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Chapitre 2 Cadre conceptuel et état de la question

2.1 Le leadership en administration de l’éducation

2.1.5 Le leadership pour apprendre

Si des traits communs ont pu être identifiés sur la nature du leadership qui pourrait faire la différence et promouvoir la performance scolaire, un élément essentiel émerge de la littérature scientifique relative au domaine ces dernières années; il s’agit de ce que Hallinger (2011b) appelle « The context for leadership ». L’idée est de reconnaître que « le contexte de

l’école représente un facteur important pour comprendre à la fois le leadership et les résultats des apprentissages des élèves » (Hallinger, 2011b, p. 134). L’auteur considère que la ferveur qui a marqué le débat sur les modèles qui permettraient de comprendre comment le leadership contribue à l’amélioration de l’apprentissage s’est réduite. Aujourd’hui, on parle plus de leadership pour apprendre (leadership for learning) qui comprend des traits aussi bien du leadership pédagogique, du leadership transformationnel et du leadership distribué. L’auteur recommande, par ailleurs, que la prochaine génération de recherches dans le domaine du leadership exercé dans le milieu scolaire doive se centrer sur la contextualisation des types, des stratégies et des pratiques du leadership. Le but est de recueillir des informations pas seulement sur ce « qui marche », mais aussi, et surtout, « ce qui marche et dans quel cadre » (Hallinger, 2011b, p. 138).

Dans le même sens, MacBeath (2006) rapporte les résultats d’une recherche entreprise dans le cadre d’un projet international sur le leadership pour apprendre. Des chercheurs universitaires, des directrices et directeurs d’école, des enseignantes et des enseignantes, des parents et d’autres membres de la communauté de sept pays (Australie, Autruche, Danemark, Norvège, Grèce, Angleterre et les États-Unis) se sont engagés durant trois années consécutives (2002-2005), dans une réflexion profonde sur les sens, les attitudes et les pratiques que pourrait inspirer l’exercice d’un leadership pour apprendre. Le but était de comprendre, dans une visée transcontextuelle, ce que pourrait vouloir dire exercer un leadership pour apprendre, compte tenu du contexte local, de l’histoire, de la culture, du contexte politique, de la structure sociodémographique de l’école, des dynamiques et des choix qui en émergeaient et des interprétations que les acteurs eux-mêmes leur en donnaient.

Le projet consistait en un questionnaire élaboré par les chercheurs qui devait rendre compte de ce qui est commun aux différents contextes et ce qui est de nature locale, des entrevues au cours desquelles les acteurs étaient invités à se prononcer sur leurs pratiques, leurs priorités et celles des autres. Des visites d’écoles locales et aussi interpays ont aussi été organisées et permettaient aux participants de s’engager dans des observations dynamiques favorisant échange et réflexion entre l’observateur et l’observé en pleine action.

Un réseautage, des ateliers permettaient aux différents acteurs d’échanger sur le plan local et international; les participants étaient invités à chaque fois à laisser de côté leurs a priori, leurs « pseudo vérités » à chaque contact avec un contexte différent, mais surtout de faire preuve à la fois d’ouverture et d’esprit critique envers eux-mêmes et envers les autres. Vers la fin du projet, des entrevues ont eu lieu avec les directions des 24 écoles ayant pris part au projet, des focus groups avec des enseignants et des étudiants ont permis d’échanger sur les résultats du projet. Cinq principes ont été retenus comme constituant l’essence d’un leadership pour apprendre :

1. C’est un leadership centré sur l’apprentissage : ce qui implique l’existence d’une culture d’apprentissage au sein de l’école engageant tous les acteurs. Cet engagement explicite pour le perfectionnement des pratiques de la part du personnel, par exemple, pourrait prendre plusieurs formes dépendamment des contextes, des ressources disponibles, des priorités… Un directeur australien a exprimé dans ces mots les raisons qui militeraient pour un tel engagement : « Nothing keeps you closer to what it’s like being a student than

being a student yourself » (MacBeath, 2006, p.40).

2. C’est un leadership qui crée des conditions favorables pour apprendre : il ne s’agit pas seulement de faire régner au sein de l’école un climat serein et ordonné, mais d’arranger le temps des apprentissages par exemple, dans le but de permettre aux enseignants de s’observer, d’échanger autour de leurs pratiques.

3. Le dialogue est central pour le leadership pour apprendre : il permet l’échange et la réflexion collective sur les pratiques, les attitudes et les objectifs d’apprentissage visés par l’école.

4. Le leadership pour apprendre est un leadership distribué : qui fait que d’autres acteurs pourraient participer à l’influence qui doit être exercée par l’établissement afin de favoriser l’apprentissage.

5. Le leadership pour apprendre exige une reddition des comptes : qui ne doit pas émaner d’un désir de se conformer aux impératifs des politiques, mais surtout du devoir de se remettre en question dans la quête d’un exercice professionnel et réflexif de son métier d’éducateur.

Dans un autre article, MacBeath (2007) parle d’une autre caractéristique qui devrait marquer le leadership pour apprendre. Il parle de « leadership comme activité subversive », le reliant ainsi aux préoccupations d’ordre éthique et moral. Selon lui, ce leadership est « intellectuel, moral et politique, car enraciné dans le savoir et la sagesse » (idem, p.245, traduction libre). Le leadership subversif est sensible à la condition humaine dans la mesure où il « porte un nouveau regard à son égard et trouble la complaisance du statu quo » (idem, p. 244, traduction libre).

Le leader subversif est alerté et sceptique face aux banalités des médias de masse, aux obsessions de la culture populiste, aux nobles mensonges des politiques. Son leadership est exprimé en termes d’activité plutôt que de position d’autorité; il est ancré dans l’action expliquée et justifiée rationnellement pour tous ceux qui partagent la sphère du leadership et qui sont censés suivre. Il est conscient du devoir de rendre des comptes, conscience qui émane surtout d’une position profondément ancrée dans les valeurs plutôt que d’une obligation de l’extérieur (MacBeath, 2007).

Pour conclure, Hallinger (2003) pense que les modèles de leadership en éducation sont soumis à la même tendance qu’on peut voir dans d’autres domaines de l’éducation : le paradigme favori aujourd’hui est bientôt remplacé par un autre. Cette tendance est dictée, comme diraient Langlois et Lapointe (2002), par les changements contextuels qui font que le paradigme dominant ne répond plus adéquatement aux besoins des écoles en changement, le paradigme naissant ne représente pas une rupture avec le précédent, mais bien un dépassement des faiblesses de celui-ci. C’est dans ce sens que Hallinger (2003), en essayant de comparer le leadership pédagogique et le leadership transformationnel, qui selon lui, sont les deux modèles ayant le plus dominé le champ de la recherche du leadership éducationnel, parvient à la conclusion que, bien que les deux modèles présentent des différences considérables, leurs similarités sont plus évidentes. Elles portent, selon lui, sur les points suivants :

 Leur centration sur la direction de l’école comme point de départ de la performance de l’école Elle y parviendrait en focalisant sur :

- La création d’un sens de solidarité au sein de l’école;

- L’importance de développer un climat d’attentes élevées et d’une culture scolaire centrée sur l’amélioration de l’enseignement et de l’apprentissage; - L’importance d’organiser la structure scolaire afin qu’elle reflète les

objectifs de l’école pour le personnel et pour les élèves;

- L’organisation d’une panoplie d’activités visant la stimulation et le développement du personnel;

- L’adoption d’une attitude de présence visible à l’école, tout en modelant les valeurs chères à l’école;

Le leadership pédagogique répondait, selon Hallinger (2003), au contexte de la recherche sur les écoles efficaces exerçant dans les milieux défavorisés et a émergé à partir des années 1980. À partir des années 1990, alors que des réformes en éducation prenaient place dans différents pays, de nouvelles tendances en leadership éducationnel font leur apparition. On parle plus d’empowerment, de leadership distribué, d’apprentissage organisationnel. Cette évolution du leadership éducationnel qualifiée de changements de « second ordre » par Leithwood (1994), car elle insiste en premier lieu sur le changement des structures de l’organisation, a vu naître le leadership transformationnel comme paradigme dominant.

Le leadership pour apprendre est un paradigme plus globalisant qui veut mettre l’accent sur la relation entre le leadership et l’apprentissage dans une perspective transculturelle, laquelle permet de rendre compte des points communs concernant l’exercice d’un leadership qui favoriserait l’apprentissage dans différents contextes de pays partageant certaines similitudes. Ce modèle, tout en insistant sur l’importance du contexte de l’école pour comprendre la nature du leadership exercé par les directions des écoles, croit en l’existence d’éléments communs qui sont indépendants du contexte et qui doivent, en quelque sorte, être présents pour pouvoir parler d’un leadership efficace (MacBeath, 2006).

Ces éléments sont d’ailleurs des facteurs centraux dans la conception des trois modèles de leadership décrits dans les paragraphes précédents, à tel point qu’on peut dire que le

leadership pour apprendre est une sorte de synthèse des points communs sans lesquels le leadership des directions d’école n’aurait aucune raison d’être. En effet, qu’il s’agisse de sa centration sur l’apprentissage, sa nature partagée, son intérêt pour un climat propice au sein de l’école et pour la reddition des comptes, on peut aisément voir que ce sont des points qui font l’essence des modèles présentés en l’occurrence, le leadership pédagogique, transformatif ou distribué.

Nous pouvons dire aussi que le leadership pour apprendre présente une conception plus large de la centration sur l’apprentissage, car il ne s’agit pas seulement de l’intérêt particulier que le leader doit avoir pour l’apprentissage des élèves, mais aussi pour le développement professionnel du personnel et de l’équipe-école. Cette particularité, bien que présente dans la conception du leadership transformationnel de Leithwood, prend une plus grande ampleur avec la conception du leadership pour apprendre. MacBeath (2008) explique dans ces mots toute l’ampleur que prend le principe de la centration sur l’apprentissage dans sa conception du leadership pour apprendre :

« We think not only of student learning, but also professional, school and system learning. Learning at one level is linked to learning at the next, so that for example learning at the system and school levels is mediated by teachers to influence student learning. Learning as activity implies a move away from narrow conceptions typified by the transfer of information from teacher to student to be reproduced in examinations, to a richer understanding involving questioning, enquiry and analysis as well as metacognition, emotional intelligence, identity and a moral awareness. Leadership within this conceptual framework entails influencing and serving others, taking the initiative and making decisions for the greater good, modelling learning and being sensitive to context. Leadership is characterised not by a few people in formal positions of power controlling and directing many others, but by actions taken by all members of a community in the everyday flow of activity. Everyone exercises leadership at some point, viewing it as a right and responsibility, not the corollary of a particular position, nor a gift or burden bestowed by someone in a high status role » (p. 1)

Dans sa perception du leadership pour apprendre, MacBeath considère que l’apprentissage comme activité, ne devrait plus être perçu selon un point de vue restreint qui fait que des informations sont transférées d’un enseignant à des élèves qui auront à les reproduire à l’occasion d’un examen, mais doit être plutôt conçu et repensé selon des

perspectives plus larges, traduisant un souci pour d’autres facteurs d’ordre moral. L’apprentissage, selon cette perspective, implique aussi bien remise en question, recherche, analyse, métacognition, intelligence émotionnelle, identité et conscience morale. En outre, ce leadership n’est pas l’apanage d’individus dans des positions de pouvoir formelles, mais plutôt un droit que plusieurs membres de la communauté exercent comme faisant partie de leur responsabilité à l’égard de l’école. Cet intérêt pour l’éthique et les valeurs que nous pouvons voir dans la perception de MacBeath du leadership marque dans les faits une préoccupation que plusieurs auteurs partagent depuis quelques décennies. En effet, plusieurs d’entre eux font état du constat selon lequel peu de place était accordée à la perspective éthique dans les recherches sur le leadership éducationnel (Langlois, 2002).

À partir de là, certains auteurs estiment qu’il serait intéressant d’explorer des modèles de leadership qui pourraient s’inscrire dans une démarche réflexive et éthique et qui seraient perçus plutôt comme « un outil aidant à construire du sens et à développer une éthique organisationnelle qui encourage les attitudes de justice et d’équité sociale » (Langlois, 2002, p. 77).

2.2 Le leadership en matière de justice sociale