intégration" dans le journal Le Monde : sens et non- sens. Hommes et migrations. "Le poids des mots".

La multiplication des expressions devenues courantes dans le discours médiatique telles que minorités visibles, discrimination positive, égalité des chances, curriculum vitae anonyme et autre communautarisme souligne la récurrente problématique sociale et politique posée par la gestion de la diversité95 et, en filigrane, par l’intégration des migrants et de leurs descendants. Elle rappelle le vide statistique français autour de ces thématiques. En effet, les enquêtes esquivent la thématique ethno-raciale par crainte des dérives des usages administratifs et politiques qui pourraient en être faits. Partant, l’absence de consensus scientifique sur la définition des termes participe vivement à l’âpreté des débats. La « race », l’ethnie et l’immigration sont devenues, en conséquence, des catégories sociales qui véhiculent un imaginaire riche de craintes collectives. La libération d’un discours politique stigmatisant à l’égard de telle ou telle population en fonction de ses origines ou de sa couleur de peau accompagne chaque épisode d’« émeutes urbaines ». L’accumulation des problématiques de précarité dans les quartiers populaires, la surinterprétation d’affaires « de pratiques religieuses musulmanes » dans l’espace public laïc – affaire de voile intégral, polygamie, mariage forcé, excision, virginité… etc. –96 parachèvent l’œuvre d’ethnicisation des problématiques sociales et culturelles liées à l’immigration97. Or, le Color Blind du contexte politique, tout autant que scientifique, français98 n’offre pas de contrepoids à la catégorie sociale stigmatisée de l’immigré : maghrébin, musulman, perturbateur et inassimilable99. A contrario, ces mêmes marqueurs identitaires sont utilisés, pour lutter contre les discriminations et donnent naissance à de nombreux collectifs, associations ou fédérations représentatives de ces populations stigmatisées100. La question du bienfondé des études, statistiques ou non, sur ces thématiques fait donc débat et interroge les catégories de classement et d’identification utilisées. Se posent alors logiquement la question des

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Simon, P. (2006). La République face à la diversité: comment décoloniser les imaginaires. In Blanchard, P., Bancel, N. & Lemaire, S. (Dir.). La fracture coloniale. Paris : La Découverte. pp. 241-250

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Laborde, C. (2008). Virginité et bourka : des accommodements déraisonnables ? Autour des rapports Stasi et Bouchard-Taylor. Laviedesidées.fr. Amiraux, V. (2009). L’affaire du foulard en France : retour sur une affaire qui n’en est pas une. Sociologie et sociétés. Vol. 41. n°2, pp. 273-298

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Noiriel, G. (2007a). Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIXème- XXème). Discours publics,

humiliations privées. Paris : Fayard.

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Fassin, D. et Fassin E. (Dir.) (2006). De la question sociale à la question raciale ? Représenter la société

française. Paris : La Découverte.

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Body-Gendrot, S. & Wihtol de Wenden, C. (2003). Police et discrimination raciale. Paris : Editions de l’Atelier

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Tel le CRAN (Conseil Représentatif des Associations Noires), cette fédération d’une centaine d’associations revendique l’instauration de ces critères ethniques. Cet usage contradictoire des traits identitaires est souligné par Dubet, F & Martuccelli, D. (1998). Dans quelle société vivons-nous ? Paris : Le Seuil.

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fondements du rapport politique, puis scientifique, de la société française au traitement de l’altérité – particulièrement culturelle –, de la revendication de cette dernière dans l’espace public et de son rapport aux questions d’« intégration » des populations immigrées ou issues de l’immigration. Dans la pensée collective, ces enjeux renvoient à des catégories sociales politiques dominantes alimentées par le débat public et les médias. Les mots utilisés changent de sens selon les utilisateurs et selon les contextes. Ils découlent d’une vision politique du monde social. Les principes et valeurs sous-jacents aux choix politiques doivent donc être interrogés pour saisir les enjeux derrière le vocable.

Il nous parait ainsi nécessaire d’identifier les fondements idéologiques qui orientent les choix en matière de politique d’intégration des populations migrantes, d’identifier les fondements historiques et anthropologiques d’une relation particulière de la société française à ses immigrés maghrébins, avant d’identifier les points d’achoppement entre systèmes anthropologiques allogène et autochtone. L’enjeu de ce premier chapitre est donc de montrer comment l’idéologie et les concepts de l’histoire républicaine ont longtemps produit des impensés empêchant la constitution de l’immigration en objet sociologique – et même historique – ; ou a minima, comment ils ont engendré des « prêt-à-penser » ou des figures dominantes des migrants conditionnant la manière dont la communauté maghrébine peut s’inscrire dans la communauté nationale. Le regard scientifique naît d’un lieu, d’une époque, en somme d’un contexte qui « rend possibles certaines recherches par le fait de conjonctures et de problématiques communes. Mais il en rend d’autres impossibles »101. Il nous faut maintenant décortiquer ce contexte avant de pouvoir opérer la séparation entre le politique et le sociologique dans un deuxième chapitre.

I - Le(s) sens politique(s) de l’intégration des immigrés

1 - Universalisme versus différentialisme : deux idéaux-types de conception de la société

La position universaliste prône la suspension de tout particularisme dans la construction du citoyen. Elle définit l’être humain comme une personne : « (…) dont les particularités sont irréductibles à des définitions (forcément collectives), de sorte que la seule représentation politique légitime est celle qui fait abstraction de toute particularité pour ne considérer dans chaque personne qu’un citoyen, envisagé dans son universalité »102. Historiquement, le moment symbolique de l’universalisme est celui de la Révolution Française qui envisage un homme universel absolu103 : « Les hommes naissent libres et égaux en droits ». L’homo sovieticus du communisme russe en est une autre version. Finalement, plusieurs conceptions de l’homme universel existent, chacune revêt des

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De Certeau, M. (1974). Faire de l’histoire. Tome 1. Paris : Gallimard, p.15

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Heinich, N. (2003). Les ambivalences de l’émancipation féminine. Paris : Albin Michel. p.109

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traits spécifiques. Diverses sociétés peuvent, dans l’histoire ou sur le globe, illustrées l’idéologie universaliste – la Rome antique, la Chine, l’Espagne, la France. De même, un territoire peut voir se succéder des déclinaisons différentes de l’universalisme. Ainsi, la France a connu dans son histoire les universalismes romain, catholique, révolutionnaire puis communiste104. Malgré ces variations, un point commun rapproche les différentes sociétés universalistes pour Emmanuel Todd105 : le type de structure familiale. En effet, toutes présentent des systèmes familiaux symétriques106 basés sur des règles d’héritage égalitaires – plus ou moins étendues. Dans ce cas, l’équivalence des frères, et éventuellement des sœurs, dans les droits successoraux, induit l’équivalence des êtres humains. De plus, dans un contexte universaliste, l’état est toujours le garant de l’intérêt général par-delà la défense des intérêts particuliers. Il se positionne du point de vue des valeurs – les principes – plutôt que des faits – le réel – et définit le principe d’égalité comme valeur de base de son fonctionnement, même s’il existe des inégalités de faits constatées dans la société107. La tradition républicaine française héritée de la révolution de 1789 en est le modèle archétypal, légitimé par une histoire et un projet politique communs.

A contrario, le postulat différentialiste fondamental est celui de l’existence de caractéristiques humaines distinctes – femmes, noirs, homosexuels. etc. –, attributs qui ne sont pas secondaires et doivent, en ce sens, organiser la vie des individus. La position différentialiste dénie l’idée universelle d’équivalence des êtres humains – ou des peuples – et prône le respect des identités particulières, susceptibles de construire des communautés d’intérêts. Elle définit l’être humain comme une personne : « doté(e) de caractéristiques susceptibles de l(a) rattacher à des collectifs (par exemple, l’ensemble des femmes) »108 et essentialise souvent ces caractéristiques pour leur donner un statut irréductible. Il est possible d’observer des cas de différentialisme extrêmement variés : par exemple, la définition non-extensible de la citoyenneté grecque – puisqu’il faut être né de deux parents grecs pour être déclaré citoyen – instaure un différentialisme lié à la naissance – jus sanguini – dans la possession versus l’exclusion de la citoyenneté. L’histoire de l’Allemagne révèle une autre situation différentialiste. Si elle assimile de nouvelles populations, elle le fait de manière amnésique en oubliant la diversité d’origine des populations de langue allemande pour aboutir à l’élaboration du pangermanisme – puis à celle de l’idéologie nazie – qui instaure un différentialisme entre les Nations – et les « Races » – en affirmant la supériorité de la nation allemande – et de la race aryenne. Israël représente le peuple élu, qui par là même se définit par cette différence distinctive. Le

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Todd, E. (1994). Le destin des immigrés. Assimilation et ségrégation dans les démocraties occidentales. Paris: Seuil. 105 Ibid. 106 Ibid. 107 Ibid. 108 Heinich, N. (2003).Op.Cit., p.109

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différentialisme indien se détermine du point de vue de l’appartenance sociale en plaçant un groupe au-dessus des autres. L’ensemble de ces sociétés se situent dans une logique différentialiste soit du point de vue des individus et des groupes qui la composent, soit du point de vue du peuple en comparaison avec les autres peuples. Cependant, toutes présentent comme point commun, pour Emmanuel Todd109, le type de structure familiale asymétrique qui désigne un successeur au détriment des autres. La non-équivalence dans la fratrie induit, dans la pensée collective, la non- équivalence entre les Hommes ou les peuples. Dans le contexte d’une société différentialiste du point de vue des individus, l’état est l’arbitre ou le garant de l’équilibre des intérêts entre groupes sociaux ainsi identifiés et caractérisés. Il se positionne sur le plan des faits, celui qui atteste de l’existence de différences pouvant faire l’objet d’inégalités de traitement110. La tradition libérale nord-américaine en est une bonne illustration. Le projet de société qui en découle assoit sa légitimité dans l’ethnicité et le relativisme culturel.

Ces deux conceptions, solidaires de traditions philosophiques et intellectuelles différentes, ont largement contribué à structurer des pensées dominantes opposées entre les pays dans lesquels elles se sont développées et diffusées. Ce faisant, elles ont orienté les idéologies nationales, le projet politique de société, les pratiques sociales et les dispositions juridiques qui en découlent, soit finalement le programme normatif étatique111. Mais, au cœur de ces deux idéaux-types philosophiques trône le concept d’égalité. Enoncé comme un des piliers de la tradition républicaine française, il reste, sous son apparence évidente, du registre de l’intention, de la théorie. Pour « être » et non plus seulement « devoir être », l’égalité comme concept doit passer dans le registre pragmatique. La loi – et la constitution – rend possible ce passage. Mais, il faut alors prendre la mesure de la dimension relationnelle et relative du concept : l’égalité suppose au moins deux parties et l’identification d’un registre d’application, donc d’un contenu112. Or, l’idée d’égalité s’ancre dans une contradiction pratique : elle vise à dépasser les situations discriminantes liées à l’existence même de différences entre les individus. La discrimination s’entend ici comme un traitement différencié et arbitraire opéré à l’égard d’un groupe d’individus ou d’un individu du fait d’un particularisme. Cette discrimination devient négative – et illégale – lorsqu’elle s’opère « (…) dans les domaines où des droits sont reconnus et protégés, en raison des valeurs qu’une société se donne »113. La déclaration universelle des droits de l’Homme assoit le statut de l’égalité comme droit

109 Todd, E. (1994). Op.Cit. 110 Todd, E. (1994). Op.Cit. 111

Schnapper, D. (1991). La France de l’intégration. Sociologie de la nation en 1990. Paris : Gallimard. Schnapper, D. (1998). La relation à l’autre. Au cœur de la pensée sociologique. Paris : Gallimard.

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L’analyse du concept d’égalité s’appuie sur l’article de synthèse de Le bras-Chopard, A. (2005). Egalité. In Maruani, M. (Dir). Femmes, genre et sociétés. L’Etat des savoirs. Paris : La Découverte. pp. 76-84

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Lanquetin, M.T. (2005). Discrimination. In Maruani, M. (Dir). Femmes, genre et sociétés. L’Etat des savoirs. Paris : La Découverte. pp. 85-93, p.85

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fondamental et irréductible de tout individu, indépendamment de ses origines, de son sexe, de ses croyances ou de ses opinions. En ce sens, elle reconnait le droit à l’égalité des individus entre eux, non des groupes. Simultanément, les dispositions juridiques pour garantir le principe d’égalité s’ancre dans la prise en compte de l’existence même de groupes d’individus, constitués autour de caractéristiques particulières – sexe, croyance religieuse, origine géographique, ethnique, sociale…. – à l’origine de conditions d’existence différenciées pouvant entraîner des inégalités de traitement. La loi, pour garantir l’égalité, doit donc corriger – par des mesures de rattrapage – les traitements discriminants114, à la base des inégalités de faits, en tenant compte des particularismes. Ce faisant, elle agit par discrimination positive pour rétablir l’égalité. Elle porte donc en elle tout autant l’intention universaliste que la pratique différentialiste : elle subsume les distinctions qu’elle reconnait en les traitant. De fait, son contenu ne peut qu’être à géométrie variable, défini en fonction des conditions d’existence de sous-catégories aux caractéristiques secondaires115 déterminantes. Mais, les revendications d’égalités substantielles ancrées dans des discriminations vécues peuvent se multiplier à l’infini : « La période contemporaine enregistre un accroissement dans les revendications d’égalités spécifiques, émanant de catégories de plus en plus nombreuses de personnes, avec, corrélativement, des effectifs de plus en plus restreints, et dans des domaines eux- mêmes démultipliés »116. Les contradictions de l’égalité formelle face aux inégalités réelles alimentent donc les deux positions, universaliste et différentialiste, du traitement des différences, en soulignant la pertinence et les limites idéologiques de chacune, mais surtout leur irréductible imbrication pratique117. Elles entretiennent le débat quant aux moyens à la base de la construction d’une égalité de faits et du traitement de la diversité.

2 - Les fondements d’un programme normatif universaliste, assimilationniste et ethnocentré

« Etudier les relations interethniques, c’est traiter directement des formes de l’intégration sociale, donc jusqu’à présent nationale » p.25 in Schnapper, D. (1998). La relation à l’autre. Au cœur de la pensée sociologique. Paris : Gallimard.

La question des relations aux immigrés en France a été traitée en termes d’intégration nationale en lien avec le mythe national français118. Un triple héritage sous-tend cette conception de l’intégration des migrants : héritage jacobin, durkheimien et colonial. Vient d’abord l’héritage de la Révolution de 1789. Le modèle « d’intégration à la française », qui se cristallise à l’occasion de la IIIème République, s’appuie sur l’Etat et poursuit un double objectif : de constitution d’une identité

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Ibid.

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Secondaires par rapport à la caractéristique principale d’appartenance à l’Humanité.

116 Le Bras-Chopard, A. (2005). Op.Cit. p.82 117 Schnapper, D. (1991). Op.Cit. 118 Simon, P. (2006). Op.Cit.

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collective forte au fondement de la communauté nationale – la nation française – et de constitution d’une société politique – la République. La tradition jacobine refuse « les hiérarchies sociales et les particularismes locaux, ainsi que la dissolution des groupes ethniques, religieux et linguistiques au sein de la collectivité civique »119. Le premier article de la constitution Française de 1958 affirme que : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ». Les trois principes fondateurs de l’idéal républicain, d’accès au même univers des possibles – égalité –, d’autonomie des individus par refus de toute domination ou de soumission à l’autorité d’autrui – liberté – et d’assimilation des différences – fraternité –, constituent l’armature conceptuelle120 de la démocratie française et de ses institutions. Ils fondent une façon de penser « le vivre ensemble » qui refuse de questionner la différence et instaure la négation des particularités, notamment culturelles, comme règle de base d’une société universaliste. L’Etat français construit donc sa vie sociale sur un a priori d’équivalence entre tous les Hommes et le refus de toute segmentation ethnique, raciale, culturelle ou religieuse de la société, donc de tout communautarisme. L’universalisme républicain tient lieu d’ultime fondement pour la citoyenneté et l’appartenance à la Nation. Il est censé servir l’intégration des minorités, notamment immigrées, et garantir l’unité nationale en évitant toute stigmatisation identitaire des individus par des critères sensibles121. L’intégration des populations immigrées dans la société française est donc poursuivie au travers d’une assimilation de type individualiste et égalitaire122. Le contact avec la société doit garantir l’acquisition du système de référence du pays d’accueil. Le but ultime de cette unité culturelle est la constitution d’une communauté nationale une et indivisible. Pour y parvenir, les institutions, particulièrement l’école républicaine, travaillent à la construction d’un individu respectueux des principes fondamentaux de la République, dont celui de laïcité qui renvoie l’expression des particularismes religieux à la sphère privée123. Vient ensuite l’héritage intellectuel de Durkheim124. La tradition républicaine politique et sociologique définit la notion d’intégration nationale en référence à sa conception de l’évolution de la société. Pour lui, l’avènement de la solidarité organique dans une société moderne en lieu et place d’une solidarité mécanique est directement lié au processus de division du travail et à la complémentarité qu’elle instaure entre les hommes. Elle éloigne l’individu des contraintes d’une société traditionnelle et de ses influences

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Lacorne, D. (1997). La crise de l’identité américaine, du melting-pot au multiculturalisme. Paris : Fayard. p.33

120 Laborde C. (2008). Op.Cit. 121 Schnapper, D. (1991). Op.Cit. 122 Todd, E. (1994). Op.Cit. 123 Schnapper, D. (1991). Op.Cit. 124

Durkheim, E. (2004, 1ère éd. 1893). De la division du travail social. Paris : PUF. Nous développerons plus précisément les concepts dans une partie I- Chapitre 2. III- 2- Syncrétisme culturel comme réponse individuelle au double bind.

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particularistes – poids des liens familiaux, ethniques, territoriaux, religieux…. –125. Elle s’accompagne cependant toujours du risque d’une forme pathologique de la division du travail qui induit à l’inverse une perte de liens sociaux. L’Etat esquive le risque de l’anomie en plaçant l’individu sous la coupe des principes universels de la République. La rupture avec les références archaïques ethniques ou identitaires représentent le salut du progrès social. Enfin, l’héritage colonial, au-delà d’être aujourd’hui encore malaisé126, renforce une lecture occidentale dissymétrique de la valeur des cultures. Il oppose de manière caricaturale la culture moderne, rationnelle et universelle du pays d’accueil à la culture traditionnelle, archaïque du pays de départ, comme les colons justifiaient leur présence par leur mission civilisatrice auprès des populations autochtones arriérées127. Cette vision renforce la conception assimilationniste des populations immigrées qui revient à penser leur intégration dans la société française par annulation des différences, particulièrement culturelles.

Ce modèle français d’intégration s’oppose au modèle multiculturaliste hérité d’un traitement différentialiste de la question de l’altérité. En effet, le différentialisme libéral du système nord- américain s’accommode de la persistance d’une société segmentée en catégories raciales. Une morphologie de classe y empêche la fixation de la notion de différence sur une catégorie particulière d’immigrés. De son côté, la tradition aristocratique anglaise s’accommode d’une fragmentation de la société par catégories sociales. L’héritage aristocratique se substitue, dans les rapports de classe qu’elle instaure, à une racialisation des rapports sociaux et permet l’affichage d’un certain multiculturalisme128. La critique généralement adressée à l’une des options retenues représente le point fort de l’autre et inversement. Ainsi dans le modèle différentialiste de l’intégration, le respect des différences culturelles induit une absence de traitement des inégalités sociales129. A l’inverse la position universaliste se centre sur les problématiques sociales, mais ne prend pas en compte les spécificités culturelles. Toutes deux omettent d’interroger les liens potentiels entre ethnicité, précarité et/ou exclusion sociale. Le cumul des problématiques qui agissent comme frein à l’intégration des migrants n’est alors pas questionné. Pour finir, la même dérive est redoutée dans les deux conceptions. Le multiculturalisme par sa reconnaissance des différences culturelles est soupçonné de favoriser le communautariste, la juxtaposition de cultures différentes sans échanges ne pouvant garantir la cohésion sociale130. L’universalisme assimilationniste par son déni des

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Cette conception renvoie les études interculturelles dans l’illégitime.

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Nous développons juste après une partie spécifique sur cette dimension déterminante dans l’âpreté des débats actuels autour des questions d’intégration des migrants et de leurs descendants. Voir Partie 1- Chapitre