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La lecture de Quel modèle de bibliothèque ? est excellente et stimulante au moment où l’ABF vient de consacrer son congrès aux « Bibliothèques à vivre » Y a-t-il un modèle idéal de la bibliothèque

Dans le document 46 : C qui ? (Page 74-76)

à vivre, ou au contraire les médiathèques sont-elles des organismes vivants, évolutifs, imprévisibles

et adaptables, périssables ? Sur les traces de Michel Melot qui a signé une courte et pertinente

postface, Jean-François Jacques tente ici une synthèse critique.

Collectif, Quel modèle

de bibliothèque ?, série Généalogies, coord. Anne-Marie Bertrand, Presses de l’Enssib, coll. « Papiers », 2008, 184 p., 15 x 23 cm, ISBN 978-2-910927- 73-9

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critique est particulièrement stimu- lante. Catherine Clément montre le caractère polymorphe du modèle de médiathèque à la française : ambi- guïté des objectifs, fragilité de l’équili- bre entre les fonctions d’éducation, de formation, d’information et de culture (elle ne mentionne pas le loisir…). Ambiguïté de l’action culturelle d’abord, résumée pour les élus en particulier à sa fonction de visibilité. Équilibre difficile entre éducation et culture : si pour les pionniers de la lecture publique, il s’agissait d’abord « d’acculturation au progrès, plus que de diffusion d’un patrimoine culturel écrit », voire de rejet de la dimension pédagogique et scolaire, la bibliothè- que se retrouve néanmoins partenaire et relais de l’école ; « loin d’être un par- tenaire naturel, l’école est ainsi deve- nue un partenaire incontournable voire obligé, le public captif privilégié de la médiathèque ».

Ambiguïté de la revendication d’auto- nomie du lecteur, quand on considère l’écart entre une grande partie de la population et l’univers de la bibliothè- que, ses codes comportementaux et son organisation.

Ambiguïté du « rôle social », puisque la médiathèque se situe plus du côté du savoir que du côté de l’information : « on est très loin d’un équipement inté- gré dans un tissu de services utiles à la communauté, très loin d’une utilité et d’un usage social de la médiathèque », la médiathèque restant encore ainsi le lieu d’une élite culturelle et sociale. Catherine Clément analyse ensuite les limites du modèle architectural, mon- trant le caractère irréaliste du concept de « one-room library », qui postule l’homogénéité des pratiques de lecture. Elle montre le risque de fuite en avant, les équipements les plus anciens devant être maintenant repensés. Cependant, je crois que ces équipements sont justement ceux qui marquaient l’apo- gée du modèle de bibliothèque, trop rapidement baptisée « médiathèque » pour faire moderne sans que soient adoptés les principes initiateurs de ce nouveau « modèle », et que ce sont justement ces cloisonnements (sec- tions) et leur incapacité à s’adapter qui sont en cause. Je suis moins d’accord avec elle quand elle croit voir dans le modèle de médiathèque une para- doxale incapacité à se moderniser, à

innover. Paradoxalement, j’ai person- nellement vécu le passage au concept de médiathèque comme une ouverture à l’innovation permanente, à l’adapta- tion continue ! Il est vrai que l’on est passé, dit-elle, d’une logique militante à une logique gestionnaire. Mais il s’agit alors non plus d’un problème de modèle, mais bien d’un problème de formation : la médiathèque n’est que ce qu’en font les bibliothécaires ! À juste titre, Catherine Clément souligne que la « revendication de locaux vastes et de collections abondantes a conduit sans aucun doute à privilégier la construc- tion d’une bibliothèque centrale aux dépens des besoins de proximité à la fois relationnelle et géographique des publics. » Au détriment des réseaux et de la pluralité d’équipements, facteurs soulignés par Stéphane Wahnich, de plus forte fréquentation. Le modèle reste « bibliocentré », l’analyse de l’im- pact de la bibliothèque sur son environ- nement se résumant à l’analyse de la fréquentation : les enjeux du dévelop- pement de la lecture sont ramenés à l’intérieur de celle-ci.

La logique de « production – distribu- tion » est donc à repenser, « le libre

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accès ayant ceci de pervers qu’il place des personnes peu familières avec le lieu et avec les documents dans une situation d’égarement. » Dès lors, conclut-elle, « loin d’être la maison des hommes qu’elle prétend être, la média- thèque reste fondamentalement le lieu de la collection » et on hésite rarement à « rogner un peu l’espace du public, plutôt que d’éliminer ce qui peut faire entrave à la libre appropriation de l’espace par les usagers » (Bertrand Calenge). La médiathèque peine ainsi à trouver l’équilibre entre « temps long et temps court », ne réussissant hélas à « concilier les antagonismes de ses deux héritages [qu’] à travers leur seul point commun : la primauté du docu- ment sur celui qui en fait l’usage. Faut-il voir là les limites de la profes- sionnalisation, qui continue à s’inscrire dans une vision univoque et techniciste du métier, obstacle à la prise en compte de la diversité des compétences néces- saires, à un bibliothécaire médiateur et spécialiste de la demande et des publics ? Résistance à l’élargissement des horaires, persistance du postulat de l’unité des publics, interchangeabi- lité des établissements dans le pays, autant de signes du refus de définir des priorités et de faire des choix reposant sur de véritables projets, de laisser entrer les usagers, groupes, institu- tions comme acteurs et non plus seu- lement comme partenaires ou consom- mateurs. Pensées sur un schéma des politiques culturelles telles qu’elles ont été conçues depuis Malraux – « principe

absolu de la multiplication et de l’amé- lioration de l’offre », les médiathèques ont fini par se retrouver excentrées, un peu à l’écart du monde : elles doivent maintenant se réinventer.

> Rôle social et sociologie

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